ANSE n. f. est un emprunt (v. 1220) au latin ansa « poignée » (alors que l'espagnol asa est une forme évoluée), mot venu du Nord, comme l'attestent les langues baltes et germaniques, avec le sens initial probable de « prise située sur le côté ».
❏
En français,
anse désigne diverses poignées, notamment celle d'un panier, d'où
l'anse du panier (1622) puis
faire danser, sauter l'anse du panier « majorer les prix en achetant des denrées » (1798).
◆
Par analogie de forme,
en anse de panier se dit d'un arc surbaissé (1561 ; déjà
à la forme d'une anse..., 1534 Rabelais).
◆
Le mot a eu divers emplois techniques, par analogie de fonction : il se dit d'une corde nouée (1564), d'un anneau de métal (1660). Par analogie de forme, il désigne une partie d'organe en anse (1805, Cuvier).
◆
Au sens initial, le mot donne lieu à l'expression familière
faire le pot à deux anses (1552) « mettre les bras en anses en posant les mains sur les hanches », sortie d'usage, puis (1842) « donner le bras à deux personnes », aussi dans
panier à deux anses (1861).
Une analogie ancienne a produit un sens autonome, anse désignant alors (1484) une petite baie s'enfonçant assez peu dans les terres (à la différence de la crique), emploi fréquent en toponymie.
❏
Les dérivés, assez nombreux, sont archaïques ou rares.
■
ANSIÈRE n. f., qui vient du sens maritime, a désigné (1771) un filet tendu dans une petite baie.
■
ANSETTE n. f., du sens général de anse, désigne des instruments que l'on passe dans les anses (un crochet, 1435) et une petite anse (1524).
■
ANSERON n. m. (1556) a rapidement disparu.
■
ANSÉ, ÉE adj., encore connu dans croix ansée (1838) « suspendue à une anse », s'emploie depuis le moyen français pour « muni d'une anse ».
■
ANSER v. tr. se dit pour « garnir d'une anse » (1751).
ANSÉRINE adj. et n. f. est emprunté (1534 comme adjectif) au latin anserinus, de anser « oie ». Ce mot rural appartient à une racine indoeuropéenne °ghans-, élargie à l'aide du suffixe -er. Il est apparenté au grec khên, à l'ancien haut allemand gans, au vieux slave gǫsĭ (russe gous').
❏
Comme nom de plantes, « chénopode blanc » (1791), le mot est probablement la francisation du latin moderne pes anserinus (Bauhin, 1671), latinisation de pied d'oie (1611), désignation populaire internationale (allemand Gänsefuss, XVIe s.) évoquant la forme de la feuille.
❏
Parmi les dérivés savants du latin
anser, ANSÉRIDÉS n. f. pl. est le nom d'une famille de palmipèdes dont l'oie est le type (1898), succédant à
ansérides n. m. pl. (1834) et à
ansérinées n. f. pl. (déb.
XIXe s., Cuvier), sorti d'usage.
◈
ANSÉRIFORME adj. est composé savamment du latin
anser et de
-forme, pour qualifier ce qui évoque l'oie (attesté 1907, dans les dictionnaires généraux).
◆
ANSÉRIFORMES est le nom de l'ordre d'oiseaux auquel appartient l'oie (syn.
Anatidés).
ANTAGONISTE adj. et n. apparaît comme adjectif (1575) pour désigner un muscle en opposition fonctionnelle avec un autre ; c'est un hellénisme médical, le grec antagônistês signifiant « qui lutte (agônistês) contre (ant- ; → anti-) » ; il appartient à la famille de agônia « lutte » (→ agonie).
❏
Le mot français a pris dès le XVIe s. la valeur générale d'« opposé, rival » et est devenu substantif au début du XVIIe siècle.
❏
ANTAGONISME n. m. est quasi contemporain (1593), mais semble rare avant le
XVIIIe s. (1751 en anatomie) ; il a été précédé par
antagonie « lutte », les deux formes provenant du grec
antagônisma, de même formation que l'adjectif.
◆
De l'anatomie,
antagonisme est passé à l'usage courant (« état d'opposition ; hostilité », 1826) et à d'autres terminologies : médecine à propos de deux maladies opposées (1855), chimie, bactériologie.
