Complètement prise au dépourvu, je figeai. Le meurtrier de mes parents était devant moi. Une conversation que j'avais eue avec Alexandre me revint en mémoire. Il m'avait demandé ce que je ferais si je croisais le meurtrier de mes parents. Je lui avais répondu que je saurais me contrôler, puisque ma mission était plus importante que le reste. À ce moment-là, je ne savais pas que ma haine était si forte.
Mon visage devait s’être vidé de toutes ses couleurs, car je me sentais blême. Mon instinct me poussait à lui sauter dessus et à le tuer, mais ma tête m’ordonnait de ne rien faire. Je ne pouvais pas compromettre ma mission au profit de ma vengeance personnelle. Tout mon peuple comptait sur moi.
L'homme devant moi ne me prêta pas attention, celle-ci se focalisant sur Christopher et Percy. Au moins, il n'avait pas remarqué que je le fixais sans aucune gêne, une envie de meurtre incrustée sur le visage. Je serrai les poings et enfonçai mes ongles dans ma chair pour essayer de me calmer.
— Oncle Nicolas ! Je ne m'attendais pas à vous voir ici, s'exclama Christopher, ravi.
Nicolas salua Percy et Christopher en leur tendant la main :
— Votre mère m’a forcé à venir pour remercier celle qui a sauvé Percy.
Il me regarda finalement, et j'espérai que mon visage était plus serein qu’un peu plus tôt. Il me sourit avant de me tendre la main. J’observai ses doigts pendant quelques secondes avant de le dévisager. Son sourire faiblit et il abaissa sa main. Christopher me donna un coup de coude dans les côtes, mais je ne lui prêtai pas attention.
— Excusez-moi, est-ce que nous nous sommes déjà croisés quelque part ? demanda Nicolas, visiblement perplexe devant mon immobilité.
Je me repris et lui souris de toutes mes dents.
— Navrée, c'est simplement que vous me rappelez énormément quelqu'un que je connais.
Je lui tendis la main à mon tour, et il la serra. J'essayai de ne pas sursauter à son contact.
— Comment vous appelez-vous, ma chère ?
— Elle s'appelle Oracle, dit Percy.
— Je suis ravi de vous rencontrer.
Malgré moi, je répondis que c’était réciproque. Une femme arriva derrière Nicolas et sourit lorsqu'elle vit Christopher et Percy. Elle avait les mêmes yeux verts et les mêmes cheveux noirs que Nicolas. Il s'agissait sûrement de la femme de l'alpha, la mère de Christopher et de Percy. Elle les enlaça tout en faisant attention au bras de Percy, puis se tourna vers moi. Je lui tendis la main, certaine que c'était ce qu'elle voulait, mais elle me prit dans ses bras. Pour une femme de petite taille, elle avait de la force. Lorsqu'elle me relâcha, des larmes perlaient au coin de ses yeux.
— Je ne saurais comment vous remercier d’avoir sauvé la vie de mon fils, dit-elle en prenant Percy par les épaules. Ce souper est une bien maigre récompense comparativement à ce que vous avez fait pour nous.
— Je vous assure que ce n’est rien. Tout le monde aurait fait la même chose.
Elle secoua la tête négativement.
— Vous avez risqué votre propre vie. Vous auriez pu recevoir cette flèche en plein cœur.
Elle marqua une pause et reprit :
— Nous sommes tous là à papoter dans l'entrée alors que le repas est prêt. Venez, entrez tous. En passant, dit-elle à mon intention, je m'appelle Angela.
Percy tapota l'épaule de sa mère et lui murmura quelque chose à l'oreille. Elle secoua la tête négativement, et Percy poussa un soupir, déçu.
L'intérieur de la maison était aussi joli que je l’avais imaginé. Des plafonds de plus de dix pieds de haut, des couleurs vives et éclatantes, des décorations qui devaient coûter les yeux de la tête et des boiseries luxueuses. J’ignorais si je me serais sentie à l'aise de vivre ici. J'aurais eu peur de briser quelque chose rien qu'en le touchant.
La mère de Christopher nous guida jusqu’à une salle à manger et nous fit signe de nous asseoir. La table était très grande et pouvait, selon moi, accueillir près de vingt personnes. Une nappe bleue la recouvrait, sur laquelle avaient été disposés des verres d'eau, ainsi que des verres de vin pour les adultes. La mère de Christopher prit place à l’une des extrémités, et Christopher et Percy s'installèrent respectivement à sa droite et à sa gauche. Ce fut avec soulagement que je me vis attribuer une place près de Christopher. J’étais ravie de ne pas être coincée à côté de Nicolas. Angela, Nicolas et Percy discutèrent de l'accident et me posèrent parfois des questions. Je ne pouvais pas m'empêcher de fixer Nicolas. Lorsqu'il sentait que je le regardais, je détournais le regard et parlais avec Christopher.
— Ton père ne sera pas là pour le souper ? lui demandai-je en feignant l’innocence.
Je me doutais bien de ce qu’il allait dire. Il serra les mâchoires avant de répondre.
— Il n'est presque jamais là. Je ne vois pas en quoi ce soir aurait été différent, même si c’était pour voir ses enfants.
La mère de Christopher posa bruyamment sa coupe de vin sur la table et regarda Christopher.
— Ton père est quelqu'un de très important et de très demandé, Christopher. Il vous aime énormément, mais tu sais qu'il a des occupations. À ton âge, tu devrais être plus compréhensif.
— Angela...dit Nicolas en tentant de calmer sa sœur.
— Nicolas, ne te mêle pas de cela. Si je me suis habituée à l'absence fréquente de mon mari due à son travail, mes enfants le devraient aussi. Plus spécifiquement Christopher. Il a presque dix-neuf ans ! Je croyais qu'il avait changé, mais cela n'en a pas l'air.
— Ce n'est pas pour moi, mais pour Percy ! s'écria-t-il. Combien de fois papa a-t-il été absent pour son anniversaire ? Pour ses rentrées à l'école ? Il n'était jamais là, mais moi oui !
— Christopher, nous avons assez discuté de cela. Oracle est visiblement mal à l'aise, et nous ne nous sommes pas réunis pour parler de ce sujet.
L’aîné demeura muet un moment avant de se lever et de quitter la pièce. Percy le regarda faire, abattu, mais ne le suivit pas. La table resta silencieuse un moment avant que Nicolas reprenne la parole.
— Alors, Oracle, et si tu nous parlais de toi ? D'où viens-tu ?
— Oh, je viens de Toronto, dis-je après un moment d'hésitation.
— Quels métiers font tes parents ?
Je pris rapidement mon verre d'eau et bus le plus lentement possible pour me calmer. Ils ne font rien, puisqu'à cause de toi, ils sont six pieds sous terre. Malheureusement, je ne pouvais pas lui dire cela.
— Oncle Nicolas, je crois que tu la gênes, dit Percy.
— Bien sûr que non, voyons ! Tu n'es pas gênée, n'est-ce pas Oracle ?
Je le fixai avant de secouer la tête. J'avais tout simplement des envies de meurtre, et il fallait que je sorte d'ici.
— Excusez-moi, pourrais-je utiliser vos toilettes ?
— Certainement ! Tu n'as qu'à tourner à gauche en sortant, puis à droite. Ce sera la deuxième porte à droite, dit Angela.
Je me levai tout en la remerciant et sortis précipitamment avant de faire quelque chose que j’aurais regretté. Ce souper était un désastre.