ABSIDE n. f. est emprunté au XVIe s. au latin absis, hellénisme, du grec hapsis, -idos, proprement « nœud » et « arc, voûte », du verbe haptein « attacher, nouer », d'étymologie obscure. Le latin absis, apsis est employé en astronomie (apsidae) et la forme absida, empruntée à l'accusatif grec, désigne une construction voûtée (Pline) puis, en latin chrétien, le chœur d'une église.
❏
Les deux valeurs sont passées en français, abside désignant (1562) les points extrêmes de l'orbite d'une planète (éloignement maximal et minimal par rapport au Soleil) et aussi (1690, Furetière) la partie en hémicycle qui termine le chœur d'une église. Seul ce dernier sens est vivant, avec une valeur technique précisée au début du XIXe siècle.
❏
Le mot a pour dérivé ABSIDIOLE n. f. (1866, Larousse) et l'adjectif ABSIDAL, ALE, AUX (1866, Viollet-le-Duc, chapelles absidales), ou ABSIDIAL, IALE, IAUX, forme aujourd'hui préférée.
ABSINTHE n. f. est emprunté (fin XIIe s.) au latin absinthium, hellénisme (du grec apsinthion, mot préhellénique), désignant à la fois la plante dite artemisia et la boisson qu'on en tire (depuis Pline).
❏
La terminaison du mot a suscité l'étymologie « populaire »
herbe sainte, due aux propriétés de la plante, qui servait à des préparations thérapeutiques, notamment par macération. C'est d'ailleurs au sens de « vin d'absinthe » que le mot apparaît en français sous la forme
absince (v. 1190), usité jusqu'au
XVIe s., avant que
absinthe (1448) ne désigne la plante (l'ancien provençal et les dialectes d'oc ont une forme populaire évoluée,
aussen [
XIIIe s.],
auchen, etc., qui correspond au latin populaire
ausentium [
VIe s.]).
◆
Absinthe désigne par extension d'autres espèces d'artemisia et évoque par métaphore l'amertume (de Maurice Scève, sous la forme
absynce, à La Bruyère).
■
Au début du XIXe s., apparaît l'alcool obtenu par distillation des feuilles de la plante (1811) ; ce sens devient important après 1860, quand cette boisson, dénoncée comme une plaie sociale, symbolise les dangers de l'alcoolisme ; la « fée verte » sera interdite en 1915.
❏
La plupart des dérivés viennent de ce dernier sens et sont employés dans le dernier tiers du
XIXe et au début du
XXe siècle :
ABSINTHIER n. m. « débitant d'absinthe » (1866), dit aussi
ABSINTHEUR, EUSE (1866) ;
S'ABSINTHER v. pron. « s'enivrer à l'absinthe » (1866).
■
ABSINTHISME n. m. (1871) « effets pathologiques de l'alcoolisme à l'absinthe » et ABSINTHIQUE adj. (1872, dans ce sens ; 1845, en chimie) ont vécu plus longtemps et peuvent être encore employés en médecine.
L
ABSOLU, UE adj. et n. m. est emprunté (1080) au latin absolutius, qui signifie « achevé, terminé », et est dérivé du verbe absolvere « détacher » et au figuré « détacher du péché » (→ absoudre), et aussi « se débarrasser de... », d'où « achever ». C'est un composé de ab- (→ à) et de solvere (→ résoudre, solution).
❏
Les formes asolu (1080), ausolu cèdent la place à absolu (XIIIe s.), réfection d'après le latin, en même temps que le sens passe de « sanctifié par l'absolution » à « parfait » puis à « complet, intégral » et à « catégorique », sans valeur morale. L'adjectif s'emploie depuis le XVe s. en logique, en politique (pouvoir absolu, puis roi absolu, 1636), en mathématiques (équation absolue, 1691), en physique (zéro absolu, av. 1845), en grammaire dans emploi absolu d'un verbe, « sans complément ».
