Après le repas, Anastasia et moi nous entendîmes pour aller explorer le camp avant d'aller au champ de tir. Nous allâmes voir les terrains de soccer et de football (un pour les enfants et un pour les plus vieux), la piscine qui comptait deux glissades et deux tremplins, le mur d'escalade et des parcours. Je ne pensais pas que ce camp était si grand. À chaque nouvel endroit que nous explorions, Anastasia s'exclamait que nous étions dans le meilleur camp du monde.
Nous terminâmes notre exploration avec les ateliers intérieurs. Il y avait une salle d'entraînement pour les seize ans et plus, une salle de danse et une salle de réception pour faire la fête. Ce camp ne manquait décidément de rien, me dis-je pendant que nous retournions à notre cabine pour que je puisse récupérer mon arc et mes flèches.
Lorsque j'ouvris la porte, je remarquai qu'il y avait une enveloppe blanche sur le sol. Je la pris avec méfiance, avant de me la faire immédiatement enlever des mains par Anastasia qui se dépêcha de l'ouvrir sans aucune précaution. Je soupirai avant de m'asseoir sur mon lit.
— Alors ? Qu'est-ce que c'est ?
— C'est une invitation pour la fête de ce soir.
Elle lut à voix haute :
Ceci est une invitation pour les jeunes de seize ans et plus. Vous êtes invités à une fête qui aura lieu ce soir à vingt et une heures près de la chute. Pour les nouveaux qui ne savent pas où se trouve la chute, il y a une carte de l'autre côté de cette lettre. Apportez votre maillot de bain avec une serviette, de préférence. Cette fête est secrète, donc nous vous prions de faire attention pour qu'aucun adulte ne l'apprenne. Il y aura de l'alcool sur le lieu, alors aucune raison d'en apporter. La drogue est strictement interdite. Sachez que si vous venez à cette fête et que quelque chose tourne mal, nous nous dégageons de toute responsabilité. Vous êtes prévenus. En espérant que vous viendrez en grand nombre.
Anonyme.
— Comme c'est charmant, dis-je avec sarcasme.
— Oh, allez Oracle, ça a l'air sympa.
Elle me lança un regard implorant. Je ne bronchai pas.
— Tu n'as pas compris la partie qui disait que si quelque chose de mal arrivait, nous serions les uniques responsables ?
— Tu n'as pas à t'inquiéter pour ça. Je suis certaine que tout va bien aller. Alors, tu viens toujours ?
Je haussai les épaules.
— Pourquoi pas ? Je ne veux pas avoir de problèmes, c’est tout.
« Je vais en avoir suffisamment au cours de l’été », pensai-je ironiquement.
— Tu n'as pas à t’inquiéter, s'il y a le moindre ennui, nous n'aurons qu'à partir.
Je la regardai un moment avec réticence. Je n'avais pas vraiment le choix. Je n'étais pas habituée à ce mode de vie. Si j’avais voulu faire la « fête » à Nomeck, j'aurais été toute seule chez moi à danser sans musique, puisque nous n'avions pas de technologie. Certes, il y avait des musiciens, mais qui aurait voulu danser sur une musique de violoniste ? De plus, qui aurait voulu faire quoi que ce soit avec moi ?
Même Alexandre n'a rien voulu savoir de toi, me souffla une petite voix.
La mélancolie s'empara de moi. Je ne savais pas comment il s'y était pris, mais il était parvenu à me faire ressentir des choses que je n’avais plus espéré ressentir depuis la mort de mes parents. Le sentiment d'être appréciée, de ne pas être une simple erreur dans notre clan. Le sentiment de réconfort lorsque j'étais en sa compagnie. Oui, il me faisait faire des crises de cœur, puisqu’il me poussait à bout physiquement lorsque nous nous entraînions, mais après coup, cela me faisait bien rire.
— Quelle heure est-il ? l’interrogeais-je, encore à moitié perdue dans mes pensées.
— Quinze heures. Nous avons encore le temps d'aller au champ de tir, si tu veux. Nous pourrons aller manger vers dix-sept heures et nous préparer ensuite pour la fête.
Je hochai la tête avant de prendre l'étui qui contenait mon arc et mes flèches.
— J'ai hâte de voir comment tu te débrouilles. Penses-tu qu'il y ait des arcs là-bas ? J'aimerais bien essayer. Mais bon, je t'avertis, je suis nulle. Mon talent, c'est plutôt la danse et le combat.
Ce qu'elle me dit me ramena à la réalité.
