AGRUME n. m., mot technique d'agriculture (1859), est emprunté à l'italien agrume (la forme erronée agrumi se trouve en français dès 1739, chez De Brosses), lui-même du latin médiéval acrumen « fruit de saveur acide », de acer (→ âcre, aigre).
❏
Le mot, qui désigne les fruits du genre citrus, n'est devenu courant qu'au XXe siècle : il est absent des dictionnaires usuels avant 1930 ; l'Académie française ne l'accepte qu'en 1940. Il est devenu usuel à la suite de la commercialisation accrue des oranges et citrons dans les régions qui n'en produisent pas.
❏
Le composé
AGRUMICULTURE n. f., de
culture, semble apparaître avec le
Comité consultatif de l'agrumiculture (1938).
■
AGRUMICULTEUR, TRICE n. pourrait être un peu antérieur (v. 1935).
AGUARDIENTE n. m. est un emprunt (1830) à l'esp. aguardiente, de agua « eau » et ardiente « ardente ».
❏
Le mot désigne une eau-de-vie en usage en Amérique hispanophone.
?
AGUICHER v. tr. est un mot du XIXe s., attesté d'abord en argot (1842). L'ancien français connaissait aguichier, qui a dû survivre régionalement et dont l'origine est douteuse : composé de l'ancien français guiche* « courroie », d'abord guige, peut-être issu du francique °withthja « lien en osier », ce peut être une variante dialectale de agacer (agacher) ou encore de aiguiser. L'influence tardive de guiche*, « accroche-cœur », n'est pas à exclure.
❏
Aguicher apparaît en argot (1842, Eugène Sue) au sens d'« agacer, exciter contre qqn ».
◆
Son passage dans la langue générale (attesté 1881) correspond à un glissement de sens vers « attirer, allécher », avec une connotation galante (1890, Bourget) en rapport avec guiche « accroche-cœur » et déjà véhiculée par aguichant.
❏
Le participe présent
AGUICHANT, ANTE adj. (2
e moitié du
XIXe s.) se dit d'une personne (souvent d'une femme) et des comportements.
■
AGUICHEUR, EUSE n. (1896), aussi adjectif, est moins courant.
■
Quant à AGUICHAGE n. m. (1890, Bourget) et AGUICHERIE n. f. (1911, in T. L. F.), ils ont vieilli.
AGUILLER v. tr. est un mot régional et dialectal, attesté au XVe s. dans le nord de la France et au XIXe s. du Jura à la Savoie, entré en français régional de Suisse (1820). Il semble être de la famille de quille, peut-être avec influence de aiguille.
❏
En français de Suisse, il signifie « placer en haut, souvent de manière instable ou peu accessible », et par extension, « empiler, entasser ». Le pronominal s'aguiller correspond à « se jucher, grimper ». Le participe passé AGUILLÉ, ÉE adj. et le dérivé AGUILLAGE n. m. sont aussi en usage, avec pour ce dernier une valeur figurée, « élaboration compliquée, suspecte ; affaire invraisemblable ».
❏
DÉGUILLER v., attesté chez Töpffer (1833), se rencontre en français de Savoie et de Suisse pour « faire tomber, renverser » (déguiller des pommes) et, comme intransitif, « tomber, dégringoler », aussi au pronominal, se déguiller.
◆
Le déverbal DÉGUILLE n. f., vieilli au sens de « chute, dégringolade », s'emploie au figuré pour « peur intense » et aussi « fou rire ».
AH ! interj., onomatopée, était d'abord notée a (mil. XIe s.), ha (XIIe s., Chrétien de Troyes), la graphie latine étant plutôt a et aha (Plaute). De toutes façons, s'agissant d'une voyelle fréquente en français (comme hé, ho, hi), son emploi et la répartition de ses valeurs sont purement expressives.
❏
A ! a exprimé la douleur (1050) encore au XVIIe s., avec la variante ahi (Cf. aïe ci-dessous), ha puis ah, l'admiration (1177, Chrétien de Troyes), mais aussi l'indignation (1217, ha ha). Il exprime en fait tout sentiment vif, et sert à noter le rire, redoublé ou répété.
◆
Ah !, depuis le XVIIe s. (1667, Racine), représente à l'écrit une exclamation en tête de phrase.