◆
L'adjectif est substantivé au XVIIIe s. (1758, Buffon), emploi devenu courant en philosophie.
❏
Les principaux dérivés sont
ABSOLUMENT adv. (1225), qui prend les principales valeurs de l'adjectif et, au
XIXe s., le sens affaibli de « certainement » (1866), ainsi que
ABSOLUTISME n. m. (1797, Chateaubriand) et
ABSOLUTISTE n. et adj. (1823,
n.), dérivés du sens politique de l'adjectif, devenu particulièrement important sur le plan des idées avec et après la Révolution française, par opposition aux régimes parlementaires, constitutionnels (monarchie « selon la charte »).
■
ABSOLUITÉ n. f. est un dérivé philosophique (1866) demeuré rare.
ABSORBER v. tr., d'abord sous la forme assorber (v. 1050), est emprunté au latin absorbere, de ab- (→ à) et de sorbere « avaler », d'une racine indoeuropéenne °srebh- présente notamment dans des formes slaves et baltes (→ résorber). Le verbe latin, devenu °absorbire, a donné, outre l'italien assorbire, les formes de l'ancien et du moyen français assorbir (XIe s.), absorbir (XIIIe s.), avec les sens dominants : « engloutir » et « anéantir ».
❏
Le verbe français, refait en absorber (XIVe s.), signifie d'abord « dévorer » puis « détruire » (1472) et (1611) « faire pénétrer (un fluide) en soi ». Le sens initial réapparaît en langue familière pour « manger » et « boire » (1863). Dès le moyen français, on rencontre des emplois abstraits, psychologiques (asorber un sentiment, 1370), puis le verbe s'emploie pour « attirer (les sentiments de qqn) » (XVIIIe s., Rousseau). Le réfléchi s'absorber « se plonger (dans une occupation, etc.) » est attesté à partir de 1797, en relation avec le passif et le participe adjectivé ABSORBÉ, ÉE (1718).
❏
Le participe présent
ABSORBANT, ANTE, adjectivé et répandu au milieu du
XVIIIe s. en physique, en physiologie, est substantivé pour « substance absorbante » (1701).
■
Les autres dérivés sont rares (ABSORBEMENT n. m., 1389 puis 1685) ou techniques (ABSORBEUR n. m., 1929).
■
Par préfixation ont été formés RÉABSORBER v. tr. (XVIIIe s.), d'où RÉABSORPTION n. f., d'après absorption (1795).
■
ABSORPTION n. f., d'abord terme religieux (1586, chez le mystique Suso, pour « extase, ravissement »), est un emprunt au latin chrétien absorptio (saint Augustin), du supin de absorbere.
◆
Le mot sert de substantif à absorber (XVIIe s. ?) et se diffuse à partir du milieu du XVIIIe s., comme absorbant, en physiologie, avant de s'employer en physique (av. 1863).
■
Le latin absortus est à l'origine des termes de physique et de chimie ABSORPTIF, IVE adj. (1834) et ABSORPTIVITÉ n. f. (1832).
◈
L'étymon latin
sorbere, préfixé en
ad-, a servi à former
ADSORBER v. tr. (av. 1907) « fixer par concentration de molécules », d'où
ADSORBANT n. m. (1931),
ADSORPTION n. f. (1904,
Revue générale des sciences),
ADSORBAT n. m. (mil.
XXe s.) et le composé
ADSORBOLUMINESCENCE n. f. (1966-1967).
L
ABSOUDRE v. tr. est issu (Xe s., saint Léger) du latin absolvere « libérer d'une obligation » et spécialement « dégager d'une accusation » (Cicéron), d'où en latin chrétien « remettre les péchés » (Tertullien). Le verbe est formé de ab- (→ à) et de solvere (→ résoudre, solution).
❏
D'abord employé dans un contexte religieux : il los absols et perdonet (saint Léger), absoudre est fréquent en ancien français dans un usage juridique pour « délivrer, libérer d'un serment, d'une dette... » (v. 1160), valeur aujourd'hui disparue. Le sens religieux donne lieu à des emplois figurés, « pardonner, excuser », à partir du XVIe siècle.
