6

La moto, rouge et noire, chromes étincelants, se rua vers le groupe d’hommes qui se tenait autour d’Élise. Le motard, visage dissimulé par un casque intégral, tout vêtu de cuir noir, tendit une main gantée à la jeune fille.

— Vite, Élise, monte! lui cria-t-il d’une voix étouffée.

Maud assista à la scène, le souffle coupé. Un des policiers qui l’entouraient dégaina son arme, car son collègue avait été renversé par la grosse cylindrée et se relevait avec peine. Ensuite, tout se déroula si vite que personne ne comprit ce qui se passait : Élise recula en criant « non, non » de toutes ses forces, tandis que le motard, après un geste de colère, lançait son engin à vive allure, en zigzaguant entre les voitures de police. Irwan hurla à ses collègues :

— Attention, tirez dans les pneus! Il y a trop de gens!

Effectivement, la rue était encore animée par un va-et-vient de touristes, d’amateurs de cinéma et de citadins. Un coup de feu éclata, puis un deuxième, ce qui provoqua un début de panique. La foule s’écarta, facilitant ainsi le passage de la moto.

— Il va vers les vieux quartiers. On ne pourra jamais le suivre! s’exclama un gardien de la paix.

— C’est ce qu’on va voir! rugit Irwan qui se rua sur l’un des véhicules et s’installa au volant.

Maud se précipita à ses côtés, non sans jeter un dernier coup d’œil à Élise. Maintenue par deux gendarmes, la jeune fille piquait à nouveau une crise de nerfs.

La voiture, sirène en marche, s’élança sur les traces du fugitif. Irwan entendit le moteur de l’Harley-Davidson, tandis qu’il s’engageait dans une rue étroite, bordée d’anciennes maisons, certaines à colombages, d’autres dotées de portes remarquables. Bientôt, ils arrivèrent sur les quais de la Charente et aperçurent l’engin devant eux, déboulant par la porte Saint-Jacques flanquée de ses deux grosses tours rondes, vestige du château des Valois. Là-bas, roulant à fond le long du fleuve, la moto et son mystérieux conducteur prirent de l’avance. Irwan marmonna, les dents serrées :

— Maud, prends mon revolver. Je vais foncer et tu essaieras de viser la roue arrière. Il faut arrêter ce type. C’est lui, notre coupable, j’en suis sûr!

La jeune femme obéit, baissa la vitre, se mit en position de tir, hésita cependant, de crainte de commettre une erreur ou de blesser un innocent. Mais, très vite, elle se concentra sur son objectif, en vain, car l’Harley-Davidson, une fois franchi le pont en direction de Saintes, braqua brusquement sur la gauche, s’engagea dans un sens interdit, une voie étroite encore rétrécie par des voitures en stationnement. Au même moment, coup du sort, une estafette en déboucha et coupa l’accès à Irwan qui rugit :

— Laisse tomber. Il connaît la ville mieux que nous. Je ne le vois plus. On l’a perdu.

Lorsqu’ils purent enfin remonter la rue, malgré le sens interdit, la moto avait disparu. L’inspecteur Vernier poussa un juron, lança un appel radio pour que soient disposés des barrages.

— Je sais que ça ne servira à rien, expliqua-t-il. Ce type a trop d’avance, et une moto passe partout. De plus, il a dû trafiquer les numéros d’immatriculation. Je les ai en tête, mais je suis sûr qu’ils sont faux. C’est un mec qui n’a pas froid aux yeux. Il est rusé, téméraire, et va s’évertuer à brouiller les pistes. Par contre, la petite Élise va nous dire son nom, et sans attendre.

Mais la jeune fille, quand ils la retrouvèrent rue d’Angoulême, n’était plus en état de parler. Un médecin lui avait administré un somnifère pour endiguer une vraie démonstration d’hystérie. Elle gisait à l’arrière d’une estafette, sur les sièges.

— C’est le bouquet! hurla Irwan, furieux contre ses collègues de Cognac.

Il leur indiqua vertement qu’il ne fallait pas prendre une telle décision sans son accord, qu’il était chargé de l’affaire et que lui seul devait s’occuper de l’inculpée. D’un ton rogue, il ajouta :

— J’en ai assez pour ce soir. Coffrez-la. Je la récupère demain matin chez vous. Quant au motard, voici l’immatriculation. Le commissaire Valardy envoie des hommes en patrouille, mais on s’est fait avoir comme des bleus. Sur ce coup-là, je n’ai guère été brillant.

Maud sourit, attendrie. C’était assez rare de voir le ténébreux Irwan baisser les armes alors qu’intérieurement il devait encore fulminer.

