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En ancien français, le mot, en concurrence avec
amitié*, exprime toutes les nuances fortes de l'affection, de celle qui est portée à Dieu (
Xe s.), héritage du latin chrétien
amor Dei (
pro Deo amur, Serments de Strasbourg) et aux êtres humains. Il a le sens d'« amitié », du
XIIe (1139) jusqu'au
XVe s., mais s'applique en particulier, sous l'influence de l'occitan, à la passion sentimentale à composante érotique et hétérosexuelle (bien différente cependant de l'
eros grec, surtout homosexuel, et de l'
amor latin), et ceci depuis le
XIIe s. (Chrétien de Troyes). Cette valeur est appelée à dominer les emplois du mot, en relation avec l'évolution inverse d'
amitié* vers des liens plus sociaux.
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Un, des amours désigne la passion et les relations amoureuses d'une personne (v. 1150).
Cependant, l'amour médiéval entre homme et femme est à la fois sexualisé et idéalisé, en tant que sentiment central de l'univers courtois*. L'hésitation entre valeurs érotiques et valeurs idéales marque d'ailleurs le mot, dans ce contexte, tout au long de son histoire, avec une dominante différente selon les époques, les milieux et les rhétoriques. En outre, la valeur non érotique, où
amitié va éliminer
amour, est normalement exprimée par ce dernier mot jusqu'au
XVe s.,
une amour correspondant par métonymie à « acte d'amitié » (1250-1280) ; jusqu'au
XVIIe s.
amour vaut aussi pour « attachement à une chose », sans l'aspect aujourd'hui stylistique de cet emploi, qui correspond aux extensions du verbe
aimer ; ces emplois se développent au
XVIIe s.
(faire qqch. avec amour).
◆
Mais l'importance de l'amour érotique et courtois au moyen âge se marque déjà par les métonymies,
amour désignant (fin
XIIe s.) la personne aimée, d'abord au féminin, genre encore usuel et ici renforcé par le fait qu'il s'agit le plus souvent (dans un discours en majorité masculin) d'une femme « objet » du sentiment courtois ; puis au masculin, d'où assez tardivement (1671) l'appellatif
mon amour.
◆
Une autre métonymie, où
les amours s'applique à un pays, une chose qu'on aime, est attestée depuis le
XVIIe siècle. On peut y rattacher, plutôt qu'au nom du dieu de l'amour (ci-dessous), l'expression familière
un amour de (
enfant, chapeau, etc.), attestée au
XIXe s. (Balzac), et
c'est un amour, d'où l'adjectivation populaire
il est amour.
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Si amour employé seul évoque surtout en français moderne le sentiment humain passionnel, le premier emploi du mot (pro Deo amur) s'est maintenu dans pour l'amour de Dieu (pour amur Deu, XIe s. ; pour amor Dieu, 1271 ; pour l'amour de Dieu, XVe s.) et simplement l'amour de Dieu, « porté à Dieu », aussi en parlant de la bienveillance divine pour les créatures (Dieu est amour, etc.).
L'hésitation entre valeurs courtoises et valeurs érotiques explicites est aussi marquée dans la phraséologie, avec les locutions
par amour (1080) « amicalement », puis « de grâce » (
XIIIe s.),
d'amour (
d'amors, XIIe s.),
pour (l')amour (de) [
XIe s.] affaibli en ancien français jusqu'à signifier « parce que » (
XIIIe s.) et « afin que » (v. 1300).
◆
Témoin de la même ambiguïté, l'expression
faire l'amour (à qqn), qui, après l'ancien provençal
far amor (ad alcun) [
XIIIe s.], signifie « courtiser », sens encore normal dans l'usage classique (
XVIIe-
XVIIIe s.), mais concurrencé par la valeur érotique physique « accomplir l'acte sexuel (avec qqn) », emploi attesté depuis 1622 mais qui ne l'emporte nettement qu'au
XIXe siècle.
◆
En revanche,
femme d'amour (1591),
maison d'amour (déb.
XVIIe s.), puis
fille d'amour (déb.
XIXe s., Béranger), oubliés ou vieillis (pour le dernier), font exclusivement allusion à l'
amour physique, expression poissarde (Collé) répandue pour lever les ambiguïtés.
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Amour socratique (mil.
XVIIIe s., Rousseau) désigne l'homosexualité masculine ; le mot
amour, avec la levée des interdits, s'applique au
XXe s. sans réticence aux relations homosexuelles.
◆
On peut rattacher à ce sémantisme l'expression
(être) en amour, qui provient en fait d'un autre mot signifiant « humeur, sève » (d'où « en rut ») ;
Cf. 2 amour ci-dessous.
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En français du Canada,
tomber en amour, calque de l'anglais
to fall in love, est usuel et familier. On dit de même
être en amour.
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Quant à l'expression amour courtois, elle reprend le sens de l'ancien provençal fin amor (XIIe s.), mais semble récente et vient des historiens du moyen âge et de sa littérature (1883, Gaston Paris).