❏
Le participe passé
ABSOUS, en ancien français
absolz, absolte (1291), a eu comme le verbe aux
XVIIe-
XVIIIe s. la valeur d'« acquitté, déclaré innocent ».
◆
Sa forme féminine a donné
ABSOUTE n. f. (1319,
absolte), d'abord « absolution des péchés » (jusqu'au
XVIe s.) puis (1606) « cérémonie d'absolution collective ». En français de Belgique, on dit
les absoutes.
■
Quant à ABSOLUTION n. f., c'est un emprunt (1172) au latin absolutio, dérivé du supin de absolvere. Absolutio signifiant « acquittement » et en latin chrétien « action de remettre les péchés », c'est ce dernier sens qui est passé en français, où il reste vivant.
◆
En revanche, l'acception « solution » (XIVe s.) n'appartient qu'au moyen français et la valeur juridique (1266 ; ausolucion une fois au XIIIe s.) est archaïque, les emplois figurés « déclaration d'innocence » étant sentis comme figurés du sens religieux.
■
ABSOLUTOIRE adj., dérivé savant (1321) du radical du latin absolutus, signifie « qui accorde le pardon, la rémission », par exemple dans sentence absolutoire (1377), puis jugement, excuse absolutoire et, en droit ecclésiastique, bref absolutoire (1762).
■
ABSOLUTEUR, TRICE, tiré (1788) du radical de absolution, signifie « qui absout ».
❏ voir
ABSOLU.
ABSTÈME adj. est emprunté (1596) au latin abstemius, mot rare dans la langue classique, de la famille de temetum, qui semble lui-même dérivé d'un substantif °tēmus, °tēmum (e long), probablement nom de plante fournissant une liqueur fermentée, temetum, pouvant s'être appliqué au lieu planté de « temus ». Selon Ernout et Meillet, ce mot n'a pas de rapport avec le sanskrit tāmyati « il est abasourdi ».
❏
Le mot s'est introduit en droit canon, s'appliquant à une personne qui s'abstient de boire du vin. Il entre dans l'usage général au XVIIIe s., mais reste littéraire ; sémantiquement et formellement proche, il est normalement rapproché de abstenir, abstention.
ABSTENIR (S') v. pron. est emprunté (mil. XIe s., sei astenir) au latin abstinere, composé de ab-, abs- (→ à) et de tenere (→ tenir), d'abord sous une forme adaptée puis (déb. XIVe s.) par réfection étymologique sous la forme abs-, la finale ayant subi l'influence de tenir.
❏
Ancien au pronominal, au sens de « ne pas faire, se retenir (de) », le verbe, depuis le XVIe s., s'est employé transitivement (abstenir son courage, « retenir ») et absolument. La construction avec de et l'infinitif est la première attestée et celle avec de et nom (s'abstenir de vin) apparaît tôt (XIIe s.).
❏
ABSTENTION n. f., emprunt au dérivé latin
abstentio, est d'abord attesté sous la forme
astension (1160) signifiant « abstinence », refait en
abstention (1630 ;
XVIe s., selon Wartburg). Mot juridique, il concerne depuis le milieu du
XIXe s. (1863) le fait de ne pas s'exprimer dans un vote.
◆
Dans ce sens, il a pour dérivés
ABSTENTIONNISME n. m. (1853) et
ABSTENTIONNISTE adj. et n. (1853).
◈
Le participe présent de
abstinere, abstinens, a donné par emprunt direct (sans influence de
tenir)
ABSTINENT, ENTE adj. (
XIIIe s.), spécialisé au sens du latin chrétien
abstinens « qui s'abstient de certains plaisirs, de certains biens ».
