Comment aurais-je pu savoir que Christopher était aussi doué qu'il le disait ? Je me tenais la tête entre les mains, assise au sol, pendant qu'Anastasia me sermonnait en insistant bien sur le fait de ne plus jamais faire de pari qui l'impliquait.
— Combien de fois dois-je m'excuser ? grognai-je en me massant les tempes.
— Jamais, dit-elle en allant voir Xavier et Christopher qui venaient de se taper dans les mains.
Comment Dacre allais-je pouvoir être au service de ce chien pendant deux jours sans l'étriper ? Je croyais bien me débrouiller, mais lui, c'était une autre histoire. Il m'avait demandé s'il pouvait faire un tir juste avant le défi, puisqu’il était supposément injuste que je me sois entraînée une bonne partie de la journée. Je n'avais pas su refuser. Lors de son tir, il avait touché le bleu. Ce type avait fait exprès de me mettre en confiance afin de me faire relâcher ma garde.
Cela ne faisait même pas une journée que j’étais au camp, et ma mission partait du mauvais pied. Peut-être pourrais-je faire en sorte que la situation tourne à mon avantage ? Mais comment ? Je soupirai en regardant Anastasia supplier les garçons de ne pas l'inclure dans le pari. Xavier rigola et lui tapota l'épaule en lui disant qu'il allait être indulgent. Mon regard se posa sur Christopher. Celui-ci me regardait avec un sourire en coin, imaginant certainement comment me torturer. Sympa, ce type.
Je me relevai et demandai au gardien qui nous surveillait si je pouvais aller reprendre mes flèches toujours plantées dans ma cible. Il approuva et souffla dans un sifflet pour que les autres tireurs attendent pendant que j'allai chercher mes flèches de l'autre côté de la barrière. Quelques instants plus tard, je sentis une présence derrière moi. Je me retournai, une flèche à la main, vers Christopher.
— Je suis impatient que tu sois à mon service, Oracle.
— Oh, alors tu écoutais quand tu étais figé comme une statue ?
Il me sourit avec arrogance.
— Bien sûr. Pourquoi ne l'aurais-je pas fait ?
Je haussai les épaules et lui tournai le dos pour continuer de récolter mes flèches.
— Je ne sais pas trop.
Je ne savais pas quoi dire pour alimenter la conversation. Il fallait bien que je dise quelque chose si je voulais me lier d'amitié avec lui. Rectification, si je devais me lier d'amitié avec lui. Le problème, c’est que j’ignorais comment lui parler alors que je n'en avais pas envie.
— Tu sembles pensive. Je ne pensais pas que tu étais le genre de fille à réfléchir avant de parler.
— Justement, je réfléchissais à une excuse pour ne pas avoir à te parler.
Bon, ce n'était pas tout à fait vrai, mais c'était la meilleure excuse que j'avais trouvée. Je devais être vigilante avec lui. Être en permanence sur mes gardes.
— Une excuse pour ne pas me parler ? Pourquoi donc ? Tu ne me connais pas, pourquoi ne voudrais-tu pas apprendre à me connaître ?
Je me tournai de nouveau vers lui avec un regard ennuyé.
— Parce que tu as envie de me connaître, toi ?
Il s’apprêta à répondre, mais je lui coupai la parole.
— Non, je ne crois pas, et de plus, tu n'as pas de petite amie ?
— Qu'est-ce qui te fait dire cela ? Tu m'espionnes ?
— Ce matin, après m'avoir aidée, tu es allé rejoindre une fille, et elle n'avait pas l'air contente que tu m'aies approchée.
— Tala ? Tu rigoles ? C’est ma meilleure amie. Je suis parti sans l'avertir et elle s'est inquiétée, c'est tout.
Je feignis l'ignorance lorsque je lui demandai :
— Pourquoi se serait-elle inquiétée ? Nous sommes dans un camp. Ce n'est pas comme si tu pouvais te faire tuer ou quoi que ce soit.
