+ AIGUILLE n. f. est la réfection (XVe s.) de aguille (1177), agul en judéo-français, issus du latin tardif acucula « aiguille de pin », littéralement « petite (chose) pointue », du latin classique acus « pointu ». La forme aiguille, qui correspond à aigu* (de agu), élimine la forme en a- au XVIe siècle ; elle se prononçait aigulle, puis (XVIIIe-XIXe s.) aiguilhe avec l mouillé (comme l'italien gl-) ; sa prononciation moderne le détache d'aigu.
❏  Le mot désigne l'instrument rectiligne et pointu qui sert aux travaux de couture, sens qui donne lieu à des expressions comme de fil en aiguille (v. 1250), « en suivant le fil d'un propos », la pointe d'une aiguille (1561), « une subtilité », d'où disputer sur la pointe d'une aiguille (1718) et, par allusion à la Bible, passer par le trou (le pertuis, 1560) d'une aiguille, précédée par entrer en l'oil [œil] d'aguile « faire une chose impossible » (1080). ◆  Des spécialisations et extensions interviennent ensuite : aiguille à tricoter (1680), aiguille pour « pointe servant à maintenir les cheveux » (1636), aiguille « instrument de chirurgie » (1690). ◆  Par métonymie, l'aiguille s'est dit pour « métier de couturière » (déb. XIXe s., Béranger), sans doute d'après travaux d'aiguille.
■  En outre, des sens techniques spécialisés ne conservent que l'idée de tige métallique pointue, dans aiguille de boussole et aiguille aimantée (d'abord « boussole », déb. XIIIe s.), au sens de « style (d'un cadran solaire) » (aguille, 1549), puis aiguille d'horloge, de montre, de pendule (aiguille, 1660), aujourd'hui dans grande, petite aiguille, aiguille des heures, des minutes, et surtout les aiguilles. ◆  Le mot désigne en outre la pièce au milieu du fléau d'une balance (1636), plus tard la tige traversant la cartouche et enflammant l'amorce (d'un fusil) [1860], surtout dans fusil à aiguille, puis la pointe amovible en acier qui servait à transmettre les vibrations des sillons des disques : aiguille de gramophone (1866), de phono... ◆  Dans d'autres acceptions, c'est la fonction qui est retenue : « navette plate servant à faire les filets de pêche » (1751).
Une série de sens techniques anciens concernent des poutres, des perches (aguille, 1287, « poutre d'un pressoir »), notamment en marine (1690).
■  Par figure, le mot désigne la pointe d'un clocher (fin XIIe s.) et beaucoup plus tard, semble-t-il, une pointe rocheuse, un sommet de montagne aigu (1779, Saussure), un cristal allongé et divers objets longilignes, ainsi que des animaux de forme fine et allongée.
■  Le sens technique de chemin de fer « rail mobile » (1819) a servi à former les dérivés aiguilleur et aiguillage (ci-dessous).
■  À propos des plantes, le sens latin (aiguille de pin) n'apparaît dans les dictionnaires qu'avec Littré (1863). ◆  Le mot servait à désigner depuis le XVIIe s. des plantes, dans des locutions métaphoriques : aiguille de berger (1611 ; après esquilles de berger, 1544), aiguille de pasteur (id.), etc.
■  Enfin l'apposition, dans talon aiguille, est récente.
❏  Le diminutif AIGUILLETTE n. f. concerne d'abord (1180) l'aiguille aimantée, puis en général une petite aiguille (XIIIe s.), sens disparus. ◆  Le mot a pris deux valeurs spéciales, « cordon ferré » (1339), spécialement utilisé pour attacher la jupe et le pantalon. De là les locutions nouer l'aiguillette à (un homme) « le rendre impuissant (par maléfice) » et courre, puis courir (1546) l'aiguillette « courir après les filles » (XVe s., courre l'aiguillette), où il s'agit du vêtement féminin (Cf. courir la jupe, le jupon).
■  D'autres valeurs, liées à celles d'aiguille, ont disparu. Un seul sens figuré est demeuré courant, celui de « morceau de viande coupé en long » (XVIe s., d'une volaille), repris au XXe s. pour une partie du romsteck.
■  Les dérivés AIGUILLETIER n. m. (aguilletier, 1390), « ouvrier qui fait les aiguilles » et « étui à aiguilles », AIGUILLETERIE n. f. (esguilleterie, 1412) « fabrique d'aiguilles » et AIGUILLETER v. tr. « attacher les aiguillettes de (un vêtement) » (1549) ont disparu.
■  Le préfixé PORTE-AIGUILLE n. m., terme de technique traditionnelle (tabletier) et de chirurgie (1741), désigne une pince permettant de tenir les aiguilles, et porte-aiguilles (1827), un étui, un cahier de feuillets en tissu pour ranger les aiguilles à coudre. On l'appelle parfois aiguillier (ci-dessous).
Le verbe dérivé de aiguille, AIGUILLER v. tr. (XIIIe s., aguiller), signifie d'abord « piquer avec une aiguille », avec des sens techniques (chirurgie, textile). ◆  Un sens spécialisé, « diriger sur une voie ferrée en faisant fonctionner l'“aiguille” mobile » (1877 ; semble postérieur à aiguilleur), a donné lieu à des emplois figurés : « diriger (qqn) sur une voie, orienter » (1922) et « orienter (la conversation) ».
■  De ce sens procèdent AIGUILLAGE n. m. « action d'aiguiller (un train) » (1872) et, par métonymie ou dérivation de aiguille avec le suffixe collectif -age (1928), « dispositif permettant les changements de voie », et AIGUILLEUR n. m., antérieur à aiguillage et à aiguiller dans ce sens (1845). Ces mots techniques concernent d'abord des opérations nouvelles et mécaniques, puis des systèmes de plus en plus complexes, commandés à distance ; poste d'aiguillage et d'autres syntagmes ont ainsi changé de référent concret. Aiguillage est plus rare que aiguiller dans l'emploi figuré.
D'autres dérivés d'aiguille sont archaïques ou régionaux.
■  AIGUILLÉE n. f., « longueur de fil (de soie) pour les travaux à l'aiguille » (1229-1237, agulliée), signifie aussi « gaule armée d'une pointe » (1390).
■  AIGUILLIER n. m. (v. 1200), « étui à aiguilles », est rare. Il désigne parfois le porte-aiguilles (ci-dessus).
■  AIGUILLAT n. m., réfection (1587) de aguillat (1554), correspond au provençal agulhat (1445, à Nice) et désigne un petit squale allongé et mince, appelé aussi chien de mer ; le mot est issu du dérivé latin aculeatus, de aculeus, lui-même de acus.
AIGUILLON n. m. (XIIIe s.), réfection de aguillon (mil. XIe s. et jusqu'au XVIe s.), est issu du latin médiéval aculeo (accusatif aculeonem), du latin classique rare aculeus « épine », dérivé de acus comme acutus (→ aigu) et acucula (voir ci-dessus).