◆
L'emploi substantif, « autonymique » (pousser des oh et des ah), apparaît aussi au XVIIe s. (1666, Molière). Enfin, il se combine avec diverses particules (ah ça !, ah non !...).
❏
AÏE !, exprimant la douleur, est une variante graphique du XVe s. (1473) de ahi (1080), combinaison expressive de a, ah et de hi, onomatopées ; ahi est encore usuel aux XVIIe-XVIIIe s. et parfois encore écrit au XIXe et au XXe siècle. Le graphisme est peu pertinent, mais le passage des deux syllabes initiales à la diphtongue marque la lexicalisation. Aïe est souvent redoublé ou triplé (aïe aïe aïe) marquant alors le dépit, la crainte, etc., et non plus la douleur physique.
?
AHAN n. m., mot très ancien (Xe s.), est probablement emprunté avec dérivation (déverbal) au latin populaire °affanare, postulé par le français, l'ancien provençal affanar (XIIe s.), l'espagnol afanar (l'italien affanare pourrait venir du provençal). L'origine de ce mot latin supposé est incertaine ; la dérivation de affanae « faux-fuyants, paroles creuses » ne rend pas compte du sens ; l'emprunt germanique, à l'ancien norrois °af-annan, de ann « effort », ne correspond pas à l'aire d'emploi, qui est méridionale.
❏
Le mot signifie « souffrance, douleur » et aussi (XIe s.) « effort difficile, peine » et « travail pénible » (XIIIe s.) ; dans ce sens, l'ancien français a aussi les formes hahan, afan (XIIe-XIIIe s.), et s'emploie dans des expressions comme à grand ahan.
◆
Utilisant la valeur onomatopéique (han !), le mot a pris la valeur spéciale de « respiration difficile, essoufflement » (1611). Il est considéré comme « burlesque » (archaïque) à partir de la période classique (1660 environ), mais est encore d'usage littéraire au dernier sens mentionné.
❏
Les dérivés verbaux haner « labourer » (XIIIe-XVIe s.) et aussi « respirer bruyamment » (régional ; chez Flaubert, 1841), enhaner (« labourer », XIIe-XVe s.) sont sortis d'usage mais vivaient encore dans les dialectes jusqu'au XIXe siècle.
◆
Seul AHANER v. intr. est encore usité en français central pour « respirer avec peine ». Ce sens est relativement récent (1611) et le verbe a eu auparavant de nombreuses valeurs en ancien et moyen français : s'ahaner « peiner, se fatiguer » (XIIe s. ; encore au XIXe s., dans l'ouest de la France), ahaner « travailler dur » (XIIIe s.) et aussi « labourer » (XIIe-XVIe s.), dialectalement « herser » (XIVe-fin XVIIIe s.).
◆
Dans ces acceptions disparues, le verbe, avec la variante afaner, avait divers dérivés, dont affanures n. f. pl., « salaire des moissonneurs » (1665), ou dans le déverbal ahan n. m. (XIIIe s.), au sens de « labour », et son dérivé ahanier n. m. « laboureur » (v. 1200 ; encore chez G. Sand, comme régionalisme berrichon).
◆
Au sens de « respirer avec peine », il a pour dérivé rare AHANEMENT n. m. (1901, in T. L. F.).
AÏD n. f., emprunt à l'arabe, se dit d'une fête religieuse de l'islam. Le mot entre dans des noms propres, comme Aïd el-Kébir « la grande fête », commémorant le sacrifice d'Abraham par celui d'un mouton (appelée absolument l'Aïd), Aïd el-Fitr, Aïd el-Seghir (la « petite fête »), marquant la fin du ramadan.
L
AIDER v. tr. est l'aboutissement, d'abord sous la forme aidier (il aiud, fin Xe s. ; aidiez, v. 1100) et aussi aïer (XIe s.), du latin adjutare, fréquentatif de adjuvare (→ adjuvant). Des formes anciennes °adjudhar, °aiuder sont postulées par le déverbal aiudha, ajude (Cf. aide ci-dessous). Aiuer est refait sur aiue, du latin adjutat. Aider est attesté au XIVe s. (F. e. w.), semble-t-il, après aide.