Je vis l’ombre d’un sourire sur son visage.
— Elle est légèrement protectrice, c'est tout.
Ce fut mon tour de me retenir de sourire.
— Légèrement ?
Il secoua la tête et alla chercher ses deux flèches à son tour. Il prit celle dans la zone bleue puis celle qui était fichée en plein centre de la zone jaune. Ses sourcils étaient froncés et il semblait perturbé. Quant à moi, j'avais une nouvelle information. Sa meilleure amie était sans aucun doute une garde. Une louve-garou. Intéressant. Je retirai la dernière flèche plantée dans la cible et me dirigeai vers Anastasia qui était en pleine discussion avec Xavier. Je rangeai mes flèches et pris mon étui dans ma main.
— Allez, Anastasia, nous devrions y aller si tu veux avoir le temps de manger et de te préparer pour la fête.
Je commençai à m’éloigner lorsqu’une voix m’interpela.
— Pas si vite, Oracle, dit Christopher dans mon dos.
— Quoi ? lui demandai-je en me retournant.
— J'ai pris une décision. Je veux que tu m'accompagnes à la fête.
Je le regardai, sur mes gardes.
— Pour quelle raison ?
— Ce soir, tu feras tout ce que je te demanderai.
Je le regardai, bouche bée. Définitivement très sympa ce type.
— Tu plaisantes ? Ce soir ?
— Tu voulais t'amuser ? Pas de bol.
Xavier intervint.
— Christopher, tu ne trouves pas que c’est légèrement cruel qu'elle soit obligée de commencer ce soir ?
— La vie est injuste, mon ami.
Je regardai ma cible en fronçant les sourcils. Je croyais avoir l'occasion de me rapprocher de lui et de ses amis ce soir, mais non, à la place, je serais obligée de le servir comme une esclave. Malheureusement, je ne pouvais pas me plaindre. Premièrement, c'était moi qui avais proposé ce pari, et deuxièmement, je ne revenais pas sur ma parole pour ce genre de chose.
— J'accepte.
Xavier me regarda avec l'air de penser que j'étais folle, et Anastasia était sans mots. Quant à Christopher, il semblait s'en ficher. Il mit ses mains dans les poches de son short blanc et regarda ailleurs. Dacre qu'il était sympa !
— Bon, puisque Christopher semble fatigué de notre présence, je crois que nous devrions y aller, Anastasia.
Je lui pris le bras et, après avoir salué les garçons, je l'entraînai avec moi. Si nous étions restées quelques minutes de plus, je crois qu'elle aurait commencé à baver d'admiration devant Xavier. Un peu plus loin, je lui lâchai le bras en continuant de marcher vers notre dortoir.
— Tu sais, Oracle, tu peux m'appeler Ana si tu veux.
J’arrêtai de marcher.
— Vraiment ? Ça ne te dérangerait pas ?
— Pourquoi ça ? Si nous restons ensemble tout l'été, pourquoi ne pas être complètement nous-mêmes ? En plus, ce n'est qu'un surnom. Tu n'appelles pas tes amies par des surnoms ?
Je ne pris même pas la peine de réfléchir à un mensonge et me contentai de lui dire la vérité :
— Pas vraiment, non.
— Sérieusement ?
Elle ne sembla pas me croire pendant un moment. Était-ce si terrible que cela ?
— Oui.
— C'est triste.
J'éclatai de rire.
— Je ne vois pas ce qu'il y a de triste là-dedans.
Ana passa une main dans ses longs cheveux bruns et rit à son tour.
— À bien y réfléchir, moi non plus.
Nous arrivâmes dans notre petit nit douillet et j’y déposai mon arc.
— Tu as quelque chose à prendre avant d'aller manger ? demandai-je à Ana.
— Je veux simplement voir si j'ai des messages sur mon cellulaire. Tu peux partir devant, je vais te rejoindre là-bas.
