J’étais à la fois heureuse et sceptique de le voir. Après tout, j’avais envoyé ma lettre il n’y avait que trois jours et n’avais demandé aucune aide. Pourtant, il était bel et bien là, sur Terre.
Je fus soudainement tirée en arrière et dus me retourner en vitesse pour retenir de mes deux mains les cordes qui me reliaient à Christopher. Un peu plus et il tombait au sol. J’aurais été projetée dans les airs. Christopher avait certainement essayé de faire un mouvement plus osé qu’il n’aurait dû, puisque tout ce qui le retenait de tomber, c’était moi.
Je relâchai doucement les cordes, et il atterrit sans se briser quoi que ce soit. Il détacha son harnais et vint furieusement à ma rencontre. Je jetai un bref coup d’œil derrière moi pour réaliser qu’Alexandre avait disparu. Je regardai les alentours, mais il n’était visible nulle part. Je mordillai ma lèvre inférieure. Sa venue ne signifiait rien de bon. Soit la reine était insatisfaite de mon rapport, soit elle voulait que j’accélère les choses. Une main se posa brutalement sur mon épaule, me faisant sursauter. Je m’en défis d’un geste brusque et regardai les yeux sombres et furibonds de Christopher.
— Peux-tu me dire ce qui t’a pris d’être distraite ainsi ? Si je ne m’étais pas rattrapé de justesse à une pierre, nous serions tous les deux dans de sales draps en ce moment ! Tu as affirmé te sentir mieux, mais ce n’est assurément pas le cas.
Je le regardai, agacée.
— Ce n’est pas moi qui ai tenté de faire quelque chose de dangereux.
— J’ai simplement glissé ! s’exclama-t-il. Et ne pas regarder son partenaire lorsqu’il escalade n’est pas une chose dangereuse à ton avis ?
Je remarquai que Christopher tenait l’une de ses mains serrée contre lui. Une goutte de sang coula et alla s’écraser sur le sol.
— Montre-moi ta main, lui ordonnai-je.
Comme le ferait une vraie amie. Du moins, c’est ce que je pensais.
— Ce n’est rien.
— Tu saignes, ce n’est pas rien. Montre, je te dis.
Il me regarda d’un air anxieux puis observa les alentours comme s’il voulait partir au plus vite.
— Je vais bien.
— Je disais cela tout à l’heure et regarde ce qui s’est produit.
Réticent, il me tendit sa main droite. Je soupirai.
— Ton autre main. Je ne suis pas idiote, tu t’es blessé à la main gauche.
Voyant qu’il n’allait pas coopérer, je la lui saisis rapidement avant de la relâcher aussitôt, comme si elle m’avait brûlée. Il n’y avait qu’une petite égratignure, aucune trace de coupure. Pourtant, je ne l’avais pas imaginé, il avait saigné.
— Tu n’as qu’une petite égratignure, murmurai-je, abasourdie, tout en le regardant.
Il cacha ses mains dans ses poches d’un mouvement brusque et lança avec colère :
— Je t’avais bien dit que ce n’était rien.
Il prit une profonde inspiration et tenta de se calmer. Le gentil Christopher s’était volatilisé. Voyant certainement qu’il ne pourrait pas redevenir calme en restant à mes côtés, il me tourna le dos et commença à partir.
— Je dois y aller, désolé.
Je le laissai partir, peu désireuse de le voir perdre le contrôle de lui-même comme lorsque son frère s’était fait blesser. Mon regard tomba ensuite sur l’endroit où la goutte de sang de Christopher avait éclaté. Comment se faisait-il qu’il n’eût qu’une égratignure ? Il avait été très en colère lorsque j’avais regardé sa main sans son accord. Se pouvait-il… Non… Son système immunitaire ne pouvait tout de même pas guérir ses blessures plus rapidement que celui des humains ?
Une sueur froide remonta le long de ma colonne vertébrale. Est-ce que tous les garous possédaient ce don ? Je n’en avais jamais entendu parler, ni même lu quoi que ce soit à ce sujet. Sa Majesté ne devait donc pas être au courant. Sans cela, elle m’en aurait parlé. Pas vrai ?
