Le trajet du retour fut beaucoup plus calme que l’aller. Percy était assis au milieu et pianotait sur son téléphone portable de sa main valide, tandis que Christopher regardait par la fenêtre d'un air neutre.
Je mordillais ma lèvre inférieure tout en essayant d’enregistrer le chemin par lequel nous passions. On n’est jamais trop prudent, peut-être était-ce la dernière fois que je me faisais inviter chez Christopher et les siens. Donc, si je voulais revenir par moi-même, je n'avais pas d'autre choix que de me souvenir.
Malheureusement, les événements de la soirée me distrayaient, et j'avais toutes les peines du monde à me concentrer. La rencontre avec le meurtrier de mes parents, avec la femme que j'allais devoir assassiner, mes erreurs, tout me trottait dans la tête. Aussitôt arrivée au camp, je devais écrire mon rapport. Cela ne faisait que deux semaines que j'étais en mission, et j'avais déjà trouvé le moyen de faire une gaffe. La reine allait m'arracher la tête. Quant à Alexandre, je ne pouvais même pas imaginer le nombre de sermons qu'il allait me faire.
Je regardai Christopher de biais. Ses cheveux noirs étaient en bataille et son regard sérieux lui donnait un air sauvage. Je frissonnai et me rapprochai le plus possible de la portière en éprouvant soudain l'envie de sortir du véhicule. Il faisait moins peur que lorsqu'il avait soulevé à mains nues le gamin qui avait tiré sur Percy, mais je n’avais pas envie de m’en approcher pour autant. Sa mâchoire était crispée et ses muscles semblaient tendus. Percy lui tapota l'épaule, et Christopher se pencha pour qu’il puisse lui parler à l'oreille.
— As-tu besoin d'aller courir ? lui murmura-t-il.
Christopher me regarda, et je détournai les yeux, mal à l'aise. Il se pencha de nouveau vers Percy et lui chuchota à l'oreille :
— Extrêmement. J'ai l'impression que mon loup va me déchirer si je ne me transforme pas.
Je blêmis tout en posant une main sur la cicatrice que son oncle m'avait faite. Avait-il tenté de me déchirer, lui aussi ?
— Je ne sais pas ce qui a pris à oncle Nicolas de mettre Oracle mal à l'aise, dit Percy en boudant. Elle est si gentille.
— Je ne sais pas non plus, Percy. Je ne sais vraiment pas.
Ils gardèrent le silence le reste du trajet. Lorsque nous arrivâmes, je me précipitai hors du véhicule sans attendre que le chauffeur vienne ouvrir ma portière. Je remerciai Christopher et Percy pour cette soirée et m'empressai de rejoindre ma cabine sous leurs regards incrédules. Ana était toujours réveillée et m'attendait, débordante d'énergie.
— Alors ? C'était comment ? Leur maison est-elle aussi grosse que le disent les rumeurs ?
Je soupirai tout en retirant mes chaussures. Sans lui répondre, j’attrapai mon pyjama et allai me préparer pour la nuit dans la salle de bain. Je l'entendis s'indigner et formuler des injures, mais n'y prêtai guère attention. J'étais trop absorbée par ce que j'allais écrire dans mon rapport. Une fois Ana endormie, il fallait que je l'écrive, conclus-je après m'être brossé les dents. Lorsque je sortis de la salle de bain, je souhaitai bonne nuit à Ana et éteignis la lumière sans attendre son accord.
— Mauvaise soirée ? demanda-t-elle en bâillant
— Tu n'as pas idée.
Lorsque sa respiration devint régulière, je me levai, pris un crayon ainsi qu'une feuille, plaçai mes oreillers sous mon drap pour qu'Ana n'ait pas de soupçons et allai m'asseoir à l'extérieur. Les étoiles éclairaient suffisamment le camp pour que je puisse lire ce que j'écrivais. Mon regard mit quelques instants à s'ajuster à la semi-noirceur de la nuit, et je commençai alors à écrire mon rapport.
Votre Majesté,
Alexandre, ou quiconque lira cette lettre, je vous salue. Comme convenu, je vous transmets mon rapport pour vous donner les informations que j'ai récoltées ces deux dernières semaines. Les loups sont aussi grands et terrifiants que dans mes souvenirs. Le grand alpha possède deux enfants. Christopher Black, ainsi que Percy Black âgé de huit ans. À mon avis, les loups ne peuvent pas communiquer entre eux lorsqu'ils sont sous leur forme humaine, mais ils le peuvent sous leur forme de loup. J'ai réussi à me camoufler lorsque j'ai failli faire face à Christopher, qui était alors en loup. Je crois donc que tous les elfes avec un minimum d'entraînement pourraient le faire. Je connais également l'emplacement du domicile des Black. Voici l'adresse : 984, rue du Château. La demeure est sécurisée par une grille qui en fait le tour, et plusieurs employés, certainement des garous, semblent y travailler à plein temps. J'ai rencontré la mère de Christopher, qui serait âgée de deux cents ans. Elle se prénomme Angela. Le grand alpha semble être rarement à la maison, mais son second, le frère d'Angela, le meurtrier de mes parents, semble être là-bas de temps en temps. Celui-ci semble avoir quelques soupçons sur ma véritable identité, et j'ai fait quelques erreurs qui auront pu lui mettre la puce à l'oreille. J'en suis vraiment désolée. Christopher possède deux gardes du corps rapprochés et deux éloignés. Ils ont mon âge et se connaissent depuis qu'ils sont petits. Christopher semble avoir de la difficulté à contrôler son loup lorsqu'il vit des émotions fortes. Les garous sont extrêmement agiles et forts. Les plus puissants d'entre eux ont une aura qui attire les humains comme des mouches et qui peut les dominer. Percy n'a pas encore cette aura, je ne peux donc que présumer qu'elle se développe à l'adolescence. Il est plus facile pour eux de sentir quand quelqu’un leur ment, mais ils ne peuvent pas tout deviner. Voilà toutes les informations que j'ai récoltées en ces deux semaines.
Cordialement,
Oracle
Une fois le rapport terminé, je me relevai et m'étirai. J'irais le porter le lendemain matin en allant déjeuner. En ouvrant la porte de ma cabine, j'eus l'impression d'entendre des loups hurler. Je m'empressai d'entrer et de refermer la porte derrière moi pour me rendre compte que le lit d'Ana était vide, et la fenêtre grande ouverte.