■
Un dérivé du latin abstinens, abstinentia, a été emprunté sous la forme ABSTINENCE n. f. (XIIe s.) avec la valeur correspondant à celle d'abstinent ; le mot avait eu une valeur plus générale : « fait de s'interdire qqch., une action » ; il s'est laïcisé dans le domaine de la privation de nourriture et s'emploie dans un contexte médical (1595, Montaigne) et général.
ABSTERGER v. tr. est emprunté au XIVe s. au latin abstergere, de abs-, ab- (→ à) et de tergere « essuyer », d'origine inconnue, à rapprocher peut-être, selon Ernout et Meillet, du grec stergis, variante tardive de stlengis « étrille ».
❏
Le verbe français, pour « laver, nettoyer (une plaie) », est didactique et rare.
❏
Il a donné
ABSTERGENT, ENTE adj. (1575, Paré), lui aussi didactique.
◈
ABSTERSION n. f. « action d'absterger » est un emprunt (
XIVe s.) au bas latin
abstersio, dérivé de
abstergere, fréquent en latin médiéval dans la langue médicale.
◆
Il a vieilli, comme
ABSTERSIF, IVE adj. (1314), autre emprunt au latin médical (
abstersivus, attesté au
XIIIe s.).
❏ voir
DÉTERGER.
ABSTRAIRE v. tr. vient (XIVe s.), par adaptation d'après extraire, du latin abstrahere de ab-, abs- (→ à) et trahere « tirer » (→ traire). On est passé de l'idée d'« enlever en tirant, arracher » à « enlever d'un ensemble par la pensée », dès le latin, dans un usage savant et tardif.
❏
Le premier emploi du verbe en français est s'abstraire, usité en philosophie (1361, Oresme), le sens concret, étymologique, n'étant d'usage qu'au XVIe s., sauf en alchimie où le verbe a d'ailleurs aussi une valeur symbolique.
◆
L'acception moderne « considérer isolément ou d'une manière générale (un objet de pensée) » se dégage à la fin du XVIe s., avec un emploi absolu au XVIIIe s. (1751) ; elle procède du substantif abstraction (ci-dessous).
❏
Le participe passé
ABSTRAIT, AITE adj. n'est attesté au sens moderne qu'en 1674 ; il prend la place de l'ancien adjectif
abstract, acte (1372), emprunt au latin
abstractus, participe passé de
abstrahere, qui s'employait notamment en mathématiques.
◆
L'adjectif correspond à « qui exprime une qualité ; qui correspond à un certain degré de généralité » ; il s'oppose à
concret et s'emploie en philosophie, en sciences, surtout depuis le
XVIIe s. (
sciences abstraites, 1674 ;
nombre abstrait, 1721), le mot étant aussi substantivé (
l'abstrait, 1690). En parlant des personnes,
abstraict (1545, Rabelais) signifiait « absent, distrait ».
◆
Enfin, on parle d'
art abstrait depuis 1930 environ, avec la valeur de « non représentatif, non figuratif », mais l'adjectif s'est dit d'un peintre à tendance intellectuelle depuis le début du
XXe siècle.
◆
Aujourd'hui
abstrait et
abstraction (ci-dessous) en art ont une valeur assez précise et typologique ;
abstrait, substantivé, désigne aussi le genre et un artiste qui le pratique ; enfin, l'adjectif entre dans des expressions comme
expressionnisme abstrait (
abstract expressionism, en anglais, 1952 aux États-Unis),
impressionnisme abstrait (
abstract impressionism, 1957, D. Cooper).
■
Le dérivé ABSTRAITEMENT adv. (XVIIe s., Pascal ; puis fin XVIIIe s.), précédé par abstractement (1579), possède les principales valeurs de l'adjectif.
◈
ABSTRACTION n. f. est un emprunt (
XIIIe s.) au bas latin
abstractio (
IVe s.) « enlèvement (d'une femme) », du sens concret de
abstrahere, devenu terme de philosophie depuis Boèce. Si le sens originel, concret du latin est repris en français au
XVIe s., il s'agit d'un emploi savant et peu vivant.