■
Un nouvel adjectif, ANTAGONIQUE, apparaît en 1861 (Proudhon), éliminant le dérivé antagonistique adj. (1842, Balzac).
❏ voir
PROTAGONISTE.
L
ANTAN adv. est issu (1050) du latin tardif anteannum « l'an dernier », composé de ante « avant » (→ anté-) et de annum (→ an).
❏
Le mot signifie strictement « l'année passée » : c'est l'emploi qu'en fait Villon dans la célèbre Ballade des dames du tems jadis (...mais où sont les neiges d'antan), mais la valeur plus large, « autrefois », est fort ancienne. Les expressions dès antan (XIIIe s.) « depuis longtemps », disparue, et surtout d'antan (XIIe s.) ont vécu plus longtemps que l'emploi comme adverbe, disparu au début du XVIIe siècle.
◆
Mais les emplois modernes, littéraires, se bornent à d'antan, notamment par allusion à Villon.
ANTÉ-, du latin ante « avant », sert, comme pré-, à former des composés et indique l'antériorité ; exemples : antédiluvien, ienne adj. (→ diluvien), antéposer (→ poser), antéposition n. f. (→ position). Voir aussi anti- dans antidater (→ date). Le latin ante répond au grec anti (→ anti-) et au sanskrit ánti-.
ANTÉCÉDENT, ENTE adj. est emprunté (1314) au latin antecedens, participe présent de antecedere, de ante (→ anté-) et de cedere « aller » (→ céder). → aussi ancêtre.
❏
L'adjectif qualifie « ce qui va avant », dans le temps ou logiquement, avec plusieurs spécialisations, comme le substantif masculin, surtout pluriel (1370, Oresme), les antécédents « faits du passé », employé en mathématiques (1691, Ozanam), en droit (1789), en médecine (XIXe s., longtemps après l'emploi de l'adjectif dans cause antécédente).
◆
D'autres spécialisations sont plus didactiques, en grammaire (1694, exemple : l'antécédent d'un pronom), en musique (1835) et en logique.
❏
Il en va de même pour
ANTÉCÉDENCE n. f. (1756).
■
ANTÉCÉDER v. tr. (1195) est sorti d'usage au XVIIe s., à part une reprise littéraire chez Huysmans (1901).
ANTÉFIXE n. f. est un emprunt didactique d'architecture (1832) au latin antefixa, pluriel substantivé de l'adjectif antefixus « fixé devant », de ante (→ anté-) et de fixus (→ fixer).
❏
Le mot désigne, en architecture antique romaine, un ornement placé aux extrémités d'un toit.
ANTENNE n. f., d'abord écrit antaine (v. 1200), est un terme de marine emprunté au latin tardif antenna, altération phonétique (et graphique) de antemna. Le mot latin désignait à l'origine la vergue portant toute voile, y compris la voile carrée des grands vaisseaux ; c'est probablement un mot d'emprunt, dont on ne connaît pas l'origine. La décadence de la navigation après la chute de l'Empire romain réduisant la taille des navires — on ne pratique plus en Méditerranée que la navigation côtière et la pêche, et les mers sont dangereuses, depuis les grandes invasions (Vandales, Goths) —, antemna et antenna, au moyen âge (VIIe-VIIIe s.), ne désignent plus que la vergue formée de deux pièces de bois (sapin) liées, soutenant la voile triangulaire dite latine des petites embarcations. Le mot est passé en italien, catalan, portugais, occitan (antena en latin d'Occitanie, 1248). Le mot français est probablement passé par l'ancien provençal antena ou par l'italien ; il a de nombreuses variantes (antaine, antene, enthene...) jusqu'au XVIe s. où la forme antenne, apparue au XIIIe s. (1246), l'emporte.
❏
Le mot reste usuel comme terme de marine jusqu'au
XIXe s., époque où le recul de la navigation à voile, qui rend possible la diffusion des autres sens, le rend légèrement archaïque. La réapparition d'un vocabulaire du voilier, par la plaisance, au
XXe s., n'affectera pas cette situation : l'antenne de la voile latine reste un objet lié à des embarcations anciennes ou exotiques.