■  Le mot apparaît dans le contexte de l'élevage, désignant un bâton ferré pour stimuler les bœufs (Cf. ci-dessus aiguillée) ; d'où (XIIe s.) le sens métaphorique de « stimulation », par exemple dans l'aiguillon de la chair (XIIIe s. ; puis 1546). ◆  Une autre spécialisation (1567) concerne le dard des insectes hyménoptères ; d'autres sens (« piquant de hérisson », 1538, etc.) ont disparu.
■  AIGUILLONNER v. tr. (1551), « toucher (les bœufs) avec l'aiguillon » (d'abord aguillonner, XIVe s.), a aussi et d'abord le sens métaphorique de « stimuler » (aguillonner, 1160), demeuré usuel.
■  AIGUILLONNÉ, ÉE adj. « muni d'aiguillon » (1530) et AIGUILLONNEMENT n. m. (aguillonement, v. 1270 ; ai-, 1636) sont rares, tout comme AIGUILLONNEUR n. m. (aguillonneour, v. 1330 ; forme moderne, 1636).
Du latin aculeus viennent par emprunt plusieurs mots de sciences naturelles, ACULÉES n. f. pl. « hyménoptères à aiguillons » (1845), désignation abandonnée, ACULÉATES n. m. pl. (1928), ACULÉIFORME adj. (1838).
L AIGUISER v. tr., comme aigu, aiguille et aiguillon, apparaît d'abord (1080) sous une forme en a-, aguisier, avec de nombreuses variantes. La forme moderne en ai-, qui apparaît aux XIVe-XVe s. pour certains dérivés, ne semble normale qu'au XVIe s. (attestée 1611). Le mot est issu d'un latin populaire °acutiare, altération du bas latin acutare, dérivé de acutus (→ aigu).
❏  Le verbe signifie « rendre tranchant » et, au figuré (déb. XIIIe s.), « rendre plus aigu (un sens, un sentiment) ». Par extension, on emploie aiguiser au Québec, pour « tailler en pointe » (aiguiser un crayon ; voir les dérivés ci-dessous). ◆  Aiguiser l'appétit (XVe s.) est resté courant, comme aiguiser l'esprit (1610), une épigramme (Boileau) et aiguiser la vue (aiguisier, XIVe s.). Aiguiser la raison (av. 1215) est sorti d'usage. ◆  En revanche, les métaphores sur le sens concret, aiguiser ses couteaux « se préparer à la lutte » (1690) ou aiguiser ses dents « se préparer à bien manger » (1690), sont sorties d'usage.
❏  AIGUISÉ, ÉE adj. (aguisé, XIVe s.) s'emploie au propre et au figuré.
■  AIGUISEMENT n. m. (XVIe s., Montaigne), réfection de aguisement (1172, au figuré), s'est dit pour « excitation », puis au sens concret (1380) pour « action de rendre pointu » et « de rendre tranchant » (1530).
■  AIGUISAGE n. m. (1832) est reformé longtemps après la forme altérée evuisaige (1467).
■  AIGUISEUR n. m. (XIVe s. ; variante aguiseur, 1380) est surtout concret.
■  AIGUISOIR n. m. est d'abord figuré (1458), puis concret, comme nom (1581) et adjectif (pierre aguisoire, 1585). D'après un sens du verbe, le mot s'emploie au Québec, ainsi que le composé AIGUISE-CRAYON n. m., là où on dit taille-crayon en français d'Europe.
■  AIGUISABLE adj. (1845) est plus rare.
Le préfixé RAIGUISER v. tr. (XIIIe s., raguisier en picard) a une valeur intensive, au sens propre ; il semble plus courant dans les dialectes.
AÏKIDO n. m. est la transcription d'un mot japonais pour un art martial, sport de combat à mains nues, usant notamment de clés aux articulations. Attesté en français en 1961, le mot ne retient guère son sens originel en japonais « la voix de la paix ».
L AIL n. m. (XIIIe s.), d'abord al (XIIe s.), avec plusieurs variantes en ancien français, est issu du latin allium, comme l'italien aglio, l'espagnol ajo. La forme classique en latin est alium, mot probablement autochtone (italique), malgré sa ressemblance avec le sanskrit aluḥ « plante à bulbe ».
❏  Le mot désigne une plante à bulbe et ce bulbe utilisé comme condiment ou aliment. Il a eu des emplois figurés en locution, ne... pas un ail (XIIe s.) signifiant « très peu de choses », avec diverses variantes pittoresques (ne pas valoir la queue d'un vieil ail, d'un ail pelé, pourri...) ; Cf. des prunes, des nèfles. Des locutions désignent d'autres plantes : herbe aux aulx (1564), arbre à l'ail (1877), ail de serpent (1549), etc. ◆  Le pluriel, des aulx, d'abord alz (1165-1170), est en concurrence avec ails, utilisé en botanique. ◆  Dans son emploi principal, le mot connote la cuisine du sud de la France et de la Méditerranée, en général. Il est plus souvent collectif (de l'ail, aimer l'ail).
❏  Le dérivé AILLÉ, ÉE adj. (XIIe s.) est le seul usuel, parmi une importante série, avec des diminutifs : AILLET n. m. (1240), aillot, ailleron (XVIIIe s., en Saintonges), désigne dans l'ouest et le sud de la France (où il est repris à l'occitan) l'ail nouveau, la gousse d'ail employée en cuisine, AILLEROTTE n. f. (1826), et encore AILLÉE n. f. (XIIIe s.) « plantation d'aulx » et « sauce à l'ail ». AILLADE n. f. (1812), emprunt à l'ancien provençal alhada « pain frotté d'ail », souvent arrosé d'huile d'olive, est synonyme de aillée. Aillade peut aussi désigner une sauce, ailleurs une soupe, à l'ail. ◆  Le verbe AILLER v. tr., tiré de aillé, semble récent (1928, dans les dictionnaires).
AILLOLI ou AIOLI n. m. est un emprunt (1723) au provençal moderne aioli, composé de ai « ail » et de oli « huile », désignant une émulsion d'ail pilé et d'huile d'olive, plat typique de Provence.
Du latin allium provient ALLIAIRE n. f. (1549), nom d'une plante, ALLIACÉ, ÉE adj. (1799), relatif à l'ail, et les termes de chimie ALLYLE n. m. (1855), ALLYLIQUE adj. (1865).
❏ voir CHANDAIL, peut-être ALLANTOÏDE.
L + AILE n. f. est une réfection partielle (XIIIe s.) de ele (XIIe s.), eille, formes issues du latin classique ala « point d'articulation du membre supérieur, bras ou aile, avec le tronc », mot apparenté à axis (→ aisselle, axe, essieu) dont il serait le dérivé archaïque, par une forme supposée °aks-la. En ancien et moyen français, sont attestées de nombreuses variantes, aule, aesle, etc. ; aile correspond à l'ancien provençal ala.