Abstraction signifie d'abord
extraction, valeur disparue sauf en alchimie et liée à
abstracteur de quintessence (1532, Rabelais).
◆
Le sens moderne d'
abstraction est introduit par Oresme (1370) ; le mot prend par métonymie la valeur d'« idée générale » (1564, Rabelais) et de « théorie générale », souvent avec une connotation péjorative (
des abstractions, 1694). L'expression
faire abstraction de... « ne pas prendre en considération » apparaît au
XVIIe s. (1658, Pascal).
■
Enfin, comme abstrait, le mot entre dans le domaine de l'art, d'abord pour exprimer une tendance vague au refus de l'expression et du détail, puis (v. 1930) l'absence de toute référence au concret par imitation. Cet emploi technique semble précédé par l'allemand Abstraktion (1908, chez le critique d'art Wörringer) et l'anglais abstraction (1921, chez Huxley) ; il correspond à différents concepts, désignés par des expressions telles que abstraction géométrique, lyrique, etc.
■
Les dérivés ABSTRACTIONNISME n. m. et ABSTRACTIONNISTE adj. et n. sont d'abord des termes de philosophie (attestés au XXe s. ; mais l'anglais a abstractionist, dès 1844, et abstractionism chez W. James, en 1909), puis d'art (1926 et 1925 pour les deux mots anglais correspondants).
◈
L'adjectif
ABSTRACTIF, IVE est emprunté (1510) au latin médiéval
abstractivus, dérivé de
abstractus ou dérivé du radical de
abstraction ; on parle d'abord de
science abstractive « abstraite », puis (1547) de
substance abstractive « extraite d'une matière ». Le mot est vieux, sauf dans
méthode abstractive en sciences ; il a eu le sens de « qui pratique l'abstraction », substantivé au
XIXe s. :
« L'abstractif pense. L'instructif agit », écrit Balzac (
Louis Lambert, 1832), qui emploie aussi
ABSTRACTIVITÉ n. f.
■
ABSTRACTEUR n. m. et adj. est un emprunt (1532, Rabelais) au latin médiéval abstractor, de abstractus, et ne s'emploie guère que dans abstracteur de quintessence, désignant un alchimiste et, figurément, une personne qui se plaît aux abstractions subtiles (image analogue pour alambiqué).
■
IN ABSTRACTO loc. adv. et adj. reprend (1864, Renouvier) une locution latine signifiant « dans l'abstrait, sans tenir compte de la réalité », formée de in- (→ 2 in-) et de abstractus.
ABSTRUS, USE adj. est un emprunt ancien (1149) au latin abstrusus, participe passé de abstrudere « cacher » et initialement « pousser, mettre à l'écart », ce verbe étant formé de abs- et de trudere « pousser » (→ intrus), qui s'oppose à trahere « tirer » (Cf. extruder, etc. ; → traire).
❏
L'adjectif signifie « difficile à comprendre ». La paronymie avec abstrait* a donné à abstrus sa valeur intellectuelle.
ABSURDE adj. est emprunté, d'abord sous la forme absorde (déb. XIIe s.), au latin absurdus, qui signifie « dissonant », et est formé de ab- (→ à) et de surdus « inaudible » (→ sourd). Absurdus, comme absonus (de ab- et de sonus « son »), signifie « discordant ; qui n'est pas dans le ton » et au figuré, comme alienus, « hors de propos ». Le sens du français apparaît déjà en latin, des propos « discordants » ne s'accordant pas avec la logique.
❏
Absurde correspond dès l'ancien français à « fou, qui est contraire à la raison » ; la substantivation (l'absurde), utilisée au XVIe s. (Montaigne), a disparu devant absurdité, mais par l'absurde (déb. XVIIe s.) remplace durablement le latinisme ab absurdo.
◆
Mot devenu courant, absurde est repris au XXe s. en philosophie, notamment sous l'influence de Camus (1942), qui lui donne une valeur originale (« privé de sens logique », toute réalité phénoménale étant absurde), notamment comme nom masculin (la philosophie de l'absurde).