◆
Les sens analogiques de cette acception sont rares et vieillis : « rang de barriques arrimées transversalement » (1783), « pièce de bois ou de métal comparée à une antenne de voile » (
XXe s. ; chez Gide, 1927).
■
Cependant Théodore Gaza, dans sa traduction latine d'Aristote, Historia animalium, ayant appliqué le mot antenna aux insectes, au lieu de cornua, pour traduire ker aioi, cette image passe dans plusieurs langues, fournissant un sens nouveau au français (1712) : « appendice allongé et fin sur la tête des insectes » (on disait corne). Lamarck étend cette désignation aux crustacés (1818), le concept devenant « appendice sensoriel de la tête des arthropodes ». De là plusieurs dérivés (ci-dessous) et des extensions non scientifiques pour désigner les barbillons des poissons (fin XVIIIe s., Bernardin).
◆
Une série de sens analogiques, où l'idée d'extrémité fine se joint à celle de moyen d'information (voir ci-dessous), ont dû procéder de métaphores portant sur les antennes des arthropodes : avoir des antennes correspondant à « avoir de l'intuition, sentir à l'avance ». Ces métaphores ou comparaisons, attestées au début du XXe s., semblent avoir précédé les emplois concrets.
■
Mais il existe une exception. À la fin du XIXe s., le mot s'applique à la télégraphie sans fil, probablement du fait de Marconi (1898, pour le télégraphe sans fil installé par lui entre Wimereux et la côte anglaise, et peut-être avant ; in Grande Encyclopédie, v. 1900). La métaphore peut impliquer l'antenne de l'insecte, mais aussi le sens maritime (le mât d'antenne évoque l'antenne de la voile). Le mot désigne d'abord le long fil vertical fixé à un mât de bois et servant tant à l'émission qu'à la réception de l'onde électromagnétique, puis tout dispositif ayant cette fonction (antenne télégraphique, de T. S. F., puis antenne de radio, de télévision). Dès 1914 (Larousse mensuel), on parle d'antenne réceptrice, dirigée, en nappes, multiples.
◆
De là, le mot désigne l'émetteur de radio, puis de télévision, d'où les syntagmes (être, passer) à l'antenne, sur l'antenne ; garder, rendre l'antenne ; temps d'antenne « d'émission », répandus vers 1960. Les formes nouvelles d'antennes (en râteau, parabolique, etc.) ont détaché cette acception de son origine.
◆
En outre, l'antenne de radio est très probablement l'origine d'autres métaphores concrètes (antennes d'une mine [1928], d'un flotteur de pêche, etc.).
■
Par ailleurs, le sens de « poste avancé » ou « chemin y conduisant », par exemple antenne de pénétration d'un chemin de fer (1905, Lyautey), qui procède à la fois de l'idée concrète et abstraite, semble s'être diffusé dans le contexte militaire (antenne chirurgicale), puis civil (raccordement à antenne, en chemin de fer, in Larousse, 1928).
❏
Les dérivés et composés viennent du sens zoologique (ou botanique).
■
ANTENNAIRE adj. (1834) a été précédé par l'emploi comme nom pluriel pour un genre de poissons (1822) et un genre de plantes composées (1822).
■
ANTENNÉ, ÉE adj. « muni d'antennes » (1818, Lamarck), a éliminé ANTENNISTE adj. (1803), alors que ANTENNIFÈRE adj. (1818) s'emploie encore.
■
ANTENNULE n. f. (1762) « petite antenne » a disparu, le mot s'appliquant (1893) à ce qu'on nommait antenne interne chez les crustacés (opposé à antennes vraies).
ANTÉRIEUR, EURE adj. est un emprunt (1488) au latin tardif anterior, dérivé de ante « en face de... » et « avant » (→ anté), qui a donné aussi anticus, antiquus (→ antique), forme indoeuropéenne (Cf. sanskrit ánti). Anterior, employé dans la langue d'Église, y remplace le latin classique prior et s'oppose à posterior (→ postérieur).
❏
L'adjectif français est d'abord spatial et logique ; le sens temporel est un peu plus tardif (1531) ; ce sens s'est spécialisé en grammaire (futur antérieur, 1787). La valeur spatiale a donné lieu à des emplois scientifiques, en anatomie (1751), d'où l'antérieur n. m. (1805) pour muscle antérieur, et en phonétique dans voyelle antérieure, articulée à l'avant du palais (1902, Rousselot).