❏
En ancien français, le verbe se construit comme aujourd'hui (aider qqn), mais aussi en transitif indirect (aider à qqn, 1080), sorti d'usage sauf régionalement. Aider qqn à qqch. (1125) est resté vivant, comme aider à qqch. « être utile à » (XIIIe s.). Le pronominal apparaît dans s'aider de qqch. (XIIe s.), « tirer parti de », puis (XIIIe s.) « faire usage de » : s'aider de (une partie du corps).
◆
Des emplois spéciaux apparaissent dès l'ancien français et se développent ensuite : comme intransitif, le verbe signifie « payer l'impôt appelé aides » (v. 1350) ; aider à la messe s'est dit (1690) pour « servir la messe » ; aider l'ancre s'emploie (1836) en marine.
❏
Du verbe, qui a peu varié dans son contenu « apporter un soutien, un secours à (qqn) », vient l'interjection usuelle en ancien français
aït ou
aïe dans
aït Deus (1080) « que Dieu (nous) aide », d'où
m'aït qui correspond à
ma foi ! (« certainement »). Dans le même contexte, le proverbe
aide-toi, Dieu (1606), le ciel (1668) t'aidera est resté vivant.
◈
AIDE n. f. est le déverbal, attesté très tôt sous les formes archaïques
aiudha (842, Serments de Strasbourg),
ajude (
XIe s.),
aiude (1080),
aidie, aïe (1080),
aiue (v. 1050), avec diverses variantes, la forme moderne apparaissant au
XIIIe siècle.
■
Le mot signifie depuis l'origine « action d'aider, soutien, secours » ; dans ce sens, il donne lieu à des locutions comme avec l'aide, sans l'aide de..., à l'aide de (qqch.) « en s'aidant de... » et (1665, Molière) à l'exclamation à l'aide ! (Cf. au secours ! ; alarme).
◆
Dans divers domaines spéciaux, le mot a pris une valeur métonymique. Aïe (XIe s.), puis aide (XIIIe s.), enfin le pluriel aides (XVe s.), désigne un subside féodal, puis un impôt indirect sur la circulation des marchandises ; d'où la cour des aides (attesté 1573) désignant un tribunal qui fonctionna de 1355 à 1790, jugeant des contentieux en matière d'impôts, expression employée au figuré dans l'usage classique, dans aller à la cour des aides « emprunter » ; « être infidèle (d'une femme) » (1690).
◆
Aide se dit aussi concrètement (v. 1625) des moyens que le cavalier emploie pour manier son cheval, et d'une petite pièce servant de dégagement (1701), valeur disparue.
■
Au sens général, le mot entre au XXe s. dans le vocabulaire militaire (aide technique), économique (aide à l'exportation), social (aide médicale ; aide sociale, 1953, remplaçant assistance), technique (mil. XXe s., aides à la navigation ; aide au sol, en aviation).
■
Le participe présent du verbe aider, dans le contexte social, produit AIDANT, ANTE n., employé en français de Belgique (1968) et du Canada à propos d'une personne qui apporte une aide professionnelle ou humaine à quelqu'un. Au Québec, aidant naturel se dit d'une personne de la famille ou d'un proche qui apporte une aide à une personne handicapée, âgée.
◈
Par ailleurs,
2 AIDE n. désigne depuis l'ancien français une personne chargée d'aider qqn (
XIIIe s. ;
aïe, 1130-1140 ;
aiue, fin
XIIe s.), avec de nombreuses spécialisations militaires (v. 1200, « mercenaires »), maritimes (1687, « officier marinier ») et civiles, souvent dans des syntagmes :
aide de camp (déb.
XVIIe s., d'Aubigné),
aide de cérémonies (1680),
aide de cuisine (1680).
◈
Dans ce sens, le mot a un composé préfixé,
SOUS-AIDE n. m. (1798) et de très nombreux composés avec un nom de métier, comme
AIDE-MAÇON n. m. (1751),
AIDE-MAJOR n. m. (→ majeur), AIDE-BOURREAU (av. 1774),
AIDE-SOIGNANT, ANTE n. « auxiliaire d'un infirmier, d'une infirmière ».