❏  Le mot désigne l'organe du vol chez les oiseaux, puis chez les insectes. Dans ce sens, il donne lieu à de nombreuses locutions comme être sur l'aile « planer » (1669, après des formes anciennes), bailler (1606), donner les ailes à (un cheval) « faire courir », sorties d'usage, donner des ailes à (qqn) (1652) au figuré, « (le) stimuler », à tire d'aile « en volant rapidement » (1532), etc. Battre de l'aile (1611) « avoir perdu de sa force, aller mal » a été précédé par ne battre que d'une aile (1606) ; avec une idée voisine, on disait aussi se brûler les ailes (1596) « perdre son crédit, sa réputation » ; en avoir dans l'aile (1635) a eu de nombreux emplois spéciaux (« être amoureux », 1644 ; « vieillir », 1685). Par métaphore, on parle des ailes du vent (1553 ; une fois au XIVe s., aules) ; au figuré, sous l'aile, les ailes de signifie « sous la protection de » (1403). ◆  Une spécialisation du sens initial (ele, XIIIe s.) correspond à « partie d'une volaille, l'aile et la chair qui est autour, préparée pour être mangée » ; aile s'oppose alors à cuisse.
Le mot a pris de nombreuses valeurs figurées, procédant de plusieurs figures. L'idée de latéralité est exploitée dans ele, « contrefort (d'une montagne) » (mil. XIIe s.), d'où « côté » (une fois au XIIe s.) et les esles « les abords » (1394) ; ces emplois ont disparu. En revanche, le sens d'aile « côté (d'un édifice) », par rapport au « corps principal de bâtiment » (v. 1200, esle), est resté usuel, avec des spécialisations. La même figure produit le sens de « bord, côté (d'un chapeau) » (1611) et plusieurs acceptions, par exemple dans les ailes du nez (1546), devenue usuelle, et aussi en botanique (1694), en arboriculture (1685), en technique pour « dent d'un pignon d'horlogerie » (1701), « partie latérale d'un gond » (1676)... ◆  En parlant d'un groupe d'hommes, le mot s'applique aux côtés d'une armée en ordre de bataille (1310, ele) ; au XXe s. à ceux d'une équipe de sport (1924) et, au figuré, à l'aile d'un parti (1924) puis à aile marchante (1934) « les éléments actifs, progressistes ». ◆  Une valeur technique passée dans l'usage est « partie latérale d'une carrosserie d'automobile, protégeant les roues » (1922).
■  Une autre figure concerne la fonction de l'aile d'oiseau qui est, soit de se mouvoir dans l'air, d'où aile de moulin à vent (1534, Rabelais), soit de soutenir dans l'air ce qui a des ailes : la métaphore de l'oiseau mécanique produit aile planeuse (1863) puis aile, en parlant de la surface sustentatrice d'un appareil aérien plus lourd que l'air. De là, les ailes « l'aviation » (les Ailes françaises, XXe s.). ◆  Le mot avait désigné auparavant une sorte de gouvernail pour les aérostats (1783) et un dispositif de propulsion (1784), sens repris dans celui de « branche (d'une hélice) » (1861), sortis d'usage et remplacés par pale.
Par ailleurs, les syntagmes déterminés, désignant l'organe du vol d'une espèce d'oiseau, d'insecte ou de mammifère (chauve-souris), peuvent donner lieu à des figures, comme aile de corbeau « bandeau de cheveux très noirs » (1869), puis adjectivement, qualifiant des cheveux d'un noir intense (1898).
❏  Le mot a eu plusieurs dérivés anciens, dont certaines acceptions ont survécu.
■  AILÉ, ÉE adj., d'abord alé (XIIe s.), refait en aellé (1555), ailé (1596), signifie « muni d'ailes » et s'emploie spécialement en blason (1581). Il a des emplois extensifs, comme graine ailée (1798), et figurés, pour « léger, subtil » (1852 in T. L. F.).
■  Parmi les dérivés, le verbe AILER v. tr. (XVIe s.) « munir d'ailes », au figuré « faire aller vite » (XVIe s.), « donner de l'élan » (1871), est archaïque et littéraire.
AILETTE n. f. (XIIe s., elette, alette), qui désigne d'abord une petite aile d'oiseau, a eu de nombreux sens figurés en construction, architecture (1564), marine (1820), etc., correspondant en général aux sens figurés de aile. ◆  Après allette (XIVe s.) « palette d'un moulin à eau », ce sont les valeurs techniques de « palette (d'hélice, de ventilateur) » (1890), « aile (d'une fusée) » (1866) qui l'ont emporté, entraînant la création de dérivés techniques, comme AILETTAGE n. m.
■  AILERON n. m. (alleron, v. 1320), d'abord « petite aile », s'applique à l'extrémité de l'aile (1393), avec de très nombreux sens figurés, aux divers sens d'aile, certains attestés avant le sens initial (aleron « blason d'épaule de l'armure », 1285). ◆  Les sens techniques sont parfois repris comme métaphores plaisantes, par exemple « bande d'étoffe ornant une manche » (1625) ; les seuls usuels concernent les fusées d'artifice (1762), l'aviation (1898), les techniques spatiales (d'un satellite artificiel, 1967), l'automobile (« stabilisateur horizontal »).
■  AILIER n. m. se dit (1905), en sports d'équipes, d'un équipier jouant à l'aile des avants et aussi (mil. XXe s.) en aviation de l'équipier extérieur d'une patrouille de chasse.
Du latin ala ou de son dérivé alarius vient le terme didactique ALAIRE adj. (1798) « en forme d'aile » et « relatif aux ailes », ainsi que SUBALAIRE adj. (1770, Buffon), appliqué à ce qui se trouve sous l'aile ou sous l'aisselle d'une branche (1808).
❏ voir HALETER.
L AILLEURS adv., « dans un autre lieu », semble venir (XIe s.) d'une forme sans s, ailleur, issue du latin alior, dérivé de alius « autre » qui a donné alienus (→ aliéné) et alter (→ autre), dans une locution hypothétique in aliore loco, car l'adverbe latin attesté aliorsum n'aurait pas donné la voyelle -eu.
❏  Ce mot apparaît sous la forme ailurs (1050), devenue aillor(s) (XIIe s.), allors (v. 1200) ; il s'emploie au figuré pour « autrement » depuis le début du XIIIe siècle. Il sert à former des expressions très courantes en français moderne : d'ailleurs (1174) « d'un autre endroit », puis (mil. XVIIe s.) « d'autre part » ; par ailleurs « par une autre voie » (1160), puis au figuré « d'une autre manière » (Cf. autrement) ; et puis d'ailleurs (1688). ◆  Après avoir évoqué l'exotisme (substantivé : les ailleurs), le mot, avec la conquête de l'espace et la science-fiction, concerne parfois les extra-terrestres que l'on dit venus d'ailleurs.
L 1 AIMANT n. m. n'a rien à voir avec le verbe aimer, malgré le sémantisme de l'« attirance » qu'il a pris en français. Le mot, sous la forme aiemant (XIIe s.), en judéo-français jamant (Gloses de Raschi), procède du latin populaire supposé °adimas, altération nécessaire de adamas (les formes en -i- existent en ancien provençal, en espagnol), d'ailleurs normale : ainsi le grec mêkhanê (makhana en dorien) a donné machina, d'où machine. Le mot latin a deux sens : « fer très dur » et « diamant » ; c'est un emprunt au grec adamas « corps dur, fer le plus dur » (→ adamantin), qui a pris depuis Pline le sens de « substance magnétique » ; quant à la valeur « diamant », elle est passée par la forme tardive diamas (IVe s.) [→ diamant].