❏
ABSURDITÉ n. f. (
XIVe s.) vient du dérivé latin chrétien
absurditas (Priscien) ; le mot correspond au sens usuel de l'adjectif,
une absurdité « acte, parole, etc. absurde » étant attesté dès l'apparition du mot (1371-1375).
■
Le dérivé ABSURDEMENT adv. (1549) n'a pas, sauf exception, les valeurs philosophiques de l'adjectif.
ABUS n. m. est emprunté (1370) au latin abusus, terme juridique, formé de ab- (→ à) avec l'idée d'excès et de usus « usage » (→ us).
❏
Comme en latin, le mot correspond étymologiquement à « usage excessif » puis (1451) à « résultat d'un tel usage », c'est-à-dire « attitude ou habitude mauvaise » et spécialement (1532, Rabelais) à « tromperie » (sens provenant du verbe abuser, ci-dessous, et qui a disparu).
◆
Dans l'usage courant, le mot donne lieu à plusieurs syntagmes figés (abus de pouvoir, de langage) mais s'applique à tous domaines ; l'emploi absolu concerne le plus souvent la vie sociale et politique (les abus), sauf dans l'expression familière y a de l'abus (XXe s.) « c'est exagéré ».
❏
Le verbe
ABUSER semble dérivé de
abus mais est attesté antérieurement (1312) ; on peut supposer un latin populaire
°abusare.
◆
Abuser signifie d'abord « user mal (de qqch.) » puis (1370) « tromper » ; l'influence d'
amuser, longtemps employé avec une valeur voisine, est alors sensible.
◆
Abuser d'une femme (1370, Oresme) est un euphémisme pour
violer.
◆
D'après l'anglais
to abuse, abuser (par exemple
un enfant) se dit en français du Canada (depuis 1913) pour « maltraiter », et (1973) « entraîner à des activités sexuelles (en profitant de la faiblesse physique ou psychologique de la personne objet de l'abus) ». Cet anglicisme tend à s'employer en français d'Europe, mais
abus et
abus physique (1980 au Québec) dans ce sens, semblent propres au français d'Amérique du Nord.
■
Les dérivés ABUSEMENT n. m. (XVe s.) et ABUSEUR n. m. (1709) sont devenus rares.
■
ABUSIF, IVE adj., emprunt (v. 1290) au dérivé latin abusivus, terme de grammaire, concerne d'abord l'usage du pouvoir, les lois.
◆
Il signifie ensuite (1556) « trompeur », mais son sens dominant est resté « qui constitue un abus ».
■
Il a pour dérivé ABUSIVEMENT adv. (1380) « en commettant des abus », sens disparu au profit de la valeur passive « en constituant un abus » (1524).
◈
Le préfixé
DÉSABUSER v. tr. (1610), « tirer d'une erreur », s'emploie au pronominal (1671) ; il est moins courant que
DÉSABUSÉ, ÉE adj., participe substantivé (1829), qui semble n'avoir été employé qu'assez tard (v. 1910) comme adjectif, avec un sens nouveau, non plus « détrompé, revenu d'une erreur », mais « qui a perdu ses illusions ».
■
Le dérivé DÉSABUSEMENT n. m. (1647), « action de (se) désabuser », est littéraire.
ABYSSAL, ALE, AUX adj., dérivé savant de abyssus, apparaît en théologie (1521, écrit abissal) pour qualifier ce qui est insondable, d'après les emplois d'abîme* au figuré.
❏
L'adjectif, rare, sera repris (1886) en même temps que ABYSSE n. m. (1890) « région sous-marine très profonde, fosse ».
◆
Un emploi psychologique récent (mil. XXe s.), psychologie abyssale, est une métaphore de ce sens, l'adjectif fonctionnant comme intensif de profond, et succède à de nombreux emplois littéraires du même type (depuis 1929, in T. L. F.).