■
Le préfixé S'ENTRAIDER v. tr. (XIVe s.), d'abord entraidier (v. 1175), « s'aider mutuellement », a pour dérivé ENTRAIDE n. f. (1907), devenu usuel avec le développement de la solidarité sociale.
◈
Le verbe
aider sert aussi à former
aide-mémoire (→ mémoire).
■
AIDE-OUÏE n. m. (1964) désigne un appareil destiné à améliorer la perception des sons chez les malentendants.
❏ voir
ADJUDANT, ADJUVANT ; MÉMOIRE.
L
AÏEUL, AÏEULE n. est issu, d'abord sous les formes aiuel (v. 1050), aioel (déb. XIIIe s.), d'un latin populaire °aviolus, aviolas, diminutif du latin classique avius, avia, issus de avus, mot ancien, non pas terme de parenté mais appellation familière à l'égard d'un « ancien » du groupe, d'origine indoeuropéenne (Cf. l'arménien haw, le hittite, l'islandais āe). De avus dérive avia « grand-mère », d'où avius, plus tardif. Le dérivé avunculus a donné oncle*. Le pluriel est aieux, d'abord aiues, aieus, forme du cas régime, refait d'après le singulier en aïeuls (XVIIe s.) ; la distinction de sens entre aïeuls et aïeux est établie au XVIIIe siècle. Le féminin est attesté vers 1180 (aiuele « grand-mère »).
❏
Le mot signifie d'abord « grand-père » et au féminin « grand-mère », puis (déb. XIIIe s.) au masculin « ancêtre », souvent au pluriel, aïeuls et aïeux. Au XVIIIe s., on fait la distinction entre les aïeux, « les ancêtres », et les aïeuls « les grands-pères et grand-mères ».
◆
Au sens d'« ancêtre », le mot a des emplois extensifs et figurés (d'abord par métaphore, 1821, in T. L. F. ; puis au figuré, 1832, Hugo). Il se dit aussi d'animaux et de plantes (1835, Lamartine, in T. L. F.).
◆
Mes aïeux !, exclamation familière d'étonnement, semble récent.
❏
Les préfixés sont BISAÏEUL, EULE n. (1315), réfection de besaiol (1283), de bis- « deux fois », pour « père ou mère des aïeuls », TRISAÏEUL, EULE n. (1552, trysaieul), de tri-, pour la génération précédente, QUADRISAÏEUL, EULE n. étant rare.
❏ voir
ATAVISME, AVUNCULAIRE, ONCLE.
L
AIGLE n. m. et f., réfection (XIIe s.) de eigle (1165), est, comme la variante ancienne aille (XIIe s.), issu du latin aquila par des formes orales °agwila, °aug(w)ila d'où °aigila. L'hypothèse d'un emprunt à l'ancien provençal aigla, de même origine, a été émise, mais est moins vraisemblable. Le mot est indifféremment féminin (comme en latin) et masculin en ancien français ; le masculin l'emportant en français moderne, au sens propre.
❏
Le mot désigne un grand oiseau rapace diurne, soit de manière spécifique, soit plus vaguement un grand oiseau de proie, notamment dans des syntagmes : aigle pêcheur « pygargue » ; aigle Jean le Blanc « circaète », aigle de mer (1564) désignant plusieurs oiseaux marins.
◆
Aigle étant surtout féminin jusqu'au XVIIe s., on a employé aiglesse pour « aigle femelle » (XIIe s.-1611).
◆
Au sens strict du mot, pour le rapace diurne de l'ordre des Falconiformes, plusieurs désignations ont cours : aigle royal pour la plus grande espèce d'Europe et, en Afrique, aigle blanchard des forêts, aigle huppard, aigle bateleur des savanes.
◆
L'oiseau est chargé d'un fort pouvoir symbolique, ce qui rend compte d'expressions comme regard d'aigle au figuré, « vue géniale » (1798), œil d'aigle « perçant », nez en bec d'aigle « busqué (avec une idée de noblesse) », et de valeurs figurées, un aigle « homme de génie » (XVIIe s. ; in Richelet, 1680), aussi appliqué à des personnages illustres : l'aigle de Meaux, Bossuet ; l'Aigle, Napoléon ; etc. et dans l'expression ce n'est pas un aigle « c'est une personne médiocre » (1768).