❏  Aimant a eu en ancien français le sens de « diamant » (1125, jusqu'au XIVe s.), mais désigne plus souvent, dès le XIIe s., l'oxyde de fer magnétique qui attire les métaux, par extension la boussole (XVIIe s.), sens disparu, et, au figuré, ce qui attire et attache (1625, Racan), valeur surtout assumée par la comparaison (comme un aimant). ◆  Le sens premier est en concurrence avec pierre d'aimant (XIIe s., d'ayement). Outre le minéral (magnétique), appelé depuis le XVIIIe s. aimant naturel (1751), le mot désigne toute substance aimantée (aimant artificiel, 1721) et s'emploie en syntagmes pour d'autres minéraux magnétiques (par exemple aimant arsenical, 1701). La notion, avec le développement de la physique, correspond dès lors à « substance magnétique ou magnétisée » (→ magnétisme) et à « pièce de métal aimantée » (un aimant en fer à cheval, etc.).
❏  Le dérivé AIMANTER v. tr. (1386), aussi pronominal (1751), a pris au figuré la valeur d'« attirer de manière invincible ». ◆  Son emploi est plus rare que celui de AIMANTÉ, ÉE adj. (attesté XVIIIe s.), surtout dans aiguille aimantée.
■  Il a pour dérivé AIMANTATION n. f. (v. 1750) qui s'emploie aussi littérairement au figuré (fin XIXe s.).
■  Par préfixation, le verbe et son dérivé ont produit DÉSAIMANTER v. tr. (1853, se désaimanter) et DÉSAIMANTATION n. f. (1854).
L + AIMER v. tr. est issu du latin amare, d'abord sous la forme amer (Xe, jusqu'au XVe s.), modifiée sous l'influence des formes accentuées, comme j'aime. Le verbe latin est peut-être, selon Ernout et Meillet, un « mot populaire expressif à rapprocher de amita (“tante”), amma (“maman”) » ; amare a pris les deux valeurs, affective et érotique, des deux verbes grecs philein et eran, comme amor (→ amour) correspond à la fois à philia et à erôs.
❏  De ces valeurs initiales fortes, conservées en français tant sur le plan sentimental et érotique (v. 1150) qu'intellectuel, on est rapidement passé à des sens affaiblis, comme « avoir du goût pour (des aliments, des boissons) » (XIIe s., amer). Les constructions aimer à (et nom) [mil. XIIe s.], aimer que et subjonctif (1370) et aimer de (et infinitif) [1550] ont précédé aimer à (et infinitif) [Montaigne] et aimer suivi directement d'un infinitif (XVIIIe s., Rousseau). ◆  L'affaiblissement de sens se manifeste dans aimer mieux « préférer » (v. 1300), construit, comme le verbe simple, avec de et infinitif, l'infinitif seul ou que et le subjonctif, et dans aimer bien (XIVe s., dans des formules). Aimer autant a une valeur différente en France « préférer » et en Belgique « avoir envie de ». ◆  Avec un sujet nom de plante, le verbe signifie « croître en abondance dans » (1549, aimer un lieu, l'ombre, etc.). ◆  Au sens psychologique, certains proverbes avec aimer sont restés en usage, comme qui aime bien châtie bien (d'abord qui bien aime..., XIVe s.) ou qui m'aime me suive (1690).
❏  Les dérivés français de la forme moderne sont peu usités et assez récents : AIMEUR, EUSE n. (1857), AIMOTER v. tr. (Verlaine), à la différence des composés (ci-dessous) et des participes.
A, ÉE (XIIe s.), puis AIMÉ, ÉE adj. s'emploie comme adjectif et comme nom, dans les divers sens du verbe. Au moyen âge, mon amé... se dit d'un inférieur (vassal, féal).
■  Les composés BIEN-AIMÉ, ÉE adj. (XVIe s., Rabelais) et MAL-AIMÉ, ÉE adj. (1909, Apollinaire), ce dernier littéraire, ont, comme aimé, pris une valeur sentimentale et érotique en français contemporain.
■  2 AIMANT, ANTE adj. (1549) est reformé sur aimer, parallèlement à amant (ci-dessous) ; puis il s'en détache et correspond à « porté à aimer, affectueux » (fin XVIIe s.).
AMANT n. m., dérivé de la forme ancienne amer, et peut-être conservé à cause de la rencontre homonymique avec aimant*, n. m. a signifié (v. 1130) « celui qui a de l'affection, ami* », avant de se spécialiser pour « celui qui aime et est aimé (d'une femme) » (v. 1160). Le féminin AMANTE (XIIe s.) a la valeur réciproque, et le pluriel les amans (mil. XIIIe s.) désigne un couple lié par un amour partagé. ◆  Le mot désigne alors et jusqu'à la fin du XVIIe s. des personnes qui aiment, qu'elles aient ou non des relations sexuelles. À partir du XVIIIe s., le masculin suppose des relations sexuelles hors mariage, le féminin reculant devant maîtresse* ; l'élément affectif devient alors moins important que l'élément sexuel et social. Apparaissent ensuite des locutions comme amant en titre (1830), amant de cœur (1842), les anciennes expressions non érotiques (amant de la liberté, etc.) tendant à vieillir. ◆  En français d'Afrique, amant et amante s'emploient pour « fiancé, fiancée » et le féminin amante s'emploie là où l'on dit maîtresse ou petite amie, amie, en français d'Europe.
L'adjectif AIMABLE (d'abord amable, v. 1165) vient du dérivé latin amabilis, mais est senti comme venant du verbe français, quand la forme aimable (XIVe s.) l'emporte, au XVIe s., sur amable, qui a subsisté en tant que prénom (de saint Amable). Cet adjectif, comme d'autres mélioratifs sociaux de forme analogue (agréable, adorable, charmant), perd dans la langue courante sa valeur propre (« digne d'être aimé ») et qualifie les personnes d'une fréquentation plaisante (fin XVIIIe-déb. XIXe s.). Il entre alors (1771) dans les formules de politesse (soyez aimable, bien aimable, assez aimable de..., pour...). ◆  La substantivation (un aimable, 1734, « mondain ») a disparu. ◆  Les dérivés amableté (de amable) et aimabilieté se sont effacés devant amabilité. ◆  Seul AIMABLEMENT adv. (XIVe s.), qui a suivi l'adjectif, est courant.
AMABILITÉ n. f. est un emprunt assez tardif (1683) au dérivé latin amabilitas ; il a supplanté les dérivés français (aimabilité, 1676, Mme de Sévigné) et correspond à aimable au sens affaibli.
❏ voir AMADOU, AMATEUR, AMI, AMOUR, ENNEMI, INIMITIÉ, MAMIE.
