LA LANGUE BASQUE
Le basque est, avec le breton, d'origine celtique, et l'alsacien, dialecte germanique, une des trois langues non-romanes parlées sur le territoire français — et (pour le basque) espagnol. Son originalité réside dans le fait qu'il s'agit, en outre, d'une langue non-indoeuropéenne, témoin ancien des peuples présents dans cette partie du continent avant l'arrivée des Indoeuropéens (proto-Celtes) au deuxième millénaire avant notre ère. Les Basques, conscients de leur isolement linguistique, se désignent eux-mêmes par la langue qu'ils parlent : l'Eskualdun « Basque » est celui qui parle l'eskuara (ou euskara) « langue basque ».
Le problème des origines
Plusieurs hypothèses ont été émises quant à l'origine du basque et de sa parenté avec les autres langues.
1. Les substrats méditerranéens.
Se basant sur les correspondances lexicales basco-berbéro-méditerranéo-caucasiques des différentes couches préromanes du pourtour méditerranéen, J. Hubschmidt distingue deux groupes : le groupe de substrat eurafricain (commun à l'Espagne, la France actuelle, l'Italie et le nord de l'Afrique), très ancien, et le groupe de substrat hispano-caucasique, plus récent, auquel il rattache le basque. Il conclut ainsi que le basque est le dernier vestige de deux grandes familles linguistiques pré-indoeuropéennes qui se seraient superposées en Europe occidentale : l'eurafricain et l'hispano-caucasique.
2. Le basque et les langues chamito-sémitiques.
Un autre courant, dont le chef de file fut le savant allemand Schuchardt, tente d'établir (1914-1917) des relations génétiques entre le basque et les langues chamitiques (berbère, copte). Depuis, les recherches des archéologues et des préhistoriens ont conduit à réduire l'importance de l'élément africain dans la zone occidentale. Cependant, l'hispaniste Tovar (1966), menant des analyses lexicales et typologiques, signale une ressemblance certaine entre le basque et le berbère, appelant ainsi l'attention sur la possibilité d'une parenté basquo-africaine. Il conclut que le basque, bien que n'étant pas une langue africaine, appartient à une strate euro-africaine — ou plutôt euro-saharienne —, qui, à date ancienne, aurait formé une unité avec le chamito-sémitique.
3. Le basque et les langues caucasiennes.
Une autre hypothèse est proposée par le linguiste et bascologue R. Lafon et par l'historien G. Dumézil. Tous deux défendent la parenté du basque avec les langues du Caucase en se basant sur des concordances lexicales et grammaticales. L'archéologie vient conforter cette hypothèse en constatant des correspondances culturelles ; l'hémotypologie — typologie effectuée à partir des groupes sanguins — apporte elle aussi des arguments en faveur de cette parenté en révélant une fréquence très élevée du groupe O et surtout du rhésus négatif. On notera toutefois qu'il est difficile d'utiliser la méthode historico-comparative pour des langues caucasiennes très mal connues, d'une part, et pour la langue basque dont les textes écrits ne remontent pas au-delà du
XVIe s., d'autre part. De plus, l'hémotypologie met en évidence que les traits spécifiques cités plus haut se retrouvent également dans des régions où l'on reconnaît la présence de couches linguistiques très anciennes : Irlande, Écosse, Afrique du Nord ou... Caucase.
Cette hypothèse — reconnue aujourd'hui comme la plus probante — ne permet cependant pas de conclure à une parenté génétique incontestable entre le basque et d'autres langues. M. T. Echenique Elizondo pense que, dans le cas du basque, parler d'une parenté génétique est sinon inopérant, du moins inexact ou inadéquat. Tous s'accordent pour reconnaître qu'il s'agit d'une langue génétiquement isolée (op. cit., p. 25).
Les (proto-)Basques et leurs voisins les plus proches
Après avoir examiné les rapports que le basque pouvait entretenir avec des langues extra-européennes, nous rappellerons les relations qui lient la langue ou le peuple basque avec les anciennes ethnies qui l'entourent.
1. Celtes et Ibères.
La celtisation de la Gaule et de la péninsule Ibérique (à partir de 500 av. J.-C.) a évidemment laissé des traces aussi bien lexicales que culturelles en basque et chez les Basques. On ne peut cependant établir en aucun cas une descendance directe linguistique ou ethnique entre proto-Basques et Celtes. La toponymie (étude des noms de lieu) et le témoignage des Anciens confirment que les proto-Basques occupaient une zone ibérique (moitié sud-est de la péninsule) bien distincte de la zone celtibérique (moitié nord-ouest). On a voulu voir dans le basque un vestige de l'ibère, langue non-indoeuropéenne parlée par les anciens habitants d'une partie de la péninsule Ibérique. Mais depuis que l'on sait transcrire — mais non déchiffrer — l'écriture ibérique, on peut seulement avancer que l'ibère et le basque ont en commun quelques radicaux et suffixes qui sont peut-être l'indice d'un lointain cousinage.