ACABIT n. m. pourrait être emprunté à l'ancien provençal acabit (t prononcé) du verbe °acabir « achever », composé de cabir ou caber, qui signifie « employer » : ce serait donc « employer complètement, finir ». Ce mot provençal vient ou bien du latin capere « prendre, saisir », dont les dérivés ont donné capable, captif, ou encore, comme le verbe achever, de caput « la tête » (→ chef).
❏
Acabit désignait depuis le XIVe s. le bon ou le mauvais état (d'un fruit, par exemple), puis depuis le XVe s. un accident et ses résultats malheureux. Au XVIIe s., le mot s'applique à la qualité bonne ou mauvaise d'une marchandise, dans le tour de bon acabit (1650), et par extension s'emploie dans des jugements de valeur : un auteur de cet acabit (1697), expression condamnée par les puristes. Depuis le XIXe s., de... (tel) acabit s'applique aussi aux inanimés.
ACACIA n. m. est un emprunt, sous la forme acacie (XIVe s., apr. 1350), au latin acacia, lui-même repris au grec akakia, désignant une plante de la famille des Mimosacées et sans étymologie connue.
❏
Les formes francisées acace, acache et la graphie acassia (XVIe s.) ont disparu. Dans ce sens, acacia (1542) tend à se cantonner à l'usage des botanistes.
◆
En effet, l'appellation mimosa (qui n'a pas la même extension) le concurrence et une ambiguïté est créée par l'apparition du faux acacia, du nom d'un arbre d'Amérique du Nord acclimaté en France par Jean Robin en 1601 et dénommé par Linné acacia Robini (1680, en français). C'est cet arbre, appelé aussi robinier, qui depuis le début du XIXe s. (1824) monopolise dans l'usage courant, en français d'Europe, la plupart des emplois d'acacia. Le mot s'emploie surtout, en Afrique, à propos des espèces de la zone sahélienne qui fournissent la gomme arabique et à propos de celles qui servent de fourrage pour les bovins, comme le gommier.
ACADÉMIE n. f., dans son sens actuel, est emprunté (déb. XVIe s., av. 1517) à l'italien accademia, qui vient du latin, lequel l'a repris au grec Akademeia. C'était un nom propre, désignant les jardins d'un riche citoyen grec, Akademos, où Platon donna son enseignement, près d'Athènes. Par suite, le mot a désigné l'école de philosophie platonicienne. Les institutions italiennes, imitées par la France et l'Europe, sont l'Accademia fiorentina (1540), del disegno (1563), della Crusca (apr. 1550), dei Lincei (des lynx) [1603], del Cimento (1657).
❏
Depuis 1570, il y a eu en France de nombreuses sociétés savantes ou littéraires appelées académies, sur le modèle italien, et dès 1535 Marot appliquait le mot au jeune Collège de France. François de Sales créa à Annecy en 1607 l'Académie florimontane. C'est en 1635 que Richelieu fonda l'Académie française, la plus célèbre (voir l'encadré). Ont suivi l'Académie royale de danse (1661), l'Académie des sciences (1666), l'Académie de musique (1669 ; Cf. opéra), l'Académie d'architecture (1671), l'Académie des inscriptions et belles-lettres (1663). L'Académie royale de sculpture et de peinture, fondée en 1648 et réunie à la littérature lors de la fondation de l'Institut* (1795), date où apparaît l'Académie des sciences morales et politiques, est devenue en 1816 l'Académie des beaux-arts. En Belgique, l'Académie royale de Belgique (1772) et l'Académie royale de langue et de littérature françaises (1920) concernent directement la francophonie.
◆
Au XVIIe s., le mot est à la mode pour désigner le manuel exposant les règles d'un jeu (1630, académie des jeux) et une maison de jeu (1666) ou un manège d'équitation (1671). Seul le sens artistique, « exercice de dessin d'après un modèle » (1653), est resté vivant.
◆
Par décret du 17 mars 1801, académie désigne en France la circonscription d'une université.