L AINE n. f. est l'aboutissement (fin XIIe s.) de l'évolution phonétique, par eigne, aigne, d'un latin tardif inguinem, de inguina pluriel (plus fréquent), du latin classique (neutre) inguen, inguinis « enflure » et « aine ». Inguen est rapproché par Saussure du grec adên, adenos « glande » (→ adéno-).
❏  Le mot, plutôt didactique, désigne la partie du corps humain située entre le bas-ventre et la cuisse, spécialement dans pli de l'aine.
❏ voir INGUINAL.
AÎNÉ, ÉE adj. et n. est composé (1155) de l'ancien français ains*, ainz « avant » et de (→ naître).
❏  Le mot est attesté au XIIe s. comme nom masculin et féminin, sous la forme analytique ainz nez (1155) et aussi au féminin einznee (1160-1174), comme nom et comme adjectif (1174). Cet emploi est logiquement antérieur et les attestations, très proches, ne sont pas pertinentes pour l'histoire du mot. ◆  Celui-ci reste courant comme adjectif, alors que puîné, ée, son contraire, est devenu archaïque ; aîné qualifie aussi la branche d'une généalogie royale qui descend du fils aîné. Au premier emploi, fils, fille aîné(e), s'ajoute frère, sœur aîné(e), où la seule antériorité chronologique est retenue, l'idée de filiation étant perdue dans l'extension être l'aîné(e) de qqn. Aîné, adj. et n. est en concurrence avec premier-né. Il a aussi des emplois extensifs et figurés (la France, fille aînée de l'Église). ◆  Un emploi particulier concerne la postposition au nom propre (Coquelin aîné), alors opposé à cadet.
❏  Le dérivé AÎNESSE n. f. est formé en droit (1283) avec le suffixe -ece (ainsneece), puis -esse. L'emploi le plus usuel est demeuré celui de droit d'aînesse, désignant la prérogative du premier-né mâle en matière de succession parentale. ◆  Aînesse seul, pour « qualité de premier-né » et au figuré « primauté en âge, en expérience », est littéraire et assez rare, sauf dans droit d'aînesse.
L AINS conj., extrêmement courante jusqu'au début du XVIIe s., est issue du latin ante « avant, devant » (→ anté-), par une voie peu claire et sous diverses formes : anz (980), einz (1080), ainz (id.), ains. On a évoqué depuis Ménage un comparatif °antius (comme puis viendrait de °postius), hypothèse la plus plausible.
❏  Ainz, ains a exprimé l'antériorité jusqu'au XVe siècle ; dans ce sens d'« avant », il s'est employé aussi comme adverbe (1080, jusqu'au XVIIe s.). Ains que (ainz que) signifiait « avant que » (1050). ◆  Le mot a pris une valeur adversative et s'est employé dès l'an 1000 pour « au contraire, plutôt », aussi comme adverbe (XVIe s.) et dans ainz que (1050). Dès l'ancien français, ainz est employé en concurrence avec mes (mais), avec une différence notable : ainz introduit une idée positive, compensant une idée négative, alors que mes introduit une idée toute différente. Ains s'emploie normalement jusqu'au XVIe siècle ; au XVIIe s., il est considéré comme « burlesque » (c'est-à-dire du style ancien). Il sera repris en littérature dans le style dit « troubadour » (de 1750 à 1830).
❏  AINÇOIS (XIIe s. ; d'abord enceis, 1080), de sens voisin, vient peut-être d'un dérivé du comparatif °antius ou d'un °antecessius, de antecessus, participe de antecidere, de cedere ; cette hypothèse de Sandfeld est contestée, ainz et ainçois étant étroitement liés. Ainçois est adverbe et signifie « auparavant », et aussi (XIIe s.) « plutôt » ; comme ains, il s'utilise comme conjonction temporelle (1080) et adversative (mil. XIIe s.). Le mot a cessé de s'employer avant ains (XVe-XVIe s.).
❏ voir AÎNÉ, ANCIEN, ANTAN.
AINSI adv. résulte de l'altération (XIIe s.) de l'ancien français ensi, einsi (mil. XIe s.), d'origine complexe, au moins pour le premier élément en-. Le si de ainsi vient de sic (→ si, adv.), probablement par l'adverbe eissi, employé en Normandie et dans l'ouest de la France, et que l'on rapproche de l'ancien provençal aissi, du latin populaire °accum sic (où °accum représente eccum, pour ecce ; → ecce homo) qui aurait pénétré par le Sud-Ouest. Un autre adverbe ancien, issi, a pu jouer un rôle. La forme moderne ainsi, selon Guiraud, aurait subi l'influence de ains* pour produire le sens « de cette manière plutôt que d'une autre ».
❏  L'adverbe signifie d'abord « de cette façon » (ensi, mil. XIe s.) avant de servir de particule au début d'une phrase au subjonctif optatif : ainsi soit, ainsi soit-il (1539), le second, formule de prière, équivalant à amen. ◆  La conjonction ainsi que (v. 1200, anssi que) « de même que », puis (1330) « au moment où » est sortie d'usage au XVIIe siècle.
❏ voir AUSSI.
AÏO !, onomatopée peut-être empruntée au tamoul aiyo, s'emploie en français oral de l'île Maurice pour exprimer un sentiment vif de surprise, allant de l'admiration (aïo maman !) à la colère.
L AIR n. m. est issu (XIIe s.) du latin aer, à l'accusatif aerem, emprunt au grec aêr, aeros « vent », puis « air » (→ aérer), traditionnellement rapproché du verbe aênai « souffler », d'origine clairement indoeuropéenne. Mais ce rapprochement est aujourd'hui abandonné, et d'autres hypothèses ont été émises, sans plus de certitude.
❏  1 AIR, avec ses variantes anciennes ar (XIIIe s.), aer (XIIIe-XVIe s.), est resté très courant au sens premier d'« atmosphère » (1119) et au pluriel les airs, en poésie (depuis XVIIe s., Voiture). Par extension, air a désigné en sciences tout fluide élastique invisible (XVIIe-XVIIIe s.), sens où il a été remplacé par gaz ; ainsi, air inflammable (1780) et air vital (1810) se sont dits pour « hydrogène » et « oxygène ».
