La première chose qui me vint en tête fut le mot « impossible ». J’ouvris la bouche et la refermai. J’avais envie d’éclater de rire.
La deuxième était de partir en courant sans regarder en arrière. Il venait d’avouer ses sentiments à la fille qui allait tuer sa mère. Par ma faute, il allait devenir orphelin. D’ailleurs, n’était-il pas supposé demeurer célibataire jusqu’à ce qu’il rencontre son âme sœur ?
Je repensai à Ana. Xavier était-il son âme sœur ? Ou cela ne la dérangeait-il pas d’aller voir ailleurs en attendant ? Est-ce que c’était ce que ressentait Christopher ? Que j’étais une distraction ? Cette pensée me mit en colère. Ces loups se croyaient tout permis. Jouer avec les sentiments des autres pour éviter de trouver le temps long sans la compagnie de leur âme sœur était abject.
En voyant que je ne répondais pas, Christopher se leva et se mit à faire les cent pas. Je le regardai faire et ma colère se calma. J’avais pitié de Christopher. Dans moins de deux jours, sa vie jusqu’à maintenant paisible allait devenir un vrai chaos. Tout cela par ma faute. Puis je me ravisai. Ce n’était techniquement pas ma faute, mais celle de sa véritable nature. Cependant, il n’avait pas demandé à naître ainsi. Il l’était, tout simplement. Peut-être que s’il avait été humain, j’aurais pu ressentir quelque chose pour lui. Bien entendu, s’il avait été humain, je ne l’aurais jamais connu. De plus, mon cœur appartenait déjà à quelqu’un d’autre.
Je repensai soudain à la douleur qui m’habitait depuis la mort de mes parents. J’étais si jeune lorsque je les avais perdus. Comparativement à Christopher, je n’avais passé que très peu de temps avec eux. Je pouvais aisément imaginer le mal que celui allait lui faire, la haine qui allait le dévorer ensuite.
C’est pour cette raison que je me levai pour le rejoindre. À cause de cette pitié que j’éprouvais à son égard que je l’enlaçai. Il s’agissait là de ma première et dernière bonne action envers l’un des individus de son espèce. Ma tête me criait que c’était mal, mais la partie irrationnelle de mon être s’en fichait. Christopher ne m’avait rien fait de mal, et j’allais assassiner sa mère. Il méritait au moins cela.
D’abord surpris, il ne fit rien. Il se reprit cependant bien vite et me serra fort contre lui. Il plaça sa tête au-dessus de la mienne, et je me rendis alors compte à quel point j’étais minuscule à côté de lui. Je n’avais ressenti cette impression qu’avec une seule autre personne. Alexandre. Cependant, avec lui, je n’avais pas peur. Alors que dans les bras de Christopher, je ne me sentais pas en sécurité. Oui, j’étais plus agile que lui, mais s’il le voulait, il m’écraserait en moins de deux. L’enlacer, après tout, n’avait peut-être pas été une bonne idée. Je tentai de me dégager, mais il me serra encore plus fort. Je relevai la tête.
— Christopher, tu me fais mal.
Il baissa la tête et je sursautai. Un seul centimètre nous séparait. Nous nous regardâmes un instant, les yeux dans les yeux. Puis, sans pouvoir m’en empêcher, je me perdis dans les siens. Ses yeux étaient si beaux et si profonds. Moi qui croyais qu’ils n’étaient que d’un gris parfaitement normal, je m’étais trompée. Ils étaient parsemés de paillettes dorées et bleues pâle. Ils étaient tellement attirants que j’avais l’impression de pouvoir les regarder pendant des heures. D’ailleurs, maintenant que j’y pensais, Alexandre ne lui arrivait pas à la cheville.
Cette pensée rompit le charme. Je repoussai Christopher. Dacre, que venait-il de se passer ? Christopher ne semblait pas du tout perturbé. Peut-être que cela ne venait que de moi ? Il passa une main dans ses cheveux noirs et me regarda.
— Tu sais qu’un simple câlin ne me donne pas de réponse sur ce que tu ressens pour moi, pas vrai ?
— Je suis au courant, dis-je d’une voix tremblotante.
Était-ce son pouvoir d’alpha qui m’avait perturbé ainsi ? Je croyais que les elfes étaient immunisés contre ce pouvoir. Cependant, je ne voyais pas d’autre explication. Il regarda sa montre avant de jurer. Il prit son sac, qui se trouvait au pied de son lit, et se planta de nouveau devant moi.
— Je dois aller à mon cours d’équitation. Je suis déjà en retard et j’ai trop souvent manqué ce cours. Si je n’y vais pas, ils vont avertir mes parents, ce qui ne serait pas très plaisant pour moi. Prends ton temps pour réfléchir à ce que je viens de t’annoncer et donne-moi des nouvelles. Mais ne prends pas trop ton temps quand même.
Sans me laisser le temps de répondre, il me donna un baiser sur le front et partit en courant. Je sortis à mon tour de sa cabine et, sans me presser, m’assis sur une marche.
Un garou venait de me faire une déclaration d’amour et de m’embrasser sur le front. S’il avait su qui j’étais, il aurait déclaré toute la haine qu’il éprouvait envers mon peuple et m’aurait plutôt déchiquetée. Je ne sais pas combien de temps je passai assise là, sans bouger, à réfléchir, mais j’arrivai finalement à une conclusion. La vie avait un sens de l’humour vraiment tordu.
***
Je passai le reste de l’après-midi à tirer, puisque je n’avais pas d’autre cours. Ana était venue me rejoindre quelques heures plus tard. En voyant mon visage, qui selon elle était horriblement blanc, elle m’avait demandé ce qu’elle pouvait faire pour moi. Elle avait au moins appris à ne plus me bombarder de questions aussitôt qu’un événement se produisait. Je lui avais demandé de me laisser seule un moment. Ce qu’elle avait fait sans protester. Elle m’avait tout simplement dit qu’elle serait là si jamais j’avais besoin de parler à quelqu’un.
Alexandre était également au champ de tir, mais donnait un cours, donc je ne pouvais pas lui demander de l’aide. Je ne réussis pas une seule fois à toucher le centre de ma cible.
Je poussai un soupir de frustration et regardai Alexandre pour la millième fois. Plusieurs filles l’observaient et babillaient sur son air sexy et mystérieux. En entendant leurs propos, je pris une flèche et tirai, aux prises avec un sentiment que je détestais :la jalousie. Pourquoi avais-je pensé qu’Alexandre n’arrivait pas à la cheville de Christopher? C’était plutôt l’inverse. Le pouvoir de Christopher m’avait vraiment fait halluciner. Sans aucun doute.