Épilogue

Maud, discrètement, sortit un miroir de poche de son sac pour jeter un dernier coup d’œil à son maquillage. La voiture de Xavier roulait à vive allure, et la jeune femme, assise à l’arrière à côté d’Irwan, attendait avec impatience d’arriver à destination.

L’inspecteur Boisseau jubilait d’une excitation presque enfantine. Il avait tenu à inviter ses collègues à déjeuner dans les grottes de Matutina, justement, car la description qu’en avait faite Maxime, lors de l’interrogatoire, avait intrigué ses collègues. Contents de voir cette étrange affaire élucidée, Maud et Irwan avaient accepté, par curiosité, ce petit voyage vers la côte atlantique. Ils avaient déjà traversé Saintes et suivaient à présent la route de Royan. La quatrième passagère n’était autre que Martine, la « fiancée » de Xavier, qu’il s’était enfin résolu à leur présenter. Petite, rousse, avec de grands yeux verts, c’était une personne charmante, réservée.

Une petite heure plus tard, sous une lumière vive, ils découvrirent la mer, juste avant Meschers. L’eau était bleue, scintillante, parcourue de vaguelettes frémissantes.

— Ici, ce n’est pas encore l’océan, mais l’estuaire de la Gironde, commenta Xavier d’un ton savant. Bien, garons-nous là, nous sommes arrivés.

Maud jeta des regards curieux autour d’elle, mais céda vite à la contemplation des flots immenses, en bas d’une falaise. Irwan, fatigué par deux nuits de mauvais sommeil, était aussi peu bavard que la jolie Martine. D’un geste théâtral, Xavier prit le bras de Maud.

— Venez, chère amie, nous voici enfin aux célèbres grottes de Matutina.

Ils empruntèrent un sentier le long de la falaise de calcaire, dont la roche très blanche captait le soleil. Des plantes vertes agrémentaient un muret ancien, des giroflées jaunes s’accrochaient à la pierre, dispensant leur parfum léger.

— Mais c’est magnifique! s’exclama Maud. Nous allons déjeuner là. Oh! Xavier, tu es un ange.

Elle venait d’apercevoir une terrasse, où étaient disposés des fauteuils d’osier et une table basse. Des réverbères, de style ancien, lui firent regretter de n’être pas venue dîner là de nuit. Puis elle se souvint : Marianne, Laurence. Un drame avait eu lieu ici, et cela lui gâcha un peu son plaisir. Un sourire d’Irwan, qui semblait deviner ses pensées, l’aida à oublier ce triste souvenir : trois ans, c’était loin, et tout était si beau ici.

— Entrez, mesdames, leur dit Xavier devant la porte du restaurant. L’intérieur vaut l’extérieur. Je vous conseille d’aller faire un tour de ce côté. Il y a une reconstitution de l’habitat traditionnel de la région, des faïences anciennes. Irwan et moi, nous allons boire un apéritif.

Maud et Martine revinrent de leur visite l’air ravi. Le propriétaire des lieux les conduisit à la table où étaient installés les deux inspecteurs. On leur proposa un repas de crêpes salées et sucrées, accompagnées de cidre, ce qui convenait tout à fait à Irwan, en souvenir de sa chère Bretagne. Maud n’en pensait pas moins, mais, dans un tel décor, elle aurait apprécié tous les menus. Partout, la pierre était à nu, des meubles anciens avaient trouvé là leur place, conférant à la salle un cachet discret d’authenticité.

Xavier, qui se félicitait de son initiative, raconta l’histoire des grottes entre deux gorgées de vin de pays. Tous l’écoutaient avec un petit sourire taquin, car il aimait tant jouer les guides que cela en devenait une habitude.

— Ces grottes étaient naturelles, à l’origine, et elles furent habitées dès la préhistoire. Plus tard, les hommes les ont aménagées, taillant le roc pour agrandir l’espace vital. Tant d’événements ont dû se dérouler ici… Des Sarrasins aux Vikings, sans oublier les protestants qui en firent un temple.

— Et ce nom un peu étrange? demanda Martine avec un sourire complice, car, en vérité, elle connaissait la réponse.

— Matutina… C’est une longue histoire, celle d’un jeune page qui s’y cacha jadis et qui répondit, quand on lui demanda son nom, par une poésie latine, commençant par matuta, matutina, et les gens crurent qu’il s’appelait ainsi. Le malheureux eut une triste fin. Il fut lapidé et emmuré dans cette falaise.

— Non! protesta Maud. Encore une tragédie dans un endroit aussi extraordinaire. Je ne veux pas le savoir, les crêpes sont trop bonnes, tu vas me couper l’appétit. Cette affaire de défenestration était assez horrible, parle-moi d’autre chose. De l’histoire, soit, mais un peu plus gaie!

— D’accord. Il n’y a pas si longtemps, on dégustait ici du caviar de la Gironde, car on pêchait l’esturgeon au pied de ces falaises. Oui, l’esturgeon, un poisson de légende. Aujourd’hui, il est toujours là, dans l’estuaire, mais protégé.

Maud contempla les murs blancs, les pièces taillées à même le roc qui parfois s’ouvraient sur la mer. Des mouettes criaient, une odeur iodée, saline, lui parvenait de temps en temps. Irwan lui avait pris la main sans se soucier des coups d’œil faussement choqués de Xavier.

Ils étaient si bien là, comme loin de tout, entourés d’un calme reposant. Maud déclara alors à voix basse, d’un ton rêveur :

— En tout cas, je te remercie, Xavier, de nous avoir emmenés dans ce charmant restaurant. J’y reviendrai le plus souvent possible, entre deux enquêtes, s’il le faut. Et très bientôt, un soir de juin, pour voir le soleil se coucher depuis la terrasse.

— Et tu viendras seule? demanda Irwan en lui souriant.

— Qui m’aime me suive! répliqua-t-elle, radieuse, ses beaux yeux bleus brillant de malice.