❏
Il y a plusieurs dérivés, dont
ACADÉMICIEN n. m., d'abord (1550) pour désigner un philosophe de l'« Académie » grecque de Platon, puis (1635) un membre de l'Académie française (on a dit aussi
académiste [1613] et
académique n. m.).
■
Si l'Académie française a attendu 1980 pour élire une femme, le mot ACADÉMICIENNE n. f. est attesté dès 1701, année où l'académie d'Arles envoie à Mme Deshoulières ses « lettres d'académicienne ».
◆
Le nom s'emploie parfois en Suisse et au Luxembourg au sens d'« universitaire, étudiant diplômé » (attesté 1857). Voir ci-dessous académique.
◈
ACADÉMIQUE n. et adj., emprunt au dérivé latin
academicus, lui-même nom et adjectif (Cicéron), apparaît (1371) pour désigner les livres de Cicéron sur l'Académie platonicienne.
◆
L'adjectif (av. 1517) et le nom (1548, Rabelais) concernent cette académie antique puis, au
XVIIe s., les académies modernes.
◆
Dès l'époque classique, l'adjectif évoque un style compassé et traditionnel, en littérature (1669, La Fontaine), puis en peinture (1751) où il est franchement péjoratif. Cette valeur, aujourd'hui dominante, rend parfois difficile l'emploi de l'adjectif au sens neutre « relatif à une académie », sauf en l'absence d'ambiguïté
(élection, séance académique...). En Belgique, en Suisse, au Québec, l'adjectif correspond à « des études supérieures », avec des expressions comme
quart d'heure académique « léger retard toléré » ou
salle académique (destinée aux circonstances universitaires solennelles) [français de Belgique, de Luxembourg]. En français du Québec, l'adjectif s'emploie pour « théorique, abstrait, sans valeur pratique ».
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Le dérivé
ACADÉMIQUEMENT adv. (1570) correspond aux divers sens de l'adjectif.
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ACADÉMISME n. m., dérivé d'académie, proposé par Richard de Radonvilliers (1845), est réservé au sens péjoratif d'académique.
ACADIEN, IENNE adj., attesté en 1720 au Canada, en 1838-1842 dans les dictionnaires français, est dérivé de Acadie, nom donné à une province maritime du Canada. Cette colonie française établie en 1603 par Champlain, prise par les Anglais, qui l'appelèrent Nova Scotia « Nouvelle Écosse », rendue à la France par le traité de Breda (1667), reprise par les Anglais (1690), recédée à la France, fut reconquise et devint colonie anglaise en 1713, sous son nom de Nouvelle-Écosse. On ramène son nom à celui d'Arcadie, donné par Verrazano en 1524 à la région ou à une région voisine, à cause de « la beauté de ses arbres ».
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L'adjectif qualifie et, substantivé, désigne les habitants de langue et de culture françaises de l'Acadie, expulsés et déportés en 1755-1757 (le « Grand Dérangement »), notamment en Louisiane où leur nom a donné phonétiquement le mot cajun. Les Acadiens sont les francophones les plus nombreux d'Amérique du Nord après les Québécois (350 000 au Nouveau-Brunswick, et aussi en Nouvelle-Écosse et dans l'île du Prince-Édouard). Les francophones acadiens (cadiens, en anglais cajuns) sont groupés en Louisiane, autour de Lafayette.
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Le dérivé ACADIANISME n. m. (1909) désigne tout fait de langue propre à la communauté acadienne, notamment lorsqu'il n'est pas usuel au Québec.
ACAJOU n. m. est un emprunt, d'abord sous la forme acaïou (1557), au portugais acaju ou caju (→ cajou), mot pris à une langue indienne du Brésil, le tupi, et qui désigne l'arbre appelé depuis la fin du XVIIIe s. anacardier en français.
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Depuis 1640, acajou, par une confusion, désigne un arbre tout différent produisant un bois rougeâtre et très dur ; les Indiens du Brésil connaissaient cet arbre, qui a été importé en Europe comme l'autre, mais ils l'appelaient agapu.