Stéphane était resté sur les lieux. Il les observa tandis qu’ils s’avançaient vers lui. Le journaliste nota les regards tendres que Maud lançait à son collègue, remarqua l’attitude féline, possessive d’Irwan. Le jeune homme crut deviner qu’il y avait plus que de l’amitié entre eux et il en était singulièrement affecté. Qu’espérait-il en somme? Revoir sa fiancée de jadis, la séduire à nouveau, l’emmener en Bretagne pour renouer leur romance brisée des années plus tôt? Il ne savait plus et sursauta quand Maud lui toucha le bras.

— Alors, Stéphane, ça va?

— Oui et non, j’étais un peu inquiet de te savoir partie sur les traces d’un fou en moto.

— Le type nous a semés. Mais laisse-moi te présenter enfin l’inspecteur Irwan Vernier, breton lui aussi. Une présentation plus tranquille que tout à l’heure!

Les deux hommes échangèrent sans conviction une poignée de main. La jeune femme sourit, ajouta d’un ton malicieux :

— Irwan, c’est Stéphane Jomel.

— Je m’en doutais. Enchanté, monsieur.

Cinq minutes plus tard, tout en discutant avec circonspection du festival et de leur enquête, le trio savourait un cognac « tonic », appréciant à sa juste valeur cette « adaptation très actuelle d’un grand classique », selon les termes mêmes de l’hôtesse qui les avait servis.

Irwan était silencieux, l’air songeur. Soudain, il posa son verre, prit Maud par les épaules.

— On va filer à Fouras, prévenir les parents de Laurence et tenter de les interroger en douceur. Xavier est à Angoulême, au Central. Je lui ai laissé du travail. Salut, Stéphane.

Maud ne se laissa pas entraîner si facilement que son collègue l’avait prévu. Elle lui dit de l’attendre un instant, retourna près de son ancien fiancé, l’embrassa sur la joue, et, très vite, lui tendit quelque chose :

— Tiens, ce sont les clefs de chez moi. Le 52, rue Aristide-Briand, à Gond-Pontouvre. Tu m’attends là-bas, tu apprivoises Albert, tu en es capable. Donne-lui du lait. À tout à l’heure.

Stéphane, surpris, n’eut guère le temps de protester. Il prit les clefs, les enfouit dans sa poche de veste et approuva d’un signe de tête. Maud était déjà repartie.

Dès qu’il fut au volant de la voiture de fonction, Irwan poussa un soupir de soulagement. Il alluma une cigarette, puis il indiqua sa position au Central, par radio. On le sentait dans son élément et bien content d’être un peu seul avec Maud. Sans la regarder, il déclara, ironique :

— Quelle journée! Quand je dirai à ma mère que j’étais au milieu de toutes ces gloires du grand et petit écran, elle va tomber des nues. On a laissé mourir Laurence et on s’est fait rouler par un motard. Si Élise lui avait obéi, c’était complet!

— Ça m’intrigue, sa réaction. Après tout, elle ne connaissait peut-être pas ce type. Si c’était un cinglé qui s’est cru dans un film, qui a voulu faire le malin?

— J’en doute. Tu as l’adresse des parents de Laurence?

— Oui, bien sûr. Pauvres gens… Ils ne vont pas comprendre, eux non plus, le fin mot de cette histoire. C’est vrai, réfléchis, Irwan : c’est quand même insensé, ces trois filles défenestrées dans des circonstances peu banales. Le coupable cherche apparemment à nous impressionner et à signer ses crimes.

— Je n’en dors plus à force de chercher la solution, mais je dois avoir perdu mes capacités de raisonnement.

Irwan venait d’entrer dans Saintes. Il ralentit et, sous la lumière des réverbères, détailla le profil de Maud, qui était en pleine méditation. Elle était un peu décoiffée, son maquillage n’était plus qu’un souvenir, mais cela ne gâtait rien. Il la trouvait irrésistible. Ils traversèrent la capitale de la Saintonge, évoquèrent à voix basse, comme par habitude, les trésors de cette ville :

— Xavier m’a tant parlé des arènes que, si nous avions le temps, nous irions les voir. Par contre, de la nouvelle déviation, on a une vue superbe sur l’église.

— Je sais, c’est un monument admirable. C’est ce que j’aime dans ce pays : l’art roman, les pierres grises ou blanches, les jardins, la campagne. Chaque site est différent, pittoresque, comme dirait qui? plaisanta Maud.

— Notre vieux Xavier, évidemment! En parlant de lui, il était offusqué de te savoir en compagnie du premier homme qui a eu tes faveurs.