■  Le sens de « vent » (1275) puis de « coup de vent, souffle » (1549), d'où être, se mettre entre deux airs (déb. XIXe s., Balzac), a disparu au profit de coup d'air, spécialement « douleur provenant du vent ou du froid » (1787) et de courant d'air,air a le sens premier. ◆  De très nombreuses locutions dépendent de cette acception primordiale : prendre l'air (XVIIe s., au figuré ; 1669, pour « aller se promener »), donner de l'air (1671), d'abord bailler (1549), donner air (1559), par exemple en ouvrant les fenêtres, battre l'air « faire une chose inutile » (1590), fendre les airs, l'air (XVIIe s.) « aller très vite », libre comme l'air (1803). ◆  Combiné avec des prépositions (à, en, dans), le mot prend des valeurs particulières : à l'air correspond surtout à « dans le milieu extérieur », en l'air à « dans une situation élevée, vers le haut », par exemple dans tirer (un coup) en l'air (1660), cracher en l'air (au fig., 1808), au figuré être en l'air « dans l'agitation » (Mme de Sévigné), « en désordre » (1873), avoir un pied en l'air « être tout prêt à partir » (Mme de Sévigné), qui a vieilli, et abstraitement tête en l'air « personne distraite, évaporée » (XXe s.). ◆  Dans l'air correspond plutôt à « dans l'atmosphère » et donc à « prévisible » : il y a de l'orage dans l'air (fin XIXe s.), c'est dans l'air (1835) « cela vient de la nature du pays », puis (1878) « l'idée, l'impression est répandue, sans être nettement exprimée ». ◆  L'expression plein air, comme air libre, désigne l'espace ouvert, l'air du dehors. On est passé de en plein air à le plein air, expression nominale (activités de plein air, etc.). ◆  Au sens de « lieu, séjour », l'expression changer d'air (d'abord changier air) « changer de lieu de séjour, d'ambiance, d'atmosphère » est ancienne (av. 1475). Des emplois régionaux, comme un air de feu « une flambée », donnent à air la valeur d'« atmosphère ambiante », qu'on retrouve dans une expression courante et étrange, le fond de l'air, qui fait allusion à une réalité indépendante des impressions superficielles.
La même idée d'atmosphère propre à un lieu, à une activité, se retrouve dans l'air de la cour (XVIe s.), l'air du bureau (mil. XVIIe s., Retz). Ces emplois ont préparé 2 air, « façon d'être » (ci-dessous).
■  Au sens de « partie élevée de l'atmosphère », le mot s'est spécialisé pour « milieu où se déplace ce qui vole », les oiseaux, puis les engins aériens, notamment (fin XIXe s.) les plus lourds que l'air, jusqu'à être synonyme de « avions, flotte aérienne ». ◆  Cette valeur se réalise dans hôtesse* de l'air, calque de l'anglais, dans le nom de plusieurs compagnies d'aviation, tel Air France, dans les syntagmes comme mal de l'air, baptême de l'air ; elle est soutenue par les emplois d'aérien* ; Cf. aussi Airbus (→ omnibus).
Dans tous ces emplois, le mot est usuel et sert à former une importante phraséologie ; son pouvoir est lié au caractère monosyllabique, comme les noms des trois autres éléments de la physique antique, terre, eau et feu, et, comme ces mots, à une symbolique fondamentale (voir les travaux de Bachelard).
Par ailleurs, deux types d'emplois, apparus au XVIe s., donnent à air deux homonymes, aujourd'hui détachés du sens premier. 2 AIR n. m. Au XVIe s. (1580), le mot, déjà utilisé au sens de « façon de se comporter » (l'air de la cour), s'emploie pour « manière de parler, de se vêtir », « apparence » (Montaigne). L'influence de l'italien aria « aspect » et « expression » (av. 1374, Pétrarque) est probable. De là, au pluriel, des airs « manières affectées » (1690, se donner des airs). L'une des expressions les plus courantes au XVIe s. (Brantôme) et au XVIIe s. est bel air « manières élégantes, à la mode », d'où (être) du bel air (1661), sortie d'usage au XVIIIe s. mais encore citée ; bon air « bonne apparence », surtout dans avoir bon air (1640), et avoir (un) grand air (1669) s'emploient encore, de même que avoir l'air de... (XVIIe s., Mme de Sévigné ; avoir de l'air de qqn, 1665), très usuel avec diverses spécifications : avoir tout l'air de... (1674), avoir un faux air de... (1798), n'avoir l'air de rien (1866), avoir un drôle d'air, ou encore, régionalement, un air de deux airs, « un air bizarre ».
3 AIR correspond à l'italien aria « manière », qui s'était spécialisé (mil. XIVe s.) au sens de « mélodie », par une évolution dont on rend compte par le fait que le chant est considéré comme une « manière », un « genre » musical, de même en allemand Weise, en arabe ṭab῾. ◆  Le français a emprunté ce sens au XVIe s. (1578) et l'étend aux instruments. Quelques locutions utilisent cette acception, comme (en) avoir l'air et la chanson (1866), ou air connu (1869), jouer le même air « rabâcher » (1898).
❏ voir AÉRER (AÉRIEN, AÉRO-), ARIA, MALARIA.
L AIRAIN n. m. est la réfection d'après le latin aes, de arain (XIIe-XVIe s.). Le mot, désignation littéraire du bronze, vient du latin populaire °aramen, déformation de aeremen, mot tardif dérivé de aes, aeris « bronze » et « cuivre », représentant une famille indoeuropéenne (sanskrit áyaḥ, gotique aiz).
❏  Airain, mot courant dans la poésie classique, notamment au sens de « canons » (1691, Racine), « cloche(s) » et au figuré (un cœur d'airain « impitoyable »), est aujourd'hui archaïque. Il a désigné aussi le cuivre (v. 1200-XVIe s.). Les syntagmes, qu'ils soient concrets comme pierre d'airain (1538) ou figurés comme un ciel d'airain (1618, d'Aubigné), sont sortis d'usage. Certains caractérisent la poésie classique et néo-classique, jusqu'au XIXe siècle ; d'autres viennent de la tradition biblique (mur d'airain, 1550 « obstacle infranchissable » ; être écrit, gravé sur l'airain, 1694).
❏ voir ÈRE, ÉRUGINEUX, OBÉRÉ.
L 1 AIRE n. f., d'abord masculin en ancien français (XIe s.), est issu du latin area « espace où l'on bat le blé », « cour », rendant compte du masculin ; le mot latin signifie en outre « terrain à bâtir ; bassin ; cimetière, etc. », autres spécifications d'une valeur de base, « sol uni, espace libre », et abstraitement, « superficie ». Certains de ces sens survivent dans les langues romanes, comme l'italien ara, l'espagnol et le catalan era, l'ancien provençal eira (XIe s.). Aire a pu se confondre avec des formes issues d'autres mots latins, aer (air*), arare, iter et surtout ager « champ » (→ agreste) et « domaine », qui a donné l'ancien provençal agre, aigre « nid », d'où en français « nid de l'aigle » (ci-dessous 2 aire).
❏  Aire n'a conservé que peu d'emplois, par rapport à l'ancien et au moyen français. Le mot signifiait en général « lieu, endroit » (v. 1200) et spécialement « cour », « terrain en friche » (1321), avec plusieurs locutions ; ces acceptions ont vécu dans les dialectes jusqu'au XXe siècle. ◆  L'acception de « sol uni, dégagé » était vivante dans des locutions comme en l'aire, en mi [au milieu de] l'aire (XIIe s.), probablement disparues à cause de l'homonymie avec en l'air. ◆  La valeur de « plancher, sol (d'une pièce) » (eire, XIIIe s.), utilisée pour le calcul des surfaces bâties (1227), a mieux résisté, soit en usage régional, soit dans des emplois techniques spéciaux : aire d'un plancher (1409), aire de chaux et de ciment (1694), aire de plâtre (1845) ; aire d'un bassin (1751), etc. En technique encore, le mot a servi à désigner des parties plates, comme la partie supérieure de l'enclume et l'enclume elle-même (1838). ◆  Alors que le sens de « jardin potager » (v. 1120) a disparu (sauf régionalement), une acception agricole est demeurée usuelle depuis l'ancien français (v. 1170) et jusqu'à la seconde moitié du XXe s. : c'est celle d'« espace où l'on bat le blé », d'où batere (batteur) en aire (1204), batre son aire, et autres expressions aujourd'hui archaïques ; on a longtemps dit régionalement aire de grange pour « sol de la grange », emploi distinct de aire à battre. ◆  Par influence de l'anglais area, le mot, au figuré, est souvent substitué à zone, par exemple dans aire culturelle, linguistique.
