Le surveillant siffla, et je pus enfin aller chercher les flèches plantées dans ma cible. Christopher m'attendait un peu plus loin. Il m'avait dit que c'était à moi d'aller les chercher, puisque c'était moi qui voulais apprendre à tirer. Pourtant, c’est lui qui m'avait proposé son aide.
Du coin de l’œil, je regardai son petit frère faire la même chose que moi, à quelques mètres de l'endroit où je me situais. Il alla chercher une flèche derrière la cible, et je le perdis de vue.
Un mouvement attira mon attention. Un des amis de Percy avait pris une flèche et s'amusait avec son arc. Il plaça la flèche comme s'il allait tirer et rigola. Ses amis rirent à leur tour. Mon cœur se mit à battre plus rapidement. Je regardai Christopher qui ne semblait pas remarquer ce qui se passait. Il était adossé à un arbre et regardait le ciel. Percy n'était toujours pas réapparu. Le gamin qui tenait l'arc se positionna pour tirer. Il n'allait pas vraiment le faire ? Le surveillant avait sifflé, ce qui voulait dire interdiction de tirer pour tout le monde. D'ailleurs, que faisait-il ? Ce n'était pas le même surveillant que les autres jours. Celui-ci semblait avoir une vingtaine d'années et il était distrait par le joli minois d'une fille qui lui faisait des beaux yeux. C'était une blague ? Percy réapparut devant la cible, comptant le nombre de flèches qu'il avait pour être certain qu'il ne lui en manquait pas, et mon cœur manqua un battement.
Personne ne sembla réaliser ce qu'il se passa ensuite. Je lâchai brusquement les flèches que j'avais dans les mains et me précipitai vers Percy. Son ami qui avait l'arc dans les mains ne regarda pas la cible lorsqu'il tira. Il n'avait pas vu Percy. J'ignorais son âge, mais il était impossible qu'il touche la cible s'il ne la regardait pas, n'est-ce pas ? Il ne pouvait pas être si bon. Les yeux de ses amis s'agrandirent d'horreur lorsqu'ils virent Percy devant la cible. Le gamin qui avait tiré hurla, et j'eus tout juste le temps de pousser Percy sur le côté avant que la flèche n’aille se ficher dans la cible ronde. La pointe effleura tout de même l'épaule de Percy, et du sang se mit à couler le long de son bras. Il avait évité de très peu une flèche en pleine poitrine. Je m'effondrai sur le sol, mon corps subissant encore les effets de l'adrénaline. Percy me regarda, sous le choc. Les sens des garous n'étaient finalement pas infaillibles. Je poussai un long soupir avant de demander à Percy, pour lui changer les idées :
— Tu as toutes tes flèches, j'espère ?
Bouche bée, il hocha lentement la tête, ses yeux gris ronds comme des soucoupes. Je regardai l'endroit où se tenait Christopher un peu plus tôt, mais il n'y était plus. Je fronçai les sourcils. Ne s'inquiétait-il pas pour son petit frère ? J'entendis un sanglot étouffé en provenance de l'endroit où se trouvait le gamin qui avait tiré et regardai aussitôt dans sa direction. Christopher le tenait par le collet et lui hurlait dessus. Les pieds du garçon ne touchaient plus le sol. Le surveillant, ainsi que d'autres personnes, entouraient maintenant Percy pour voir comment il allait. Je me relevai tant bien que mal et fonçai vers Christopher. Il ne devait pas blesser l'ami de Percy. Ce n'était qu'un enfant.
— Tu es complètement taré ou quoi ? hurla le garou. Tu aurais pu le tuer !
Il resserra sa prise sur le collet du coupable, et je le vis commencer à perdre peu à peu le contrôle de lui-même. Monstre. Lorsque j'arrivai à leur hauteur, je posai une main sur son bras pour tenter de le calmer. Il me regarda, les yeux remplis de fureur. L’espace d’une seconde, je songeai à reculer, mais n’en fis rien. Je laissai ma main sur son bras et le regardai droit dans les yeux. Il n'était pas question qu'il blesse le garçon.
— Christopher, relâche-le, ordonnai-je.
— Il aurait pu le tuer.
— Mais il ne l'a pas fait, n'est-ce pas ? Relâche-le et va voir ton petit frère à la place. Après le choc qu’il vient de vivre, il doit avoir besoin de toi.
En me regardant toujours dans les yeux, Christopher commença à déposer le gamin au sol. Lorsqu'il le relâcha complètement, je retirai ma main de son avant-bras. Le gamin s'effondra sur les genoux, son regard apeuré rivé sur Christopher. Je me penchai vers lui pour l'aider à se relever, mais Christopher m'en empêcha.
— Ne le touche pas. Tu viens voir mon frère avec moi, ordonna-t-il en utilisant son pouvoir d'alpha.
Sachant que c'était pour la sécurité de l'ami de Percy et pour conserver ma couverture, je fis ce qu'il me demandait, même si tout mon corps refusait de l'écouter. Je fis un pas de côté pour qu'il passe devant moi et pour former une barrière entre lui et le garnement. Il me fusilla du regard, mais partit en premier.
— Tu devrais rester ici pour ta sécurité, dis-je au garçon en me doutant que Christopher ne tolérerait pas qu'il parte.
L'enfant semblait avoir pensé la même chose que moi, puisqu'il approuva. Je l’observai quelques secondes avant de suivre Christopher. Ce dernier se fraya un chemin à travers la foule qui entourait son frère, et je fis de même. Une femme était agenouillée près de lui et s'occupait de son bras. Christopher lui posa mille et une questions pour s'assurer que son frère allait bien. Je lui tapotai l'épaule pour lui signifier de se taire. Il valait mieux la laisser faire son travail et ne pas la distraire. Percy semblait toujours sous le choc et regardait son frère avec inquiétude. Il ne voulait sûrement pas que celui-ci égorge son ami. C'était compréhensible.
— Je vais bien, Chris, tenta-t-il de rassurer.
— Tu es blessé, tu ne vas pas bien.
Percy grimaça lorsque la femme qui le soignait appuya sur son bras.
— Tu es lourd, frangin.
Christopher se calma et regarda son petit frère en souriant avant de lui ébouriffer les cheveux. Percy maugréa et tenta de les replacer avec sa main valide. Après quelques minutes, la femme lui demanda de le suivre à l'infirmerie. Percy approuva et se releva avec l'aide de Christopher. L'infirmière, Jane, proposa à Christopher de les suivre et lui demanda s'il pouvait appeler leurs parents pour les avertir de ce qui venait de se passer. Percy me remercia, les yeux remplis d'admiration, et partit avec l'infirmière. Christopher s'apprêtait à les suivre lorsqu’il se tourna vers moi :
— Je ne pourrai jamais te remercier suffisamment pour ce que tu as fait pour mon petit frère, Oracle. Tu l'as sauvé.
Il partit sans attendre ma réponse. C'était sûrement mieux ainsi, puisque je n'avais rien à lui dire. J'avais agi par instinct devant la détresse d'un enfant. Si cela avait été à refaire, je ne l'aurais probablement pas sauvé. Après tout, c'était un loup.