❏
Le dérivé
ANTÉRIEUREMENT adv. (1611) est plus courant au sens temporel que spatial.
■
ANTÉRIORITÉ n. f. est formé sur le latin (1553, Rabelais) au sens spatial, mais s'emploie surtout temporellement pour « priorité, primauté », en droit (1829).
◈
Un élément
ANTÉRO-, formé sur
antérieur ou sur le latin médiéval
anterus, est parfois opposé à
rétro- (
ANTÉROGRADE adj., 1892) ; il s'emploie en anatomie, au sens spatial de
antérieur.
ANTH(O)-, élément tiré du grec anthos « fleur », est peut-être apparenté au sanskrit ándhas- « herbe, plante », et sert à former de nombreux mots composés didactiques, en botanique, zoologie, chimie biologique... ; il en va de même pour l'élément final -ANTHE. Certains dérivés et composés grecs sont passés en français, parfois par l'intermédiaire du latin savant. Le grec anthos a peut-être d'abord désigné la pousse végétale, ce qui pourrait le rapprocher du verbe défectif signifiant « jaillir », anênothe, forme unique (3e pers. du singulier du parfait).
❏
Le seul mot appartenant à un usage relativement courant est
ANTHOLOGIE n. f., emprunté au grec
anthologia, proprement « collection de fleurs » et au figuré « recueil de textes choisis ». La même métaphore a produit le latinisme
florilège. Anthologie est un hellénisme de la Renaissance (1574), avec une valeur figurée rare (mil.
XIXe s., Proudhon).
◆
Le mot a été repris (1755) au sens étymologique, « herbier de fleurs » ; Chateaubriand l'emploie.
■
Le dérivé ANTHOLOGIQUE adj. (1832) ne possède que la valeur figurée et littéraire.
■
ANTHOLOGISTE n. (1892, A. France) semble avoir remplacé anthologue n. m. (1832), précédé par antologe n. m. (1801, Mercier), homonyme maladroit d'un mot de rituel grec (1704), « recueil de prières », emprunté au grec tardif anthologion.
◈
ANTHÉMIS n. f. est emprunté (1549
in Arveiller) au latin
anthemis, hellénisme pris au grec tardif
anthemis, -idos, pour désigner la camomille.
◈
ANTHÈRE n. m. est pris au latin
anthera (Celse), emprunt au grec
anthêros « fleuri », dérivé de
anthos. Le mot (
anthera, 1501) désigne d'abord un médicament composé d'étamines de rose et d'autres ingrédients ; ce sens, sous les formes
anthere et
antheras, disparaît au
XVIIIe siècle.
◆
Anthère est repris (1787, Schwan) pour désigner ce que l'on appelait
sommet, la partie terminale des étamines.
◆
De ce sens moderne procèdent
ANTHÉRAL, ALE, AUX adj. (1834),
ANTHÉROGÈNE adj. (De Candolle),
ANTHÉRIDIE n. f. « organe mâle des cryptogames » (av. 1840, Bischoff ; on disait
anthère),
ANTHÉROZOÏDE n. m. (1872), qui remplace
animalcule spermatique, et d'autres dérivés et composés.
■
ANTHÈSE n. f., emprunt (1801) au dérivé grec anthêsis « floraison », désigne en botanique l'épanouissement de la fleur.
◈
Le grec
anthos, « fleur », a servi à former des mots savants, suffixés comme
dianthe, polyanthe, monanthe, ananthe (1838), et surtout préfixés en
antho-.
■
ANTHOCÉROS n. m. (1729), puis ANTHOCÈRE n. m. (1803), du grec keras « corne », désigne une algue dont les organes femelles ont la forme d'une corne.
■
ANTHOPHAGE adj. (1803), de -phage, se dit d'un coléoptère qui mange les fleurs.
■
ANTHOZOAIRES n. m. pl. (1838), de zô̩on (→ zoo), désigne des polypiers dont les sommets ressemblent à des fleurs.
❏ voir
CHRYSANTHÈME, HÉLIANTHE, PÉRIANTHE.