■  Avec le dérivé disparu AIRÉE n. f. (XIIIe s.), des locutions ont été formées ; le verbe AIRER « mettre le blé à battre sur (l'aire) » est lui aussi sorti d'usage.
Dans les contextes non agricoles, le mot est employé en sciences, notamment en géométrie pour « superficie (d'une figure) » (XIIIe s.) et en navigation, avec aire de ou du vent (1394, are de vent) « secteur limité par deux points du compas ; rhumb ». Ces acceptions sont restées en usage. ◆  En géologie, le mot acquiert la valeur de « plateforme » dans aire continentale (1900). ◆  En technique, le sens général de « surface plane dégagée » a été appliqué à l'aviation (1890), notamment dans aire d'atterrissage et dans aire de lancement (d'une fusée) [v. 1970]. ◆  Dans l'aménagement urbain et routier, on parle d'aire de jeu (1966), de stationnement (1974), d'aire de repos (en bordure d'autoroute), par influence de l'anglais area, mot qui est responsable de l'emploi pour « zone », dans aires culturelles, et probablement d'acceptions techniques en anatomie, neurologie (aires cérébrales), embryologie, physique (aires de diffusion, de ralentissement [d'un neutron]) ; tous ces emplois apparaissent au milieu du XXe siècle.
AIRIAL n. m. (noté eyral, 1455) est un emprunt à l'ancien gascon airal, d'un dérivé latin de area. Le mot, dans les Landes, en Gironde, désigne un espace libre autour d'une maison, une cour.
❏ voir ARE, ARÉOLE, HECTARE.
L 2 AIRE n. f., d'abord masculin, est issu (1086, écrit haire) du latin ager « fonds de terre ; domaine agricole » (→ agreste).
Comme l'ancien provençal agre (XIIe s.) « nid d'oiseau », le mot s'est spécialisé dès l'ancien français pour « nid de l'aigle », l'homonymie avec 1 aire l'inclinant vers l'acception « espace libre où l'aigle établit son nid ».
❏  De même qu'en provençal, le mot s'applique figurément à l'origine d'une famille (déb. XIIIe s., ere), soit par la métaphore du nid, soit parce que le latin agre désignait le patrimoine de terres d'une famille. De là en ancien et moyen français les expressions de... aire « de (telle) origine » et de bonne aire (1342), où le mot est devenu féminin. L'idée d'origine s'efface très tôt au profit de celle de « genre, espèce », par exemple dans de put [mauvais] aire (1080). Tous ces emplois figurés ont disparu du fait des homonymies (de bonne aire, de bon air, etc.) avant le français classique, le seul témoin moderne étant le composé débonnaire*.
❏  Le verbe AIRER v. intr. est la réfection (v. 1465) de l'ancien français s'aarier (v. 1200), dérivé d'une variante longue de aire.
❏ voir DÉBONNAIRE.
AIRELLE n. f. est un emprunt (1582) à l'occitan airolo (Cévennes), diminutif d'un mot simple aire, attesté en provençal aire (prononcé aïré), provenant du latin altra « la noire », de l'adjectif ater « sombre, noir », marqué d'un caractère funeste. On peut partir d'un sens originel « noirci par le feu », si l'on accepte de rapprocher l'irlandais áith « fourneau », l'arménien ayrem « je brûle », l'avestique ātarš « feu ».
❏  Le mot désigne la baie noire ou rouge comestible d'un arbrisseau (Vaccinium) et cet arbrisseau. Il est d'abord régional (Massif central, Alpes) et continue d'être en concurrence avec d'autres noms de cette baie ou de baies semblables, comme myrtille, qui paraît plus courant en français central, et au Canada, bleuet.
❏ voir ATRABILAIRE, ATROCE.
L AIS n. m. provient du latin tardif axis, du latin classique assis (et distinct de axis, qui a donné axe). Assis signifie en général « planche ». Son origine n'est pas claire (un emprunt est probable).
❏  Le mot est ancien (1160) ; il ne s'est maintenu à côté de planche que dans des contextes spéciaux (souvent suivi d'un déterminant) et dans des acceptions particulières comme « plat d'une reliure » (1395), « plateau de bois utilisé en typographie ancienne », etc. Il est courant en technique.
L + AISE n. f. est issu (XIe s., ajjse) du latin adjaceus (→ adjacent), participe présent du verbe adjacere, de ad- (→ à) et jacēre (e long) « être dans l'état de ce qui a été jeté », verbe qui correspond au grec parakeimein. Ce verbe vient de jacere « jeter », dont le fréquentatif jactare a donné jeter*. Le latin adjacens signifie « qui se trouve près » et a donné le latin médiéval in aiace (IXe s.) « dans le voisinage de », l'ancien provençal aize, d'où par emprunt l'italien agio (Cf. adagio), le portugais azo. En ancien français, coexistent la forme réduite et une forme développée, notée aaise, eese, ahaise, aiese, soutenue par de nombreux dérivés (aaisement, aiesement, aaisier, etc.).
❏  Le mot est attesté au XIe s. isolément (ajjse), puis régulièrement à partir du XIIe siècle. Les sens propres à l'ancien français sont « demeure, résidence » (ais, v. 1190), « droit d'usage » (aaises, 1258) et au figuré « occasion » (XIIe s.), en particulier dans aveir aise de « avoir la possibilité de ». Ces valeurs ont disparu aux XVe et XVIe s., mais la première, étymologique, survit longtemps dans les dialectes et patois, avec des spécialisations, pour « lieu, endroit » ; jusqu'au XVIe s. on a dit a aise pour « près de ».
La valeur psychologique du mot, qui existe pour aise, eise et pour aaise (ci-dessus), apparaît dans le premier tiers du XIIe s. (v. 1130, Eneas ; XIIIe s., pour aaise). Elle correspond, comme pour aisance (ci-dessous), à un passage de l'idée de dépendance matérielle, de lieux disponibles à côté du lieu principal (Cf. ci-dessous les valeurs métonymiques, aux XIVe-XVe s.) à celle de service, de commodité, puis de plaisir lié à la satisfaction d'un besoin, et à l'utilisation d'un espace, notamment dans a eise (1170, Chrétien de Troyes), a aise (XIIIe s.) qui signifient « bien, confortablement », puis « agréablement ». De là en moyen français à bel aise « commodément » (1490) et en français moderne à l'aise (fin XVe s.) « facilement, sans difficulté », très courant aujourd'hui dans la langue familière (à l'aise, Blaise !, pour la rime), et aussi « confortablement » dans être, se mettre à l'aise (1690). ◆  L'emploi au pluriel est très ancien (v. 1210) pour « les agréments, les commodités de la vie » (par exemple avoir, prendre ses aises). ◆  De nombreuses locutions sont formées avec à : à votre aise (XIIIe s.), être à son aise « riche » (XIIIe s.), mal à son belaise « indisposé » (1549), « pauvre » (1658), puis être mal à l'aise (XIXe s. : 1860 Goncourt) ; en parler à son aise « sans être concerné » (v. 1550), mettre qqn à son aise (1762). ◆  D'aise (XIIIe s.) et en aise (en grant haaise, XIIIe s.) ont disparu, et l'emploi libre au singulier (l'aise, une aise) est archaïque et littéraire.