Cependant, certaines valeurs affaiblies et plus abstraites se maintiennent et se développent en relation avec aimer, dont amour est senti comme la substantivation. Des emplois figurés apparaissent à partir du XVIe s., formés avec d'amour : pomme d'amour(s) désigne l'aubergine (1535, jusqu'au XVIIIe s.) et aussi la tomate (1557), puis une plante solanée, la cerisette (1752), enfin une confiserie (pomme caramélisée) ; poire d'amour (1721), arbre d'amour (1796) sont entièrement sortis d'usage, tandis que puits d'amour s'applique en français contemporain à une pâtisserie. Un gâteau à la noix de coco, à la Martinique, est appelé amour caché, et à la Guadeloupe tourment d'amour.
◆
En français de Suisse, une formule de santé, en buvant, est à vous les amours !, les amours se disant des dernières gouttes d'une bouteille.
C'est aussi à la Renaissance qu'apparaît l'expression propre amour de soy mesmes (fin XVe s.), d'où amour de soi (1521), lexicalisée avec changement de sens en AMOUR-PROPRE n. m. « égoïsme, attachement à ses intérêts » (1521), puis « tendance à la fierté » (v. 1640) et, spécialement, « opinion trop avantageuse de soi-même » (1665), sens vieilli. L'expression correspond aujourd'hui à « sentiment de sa valeur, de son honneur ».
Un autre emploi du latin Amor, correspondant au grec Erôs, concerne le dieu de l'Amour ; il est passé en français (XIe s.), surtout par l'influence d'Ovide, au cas sujet (Amors, Amours) devenu Amour (forme du cas régime) au XVIe siècle. Le mot s'applique (1508) à la représentation du dieu (aussi nommé Cupidon) en peinture, selon une iconographie fixe (enfant joufflu, nu, muni d'un carquois, d'un arc et de flèches).
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Par extension, un amour désigne une personne (enfant, femme) ou une chose charmante (XVIIe s., Malherbe) et le mot s'emploie dans beau comme l'Amour (1740).
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Les dérivés français de
amour sont peu nombreux.
Amurer (
XIIIe s.) puis
AMOURER v. tr. (
XIVe s.), pour « devenir amoureux », a disparu au
XVIe s. de l'usage normal, étant parfois repris (1784, Mercier ; 1801, les Goncourt, en tant que mot d'enfant) comme variante marquée de
aimer.
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Le diminutif 1 AMOURETTE n. f. (XIIIe s.), d'abord amorete (XIIe s.), se dit d'un amour sans passion, mais a d'abord constitué un diminutif affectif, au sens fort du mot amour ; de là le sens métonymique de « femme aimée ».
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Les emplois figurés ont disparu, sauf « testicule (des animaux comestibles, mammifères, coqs, etc.) » (1836) et, pour des raisons moins évidentes (probablement « partie délicate »), amourettes, qui désigne aussi la moelle épinière (de bœuf, veau ou mouton) (1771), à moins que ces valeurs ne relèvent de l'homonyme 2 amour (ci-dessous). Aux Antilles françaises, en Guyane, le mot désigne plusieurs arbres locaux, dont le bois (bois d'amourette) est utilisé en ébénisterie.
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Parmi les formations préfixées,
DÉSAMOUR n. m. (
XIIIe s.) s'est employé jusqu'au début du
XVIIe et a été repris au
XIXe s. (« néologisme » dans
Le Complément de l'Académie, 1838) au sens de « refroidissement de l'affection ».
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Contre-amour n. m. (1718) et
non-amour n. m. (1551) sont très rares (
contramour était employé, au
XVIe s., pour « amour réciproque »).
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ENAMOURER v. tr. « rendre amoureux » (v. 1180) et aussi « aimer (qqn) » (v. 1300) est encore en usage au pronominal (XIIIe s.), aussi pour « se passionner pour (qqch.) » (1571), avec la nuance de « s'attacher de manière excessive ou ridicule », mais est moins usité en français moderne que ENAMOURÉ, ÉE adj., d'abord « amoureux » (XIIIe s.), archaïque au XVIIe s., puis abandonné, et repris (1879) avec la valeur spéciale du verbe.
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Avec le pronom possessif
mon, élidé comme dans
m'amie, amour a donné l'appellatif affectueux
m'amour (
XVe s.), d'où le substantif
MAMOUR n. m. (1669), repris en français moderne sous la forme
faire des mamours (mil.
XIXe s., E. Sue) « des caresses, des démonstrations affectueuses ».
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De là
MAMOURER v. tr. « faire des mamours (en parole) à (qqn) » (1879, Huysmans), repris au sens érotique de « faire l'amour » par J. Lanzmann (1981).
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1 AMOUREUX, EUSE adj., aujourd'hui senti comme un dérivé de
amour, est issu d'un dérivé latin tardif
amorosus, comme l'italien, l'espagnol et le portugais
amoroso.