Je haussai les épaules et partis, n'ayant rien à faire pour l'attendre.
***
Trouver une place n'était pas chose facile dans une cafétéria bondée de monde. Il y avait sûrement eu un complot pour que tout le monde arrive en même temps. J’avançai tant bien que mal entre les tables pour trouver une place. Certes, il y avait des places pour une personne, mais je devais trouver une place pour Anastasia également. Soudain, je repérai l’un des seuls visages familiers que je connaissais. Xavier. Il me faisait signe de le rejoindre à sa table. Il se trouvait avec Tala, la meilleure amie de Christopher, ainsi qu'un garçon que je n'avais jamais vu. Plutôt normal puisque je ne connaissais presque personne ici.
Je feignis un sourire et me dirigeai vers eux. Je n'avais pas du tout envie de manger avec une louve-garou. En fait, mon cerveau me suggérait même de prendre mes jambes à mon cou. Je m'assis malgré tout à côté de Xavier. Tala et le type que je ne connaissais pas étaient en face de nous.
— J'espère que je ne dérange pas…
À mon grand étonnement, Tala me sourit.
— Bien sûr que non. Avec toute cette foule, il est difficile de trouver une place.
Le mec que je ne connaissais pas hocha la tête.
— Surtout si c’est une beauté comme toi qui vient s'asseoir avec nous.
Je sentis mon visage s’échauffer, et Tala donna un coup de poing à l'inconnu sur le bras.
— Emmanuel, pourrais-tu faire autre chose dans la vie que draguer les filles, s’il te plaît ? Ça devient énervant à la longue. D’autant plus que tu ne fais que ça de tes journées.
L’Emmanuel en question posa une main sur son cœur comme s'il était blessé.
— Tala, tu sais bien que je ne peux pas m’empêcher de dire aux filles à quel point elles sont jolies et drôlement irrésistibles.
Tala maugréa, tandis que Xavier éclata de rire.
— Alors, Oracle, comme tu as pu le voir, ce séducteur s'appelle Emmanuel et elle, c’est Tala.
Emmanuel me fit un clin d'œil et dit :
— Mais tu peux m'appeler Apollon, chérie.
Tala le frappa de nouveau, et Emmanuel fit semblant d'avoir mal. J'observai Tala avec attention quand cette dernière ne sembla pas s'occuper de moi. Avec ses cheveux blonds et ses yeux verts, elle ne semblait pas être particulièrement menaçante. Pourtant, derrière ses airs angéliques se cachait un monstre sanguinaire. Je me demandai de quoi elle avait l'air en louve. Avait-elle déjà tué quelqu'un ? Les apparences sont si trompeuses.
— Alors, Oracle, as-tu hâte à ce soir ? me demanda Xavier
— Je crois que tu connais déjà la réponse. Ça va tellement être excitant, dis-je sarcastiquement.
— Oh, alors tu viens aussi à la fête ? dit Emmanuel, tout enthousiaste.
— Oui, malheureusement.
— J'aimerais bien pouvoir danser avec toi, beauté.
Xavier posa sa main sur l'épaule d'Emmanuel, ou du moins il tenta de le faire, puisque celui-ci était en diagonale de lui.
— Notre malheureuse amie va être bien occupée, Emmanuel. Je ne crois pas qu'elle aura le temps de s'occuper de toi.
Emmanuel appuya sa tête contre son poing. Je me demandai s'il était un loup-garou, lui aussi. Je frissonnai.
— Pour quelle raison ?
— Elle a perdu un pari et doit servir Christopher toute la soirée.
Tala éclata de rire.
— Pauvre toi, tu risques d'être servie, me dit-elle.
— Pourquoi doit-elle faire cela ce soir ? Chris est sans pitié ou quoi ?
— Qui est sans pitié, Emmanuel ? demanda une voix dans son dos.
Emmanuel figea et se retourna lentement.
— Eh, Chris, salut !