— Ah bon ? Je n'imaginais pas que tu étais le genre de fille à se battre. La danse oui, mais le combat…
— Je ne pensais pas que tu étais le genre de fille à tirer des flèches, pourtant tu le fais, me dit-elle malicieusement.
— Tu marques un point. À quel âge as-tu commencé à apprendre à te battre ?
— Oh, j'ai commencé plutôt jeune. Cinq ans, peut-être ? Mon frère me montrait des trucs.
— Lorsque tu avais cinq ans ? Ce n’était pas un peu tôt ?
— J'étais sa plus grande admiratrice. Je voulais tout faire comme lui. Alors, il m'a montré quelques positions.
— Quel âge a-t-il ?
Anastasia se tut et baissa les yeux.
— Anastasia ?
Je m’approchai d'elle doucement en ayant un mauvais pressentiment. J’espérais que ce n’était pas ce que je pensais.
— Tout va bien ?
Elle releva vivement la tête, et je pus voir des larmes perler au coin de ses yeux. Elle me sourit doucement avant de dire d'une voix tremblante :
— S'il était encore en vie, il aurait vingt-cinq ans.
Je figeai. Lorsqu’elle avait dit avoir un frère, j’avais cru qu’il était toujours vivant. Je m'étais aventurée sur un terrain glissant. Ne sachant pas trop quoi dire pour la réconforter, je posai une main sur son épaule.
— Je suis navrée. Je n'aurais pas dû poser cette question.
Elle secoua la tête.
— Tu ne pouvais pas savoir. Si ça ne te dérange pas, pouvons-nous changer de sujet ?
Je m'empressai d'approuver.
— Et si nous allions au champ de tir ? Je vais te montrer à quel point je suis talentueuse.
— Tu n'es qu'une frimeuse, dit-elle en s'essuyant les yeux.
Elle n'avait pas tort. Je ne m'étais entraînée qu'une seule fois après tout. J'espérais que les instructions d'Alexandre me seraient utiles, sinon j'aurais l'air ridicule.
***
Quelques personnes se trouvaient déjà sur le champ de tir. Des garçons, pour la plupart, qui rigolaient entre eux et qui avaient l'air de faire n'importe quoi. « Les humains… », pensai-je en roulant les yeux.
Anastasia et moi nous plaçâmes loin d'eux, sous l'abri qui nous cachait du soleil. Pour délimiter notre espace, il y avait des cases inscrites sur le sol.
Anastasia alla voir le surveillant qui donnait les instructions avant de distribuer les arcs aux jeunes. Plutôt une bonne idée, je n'avais pas envie de me faire tirer dessus par accident.
Je sortis mon propre arc et pris une flèche. Je regardai ma cible, une feuille de papier collée sur une cible ronde en paille tressée. J'installai ma flèche comme il le fallait, pris une grande inspiration en fermant les yeux et me positionnai. Le vent soufflait vers la droite, alors je déplaçai légèrement mon arc vers la gauche. En expirant, je relâchai la flèche qui partit en sifflant près de mon oreille. Elle alla se ficher dans le rouge. Ce n’était pas suffisant. Le centre de la cible était jaune, venaient ensuite le rouge, le bleu et le noir.
Je pris une autre flèche et me concentrai du mieux que je pus. Pas évident avec ces garçons. Je sentais leurs regards sur moi. J’inspirai, puis expirai en la décochant. Les garçons applaudirent. Encore la zone rouge. Toutefois, ma flèche se situait plus près du jaune. Pas assez bien. Comme allais-je pouvoir atteindre une cible vivante si je ne pouvais même pas viser le milieu d'une feuille ?
Mon corps se crispa. Serais-je capable de tuer une personne qui ne m'avait rien fait directement ? Je repensai aux corps lacérés de mes parents. Peut-être.
— C'est vrai que tu ne tires pas trop mal, dit une voix derrière mon dos
— Il t'en a fallu du temps, Anastasia. Comme tu le vois, j'ai déjà tiré deux flèches.
Elle me regarda d'un air amusé. Ses cheveux bruns voletaient au vent. Elle les avait détachés.
— Désolée d'avoir été si longue, Votre Altesse.
Le « Votre Altesse » me fit grincer des dents. Elle n’imaginait même pas à quel point une altesse pouvait être cruelle.
— Allez, montre-moi de quoi tu es capable au lieu de jacasser, lui demandai-je.
— Dit celle qui parle le plus de nous deux.
Elle rit, et je saisis une autre flèche, prête à tirer.