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La forme ancienne
amareus (1206) a été refaite d'après
amor (
amoreus, XIIe s. ;
amorous, v. 1200), puis d'après
amour (v. 1430) en
amoureux. L'adjectif signifie en ancien français « enclin à l'amour » et, objectivement, « qui inspire l'amour, au sens large », c'est-à-dire « charmant, aimable, attachant » et « aimé (de qqn) » (v. 1212), valeur commune à l'ancien français et à l'ancien provençal, qui sera éliminée par le sens subjectif du mot vers le
XVe siècle.
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Par extension, dès le XIIe s., l'adjectif s'applique aussi à ce qui concerne, puis (XIIIe s.) à ce qui exprime, dénote l'amour et à ce qui rend amoureux. Ces valeurs restent dans l'usage moderne, alors que celles qui correspondent au sens ancien de amour, « attachement, amitié », ont disparu (amoureux s'est dit pour « bienveillant », XIIIe-XVe s. ; « amical, cordial », XIVe-XVe s.). Mais on relève encore au XVIIIe s. le mot au sens d'« ami » (d'un capitaine à ses matelots, comme appellatif, 1721).
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Substantivé au féminin, amoureuse signifiant « maîtresse, concubine » (1530), le mot fonctionnait comme nom au masculin depuis le XIIe s. (amerus, amorous au XIIIe s. ; un amoureux, av. 1285). Cet emploi est jugé rural et archaïque à la fin du XVIe s. (Mlle de Gournay), le mot étant remplacé par amant*. Cependant, à l'époque classique (depuis Corneille), une distinction s'opère entre l'amant, qui aime et est aimé et l'amoureux, qui ne l'est pas. Puis le mot reprend une valeur plus générale, mais implique surtout le sentiment subjectif, par exemple dans amoureux transi (1616 [transif au XVIe s.], aussi adjectif) et il s'oppose à amant dans la mesure où ce dernier implique en français moderne des relations sexuelles. L'emploi adjectif reste très vivant, tant en parlant des personnes, aussi dans des syntagmes comme amoureux fou (XVIIIe s.).
■
L'adjectif a pour dérivé AMOUREUSEMENT adv. (XIIIe s.), qui s'est employé en ancien et moyen français (XIIIe-XVIIe s.) pour « amicalement, affectueusement » et se dit encore, hors du contexte de la passion pour « avec soin et plaisir » (faire qqch. amoureusement).
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En français d'Acadie, les amoureux se dit des capitules de la bardane, qui s'accrochent aux vêtements.
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Les autres dérivés (amoureuseté n. f., sous des formes variées, amoureuser v., etc.) ont disparu.
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C'est à l'italien
amoraccio, dérivé péjoratif de
amore « amour », par le verbe
amoracciarsi, que le français doit (1530)
amourescher, puis
S'AMOURACHER (1531, in
F. e. w.) ; on trouvait déjà au
XVe s.
amouracherie (1414) dans la première traduction française de Boccace. La forme
amorazzo avait fourni
amourasser « courtiser » (1396).
S'amouracher, s'amouracher de qqn (1804), puis
de qqch. sont et restent péjoratifs, impliquant un attachement injustifié, excessif, passager.
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Il en va de même pour
amouraché, ée, p. p. (1845),
amourachement n. m. (1531),
désamouracher v. tr. (1596), mots disparus.
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Un autre italianisme, musical, est AMOROSO adv. « avec langueur, émotion » (1768, Rousseau à propos de tendrement ; répandu au XIXe s.).
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Enfin,
2 AMOURETTE n. f., « plante des champs », vient (1531) d'une confusion populaire, due aux vertus et à la symbolique des plantes, entre
amour et
amarouste, d'un latin populaire altérant
amalusta, nom de la camomille.
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2 AMOUR ou
AMEUR n. m., dans une série d'emplois impliquant l'idée de sève, de saveur, d'humidité, est issu d'un latin populaire
°amor, croisement de
umor (
humor → humeur) et de
amor (→ 1 amour), et source de nombreuses formes romanes (notamment italien régional), où le sémantisme passe de « liquide » en général à « suc, sève, saveur » et, par l'idée de « sève », à « développement » et, avec un évident rattachement à
amour, « ardeur sexuelle ».
◆
Tous les emplois sont archaïques ou techniques.
En amour s'est dit de la terre fertile (v. 1200), d'où régionalement
avoir, ne pas avoir d'amour (1805). Le mot s'emploie aussi (1863) pour désigner la bonne maniabilité du plâtre.
◆
En ameur (mil.
XVe s.) et
en amour (1492) « en rut, en chaleur (des animaux) » est évidemment compris comme une spécialisation de
amour, « passion érotique ».
◆
Ameur, « suc, jus (d'une plante) », mot wallon, ne se dit plus depuis le
XIXe siècle.
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Un dérivé
°amorosus, de
umorosus « humide », doit être à l'origine de
2 AMOUREUX, EUSE « onctueux, humide », puis en technique agricole dans
terre amoureuse (1805) « bien ameublie, rendue fertile », mot régional encore vivant dans le centre de la France, disparu des dictionnaires généraux après 1928 (Larousse).