ANTHRAC(O)- vient du grec anthrax, -akos « charbon », d'origine obscure ; on ne peut rapprocher le terme que de l'arménien ant-᾿el « charbon ardent », ce qui est sans doute le sens premier du mot grec.
❏
L'élément a gardé sa valeur initiale dans des termes de minéralogie et de chimie, mais a transmis en biologie le sens dérivé de « maladie de la vigne », dite aussi en français charbon.
❏
ANTHRACITE n. m., formé au
XVIe s. (1549) pour désigner une pierre précieuse rouge (comme un charbon ardent), a été repris de manière indépendante au
XVIIIe s. (1771) pour nommer une variété de charbon pur, utilisé pour le chauffage domestique, ce qui a rendu au
XIXe s. le mot usuel, au moins jusqu'au recul du chauffage au charbon.
◆
De là son emploi dans
gris anthracite, « très foncé », et comme adjectif de couleur (mil.
XXe s.), par exemple dans
un complet anthracite.
◈
ANTHRAX n. m., terme de médecine, vient (v. 1240,
antrax) du latin médical
anthrax, du mot grec, pour désigner un syndrome à pustules noirâtres, attribué à un microorganisme, et appelé aussi
charbon.
◆
Le mot désigne aussi par confusion une tumeur inflammatoire causée par un autre microorganisme, le staphylocoque doré ; cette dernière étant appelée erronément
anthrax (
antrac en 1495 ; aussi
andrac, anthrax par réfection savante, 1502).
◈
ANTHRACOSE n. f., emprunt au dérivé grec tardif
anthrakôsis « ulcère, tumeur », a désigné un ulcère de l'œil (1721 ; jusqu'au mil. du
XIXe s.) ; le mot a été repris (
anthracosis, 1855 ; francisé dep. 1863,
Année scient.) pour une maladie pulmonaire.
■
ANTHRACÈNE n. m. a été formé (1838) sur anthrax, d'abord en médecine, pour désigner un néoplasme.
◆
La forme anthracène l'a emporté sur anthracine dans l'acception moderne, « produit hydrocarburé extrait du goudron de la houille » (1865).
❏ voir
QUINONE (ANTHRAQUINONE).
ANTHROPO-, -ANTHROPE sont tirés du grec
anthrôpos « être humain », d'origine très discutée. Van Windekens suppose que
anthr- est formé de
andr- (de
anêr, andros ; → andro-), de
thoros « sperme » (expliquant ainsi le
th, absent du radical
andr-) et de
-ôpos de la racine indoeuropéenne
-ōkwo- « voir »
(→ amblyope à amblyopie) ; le mot signifierait donc d'abord « qui a l'apparence de l'homme-qui-féconde (le
mâle) ». Toutefois, seule l'explication du suffixe
-ôpos est pleinement satisfaisante : il est difficile d'admettre que les Grecs aient désigné les humains par un terme signifiant « qui a l'apparence du mâle » (Chantraine).
De fait, en étudiant l'origine et les analogies les plus anciennes du mot grec anthropos, des indoeuropéanistes y ont découvert une conceptualisation inattendue. L'anthropos grec, expression particulière d'un concept universel, celui d'« être humain », semble bien constituer une construction intellectuelle faite d'anonymat — fait de n'être ni nommé ni apte à l'être — et d'indifférenciation (ni homme au sens de andros, le mâle, ni femme ; ni jeune, ni adulte, ni vieux ou tout à la fois). Et l'étude des racines exprimant cette notion et les notions apparentées, dénommées par les mots sumériens, akkadiens et d'autres langues du Moyen-Orient antique, aboutit à la notion d'« aspect obscur », d'« être sans visage » résultant de l'opération d'abstraction nécessaire pour obtenir cette idée générale de « représentant de l'espèce humaine ». Le fait que « les hommes » soient parfois désignés dans ces langues par les mots signifiant les faces, les visages (comme on dit, en latin et dans les langues romanes, cent têtes pour cent personnes) renforcerait l'hypothèse. Neutralisant l'« altérité » et même la « pluralité » dans un axe de la « totalité », écrit Domenico Silvestri, à qui nous empruntons ce raisonnement, les langues antiques de Mésopotamie définissent l'« homme quelconque » — au sens mathématique du terme — comme un « visage noir » ou plutôt « noirci ». On apparente aussi anthro- à anthrax « charbon ».