◆
Au sens latin de « figure, image d'un aigle », le mot désigne une figure du blason (XIIe s.), l'enseigne des légions romaines (1680), celui de l'empire d'Allemagne (XVIIe s.), puis de Napoléon. Il est plus souvent féminin dans ces emplois.
◆
Il a servi à nommer des monnaies frappées d'un aigle (1472), notamment aux États-Unis (1838), et des ordres honorifiques (aigle blanc, 1694). Le mot désigne spécialement un lutrin d'église à l'image de l'aigle (1690) et des papiers portant un aigle en filigrane (grand-aigle, 1723 ; petit-aigle, 1838).
◆
De nombreuses expressions avec aigle ont eu cours en alchimie, du fait des valeurs symboliques attachées à l'oiseau : aigle blanc (1721), nom d'un sel de mercure ; aigle noir (1752), d'un sel de cobalt ; aigle de Vénus (1752).
◆
En histoire naturelle, on a nommé aigle une raie (1791), la sciène (1845), une fougère (fougère aigle ou aigle impériale).
❏
Parmi les dérivés, le seul resté vivant est
AIGLON n. m. (1546), « petit de l'aigle », qui succède à
aiglel (
XIIe s.),
aiglet (
XVIe s.), avec un sens spécial en blason (1636) et, au
XIXe s., un emploi figuré pour « personnage ridicule », sorti d'usage.
◆
L'emploi comme surnom du prince impérial, fils de Napoléon, popularisé par la pièce d'Edmond Rostand, vient de celui d'
aigle à propos de Napoléon I
er.
■
AIGLONNE n. f. (1863) est rare.
❏ voir
AQUILIN ; peut-être ANCOLIE, AQUILON.
L
AIGRE adj. est issu (XIe s. au figuré ; 1170, Chrétien) du latin classique acer, acris, passé en latin populaire à la 2e déclinaison. Le mot signifie « aigu, pointu » et au figuré (Pline) « piquant au goût », notion exprimée par acidus (→ acide) et acutus, qui a donné aigu*. Acer, lui-même adapté savamment en âcre*, qualifie aussi les odeurs piquantes et s'est dit des personnes (Plaute) pour « fougueux, impétueux ».
❏
L'adjectif, écrit aussi
egre en ancien français, s'est employé en parlant des personnes et des animaux, pour « avide » (en judéo-français,
XIe s.), « féroce » (
XIIIe s.), « ardent au combat »
(id.), « passionné, ardent » (av. 1188). Ces valeurs ont disparu, et celle de « désagréable, acariâtre » (1370), toujours vivante, correspond plutôt à une métaphore du sens concret (ci-dessous), comme on le voit par une expression du genre
être aigre comme verjus (Voltaire).
◆
L'ancien français connaît aussi un emploi pour « pénible », d'une chose (
egre faim, v. 1121).
Dès le XIIe s., le mot s'emploie au sens de « qui a une saveur piquante désagréable » servant à former le composé vinaigre (→ vin) et se disant par analogie d'un son, d'une voix aiguë et pénible (XVIe s., Montaigne), d'une odeur (1690), de couleurs vives et déplaisantes (1762), de sensations physiques (vent, bise aigre, 1835). En technique, l'adjectif qualifie un métal cassant (XVIe s., Amyot), une terre acide (1845).
◆
Au figuré, il se dit (XVe-XVIe s.) d'un comportement désagréable, irritant, des paroles, avec une valeur très voisine de celle d'acide et acerbe.
La substantivation (l'aigre) pour « goût, odeur aigre » (1660) est utilisée dans la locution tourner à l'aigre (1835), qui se dit du vin et au figuré (Balzac) pour « s'aigrir ».
◆
En ancien français, on rencontre aigre, n. m., pour « vinaigre » (XIe s., en judéo-français) et (1494) pour « ferment ».
❏
Le dérivé
AIGRIR v., aussi
egrir en ancien français, apparaît (fin
XIIe s.) au participe passé
aigris (du soleil qui brûle, pique), et comme intransitif pour « devenir aigre ».
