Anastasia était un vrai moulin à paroles. Je peinais à glisser quelques mots. Honnêtement, cela ne me dérangeait pas, puisque je ne l'écoutais que d'une oreille. J'étais plus occupée à chercher Christopher du regard. Sans succès. Nous nous dirigions vers la cafétéria. Anastasia avait un petit creux, alors je lui avais proposé de l'accompagner là-bas. Peut-être que Christopher s'y trouvait.
— Dis, tu voudrais m'accompagner au champ de tir après avoir mangé ? demandai-je soudainement à ma collègue de chambre.
Elle me regarda avec surprise.
— Tu aimes le tir à l'arc ?
Je haussai les épaules. Je n’aimais pas vraiment cela, mais je devais m’entraîner. Je n’avais pas le choix.
— Ouais, j'aime bien.
— Pourquoi pas ? Après tout, nous avons la journée de libre.
Elle arrêta soudainement de marcher et se tapa le front avec la main. Je haussai un sourcil.
— Qu'y a-t-il ?
— J'ai oublié de te demander si je pouvais voir ton horaire. Histoire de voir si nous avons des choses en commun.
Elle semblait au bord du désespoir en disant cela.
— N'en fais pas tout un plat, nous habitons sous le même toit. Nous pourrons comparer nos horaires ce soir.
— Oui, tu as tout à fait raison. Je me sens tellement nerveuse, tout le monde se connaît ici. Il y a déjà des groupes et je n'ai pas envie d'être toute seule dans mon coin. Tout est si nouveau pour moi.
Je lui tapotai l'épaule. Ce geste, pourtant si familier pour les humains, était pour moi si étrange que je regrettai un moment de l’avoir fait.
— Ne t'inquiète pas pour cela. Tu as l'air d'être une chic fille. Et puis, tout le monde doit bien s'entendre ici, je me trompe ?
— Tu as raison, je m'inquiète pour rien. Après tout, je t'ai rencontrée, toi.
Elle me sourit et ses yeux pétillèrent de malice. Je ne pus m'empêcher de rire.
— Tu es plutôt coincée avec moi, je dirais.
— Tu as raison ! Peut-être devrais-je me morfondre finalement.
Nous recommençâmes à marcher. Anastasia me posa plusieurs questions sur ma vie de tous les jours, auxquelles je tentai de répondre le plus honnêtement possible tout en évitant de parler du fait que je n'étais pas humaine. J'appris qu'elle avait un grand frère et qu'elle détestait presque tous les animaux. Cependant, elle adorait la nature. Cela ne me surprit guère, sinon elle ne serait pas ici à faire des activités en pleine forêt.
Nous grimpâmes les marches qui menaient à la cafétéria, et Anastasia poussa la porte à deux mains. Un groupe de jeunes qui sortaient par l'autre porte chuchotaient avec excitation à propos d’une fête qui aurait lieu près de la plage le soir même.
— Tu as entendu ? me demanda Anastasia.
J'approuvai d’un signe de tête.
— Tu crois qu'on pourrait y aller ?
— Sûrement, mais je ne pense pas y aller. Les fêtes, ce n’est pas trop mon truc. Elle me regarda avec déception.
— Dommage, j'aurais aimé y aller avec toi.
— Tu devrais dire que tu ne connais personne d'autre, lui répondis-je, hilare. Allez, je vais nous réserver une place pendant que tu vas chercher de quoi te remplir l'estomac.
— Tu n'as pas faim ?
Vu ce que j’avais mangé un peu plus tôt, pas du tout.
— Non, j'ai mangé tout à l'heure, avant que tout le monde n’arrive.
Elle me regarda surprise.
— Tu es arrivée à quelle heure ?
Je haussai les épaules comme si cela n’avait pas d’importance. D’ailleurs je ne voyais pas en cela importait.
— Bof, lorsque le jour a commencé à se lever.
Elle ouvrit grand les yeux et secoua la tête.
— Tu es folle !
Son ventre émit un bruit très bizarre et elle rougit.
— Je crois que je vais y aller, dit-elle.
Je la regardai s'éloigner en secouant la tête. Cette fille était comique. Bavarde, mais comique.
Je regardai autour de moi pour trouver une table libre. Malheureusement, nous n'avions pas été les seules à avoir l'idée de venir manger. Là, près d'une fenêtre, il y avait de la place pour deux. J'espérais seulement qu’Anastasia allait pouvoir me retrouver.
Je me dépêchai avant que quelqu'un n’aille prendre l'endroit que je convoitais. Une fois assise, je repris mes recherches pour voir si Christopher était dans le coin. Tant pis pour la subtilité, avec toute cette foule, ce n’était pas comme si les gens se préoccupaient de ce que je faisais. Dacre, il ne devait pas être difficile à trouver ! Sauf que des grands types musclés avec des cheveux noirs et un tee-shirt blanc, il devait y en avoir une vingtaine.
J'étais mal barrée. Je tapotai le dessus de ma table du doigt en regardant tous les types qui possédaient des cheveux noirs. Lui ? Non. Peut-être celui qui était seul, là-bas ? Non plus. J’aperçus Anastasia arriver du coin de l'œil et cessai mes recherches. Je ne voulais pas titiller sa curiosité. Elle posa bruyamment son plateau sur la table, ce qui me fit ciller. Elle avait pris une omelette au fromage et aux champignons.
— Qui cherches-tu ?
Alors, elle m'observait. Plutôt curieuse, ce qui n'était pas très avantageux pour ma mission. Je me forçai à sourire et lui répondis :
— Personne en particulier, pourquoi ? J'étais tout simplement curieuse de voir avec qui nous allons passer l'été.
Je pointai un type au hasard sans prendre la peine de regarder de qui il s'agissait, et me penchai vers elle pour faire comme si je lui racontais quelque chose de très important :
— Il est plutôt mignon, tu ne trouves pas ?
— Tu parles de Christopher ?
Je me retournai aussitôt pour réaliser que le type que je pointais n'était nul autre que mon petit garou favori. Eh bien, ça alors ! D'où sortait-il, celui-là ? N’ayant pas vu mon air étonné, elle reprit :
— C'est vrai qu'il n’est pas trop mal, mais ce n'est pas mon type.
Son regard s'illumina soudainement et elle me chuchota :
— Par exemple, celui à droite de Christopher, c’est vraiment mon genre.
C'est vrai qu'il était plutôt mignon, avec ses cheveux châtains qui ondulaient jusqu’au milieu de son cou et ses yeux bruns qui pétillaient de malice. Il discutait avec la fille qui m'avait dévisagée tout à l'heure.
— Tu sais, ajouta Anastasia, peut-être qu'ils seront à la fête de ce soir. Il y a même de grandes chances.
Je me mordillai nerveusement la lèvre inférieure en analysant la situation. Il fallait que je me lie d'amitié avec Christopher, et cela, le plus subtilement possible et au plus vite. La solution était simple.
— Tu crois ?
Elle tapa joyeusement dans ses mains.
— Ça veut dire que c’est oui ?
— Oui, pourquoi pas ?
Après tout, je n'avais rien à perdre.