Le véhicule s'arrêta à une dizaine de mètres de la grille qui entourait l'immense demeure des Black. Alexandre demanda au chauffeur d'aller cacher le véhicule et sortit. Je fis de même tout en regardant autour de moi pour m'assurer qu'il n'y avait personne.
Il ne pleuvait presque plus à présent. Je remarquai qu'Alexandre se dirigeait vers un buisson qui dissimulait une petite partie de la grille. Il arracha quelques branches et les jeta sans ménagement derrière lui. Ne comprenant pas ce qu'il faisait, je m'agenouillai à ses côtés tout en gardant un œil sur ce qui nous entourait. Je n'avais pas envie de me faire prendre par surprise. Finalement, Alexandre réussit à retirer toutes les branches qui obstruaient la vue, dévoilant un très gros trou. La grille avait été endommagée. Suffisamment en tout cas pour que quelqu’un rampe dessous pour se rendre de l'autre côté.
Je m’apprêtais à demander si ce trou avait été façonné par les elfes, mais me ravisai, car nous n'avions pas de temps pour cela. Alexandre se faufila le premier. Je fis glisser devant moi la boîte qui contenait mon arme et rampai à mon tour en maudissant la pluie qui avait rendu la terre boueuse. Je me relevai et voulus replacer une partie du buisson à travers la grille, mais mon maître m'en empêcha. Il secoua la tête et tapota son poignet. Le temps. Nous en manquions. Tant pis pour la subtilité.
Nous nous trouvions à l'extrémité du terrain, donc il y avait peu de chance que quelqu'un nous repère. Nous devions encore parcourir quelques mètres avant d'apercevoir l'entrée de la demeure et de pouvoir nous positionner. Nous longeâmes donc les arbres en espérant que personne ne se mette à crier pour donner l’alerte, l'ombre étant notre meilleure amie. J'étais également trop concentrée sur ce qui allait se passer pour remettre en question comment je me sentais. Tant que mon corps réussissait à suivre, rien d'autre n'importait.
Alexandre regarda l'heure. Vingt heures cinquante-quatre. Il nous restait six minutes. Une fois suffisamment près, nous nous agenouillâmes derrière un arbre. Alexandre me désigna d'un signe de tête l'arbre derrière lequel je devais me camoufler pour tirer. Je hochai la tête et courut me cacher derrière. Je tentai de reprendre contrôle de ma respiration tout en ouvrant ma boîte. Je regardai l'entrée des Black à plusieurs reprises pour m’assurer que ma cible n’était pas en train de me filer entre les doigts. Un imprévu était si vite arrivé.
Je dus m’asseoir pour faciliter ma tâche et ne réussis à l’ouvrir qu'après la troisième tentative tant mes mains tremblaient. Je me repris rapidement et armai mon arc. Je n’avais droit qu’à un tir, mais je préparai tout de même des flèches supplémentaires pour être certaine de mon coup.
Je me relevai et regardai Alexandre. Il me fit signe qu'il ne restait plus qu'une minute. Je me positionnai pour tirer. Je me remémorai les conseils de Christopher et d'Alexandre et les appliquai. Me tenir bien droite, prendre en compte le vent, mon environnement, la distance qui me séparait de l'entrée et bien d'autres facteurs. Je pouvais entendre mon cœur battre et mes mains étaient moites. Une paire de gants aurait peut-être été une bonne idée.
Je mordillai ma lèvre inférieure. Dacre, allait-elle sortir pour que nous puissions en finir ? Le sourire d'Angela me revint en mémoire. La manière dont elle m'avait serrée contre elle. Ses yeux pétillants d'amour pour ses enfants. Ma bouche s'assécha. Christopher et Percy allaient devenir orphelins par ma faute. J'allais leur faire subir ce qui m'avait détruite.
Je secouai la tête. Ils n'étaient que des monstres. Ils n'avaient que ce qu'ils méritaient. Ma certitude diminuait pourtant de manière fulgurante.
La porte d'entrée s'ouvrit brusquement, et j'aperçus la chevelure d'Angela. Il fallait que je tire maintenant. Elle était dos à moi et il s'agissait de la meilleure position. Ainsi, je ne verrais pas son visage se tordre de douleur et la vie quitter ses yeux.
Je tiquai. Mon corps ne voulait plus coopérer. Mes doigts ne voulaient pas lâcher cette corde qui allait sceller le destin des garous pour de bon.
Le véhicule d'Angela arrivait. Je pouvais voir ses lumières au loin. « Reprends-toi et tire », pensai-je, désespérée. « Lâche cette foutue corde ! » Le véhicule approchait et risquait à tout moment d'éclairer ma position.
Je fus projetée au sol. Alexandre prit mon arc et tira au moment où la mère de Christopher se retournait pour nous faire face. La flèche la transperça en pleine poitrine. Je plaquai une main sur ma bouche pour éviter de hurler. Les yeux d’Angela se posèrent sur nous. La surprise envahit d'abord son visage, puis vint la douleur au fur et à mesure que son chandail se tachait de son sang.
La voiture éclairait désormais l'endroit où nous nous trouvions. Jack eut à peine le temps de sortir de la voiture qu’il reçut à son tour une flèche en plein cœur. Il s'écroula immédiatement dans un bruit sourd.
Je regardai de nouveau où se trouvait Angela, mais ne la vis pas. Elle devait être tombée elle aussi. Alexandre courut vers l'entrée et grimpa les escaliers qui menaient à la maison, mon arc toujours en main, une flèche encochée. Il s'arrêta à mi-chemin et tira sur ce que j'imaginai être le corps d'Angela. Un gémissement de douleur se fit entendre, et puis plus rien.
Je regardai le ciel en me demandant s'il pleuvait. Le ciel était dégagé, alors pourquoi mes joues étaient-elles trempées ? Je les essuyai d'une main, étonnée. Je pleurais. Pourtant, je n'avais aucune raison de pleurer. Je n'avais fait que mon devoir. Même si je n’avais pas tué directement Angela, j'y avais contribué. J’aurais dû être heureuse, et non me sentir sale ni avoir la sensation d'avoir commis un crime.
Je me relevai lentement. Alexandre revenait vers moi en courant. Il me faisait de grands signes, mais je devais être trop sonnée pour apercevoir qu'un loup me sautait dessus.