Comment Dacre étais-je supposée me rendre à l’entrée du camp sans que personne ne me remarque si Ana me suivait en plus comme mon ombre ? Si je lui disais que je ne voulais plus être en sa compagnie, elle me poserait une tonne de questions et aboutirait à une nouvelle conclusion débile. Ce n’était pas évident. Nous étions toutes les deux allongées sur nos lits respectifs, et je fixais le plafond en essayant de trouver une solution. Il pleuvait des cordes et le tonnerre résonnait au loin. Ana poussa un soupir. Elle en poussa un deuxième en se rendant compte que je ne lui posais pas de question. Je jouai le jeu et fis ce qu’elle souhaitait :
— Que se passe-t-il ?
— Je m’ennuie de Xavier.
— Tu ne l’as pas vu ce matin ?
Sans la regarder, je sus qu’elle avait une expression surprise sur le visage.
— Oui, mais il me manque tout de même. Christopher ne te manque pas ?
Je fis semblant de réfléchir un instant.
— Non, je ne suis pas encore rendue à ce stade.
— Crois-tu qu’il y ait une chance que Xavier ressente quelque chose pour moi ?
Ce fut à mon tour de soupirer.
— Tu n’aurais pas pu choisir pire personne pour demander cela. Je n’ai jamais eu de relation amoureuse auparavant, donc je ne sais pas vraiment, dis-je en la regardant finalement.
— Impossible, tu es bien trop jolie pour cela. Les garçons doivent être à tes pieds.
Je ne pus m’empêcher d’émettre un petit rire en repensant aux garçons de mon peuple. Je les répugnais.
— L’amour est complexe, ce n’est pas qu’une question de physique ou de beauté. Si une personne ne t’aime que pour ta beauté, ce n’est pas de l’amour. En plus, je suis une fille assez compliquée et j’ai de la difficulté à gérer les garçons. Tout cela explique pourquoi je suis toujours célibataire. Je n’ai aimé qu’une fois et j’ai été trop déçue pour recommencer. Jusqu’à Christopher.
Évidemment, cette dernière partie était un mensonge.
— Je suis certaine que tu ne seras pas déçue avec lui.
Si seulement elle savait !
Je pris mon téléphone et regardai l’heure. Eh oui, je m’y étais habituée. Je n’étais pas encore une experte, mais je me débrouillais. Vingt heures cinq. Il fallait que je trouve quelque chose et vite. Quelque chose qui la ferait sortir de notre cabine pour aller ailleurs pendant un bon moment.
— Tu sais, je n’étais pas censée te le dire tout de suite, mais je ne peux plus résister.
Elle se redressa sur son lit, quelques mèches de cheveux bruns devant les yeux.
— Quoi ?
— Xavier voulait te rencontrer ce soir. Évidemment, il s’agissait d’une surprise. Mais avec toute cette pluie, j’ignore s’il va venir. En plus, je crois qu’il commençait à se sentir nauséeux tout à l’heure.
Elle bondit sur ses pieds et prit son téléphone pour l’appeler. Je me levai à mon tour.
— Ne l’appelle surtout pas ! Je suis cuite sans cela, et il ne me fera plus confiance. Tu devrais aller le voir.
— Mais il pleut.
— Et alors ? Lui, il compte bien le faire et il est déjà malade. Tu ne comptes tout de même pas le laisser faire ? D’ailleurs, ce serait vraiment romantique.
Ses yeux brillèrent d’excitation.
— Tu le penses vraiment ?
Je regardai de nouveau l’heure. Vingt heures sept.
— Oui ! Allez, vas-y ! Tu me raconteras tous les détails tout à l’heure.
— Mais, je…
J’émis un bruit de langue désapprobateur.
— Le temps file.
Elle hocha la tête plusieurs fois.
— Tu as raison. Souhaite-moi bonne chance, je me lance.
Je lui tendis mes deux pouces pour l’encourager et lui offris mon plus beau sourire avant qu’elle ne sorte. Cela me donnait une quinzaine de minutes au maximum pour partir d’ici et quarante autres pour accomplir ce que j’avais à faire avant qu’Ana et les autres ne comprennent ce qui se passait réellement.
J’attrapai sous mon lit le linge que j’avais préparé et me changeai. Jeans noirs, camisole grise et veste noire par-dessus. J’enfilai rapidement mes Keds et mis mon capuchon. Mes cheveux étaient déjà attachés pour me faire gagner du temps. Je pris la boîte qui contenait mes flèches et mon arc et sortit en courant. La pluie s’était légèrement calmée, ce qui était bon signe.
J’arrivai à l’entrée à vingt heures quinze précisément. Alexandre m’y attendait déjà, lui aussi vêtu de noir avec un capuchon qui masquait presque tout son visage. En me voyant courir, il se précipita hors du camp. Courir sous la pluie n’était pas très agréable, mais c’était idéal pour masquer nos traces. Une fois hors du camp, nous nous arrêtâmes de courir. Alexandre sortit un téléphone de sa veste et appuya sur un numéro. La personne à l’autre bout du fil décrocha aussitôt, et Alexandre lui demanda de venir immédiatement de sa voix glaciale. Il raccrocha et passa un autre appel.
— La flèche est décochée, dit-il avant de raccrocher aussitôt.
Quelques secondes plus tard, une voiture noire arriva. Sans attendre qu’elle s’arrête complètement, Alexandre ouvrit la portière arrière et embarqua avant de me tendre la main pour que je fasse de même. Nous savions tous les deux que le temps pressait. Je fus projetée contre mon siège et j’eus à peine le temps de refermer la portière.
Je m’attachai et me tournai vers Alexandre. Il sortit un étui contenant un petit couteau d’une autre de ses poches et me le tendit. J’étais confuse. Je croyais que nous devions tuer Angela de loin.
— On ne sait jamais ce qui peut arriver.
Je pris le couteau d’une main tremblante. Je ne m’étais pas rendu compte que je tremblais jusqu’à maintenant. Je rangeai le couteau dans l’une de mes poches.
— Selon nos sources, Angela va sortir de sa demeure à vingt et une heures précises pour se rendre à l’aéroport. Tu sais à quoi ressemble l’extérieur de sa propriété. Les arbres y sont suffisamment gros pour camoufler un tireur, c’est-à-dire toi. Je serai un peu plus loin. Je suis meilleur au combat que toi, donc je couvrirai tes arrières si on nous surprend. L’un des arbres offre une vue directe sur la galerie d’où sortira la femme de l’alpha. Tu tireras donc de là. Tu as ton téléphone ?
Je le sortis et le lui tendis. Il me le prit, tapa quelque chose sur mon écran et me le redonna. Je regardai ce qu’il avait fait. Il avait entré deux numéros de téléphone.
— Le premier est un numéro d’urgence si quelque chose tourne mal. Le deuxième, c’est le mien. N’utilise le premier qu’en cas d’extrême nécessité, d’accord ?
— Oui.
Je mordillai nerveusement ma lèvre inférieure.
— Chérie, dit-il.
Je le regardai pour qu’il continue. Je ne pouvais apercevoir que sa mâchoire puissante et sa lèvre inférieure.
— Tout va bien aller.
Je l’espérais. Je l’espérais de tout cœur.