Une fois dans la salle de bain, je refermai la porte derrière moi, la verrouillai et m'y adossai. J'allumai l’ampoule à l'aide de l'interrupteur et posai la paume de ma main sur ma poitrine. J’avais bien failli perdre le contrôle sur ma haine. Comment avais-je réussi à ne pas sauter sur Nicolas dès que je l’avais aperçu ? Le choc ? La panique ? Plus j'y repensais et plus je croyais comprendre. De tout mon être, j'aurais aimé qu'il me reconnaisse. Qu'il se souvienne de moi et de ce qu'il avait fait à mes parents. Ainsi, ma couverture aurait été ruinée, et plus rien ne m'aurait empêché de lui sauter à la gorge. Je me sentais déchirée, mais je devais respecter ma parole. Bien que tout mon être fût contre et que j'eus l'impression d'être dans un tourbillon de tourments sans fin, ma promesse était plus importante. Elle l'était, n'est-ce pas ? Bien évidemment.
Il ne devait y avoir personne près de la salle de bain, à l’exception peut-être du personnel, mais je tirai tout de même la chasse d’eau et me lavai les mains pour ne pas éveiller de soupçons. Je m'essuyai les doigts avec un linge mis en évidence et fus surprise de sa douceur. Dacre, est-ce que tout était du luxe par ici ? Je le caressai encore un peu avant de le remettre brusquement à sa place. Sales chiens !
Je tapotai mon visage du bout des doigts avant de déverrouiller la porte et d'éteindre la lumière. Sur le retour, je pris le temps d'observer les œuvres d'art exposées un peu partout. Je prêtai plus particulièrement attention à une peinture. Sur celle-ci, plusieurs personnes se tenaient en pleine forêt et déballaient des sacs pour faire ce qui semblait être un pique-nique. Les femmes portaient des robes de l'époque contemporaine, bouffantes et colorées, tandis que les hommes portaient des vestons et de hauts chapeaux. Plus je regardais attentivement et plus les traits de l’une des femmes me rappelaient quelqu'un. Je fronçai les sourcils et me tapotai le menton, intriguée. À qui ressemblait-elle ? Ses traits étaient flous, donc il était plus difficile pour moi de les associer à quelqu'un que je connaissais.
Je reculai d'un pas et me rendis compte qu'il ne s'agissait pas d'une femme, mais d'une fille de mon âge. Soudain, mon cerveau fit une connexion. Pouvait-il s'agir d'Angela ? Je reconnaissais ses yeux verts ainsi que son menton plutôt pointu. Dacre, quel âge avait-elle alors ? Je savais que leur espèce, tout comme la mienne, pouvait vivre plus longtemps que les humains, mais de combien d'années ? Grand-mère devait avoir environ trois cents ans. Alors, Angela en aurait deux cents ?
J'entendis des pas tout proches, et, lorsque je me retournai, Christopher s’approchait avec un air inquiet sur le visage. Une fois qu’il fût à ma hauteur, je me tournai vers la toile et la pointai du doigt.
— Elle est très jolie, dis-je après un moment.
Il hocha la tête et passa une main dans ses cheveux, rebelles à nouveau. Lorsqu'il vit que je l'observais, il laissa retomber sa main le long de son corps.
— Sais-tu en quelle année elle a été peinte ? questionnai-je.
— Dans les années 1800, quelque chose du genre. Je ne me souviens pas exactement.
Je le regardai d'un air moqueur.
— Je suis plutôt étonnée que tu me donnes une réponse. Avec toutes les œuvres d'art qu'il y a ici, j’aurais cru que tu ignorerais les dates de leur confection.
Il me regarda, mal à l'aise.
— Je ne les connais pas toutes, c'est simplement que cette toile a une valeur sentimentale pour moi.
Je cessai de le fixer et observai plutôt la toile.
— Tu sais, la jeune fille sur cette toile, elle ressemble vachement à ta mère. Je parierais que lorsque ta mère était plus jeune, elle devait lui ressembler comme deux gouttes d'eau, dis-je en feignant l’innocence.
J’adorais faire cela. Quelle excuse allait-il me sortir cette fois-ci ? Elle ne tarda pas :
— Eh bien, il s'agit de mon arrière-arrière-grand-mère.
— Ah bon ? C'est donc pour cette raison que tu aimes cette toile ?
— Exactement, dit-il nerveusement.
— Je croyais réellement qu'il s'agissait de ta mère.
— Voyons, Oracle, c’est impossible. Ma mère n'a que quarante ans. Elle serait morte et enterrée si cela avait été elle.
— N'est-ce pas ? marmonnai-je de manière incertaine pour le rendre encore plus mal à l'aise.
Je me détournai de la toile et commençai à me diriger vers la salle à manger. En voyant qu'il ne me suivait pas, je stoppai et lui demandai :
— Tu ne comptes quand même pas me laisser manger toute seule avec ta famille ?
Il soupira, mais ne dit rien et me suivit. Il préférait sans doute faire face à sa mère plutôt qu’à mes questions. Car nous savions tous les deux qui était réellement représenté sur cette peinture. Ces œuvres d'art étaient très intéressantes.