Je tombai sur le ventre en hoquetant. Les griffes du loup s’étaient plantées dans ma chair, et la bête tentait de me mordre au cou.
Je réussis à me débattre suffisamment pour lui donner un coup de coude dans le flanc et m’échapper de son emprise. Je bondis aussitôt sur mes pieds et sortis le couteau de ma poche en faisant face au loup qui m’avait attaquée. Ana !
Je raffermis ma prise sur le couteau en regardant en direction de mon maître. Il était entouré de trois loups. Je ne reconnus pas Christopher parmi eux. Ana profita de ma distraction pour bondir sur moi. J’eus seulement le temps de me décaler sur le côté et de lui donner un coup de pied qu’un autre loup me sautait dessus, me faisant lâcher mon arme.
Nous étions foutus.
Je tentai de l’éloigner de ma gorge du mieux que je pouvais, mais ce n’était pas évident. Qui était-ce cette fois ? Lorsque je croisai le regard de mon adversaire, je ne fus guère surprise de voir les yeux verts de Tala. Je tentai de reprendre mon couteau d’une main tout en gardant le garou à distance. Je l’effleurai du bout du doigt, mais cela le fit s’éloigner davantage.
Ma respiration se fit sifflante. Mon bras faiblissait et je sentais le souffle chaud de Tala contre ma gorge. Dacre, je n’allais pas mourir ainsi ! Ce n’était pas censé se dérouler comme cela. Nous aurions dû avoir le temps de nous enfuir.
Soudain, Tala émit un jappement de douleur et s’écroula sur moi. Sans prendre la peine de comprendre pourquoi elle s’était écroulée ainsi, je la repoussai et empoigna mon couteau en roulant sur le côté. Ana, qui était restée tout près, me grogna dessus tout en me tournant autour. Quant à Tala, elle ne semblait pas être en mesure de se relever, ce qui était tant mieux pour moi.
J’observai les moindres faits et gestes d’Ana, m’attendant à une attaque de sa part. Mais tout comme moi, elle semblait peu encline à vouloir se battre pour le moment.
Elle redressa brusquement la tête et regarda au-dessus de moi. Alexandre et Christopher se battaient. Les trois loups qui avaient attaqué l’elfe un peu plus tôt gisaient au sol. J’ignorais s’ils étaient morts. Alexandre était beaucoup plus fort que je ne le croyais. Ana me regarda de nouveau avant de courir pour rejoindre Christopher. Elle sauta sur Alexandre et lui griffa le dos. Mon maître ne lui prêta aucune attention et continua de rouer Christopher de coups. Visiblement à court de flèches, il ne tenait plus mon arc. Christopher tentait de se défendre, mais la douleur obstruait son jugement et rendait ses gestes très faciles à prévoir. Je me doutais bien qu’Alexandre était capable de se défendre contre deux loups, mais je devais tout de même l’aider. Je ne pouvais pas rester là sans rien faire.
Je me relevai et regardai Tala. Je comprenais maintenant ce qui s’était passé. Une flèche était plantée dans son dos. Elle respirait toujours, mais faiblement. Je retirai la flèche et pris l’arc qui se trouvait un peu plus loin.
— STOP ! hurlai-je en visant Ana.
Alexandre avait sorti un couteau et s’apprêtait à poignarder Christopher. En me voyant, il abaissa son arme et commença à reculer.
— Va chercher la voiture, lui ordonnai-je. Nous partons d’ici.
Alexandre s’arrêta à ma hauteur et posa une main sur mon épaule.
— Crois-tu vraiment que cela le dérangerait de perdre cette louve alors qu’il peut t’attaquer toi, la complice du meurtrier de ses parents ?
Je regardai les escaliers de la demeure des Black, là où le corps de la mère de Christopher gisait, puis observai Ana. Je n’avais pas envie de regarder l’alpha. Je n’avais pas envie de voir les dégâts que mes actions avaient engendrés. La souffrance et la haine que j’avais fait naître. Après un moment, je me tournai vers Alexandre.
— Je ne crois pas qu’il va tenter quoi que ce soit pour le moment, alors vas-y.
Il se pencha vers moi et chuchota à mon oreille d’une voix si basse que j’eus de la difficulté à le comprendre.
— Je veux que tu le tues. Tue-le avant de partir pour être certaine qu’il ne nous suivra pas. Tu auras un ennemi en moins.
Je hochai la tête en déglutissant, et il partit en courant, me laissant seule avec les garous.
Je commençai à reculer tout en continuant de viser Ana. Aucun des deux ne bougeait. Je décidai finalement de regarder Christopher droit dans les yeux. Ce que j’y vis me pétrifia. Non pas de peur, mais de surprise. Je n’y percevais aucune haine, seulement de la résignation, comme s’il savait qu’il allait mourir et attendait la mort sans se soucier de son sort.
Je choisis alors ce moment pour tirer. La flèche alla se ficher comme prévu, droit dans l’herbe. Christopher me regarda avec surprise. Ne prenant pas le temps d’en voir plus, je laissai tomber mon arc et m’enfuis en courant. Je n’étais qu’une lâche.
De l’autre côté de la grille, la voiture était déjà arrivée, la portière grande ouverte. Je grimpai et la refermai derrière moi. Je me tournai vers Alexandre pour lui demander ce qui allait se passer, mais ressentis une vive douleur à la tête, et tout devint noir.