2. Vascones, Aquitains et Gascons.
Les témoignages des écrivains de l'Antiquité nous renseignent sur les peuples qui habitaient la Gaule et la péninsule Ibérique avant l'arrivée des Romains. Pour la région linguistique qui nous intéresse, l'écrivain grec Strabon attribue aux
Vascones la Navarre actuelle, ainsi que le nord de l'Aragon, la province de Huesca et l'est de l'Álava ; aux
Caristii, la Biscaye ainsi qu'une partie de l'Álava ; aux
Berones le reste de cette province ; enfin aux
Autrigones le domaine qui s'étend de l'Ouest jusqu'à l'Océan. L'ethnie principale était celle des
Vascones, nom qui est à l'origine de
basque et de
gascon. Les
Caristii et les
Varduli seraient les ancêtres des Biscayens et des Guipuzcoans, habitants des provinces que les Espagnols appellent
vascongadas « vasconisées ». Quant au côté nord des Pyrénées, Strabon affirme que les Aquitains ressemblent plus aux habitants de la péninsule Ibérique qu'aux Gaulois, et César, dans
La Guerre des Gaules, nous dit que « le fleuve Garonne sépare les
galli des
aquitani », deux ethnies bien différentes, donc. Ces
Aquitant occupent l'aire linguistique que l'on appelle aujourd'hui
Gascogne ; la langue qu'ils parlent, langue que l'onomastique (étude des noms propres) nous permet d'entrevoir, est d'origine non-indoeuropéenne ; on a la conviction profonde qu'avant la conquête romaine, cette langue était étroitement apparentée au basque. On peut dire, en bref, que la majeure partie des Aquitains s'est laissée romaniser (Gascogne actuelle), tandis que les habitants de l'extrême Sud-Ouest sont restés fidèles à l'idiome originel (actuel Pays basque français). Ces faits expliquent l'originalité des parlers gascons par rapport aux autres dialectes occitans, en particulier languedociens. Ce n'est qu'à partir du haut moyen âge que l'on apprendra que le
Provincia Novem populania abrite les
Vascones ou « Gascons », tandis que le domaine qu'occupaient les
Vascones est maintenant celui des
Navarri, et qu'entre les deux se situe celui des
Bascli.
La langue basque
L'aire linguistique actuelle du basque coïncide avec les limites géographiques du Pays basque. En France, il comprend le département des Pyrénées-Atlantiques avec le Labourd (ville principale : Bayonne), la Basse-Navarre (capitale : Saint-Jean-Pied-de-Port) et la Soule (capitale : Mauléon-Licharre) ; en Espagne, tout d'abord les provinces vascongadas : la Biscaye (capitale : Bilbao, non bascophone), l'Álava (ville principale : Vitoria) et le Guipuzcoa (ville principale : Saint-Sébastien, en basque Donostia), puis la Navarre, entièrement bascophone excepté Pampelune.
Parlé par environ 800 000 personnes, le basque — euskara en basque espagnol, eskuara en basque français — comprend huit dialectes : le biscayen, le guipuzcoan, le haut-navarrais méridional et septentrional, le bas-navarrais occidental et oriental, le labourdin et le souletin. La langue primitive était plus unifiée. La pluralité actuelle des dialectes a entraîné le choix du navarro-labourdin comme langue littéraire du côté français des Pyrénées, du guipuzcoan en Espagne. Aujourd'hui on essaie d'imposer un euskara batua, un basque unifié des deux côtés des Pyrénées.
Le basque est beaucoup trop éloigné du français pour que l'on puisse en donner une idée par un bref aperçu ; on se reportera à la bibliographie.
Le basque a été (et est) une source d'emprunts — faible, il est vrai — pour les dialectes romans voisins, gascon et béarnais. 47 mots gascons ou béarnais d'origine basque, désignant la plupart du temps des réalités de la nature, sont enregistrés par le Französisches Etymologisches Wörterbuch de Walter von Wartburg. Quelques rares mots français sont d'origine basque : il s'agit d'orignal « élan d'Amérique » qui vient du basque orein « cerf » ; de bagarre qui, emprunté par l'occitan, viendrait du basque batzarre « rassemblement », par l'intermédiaire du béarnais batsarre ou bacharro ; de bizarre qui, emprunté à l'italien bizarro, viendrait lui aussi du basque bizar « barbe », par l'intermédiaire de l'espagnol ; enfin d'isard « chamois des Pyrénées », du basque °izar-di « chamois », sans oublier les termes relatifs au jeu de la pelote basque, tels chistera. L'espagnol castillan (voir : langue espagnole, encadré) est beaucoup plus riche en emprunts à l'euskara. On retrouve également quelques mots d'origine basque dans le français de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Terre-Neuve, mots importés par les pêcheurs basques.
M.-J. Brochard
BIBLIOGRAPHIE
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J. ALLIÈRES, Manuel pratique de basque, Paris, coll. Connaissance des langues, vol. XIII, 1979. — Les Basques, Paris, Que sais-je ?, no 1668, 1979.
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M. T. ECHENIQUE ELIZONDO, Historia lingüistica vasco-románica, Madrid, 1987.