— Lui aussi?

— Quoi, lui aussi?

— Tu m’as semblé irrité, nerveux, peu aimable. Avoue qu’il est adorable, Stéphane. Et dynamique.

— Adorable… Il est beau garçon, je l’admets, sympathique, mais il a un grave défaut, il me paraît trop familier avec toi, galant, mielleux, et, en fait, te voir près de lui m’a été pénible. Si bien que j’ai envie de faire valoir mes droits sur toi.

Irwan avait pris une expression amusée, mais sa voix était grave, presque angoissée. À la sortie de Saintes, il se gara sur le bas-côté, enlaça Maud, voulut l’embrasser. Elle le repoussa gentiment.

— Pas le temps, pas le moment! Et, selon nos conventions, tu n’as aucun droit sur moi. Je ne veux pas rentrer tard. Allons à Fouras.

— Au diable nos conventions, répliqua Irwan, vexé. Qu’est-ce qui te prend?

Elle ne répondit pas, et, agacé, il redémarra, conduisit en silence, à vive allure, l’air déçu. Bientôt, ils distinguèrent un bout d’océan à l’horizon, et cette vision fugace les tira de leur bouderie. Pour Maud, qui aimait tant la mer, c’était toujours une joie de sentir l’air salin, d’entendre le bruit des vagues sur le sable. En arrivant à Fouras, à force de lancer des coups d’œil discrets sur son collègue, elle regretta son attitude distante. Qu’est-ce qui lui avait pris de dédaigner les baisers d’Irwan? Elle qui attendait le moment magique où ils feraient de nouveau l’amour, elle qui rêvait de ce plaisir intense qu’ils partageaient ensemble. Ce devait être à cause de Stéphane, surgi du passé pour la troubler, la faire douter de ses sentiments.

Ils se garèrent enfin devant la villa des Duroux, une de ces constructions baroques des années d’après-guerre, comme il y en avait tant à Fouras. La petite ville du bord de mer offrait ses parterres fleuris, des structures modernes intégrées aux bois de pins, ses boutiques fermées, mais prêtes à affronter la venue des vacanciers aux premiers rayons de soleil.

Les parents de Laurence, malgré leur chagrin et le choc d’une telle nouvelle, se montrèrent assez coopératifs. Ils connaissaient les mœurs particulières de leur fille, les désapprouvaient et, en parlant d’Élise, ils ne cachèrent pas leur mépris, leur colère :

— Nous sommes sûrs que cette sale gosse est responsable de tout ce gâchis. Nous n’avons jamais voulu la recevoir ici. Elle traînait avec n’importe qui et participait à des virées en moto. Oui, toute une bande. Elle avait un ami, une vraie petite brute. Il devait se droguer. Ça amusait Laurence de nous raconter leurs bêtises! Nous étions certains qu’un malheur se produirait un jour ou l’autre.

Mais toutes ces lamentations n’apprirent pas aux deux inspecteurs le nom du motard ni son lieu de résidence. Après les formules requises, Irwan sortit de la villa, perplexe.

— Bon! Voilà une corvée de moins. Je crois que la liste des victimes va s’arrêter là. Qu’est-ce que tu en penses?

— Rien de précis… J’ai faim. Et je me sens triste, complètement nulle. Pour Laurence, pour tout.

Au bord des larmes, Maud s’installa sur le siège du passager. Irwan démarra, roula le long du front de mer. Il freina non loin d’un restaurant, coupa le contact. La jeune femme se tourna vers lui, le fixa dans la pénombre. Il se pencha, l’attira dans ses bras, l’embrassa sur la nuque avant de chercher ses lèvres. Cette fois, Maud s’abandonna à cette étreinte fébrile qui lui redonna espoir et courage.

— Si nous allions dîner? Nous continuerons plus tard cette tentative de réconciliation. J’ai faim, moi aussi, lui dit Irwan entre deux baisers.

— Si tu veux. Mais il est tard. Tu crois qu’on nous servira encore?

Ils tentèrent leur chance au restaurant voisin, dont la façade illuminée semblait accueillante. C’était un établissement situé en face de la plage, où ils furent reçus très aimablement par le maître d’hôtel, en l’occurrence une charmante jeune femme qui accepta volontiers de les faire dîner malgré l’heure tardive. À la belle saison, leur expliqua-t-on, c’était très agréable d’être en terrasse. La vue donnait sur l’océan; par temps clair, on apercevait l’île d’Oléron, fort Boyard et l’île Madame, mais comme bien évidemment il faisait encore trop frais pour y prendre un repas, ils s’installèrent à l’intérieur.