Je repensai à Percy. Faisait-il semblant d’être toujours blessé ? Je me sentis déboussolée un bref instant. Il fallait que j’avertisse Alexandre de ce que je venais de découvrir.
J’allai ranger les harnais, plaçai les cordes et quittai le site d’escalade. Cela ne devait pas poser de problème à Tristan, puisque l’activité finissait dans quelques minutes. J’allai rapidement prendre une douche, puis me dirigeai vers le centre d’information. Lorsque je passai devant la cafétéria, une main se plaqua sur ma bouche et une autre me tira par la hanche dans un coin sombre et retiré. Je tentai de donner un coup de coude à mon agresseur, mais ce fut inutile, car il ne rencontra que le vide.
— Chérie, c’est moi, dit une voix avec un accent russe.
Je cessai aussitôt de me débattre. Lentement, Alexandre retira sa main de ma bouche, sans toutefois ôter celle qui se trouvait sur ma hanche. Il se plaça devant moi, et j’aurais pu jurer que mon cœur manqua un battement. J’avais l’impression que cela faisait bien plus que quelques semaines que je l’avais quitté. Il portait un tee-shirt vert forêt ainsi que des jeans blancs. Ses cheveux blonds étaient de nouveau coupés courts, et Dacre que j’avais envie de me blottir contre lui !
— Tes réflexes sont-ils aussi mauvais qu’auparavant, Oracle ? me demanda-t-il avec une expression totalement neutre.
Ses paroles me firent l’effet d’une douche froide. Il s’agissait bien là de mon maître.
— Ils ne sont pas mauvais, protestai-je.
Il me regarda longuement, et je sentis mes joues devenir rouges. Dire qu’il se trouvait en ce moment même devant moi, lui, mon seul allié.
— Alexandre, pourrais-je te poser une question ?
Voyant qu’il n’allait pas répondre comme d’habitude, je continuai :
— Que fais-tu ici ?
Il demeura silencieux un moment avant de répondre.
— Sa Majesté pense que tu as collecté suffisamment d’informations pour ta mission et souhaite que tu abattes au plus vite la femme du grand alpha.
Je restai sans voix.
— Mais je n’ai passé que quinze jours tout au plus parmi eux ! Comment peut-elle savoir que j’ai tout découvert à leur sujet ? C’est insensé ! Saviez-vous que Christopher et les siens peuvent guérir de manière très accélérée ? Si je rate ma cible de quelques centimètres, elle pourrait sans aucun doute me sauter dessus. Je ne suis pas suffisamment entraînée pour cela !
— C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis ici. Pour te faciliter la tâche. Et non, j’ignorais cette information.
Je commençai à paniquer.
— Mais ils vont te repérer, tu ne démontres aucune émotion !
— Ils ont peut-être vu un seul elfe dans leur vie, et puis nous n’allons pas rester ici suffisamment longtemps pour qu’ils se doutent de quoi que ce soit.
— Je n’ai jamais tué, murmurai-je. Je ne sais pas si je vais en avoir la force.
Alexandre raffermit sa prise sur ma hanche et me força à le regarder.
— Oracle, n’oublie pas ce qu’ils ont fait à tes parents. N’oublie pas qui ils sont réellement. Il s’agit de monstres sans pitié. Lorsque tu as vu Christopher sous forme de loup, restait-il en lui la moindre trace d’humanité ?
Je secouai la tête.
— Ils sont tous pareils, reprit-il. Ils sont tous des bêtes sanguinaires.
Je repensai à Christopher, à Percy et aux autres. Ils ne ressemblaient peut-être pas à des êtres immondes, mais ils étaient bel et bien dangereux. Je me calmai et demandai :
— Quand dois-je assassiner Angela ?
— Pas assassiner, mais nous rendre service.
Il marqua une pause et reprit :
— Nous devrons faire cela dans deux jours.