Le linguiste Szemerenyi, en 1971, soulignait l'existence en hittite d'un radical ant-, à rattacher à l'indoeuropéen, qui se retrouverait dans antihsas « homme ». Or ce radical remonte à un verbe indoeuropéen exprimant l'idée de « brûler », produisant selon les cas de la lumière ou de la noirceur. Ambiguïté qui se retrouverait dans celle des noms de la parole (qui est lumière) et de l'humain (obscurité de l'anonymat). Par ailleurs, le r de anthropos pourrait représenter l'élément commun aux noms de couleurs. Pour le linguiste italien G. Devoto, le nom de personne grec Aisopos « Ésope », apparenté à anthropos, signifierait l'« homme de couleur sombre » avec un radical « méditerranéen » *ais- « obscur, noir » (le nom Ésope reçoit cette étymologie chez un auteur byzantin, Maxime Planude).
Quoi qu'il en soit, ces hypothèses apportent une élaboration plus profonde du concept que son rattachement à andros « le mâle ».
❏
Parmi les nombreux mots généralement didactiques que l'élément sert à former dans la plupart des langues européennes, certains sont des composés grecs, quelques-uns par un emprunt latin ; d'autres sont formés en français (ou dans une langue moderne, puis empruntés). On mentionnera les plus courants et importants.
❏
ANTHROPOPHAGE n. est emprunté (
XVe s.) au latin
anthropophagus, lui-même emprunt au grec
anthrôpophagos (→ -phage), et se répand au
XVIe s. (1531,
antropofage ; graphie moderne 1562).
■
Le mot, désignant une pratique qui frappait les imaginations (Cf. cannibale), est devenu assez usuel, d'où le sens d'« exploiteur » (mil. XVIIIe s., Saint-Simon) voire de « bourreau » (sous la Révolution ; attesté 1797), sorti d'usage. Il est parfois repris plaisamment comme terme d'injure.
◆
En français d'Afrique, le mot peut s'employer à propos d'un sorcier dit aussi « mangeur d'âmes », qui s'empare du principe vital de ses victimes.
■
ANTHROPOPHAGIE n. f. (XVIe s., François de Sales) est emprunté à un dérivé latin pris au grec anthrôpophagia.
■
ANTHROPOPHAGIQUE adj. est dérivé en français (1838) comme ANTHROPOPHAGISME n. m., créé au figuré pendant la Révolution (1794).
◈
ANTHROPOLOGIE n. f. a eu en français une histoire complexe. Apparu au début du
XVIe s. (1507,
entropologie) et calquant le latin moderne
anthropologia (1501), emprunt au composé grec
anthrôpologos, il désigne d'abord un répertoire d'hommes célèbres, puis (1690, Dionis) la science qui étudie l'homme, âme
(psychologie) et corps
(anatomie).
◆
Le sens moderne apparaît en allemand (1795, Blumenbach) et vise l'étude scientifique des caractères biologiques des humains ; dans ce sens, il passe en français au début du
XIXe siècle. Cette science, développée par exemple par Broca, s'appelle plutôt aujourd'hui
anthropologie physique ou
biologique, car le mot, repris en anglais
(anthropology), a changé de sens aux États-Unis dans les années 1920-1930 (Boas, Malinowski). Il couvre alors tout le champ humain comme au
XVIe s., mais dans un tout autre contexte intellectuel, et notamment le domaine socioculturel. Diffusé par le structuralisme
(Cf. Anthropologie structurale, par Lévi-Strauss), cet emploi rend caduc l'usage antérieur : au lieu de la seule ethnologie, il concerne en général l'ethnologie, la sociologie, la linguistique (avec laquelle l'anthropologie s'est développée), le folklore, l'archéologie, la sémiotique.
■
Les dérivés ANTHROPOLOGIQUE adj. (1803, puis XXe s. ; le mot avait existé fin XVIIe s., dans un autre sens) et ANTHROPOLOGISTE n. (1808) ou ANTHROPOLOGUE n. (1850) ont suivi la même évolution.
◈
ANTHROPOGENÈSE n. f. a succédé à
anthropogénie (1793) et à
anthropogonie (1832, chez Balzac) pour désigner l'étude de l'origine et de l'évolution de l'espèce humaine. Le mot a vieilli.