Maud éprouva une délicieuse sensation de réconfort une fois assise à une table drapée de blanc, dans un décor agréable avec ses meubles anciens, ses plantes vertes et sa musique douce. Ils sirotèrent un kir royal en apéritif avant de déguster une mouclade au vieux cognac, une des spécialités des lieux. Irwan demeurait songeur, préoccupé par les événements de la journée. Pourtant, il fit honneur à la suite du repas. Ils dégustèrent bientôt une papillote de Saint-Jacques et de langoustines au gingembre.

Maud, distraite également, observait la salle. Elle n’osait pas en parler à son compagnon, mais ses pensées allaient vers Stéphane, qui se retrouverait seul dans une maison qu’il ne connaissait pas, en présence d’un chat persan capricieux. Sincèrement, elle aurait préféré l’accueillir dans de meilleures conditions. Mais ils exerçaient réciproquement un métier où les horaires étaient fantaisistes. Ils devaient se plier à certains impératifs.

— La cuisine est vraiment excellente ici, déclara Irwan avec un sourire satisfait. Nous devons absolument revenir cet été. Pour déjeuner en terrasse, face à la mer. Qu’en penses-tu?

— Je suis toujours d’accord pour venir sur la côte atlantique, que ce soit en Charente ou en Bretagne. J’aime tant cette atmosphère! Dire que nous sommes censés être en pleine enquête… Le patron serait furieux de nous voir aussi sereins.

Après avoir bu un café, ils sortirent à contrecœur, tant ils appréciaient la tranquillité et l’ambiance feutrée des lieux.

Le vent du large les surprit. L’air était frais, salé, et les lumières de la ville éclairaient l’océan à marée haute, l’écume argentée des vagues, comme irisées de paillettes. Fouras semblait dormir, bercé par le flux et le reflux, et aucun bruit ne troublait la paix de cette soirée d’avril.

— Si on marchait un peu sur la plage? demanda Maud d’un air enfantin.

— Si tu veux. Ça me rappellera mon enfance, murmura Irwan, qu’une légère mélancolie envahit soudain.

Ils traversèrent la rue main dans la main, les cheveux soulevés par mèches selon les caprices de la brise marine, puis marchèrent un peu sur la promenade qu’ombrageait, lors des grosses chaleurs, un alignement de cyprès au tronc noueux. Ils descendirent enfin sur la plage. Maud s’agenouilla, toucha le sable froid, en fit glisser un peu d’une main dans l’autre. Elle chuchota d’un ton rêveur :

— J’aime ce contact. C’est doux et fluide.

Amusé, l’inspecteur Vernier se pencha lui aussi, passa ses doigts sur le sable. Soudain, il s’assit, puis s’allongea, en appui sur un coude. De son regard de félin, il contempla en souriant celle qui était si près de lui. Maud releva la tête, le vit tout proche et se coucha à son tour, câline. Leurs lèvres se trouvèrent dans la pénombre, leurs corps se rapprochèrent sans hâte. C’était un baiser grisant et sensuel, qui les troubla plus que des caresses précises. Était-ce leur isolement sur cette plage déserte plongée dans l’ombre, étaient-ce ces jours passés à se bouder? Nul ne le savait, mais un désir violent les dominait, et ils eurent tous les deux l’impression de perdre la tête. Peu importait le sable, le vent, les embruns, ils ne pouvaient résister à cette flambée de passion qui leur dictait des gestes presque maladroits et un peu brusques.

Irwan s’allongea sur Maud sans cesser de l’embrasser. Il chercha d’une main brûlante à soulever son pull, s’empara d’un sein rond, le malmena. La jeune femme gémit, s’abandonna totalement et, ivre d’un plaisir inconnu, insensible à tout ce qui n’était pas le corps de son amant, elle garda les yeux clos, seulement attentive au bruit des vagues. Quand Irwan, après l’avoir à demi dévêtue, prit possession d’elle, il sembla suivre le rythme doux et régulier de la mer, et sa bouche murmura des mots d’amour, ce qu’il n’avait jamais fait. Ils se séparèrent enfin, éblouis par le bonheur fulgurant que cette étreinte leur avait offert.

— Bien, soupira Irwan, il est l’heure de filer à Angoulême. J’ai laissé ce pauvre Xavier avec le dossier à étudier. Il doit se demander ce que je fais.

— Espérons qu’il n’a pas le don de double vue, sinon il sera furieux, plaisanta Maud, qui défit sa coiffure et secoua sa chevelure ainsi libérée.