◆
S'aigrir (1538) s'emploie aussi au figuré (dès le
XVe s.) pour « s'irriter » puis « devenir désagréable, irritable, amer », sens qui se développe au
XIXe s. en même temps que
AIGRI, IE adj., qui ne semble substantivé
(un aigri) qu'au
XXe s., et que le transitif
aigrir. Dans ces emplois, le verbe a dans la langue classique le sens de « rendre vif, aigu (un sentiment pénible ou dangereux) » ; au
XIXe s., la valeur dominante du mot passe de la peine éprouvée à l'amertume désagréable pour les autres.
■
Il a pour dérivé AIGRISSEMENT n. m., au figuré (1560) et au sens concret (1575, Thevet), enfin au sens psychologique moderne d'aigrir et aigri (attesté XXe s.).
■
Les préfixés enaigrir v. tr. (XIIIe-XVIIe s.) « rendre aigre » et désaigrir v. tr. et intr. (1487-XIXe s.) ont disparu.
◈
De l'adjectif viennent plusieurs autres dérivés.
■
AIGREMENT adv. signifie d'abord (v. 1170) « avec impétuosité », puis « avec une intention désagréable, blessante » (1316).
◆
Il a pris en français moderne les nuances psychologiques d'aigre et aigrir, et demeure rare au sens concret (1380).
■
AIGREUR n. f. est la réfection (1380) de formes anciennes, comme aigror (XIe s.), pour « saveur, goût aigre ». Comme l'adjectif, il s'emploie au figuré en ancien français pour « ardeur », « violence » puis « amertume à l'égard de qqn » (1492), d'où par métonymie une aigreur « parole offensante » (déb. XVIIe s., d'Aubigné) et « début de brouille » (1654).
◆
Il se dit aussi du caractère d'un son aigre (1553) et des métaux dits aigres (1690).
◆
Au pluriel, aigreurs désigne l'acidité gastrique (1718).
■
AIGRELET, ETTE adj. est d'abord figuré (1562, d'une douleur), sens où il remplace aigret (XIIIe-XVIe s.). Il s'emploie aussi au sens concret (1636, d'un fruit), et a repris par métaphore la valeur psychologique d'aigre, aigrir (1798).
◈
Le composé
AIGRE-DOUX, DOUCE adj. est une création poétique du
XVIe s. (1541, Marot ; 1549, Du Bellay), d'abord employée au figuré pour « à la fois pénible et agréable », puis au concret (1546), enfin avec la valeur moderne d'
aigre pour « d'une douceur apparente, pleine d'agressivité » (1690).
■
AIGRE-DE-CÈDRE n. m. a désigné (1614) un jus acide de cédrat.
◈
La famille de
aigre était plus riche en ancien et moyen français : en témoignent des mots comme
aigras (1406) « verjus »,
aigrun (1260) « légume à saveur acide », dont l'équivalent italien a donné
agrume*, aigreté, n. f. (
XIIIe s.), « caractère aigre », ou
besaigre (1743) « devenu aigre (du vin) ».
❏ voir
ÂCRE, AGRIOTTE, AGRUME, GRIOTTE ; VIN (VINAIGRE).
AIGREFIN n. m. est très probablement un emploi métaphorique (1670) d'une variante de aiglefin, églefin (→ églefin). Désignation péjorative, le mot a été interprété par aigre* et faim (avoir aigre faim) ou fin, adj. (« un homme fin, et difficile à tromper », Furetière, 1701), et a pu subir l'influence de agriffer (provençal agrifa), agripper.
❏
Le mot désigne d'abord un officier ou un soldat de mauvaise mine, tricheur au jeu, puis (1740) un chevalier d'industrie. Il est aujourd'hui un peu archaïque et ne s'emploie guère comme adjectif (1824, in T. L. F.).
AIGRETTE n. f. est emprunté sous la forme égreste (mil. XVIe s.), puis aigrette, à l'ancien provençal °aigreto (provençal moderne eigreto), dérivé de aigron « héron », mot d'origine germanique (→ héron).
❏
Le mot désigne un oiseau voisin du héron, blanc, portant un faisceau de plumes effilées sur la tête, puis (1532) ce faisceau de plumes ou un faisceau analogue, utilisé comme ornement, et aussi (1611) les plumes sur la tête de l'oiseau. Cette métonymie a détaché le mot de ses origines, la désignation de l'oiseau étant alors sentie comme celle d'un oiseau qui porte une aigrette.
