Je ne savais pas ce qu'était la peur, je ne crois pas, non... Pourtant, je l'avais déjà expérimentée sous bien des formes jusqu'à présent.
C'est vers 2 heures du matin que mon éditeur m'a appelé. Je ne sais pas ce qu'il lui a pris... Bon sang, 2 heures du mat' !
— J'ai besoin que tu lises des manuscrits...
— Non, mais tu as vu l'heure ?
— Quoi ? Non, pourquoi ? Il est quelle heure ?
Je me retenais de l'insulter au téléphone.
— Il est 2 heures ! Tu sais que je dors la nuit ? Ça ne pouvait pas attendre ?
— Écoute, non, ça ne peut pas ! Il faut que tu lises des trucs... Moi, j'ai arrêté... Mais il faut que tu lises...
— Faut que je lise quoi ?
— Artero, ce nom te dit quelque chose ?
— Non, je ne vois pas. Ça devrait ?
— C'est lui, il m'a envoyé ses manuscrits...
— Et alors ?
— Tu dois les lire.
Sa voix tremblait un peu, il était moins sûr de lui qu'à l'accoutumée, comme agité ou excité... Je ne l'avais jamais vu ainsi.
— Tu auras les manuscrits entre les mains demain. S'il te plaît, lis-les...
Quelques heures plus tard, un coursier encore casqué sonne à ma porte et me tend un paquet. J'ouvre. Les manuscrits de Davy Artero.
Je m'assois et malgré ma réticence, je commence à lire les premières lignes. Et j'enchaîne les paragraphes et les chapitres. Je ne m'arrête pas, comme possédé par un esprit tourmenté.
Arrivé au dernier mot, je saute sur mon téléphone et tente de joindre mon éditeur. J'ai l'impression d'être dans le même état que lui cette nuit, je le comprends. Mais il ne répond pas. Il ne répondra plus d'ailleurs…
Sur le Net, je ne trouve rien sur ce Davy Artero. J'ai ses manuscrits, ses phrases dans mon esprit, des scènes, des sensations... Et ce sang écarlate qui commence à apparaître sur chaque chose que je vois.
Je n'ose pas sortir de mon appartement. À chacun de mes déplacements, j'ai cette impression malsaine d'être suivi. Je me retourne de plus en plus souvent. On m'épie, je le sais. Et ce croassement lancinant... J'ai peur pour ma vie et ma santé mentale. Je ne sais plus. Mon esprit vacille et semble se perdre dans un pesant océan de tourments…
On m'avait dit que l'aube dissolvait les monstres, et je l'avais cru. J'ai ainsi attendu, sans dormir. Le jour est apparu, mais rien. Ils étaient encore là.
Davy Artero a tué mon sommeil depuis le jour où j'ai ouvert ses manuscrits et les ai lus, jusqu'à la dernière ligne, jusqu'à la dernière goutte de ses mots couverts d'hémoglobine.
Toi aussi, prépare-toi maintenant.
Je sais que mon existence est en grand danger. Je ne parviens pas à me débarrasser de ses manuscrits. Je les ai jetés, brûlés, déchirés en mille morceaux. Ils reviennent toujours, quelque part, dans mon appartement, et me narguent.
Je vis un cauchemar éveillé depuis. Je ne peux m'ôter la vie, car ces murmures dans ma tête m'en empêchent. Et ce croassement infernal et strident qui n'en finit pas…
J'ai peur, oui, maintenant, j'ai enfin peur...