■  Aux XIVe-XVe s., le mot a eu des emplois métonymiques concrets, pour « récipient, vase » (depuis 1372), « vaisselle », « outils » (v. 1476), qui ont disparu au XVIe s., sauf dans les dialectes.
L'emploi adjectif, conservé dans être bien aise, pourrait provenir (XIIe s.) de être a aise. Le sens premier semble être (1164) « heureux, content » ; être aise (que) est devenu archaïque. Être bien aise (fin XVe s.), devenu rare sans complément, est resté dans l'usage dans être bien aise de, que..., donnant un composé régional bénaise (avec de nombreuses variantes) et un substantif bien-aise, n. m. (1756), qui a vieilli.
❏  Aise, en ancien français, a de nombreux dérivés usuels, dont plusieurs ont à peu près disparu.
■  AISEMENT n. m. (v. 1160, aissement) signifiait à la fois « commodité » et concrètement « terrain bâti, dépendance » (1231), « cabinet d'aisance » (1389 ; d'abord faire ses aissemans « satisfaire ses besoins naturels », 1264) ; Cf. ci-dessous aisance. Le mot s'est employé en droit pour « libre disposition, jouissance ». ◆  Comme aise, il a pris des valeurs métonymiques, « objet utile », « instrument » (1229), « meubles » (aisemens d'ostel, 1231), « récipient » (1443). L'aire d'emploi du mot, usuel jusqu'au XVIe s., est surtout le nord et l'est de la France.
Le verbe AISER v. tr., d'abord eisier (v. 1180) à côté de aaisier, contemporain, est lui aussi usuel en ancien français, pour « aider », puis (1263) « bien traiter » et « mettre à l'aise », « rendre content ». Le pronominal s'aisier « se reposer » (XIIIe s., « se restaurer ») est usuel aux mêmes époques (jusqu'aux XVe-XVIe s.).
■  Ce verbe disparu a donné un adjectif conservé en français moderne, le participe passé AISÉ, ÉE adj. (v. 1150), aussi aisié (XIIIe s.) parallèlement à aaisié, aeiser (fin XIIe s.). Aisé de ou à a signifié activement « qui est en mesure de » et « qui aime à » (XIIe-XVIe s.). ◆  Ce sens a disparu et l'adjectif s'applique, depuis le XIIe s. mais surtout à partir du XVe s., à ce qui se fait facilement par exemple dans il est aisé de (dès 1283). L'adjectif s'est employé absolument pour « agréable » (fin XIIe s.), « agile, vif » (de l'esprit, 1559), pour « dégagé » (1670), « libre », du ton et du style (mil. XVIIe s.). ◆  Une valeur spéciale, appliquée aux humains, est « qui a du bien » (fin XVe s.), en rapport avec à l'aise et avec aisance ; mais on ne dit plus les aisés (1654) dans ce sens.
■  Aisé a pour dérivé AISÉMENT adv. (fin XIIe s., aisiement) « commodément », puis « facilement » (v. 1300). L'adverbe a pris sa graphie actuelle au XVIe s. (1564) et ne s'utilise qu'aux sens psychologiques d'aisé.
Aise a servi à former deux composés négatifs. MÉSAISE n. m. (v. 1130), « souffrance, inconfort » et aussi (1538) « gêne pécuniaire », est sorti d'usage, comme désaise (XIIIe-XVIe s.) ; ces mots avaient des dérivés, verbes et participes adjectifs.
■  MALAISE n. m. (1137) désigne l'état contraire à l'« aise », souvent en construction adverbiale, a malaise, a grand malaise (v. 1220). Le mot, surtout féminin en ancien français, désigne aussi une difficulté (1190), sens disparu, comme celui d'« état de gêne matérielle » (déb. XIVe s.). ◆  Depuis le XVIe s. tardif (1587, Malherbe), il désigne une sensation pénible, tant morale que physique, puis (déb. XIXe s.) un trouble de la santé et, au figuré (1810), un trouble dans la société, l'opinion, spécialement (1873) une crise larvée.
■  Malaise a eu plusieurs dérivés disparus (malaisance n. f., malaisieu ou malaiseux adj., malaiser v. « mettre dans une mauvaise situation »).
■  MALAISÉ, ÉE adj. est formé (1re moitié XIIIe s.) de mal et de aisé, aisié, parallèlement à malaise. Il signifie « désagréable, incommode » et « difficile » (v. 1260), d'où malaisé à (1530) puis de (et l'infinitif) [XVIIe s.]. Il s'est dit des personnes malades (1398, malaissé) et dépourvues d'argent (1552), acceptions sorties d'usage. ◆  L'adjectif a servi à former l'adverbe MALAISÉMENT (v. 1350, malaisiement) « difficilement, avec peine », dont l'orthographe actuelle date du XVIe s. (1538).
AISANCE n. f. est issu (1284) du latin adjacentia « les environs, les entours », participe présent (adjacens) au neutre pluriel, substantivé, de adjacere (ci-dessus). Le mot latin (Ier s., Pline), devenu féminin singulier, a pris en bas latin (Ve s.) le sens de « bonne disposition », par une évolution antérieure et analogue à celles qu'ont subies en français aise et aisé (ci-dessus).
■  Le mot signifie d'abord, comme le faisait aise, aises en ancien français, « dépendances (d'une maison) » puis « accès », « place libre autour d'un bâtiment » (1524), valeur conservée jusqu'au XIXe s. dans des applications spéciales (chemin d'aisance, 1768). ◆  De ce sens, disparu comme ceux de « biens communaux », « droit d'usage » (XIIIe s.), subsiste seulement cabinet d'aisances (1771), lieu d'aisance (1783), aujourd'hui au pluriel lieux d'aisances, dans un sens qui a aussi existé pour aise et aisement (Cf. ci-dessus).
■  Les valeurs actuelles d'aisance sont figurées ; elles viennent du latin par des emplois anciens, comme « libre disposition (d'une chose) » (aiesance, XIIIe s.), « soulagement » (1342), « commodité » (1538) et correspondent soit à « état de fortune suffisant » (1472), en rapport avec aisé, soit à « facilité d'action, morale et physique » (1538). ◆  Le sens concret, « libre jeu des pièces d'un assemblage » (1690), a vieilli ; on dit jeu.
❏ voir ADAGIO, AGIO, JACENT.