***
Je me réveillai en sursaut. Autour de moi, tout était sombre et flou. J’avais la bouche sèche et ma tête me faisait un mal de chien. Que s’était-il donc passé ?
Je me souvenais d’être entrée dans la voiture, d’avoir reçu un coup à la tête et puis plus rien. Je levai la main pour toucher mon crâne, mais quelque chose m’en empêcha. Je fronçai les sourcils et tentai de me dégager. Un tintement de chaîne retentit dans la pièce. Mes pieds et mes jambes étaient enchaînés. Que Dacre se passait-il ici ?
Je commençai à paniquer. Je me débattis avec colère pour tenter de me libérer. Alexandre était-il prisonnier lui aussi ? Plusieurs questions surgirent dans mon esprit jusqu’au moment où la porte de ma cellule s’ouvrit, interrompant ma réflexion et ma lutte pour me libérer. Tous mes problèmes s’envolèrent d’un coup et je souris.
— Alexandre ! m’exclamai-je de soulagement. Dacre, je suis si heureuse que tu ailles bien. Dépêche-toi de me sortir d’ici et retournons à Nomeck !
Il se contenta de baisser la tête et laissa passer une silhouette familière. Mon sourire s’évanouit.
— Alexandre, que se passe-t-il ?
— Alexandre n’a pas à expliquer quoi que ce soit, déclara ma grand-mère.
Elle le regarda et lui fit signe de nous laisser seules. Il approuva et referma la porte derrière lui.
— Votre Majesté, que se passe-t-il ? Que signifie tout ceci ? Pourquoi suis-je enchaînée ? Il doit y avoir une erreur.
Grand-mère ne répondit pas immédiatement et pencha la tête sur le côté.
— Tu n’as pas compris ? Allons, Oracle, je te croyais plus intelligente que cela.
Je ne répondis rien, ne comprenant pas où elle voulait en venir. Mon esprit était toujours embrumé à cause du coup que j’avais reçu à la tête.
— Tu as été fort utile pour la première phase de notre plan, mon enfant. Tout s’est presque déroulé comme prévu grâce à toi. Les garous sont désorientés, et les plus forts d’entre eux s’entretuent pour savoir qui va devenir le nouvel alpha. Nous allons pouvoir en profiter pour retourner sur Terre. La deuxième phase va alors commencer.
— De quoi parlez-vous ? Vous ne m’avez pas répondu, pourquoi suis-je ici ? Quelle deuxième phase ? demandai-je, la voix tremblante.
— La réponse est bien simple, tu es une erreur. Nous n’avons pas besoin d’une erreur dans notre clan.
Je secouai la tête à plusieurs reprises en refusant de croire ce qu’elle racontait.
— Tu ne me crois pas ? Nous nous sommes servis de toi, Oracle. Nous nous sommes servis des sentiments que tu es capable de démontrer et de ta haine envers les garous pour accomplir notre plan. Maintenant, tu n’es plus d’aucune utilité.
Elle fit une pause.
— Mais puisque tu es tout de même une elfe, le conseil et moi-même avons décidé de te garder en vie. À la condition que tu restes dans ce cachot pour le restant de tes jours. Nous n’avons pas envie que tu nous contamines davantage.
J’ouvris la bouche, mais aucun son n’en sortit. Mon propre peuple m’avait trahie. Les gens en lesquels j’avais le plus confiance m’avaient trahie. J’avais mal au cœur.
— Est-ce que Noah est au courant de tout cela ? lui demandai-je d’une voix rauque.
— Bien entendu, il fait partie du conseil.
Elle cogna contre la porte et celle-ci s’ouvrit. Elle se retourna avant de quitter la pièce.
— Ne le prends pas mal, mon enfant. Cela n’a rien de personnel.
La porte se referma derrière elle, mais juste avant, je pus voir le regard d’Alexandre dans le couloir. Il était froid et distant. Comme si mon sort ne le préoccupait pas. Avait-il seulement ressenti quelque chose pour moi ? Ou est-ce que tout cela n’avait été qu’un jeu ?
Et mon cousin, ne ressentait-il aucun attachement pour moi ?
Des larmes coulèrent le long de mes joues. Mon monde venait de s’écrouler. J’avais cru qu’on allait enfin m’accepter, mais j’avais eu tort. On s’était joué de moi et je n’avais rien vu venir. J’avais été horriblement naïve.
Je fermai les yeux, sentant ma gorge se nouer. Tout mon être me faisait souffrir. J’avais l’impression d’avoir été poignardée à plusieurs reprises. Je me débattis de nouveau, mais je cessai en voyant que cela ne servait à rien.
Complètement hébétée, je regardai ma cellule. Je ne m’étais même pas rendu compte qu’il s’agissait d’une cellule de Nomeck. J’ignorais combien de temps j’étais restée inconsciente, mais suffisamment en tout cas pour revenir à Nomeck. Nous étions sûrement passés par un portail près du camp, les loups trop désordonnés pour nous en empêcher.
Je frappai le sol d’un de mes poings en revoyant le regard d’Alexandre. Ce salaud m’avait laissée ici. Il s’était joué de moi comme tous les autres. Depuis la mort de mes parents, jamais je n’avais eu aussi mal. Qui étaient réellement les mauvais dans cette histoire ?