◈
ANTHROPOMORPHE adj., formé sur
-morphe (1803), et ses dérivés succèdent à des composés empruntés au grec par le latin, comme
ANTHROPOMORPHITE n. (1541), formé en latin ecclésiastique
(anthropomorphitae), pour « hérétique donnant à Dieu une forme humaine », et surtout son dérivé
ANTHROPOMORPHISME n. m. (1710, Leibniz) qui est passé du registre de la théologie à celui des rapports de connaissance : « tendance à étudier, décrire, envisager tout phénomène en termes humains ».
Anthropomorphe s'applique spécialement aux grands singes (
n. m., 1822).
◆
Il a pour dérivés
ANTHROPOMORPHIE n. f. (1832, Balzac), rare, et surtout
ANTHROPOMORPHIQUE adj. (1829), relativement usuel comme adjectif correspondant à
anthropomorphisme.
◈
ANTHROPOÏDE n. m. est dans son premier emploi (1816) un emprunt probable au grec
anthrôpoeidês « qui a une forme humaine » (Hérodote). Il se disait d'une grue à longues plumes, appelée aussi
demoiselle de Numidie.
◆
Cet emploi a disparu, le mot étant repris comme adjectif (Littré, 1866) pour qualifier les grands singes déjà appelés
anthropomorphes (ci-dessus), et aussi substantivé (1884). Cette acception est devenue relativement usuelle.
◈
Outre ces mots empruntés à des composés grecs, l'élément
anthropo- a servi à former en français un certain nombre de termes didactiques. Plusieurs sont encore en usage.
■
ANTHROPOMÉTRIE n. f. (1659), « mesure anatomique », a été repris au XIXe s. (v. 1830, Manouvrier et Bertillon) pour désigner les techniques de mesures du corps humain utilisées par la justice à fins d'identification, avec des dérivés comme ANTHROPOMÉTRIQUE adj. (1836).
■
ANTHROPOSOPHIE n. f. (1792, au sens général de « connaissance de la nature humaine ») a été repris (v. 1910) par emprunt à l'allemand (Rudolf Steiner, d'après théosophie), avec pour dérivé ANTHROPOSOPHIQUE adj. (1836 ; puis v. 1910) et ANTHROPOSOPHE n. (attesté 1923).
■
ANTHROPOCENTRIQUE adj. (1876) et ANTHROPOCENTRISME n. m. (1898) concernent une épistémologie où l'homme est considéré comme le centre de l'univers.
■
ANTHROPOPITHÈQUE n. m. (1882, de Mortillet), pris au latin savant anthropopithecus (1878, id.), est formé de anthropo- et de pithecus « singe », grec pithêkos, le mot latin ayant servi à désigner le chimpanzé « homme-singe » (1839, Blainville).
◆
Le mot a désigné un primate fossile présenté à la fin du XIXe s. comme intermédiaire entre les grands singes anthropoïdes et l'homme. Par extension, il se dit d'un homme primitif (Cf. primate) ; dans cet emploi, il appartient au répertoire d'injures du capitaine Haddock, dans Tintin.
■
ANTHROPONYMIE n. f., attesté en 1919 en français (F. e. w) et dès 1887 en portugais (antroponymia), est formé de anthropo- et de -onymie (du grec onoma « nom »). Ce terme savant désigne l'étude linguistique des noms de personnes, partie de l'onomastique.
■
ANTHROPONYME n. m. et ANTHROPONYMIQUE adj. (v. 1940) en sont dérivés.
■
ANTHROPOZOÏQUE adj., tiré de anthropo- et -zoïque, qualifie l'ère géologique caractérisée par l'apparition de l'homme (quaternaire).
◈
Comme second élément,
-anthrope a surtout été utilisé en paléontologie.
■
PITHÉCANTHROPE n. m. (Larousse, 1903) est emprunté au latin moderne pithecanthropus, mot forgé par Haeckel (1868) pour désigner une créature hypothétique, intermédiaire entre le singe (pithêkos en grec) et l'homme, et appliqué par E. Dubois en 1894 (Pithecanthropus erectus) à un fossile hominien découvert à Java.