◆
Une influence de l'homonyme
aigrette, de
aigre (« plante acide »), n'est pas à exclure, peut-être avec l'idée de « pointu », liée au latin
acer.
■
Aigrette s'emploie aussi en parlant de plantes en forme de faisceau (1694), puis en électricité (1746). Diverses extensions, au sens étendu de « forme allongée et épanouie », sont en usage depuis le XIXe s. (une aigrette d'écume, de fumée, d'étincelles...).
❏
Le dérivé AIGRETTÉ, ÉE adj. est apparu à propos des plantes (1694).
L
AIGU, UË adj. est le produit (XIIIe s.) de l'évolution phonétique de agu, agud (1080 et jusqu'au XVIe s.), issu du latin acutus « coupant, tranchant » et « pénétrant (de l'esprit) ». Le ai- (pour a-) s'expliquerait soit par un latin populaire acuutus (Guiraud), soit par l'influence de aigre*, qui provient de la même famille de mots latins, puis de aiguille*, aiguiser*. En effet, le latin classique acutus avait donné régulièrement le nom eu (attesté dans des noms de lieux : Bloch et Wartburg citent Montheu, de Mons acutus), forme trop brève, refaite en agu, probablement d'après le latin. Acutus, comme acumen « pointe », est dérivé de acus, forme ancienne à côté de acies, de la même famille que acer (→ acier, aigre) ; acutus (sous-entendu clavis) désigne spécialement le clou. Les autres langues romanes ont des adjectifs proches du latin (italien acuto, espagnol agudo).
❏
Le mot français, sous la forme
agu, puis
aigu qui triomphe au
XVIe s., se dit (1080) d'une forme pointue
(Cf. acéré), puis d'un mal violent (
XVe s. ;
aigu, 1680), d'une personne ou d'un caractère violent (
XIIIe s.), d'un son perçant (
agu, XIIIe s. ;
aigu, 1643), avec en ancien et moyen français des valeurs proches de celles de
aigre*.
◆
Cependant, à la différence de
aigre et comme
acéré, aigu a pris, comme
acutus en latin, la valeur figurée et positive de « vif et pénétrant », en parlant de l'esprit (1180-1190, Chrétien de Troyes), d'où « spirituel », à propos d'un écrit (1548).
◆
Perdant sa valeur initiale de « pénible, criard », en parlant des sons, il désigne en musique les sons élevés dans l'échelle musicale, par opposition à
grave.
◆
En grammaire,
accent aigu se dit (1690) d'après le latin (du son et de la syllabe) d'un accent dirigé obliquement vers le haut et marquant que le
e sur lequel il est placé se prononce sur un ton plus aigu
(é) ; il est, là aussi, opposé à
grave.
■
Le substantif agu, « pointu, tranchant » (v. 1150), puis aigu (XVIe s.), est sorti d'usage. L'aigu désigne aujourd'hui l'ensemble des sons élevés dans l'échelle musicale (1622).
❏
Les dérivés aguement adv. (v. 1265), devenu aigûment (1752) ; agüeté n. f., devenu aiguité (1838), ont disparu, le second éliminé par acuité.
◆
SURAIGU, UË adj. formé avec sur- (1705), s'emploie aussi en médecine (1855) et au figuré, pour « très intense ».
❏ voir
AIGUILLE, AIGUISER, BESAIGUË, ÉGLANTIER.
AIGUE n. f., forme ancienne en français (XIIe-XVe s.) et méridionale (Provence, etc.), est issue, comme eau*, du latin aqua « eau ».
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C'est une des formes anciennes du mot eau.
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Elle survit dans
AIGUE-MARINE n. f. (1578), d'un mot provençal non attesté (
°aigua marina « eau de mer ») qui désigne une émeraude
(Cf. l'eau d'un diamant).
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AIGUADE n. f. (mil. XVIe s.), du dérivé provençal aiguada, signifie « approvisionnement d'eau ».
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AIGUIÈRE n. f. est emprunté (1352) au provençal aiguiera « vase à eau », qui vient d'un dérivé latin populaire de aqua, °aquaria. Le mot désigne en français un vase ornemental avec anse et bec.