Ils reprirent la route, et la discussion revint naturellement sur les événements de la journée. Irwan alluma une cigarette, dit entre ses dents :

— Il faut absolument coincer ce type. Je ne me couche pas cette nuit, je veux être à Cognac dès 6 heures. Élise va parler, je t’assure.

— Je dois aller avec toi?

— Non, tu m’attendras au Central. C’est le patron qui m’accompagne. L’affaire a pris des proportions trop graves; la police de Cognac veut travailler avec nous. Ça se comprend. Laurence a été défenestrée en plein festival, il y a eu des blessés. Enfin, tu vois ce que je veux dire.

— Tout à fait! Et l’homme dérangé?

— Justement, sa mère est convoquée demain matin. Tu entendras sa déposition. Tu dois la faire parler. Compris?

— Oui, chef.

À l’entrée d’Angoulême, Irwan suivit la direction de Gond-Pontouvre. Maud sursauta, puis s’écria :

— Ne me ramène pas chez moi, je préfère récupérer ma voiture. Elle est garée à l’hôtel de police. Ce sera plus pratique pour demain matin.

— Si tu veux. Je pensais aller te border avec un gros bisou, mais puisque tu m’as assez vu.

— Ne fais pas l’idiot. Il est presque une heure et demie, et je suis fatiguée.

— O.K. Tu as raison, comme d’habitude…

Dix minutes plus tard, Maud se garait devant sa maison. Il y avait de la lumière dans la chambre d’amis. Stéphane ne dormait pas. Elle entra sans bruit, monta l’escalier et se glissa dans la salle de bains.

— Maud?

Elle entendit un pas, et son ancien fiancé apparut sur le palier, en pyjama de soie noire, Albert dans les bras. Le chat ronronnait, heureux d’avoir trouvé un protecteur. Maud, un peu gênée, dévisagea le journaliste.

— Je voulais prendre une douche.

— Excuse-moi, je t’ai attendue. Je t’avais même préparé de la tisane de verveine.

— C’est trop gentil! Je vais en boire une tasse. Accorde-moi trois minutes.

— Tu as l’air très fatiguée, déclara Stéphane.

— Oui, c’est vrai. Ça ira mieux demain.

Un peu plus tard, ils se retrouvèrent dans le salon, presque intimidés. Maud avait revêtu un peignoir japonais et, les cheveux mouillés, le visage dégagé, sans maquillage, elle semblait encore plus jolie, du moins au goût de Stéphane.

— Alors, tu as pu t’installer sans problème? lui demanda-t-elle en riant.

— Bien sûr. Tu es en fait une excellente femme d’intérieur, et chaque chose étant à sa place, je n’ai eu aucune difficulté à me croire chez moi. Ton chat lui-même m’a accueilli comme si je rentrais d’un long voyage, et nous avons sympathisé aussitôt. Et toi, où en es-tu? Votre enquête avance?

— Pas vraiment. Demain sera une journée décisive. Et comme je dois me lever tôt, je vais vite me coucher.

— Tu me réveilleras. Je dois être à Cognac vers 10 heures.

— Oui, ne t’inquiète pas. Et si tu ne sautes pas du lit au premier appel, tu auras droit à un verre d’eau sur la tête, comme avant.

Stéphane sourit, ému. Ils étaient dans le couloir, près de l’escalier, sous cette veilleuse rose qui adoucit les traits et rend l’humeur mélancolique parfois. Maud regarda le jeune homme au teint si clair, aux yeux dorés sous la mèche blonde qui barrait un front aristocratique. Elle le trouva beau, attendrissant aussi. Soudain, il se rapprocha, la prit dans ses bras :

— Maud, tu es belle, tu as l’air d’une enfant. Ne me fixe pas ainsi, sinon, je t’embrasse. Tu n’as pas changé et je…

— Chut! fit-elle, le cœur en déroute. Ne dis rien, je ne suis pas libre.

— C’est cet inspecteur qui ressemble à un fauve en liberté? Il a mainmise sur toi?

— Mais non, ce n’est pas ça. Je n’ai pas envie d’en parler. Irwan est un homme exceptionnel. Notre histoire ne regarde personne.

— Même pas moi, ton premier amour?

Comme irrésistiblement attiré par cette jeune femme silencieuse dont il n’avait jamais oublié les charmes, Stéphane l’enlaça tendrement et, sans lui laisser le temps de réagir, l’embrassa sur les lèvres. Maud, lasse et troublée par leur intimité, ne put s’empêcher de répondre à ce baiser qui avait un parfum d’adolescence.