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SINANTHROPE n. m. (1929 chez Teilhard de Chardin) est la francisation du latin moderne sinanthropus, créée par D. Black en 1927 pour nommer un hominien fossile découvert dans la région de Pékin (de sino- « de Chine »).
❏ voir
LYCANTHROPE, MISANTHROPE, PHILANTHROPE.
ANTHUME adj. est un mot forgé par Alphonse Allais, d'après posthume, avec l'élément anté-, pour qualifier ce qui a lieu avant la mort (une gloire, une réussite anthume). Le mot est rare mais connu, de même que plusieurs formules plaisantes de cet auteur.
ANTHURIUM n. m. est un emprunt (1898) d'abord francisé en anthure (dans Bescherelle, 1846) au latin des botanistes (1839), mot formé du grec anthos « fleur » et oura « queue », le spadice de la plante étant comparé à une queue d'animal.
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Le mot dénomme une plante tropicale de la famille des Aracées dont l'inflorescence à grandes bractées de couleur vive, rouge, rose foncé, orange est remarquable. Il en existe des centaines d'espèces. Désignant aussi l'inflorescence, le mot est usuel dans les régions tropicales, par exemple en français de l'océan Indien (notamment à Maurice), de Nouvelle-Calédonie...
ANTI-, préfixe très productif, est tiré de la préposition grecque
anti, exprimant notamment l'opposition et la protection contre un mal. Les mots en
anti- traités dans cet ouvrage le seront en général à l'entrée du radical ; on ne trouvera ci-dessous que des composés démotivés, sans radical libre.
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Anti-, préverbe et préposition dont le sens premier est « en face », est passé en latin avec une grande productivité. Le thème ant-, outre anti-, a servi à former l'adverbe anta « en face » (qui a de nombreux dérivés, mais a été vite remplacé en grec par anti). Anti lui-même a servi à former dès le grec de nombreux dérivés et composés avec des valeurs diverses, « en face de », « en échange, comme équivalent » et « contre », aussi au sens temporel. Il s'agit d'un thème indoeuropéen : à anti correspondent le latin ante (→ anté-), le sanskrit ánti, le hittite ḥanti ; au thème ant- le gotique and(a).
❏ voir
voir le second élément des composés.
ANTIBIOTIQUE adj. et n. m. a été créé dès 1871 (Dr Hallopeau) avec la valeur large de « qui s'oppose à la vie », de anti- (→ anti-) et du grec biôtikos « de la vie », de bios (→ biologie). Le mot avait existé en anglais (antibiotic) dans un sens tout différent (« opposé à la croyance à la vie dans un lieu, par exemple à la vie extraterrestre »).
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Peu employé, le terme a été repris en anglais par Waksman (1941-1942), après les travaux fondateurs de Fleming, puis Dubos et Florey, pour qualifier une substance produite par des microorganismes et qui s'oppose à d'autres microorganismes pathogènes ; le substantif antibiotics en dérive (1944 ; répandu, en 1949, par Florey et al.).
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Le français a immédiatement emprunté adjectif et substantif, avec les noms des substances particulières, pénicilline, etc. Le mot, devenu essentiel en thérapeutique, s'est répandu dans l'usage courant.
ANTIBOIS n. m. est une altération (1842), de antébois (1838), de anté- et bois ; mais ce composé semble lui-même être la modification d'un mot du XVIe s., artebois (1582), atibois (1541) dont le premier élément est obscur, le second représentant probablement le mot bois.
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Le mot s'applique à une baguette de bois, une plinthe placée à la base d'un mur, d'une cloison, pour éviter les frottements.
ANTICHAMBRE n. f. est l'adaptation francisée (1560), d'après chambre, de l'italien anticamera (XIVe s.) « chambre de devant » ; anti- correspond au latin ante (→ anté-), et camera au latin camera (→ chambre). La francisation complète en avant-chambre (1560) n'a pas réussi.
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Assez rare en français contemporain dans les contextes usuels, antichambre s'est spécialisé en parlant des salles d'attente officielles, d'où la locution faire antichambre « attendre » et le sens figuré « situation d'attente avant une autre » (l'antichambre du pouvoir, de la mort). Le mot est pratiquement détaché de chambre, sémantiquement.