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Beste, bête est un terme générique pour désigner tout être animé, l'homme excepté. Selon les contextes, et comme le latin
bestia, il s'applique aux animaux domestiques et spécialement aux gros mammifères d'élevage, aux animaux sauvages et notamment dangereux, au gibier, aux petits animaux et notamment à certains insectes, enfin aux animaux imaginaires. Dans chaque application, des syntagmes et locutions courantes lèvent les ambiguités et désignent des catégories plus précises, voire des individus
(la bête de...). Ainsi, au sens général, on parle de
grosse bête (voir ci-dessous le figuré),
petite bête — avec diverses phrases toutes faites —, pour les animaux dangereux, on a
bête sauvage, féroce, de proie (au figuré « personne cruelle »), en ce qui concerne les animaux de la ferme
bête à cornes, bête de somme, etc. Dans ce dernier cas,
les bêtes, comme le latin
bestia (Cf. ci-dessous bétail) s'emploie absolument
(rentrer les bêtes).
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Un autre emploi non qualifié concerne les animaux féroces des jeux du cirque :
être livré aux bêtes.
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Dans le domaine des petits animaux, entrent des désignations spécifiques, comme
bête à bon Dieu « coccinelle » ; certains emplois sont de nature enfantine (
petite bête et par antiphrase
grosse bête). Au figuré,
chercher la petite bête (attesté chez Barbey d'Aurevilly) correspond à « chercher minutieusement de petits défauts ». Pour les bêtes imaginaires, le mot concerne la connaissance objective et ses limites, quant aux animaux et aux monstres
(Cf. ci-dessous bestiaire), et s'emploie dans des cas précis, comme
la bête de l'Apocalypse, la bête du Gévaudan.
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D'une manière générale,
bête est plus affectif, plus populaire, plus évocateur et moins rationnel que
animal.
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Dès l'ancien français (1160-1170), il s'emploie pour évoquer en l'homme le caractère instinctif, l'absence de raison, la physiologie non maîtrisée. Une phraséologie s'ensuit, par exemple la locution
faire la bête opposée à
faire l'ange par Pascal, ou la
bête humaine, thème repris par les écrivains naturalistes au
XIXe s. (Zola). La locution récemment mise à la mode
comme une bête est devenue, semble-t-il dès le milieu du
XIXe s. (H. Monnier), un intensif pour « extrêmement, avec acharnement ».
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La valeur forte de « sauvage », « cruel » par exemple dans
bête sanguinaire correspond au sémantisme de
bestial (ci-dessous).
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Dans un autre registre,
bête noire (
XIXe s.), précédé par
bête d'aversion (1689, M
me de Sévigné), s'emploie pour « personne ou chose détestée ».
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Suivie de
à ou
de, bête appliqué aux humains sert à caractériser une personne par un trait quasi animal d'acharnement, d'obstination : c'est le cas de
bête à concours (1874),
bête de travail, bête de scène, « comédien puissamment instinctif », etc.
Bête semble s'être employé comme adjectif dès l'ancien français au sens de « stupide » (v. 1220), mais cet emploi avait disparu après l'apparition de dérivés comme bêtement. Réapparu au XVIIIe s. (1763, Diderot), il provient d'emplois classiques du substantif, comme attribut (être bête, à côté de être une bête).
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Cet adjectif, au sens de « sans intelligence », est devenu après 1760 très courant, donnant lieu à de nombreuses locutions, telles bête comme un âne, une oie, une cruche, un pot (1850, Flaubert), comme ses pieds ou encore intensives : bête à pleurer (à faire pleurer), à manger du foin. Avoir (au Québec attraper) l'air bête s'emploie pour « être stupéfait, sans réaction ». On emploie aussi rester bête.
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L'adjectif est courant au négatif : il, elle n'est pas bête ; pas si bête ! (1782). Il se dit aussi des actions, des paroles et des comportements, parfois avec l'idée de facilité (en locution c'est bête comme chou) ou par affaiblissement, pour « regrettable » (c'est trop bête). Des associations d'adjectifs péjoratifs, appliquées aux personnes et aux actes, ne sont pas rares ; ainsi plus bête que méchant, puis bête et méchant.
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Bête est un adjectif neutre dans une série très riche (idiot, crétin, con, nul, etc.) ; il a souvent une valeur affaiblie et quasi affectueuse (Cf. ci-dessous bêta). Les dérivés français ne correspondent qu'à ce sémantisme.
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Bête s'applique aussi à des situations, des idées, des événements, avec le sens de « sans intérêt, sans valeur ». À propos de choses concrètes ou non, bête, avant le nom, s'emploie en français de Belgique comme dépréciatif (Cf. pauvre, misérable).
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Un autre sémantisme, issu du nom, pour qualifier des personnes est « désagréable, hargneux » en français québécois (un sens de bêtise « méchanceté, insulte » lui correspond).
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Au sens d'« inintelligent », le verlan TEUBÉ ou TEBÉ, surtout en attribut, est assez courant.
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BÊTEMENT adv., formé sur l'adjectif (une fois au
XIVe s., puis déb.
XVIIe s., 1606) semble usuel vers le milieu du
XVIIIe s. (1743).
Tout bêtement se dit pour « tout simplement, tout bonnement ».
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BÊTISE n. f., d'abord bestise (XVe s. ; repris au XVIe s., av. 1520), exprime le manque d'intelligence (la bêtise) et (une bêtise) une action ou une parole stupide, sans valeur. Il désigne aussi une chose invraisemblable, une blague (1830, c'te bêtise !).
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L'emploi du mot en confiserie, d'abord pour une sorte de caramel (1918) puis pour une spécialité de Cambrai, un berlingot à la menthe (1929), s'explique plutôt par référence au sens de « bagatelle » que par allusion à une erreur de dosage dans la recette du bonbon, comme on a pu le croire.
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Les deux dérivés du mot, BÊTISER v. intr. « dire des bêtises » et BÊTISIER n. m. « recueil plaisant de bêtises rapportées », sont attestés en 1821, mais sont restés rares, surtout le verbe.
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1 BÊTA, ASSE adj. et n. est, sous sa forme masculine nom masculin et adjectif invariable, attesté une fois en 1584, puis repris depuis l'édition de 1762 du dictionnaire de l'Académie avec le sens de « niais ». Il est quelquefois employé comme terme affectueux, à rebours du féminin
bêtasse (av. 1867) qui a pu être influencé par le paronyme
bécasse (→ bec).
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C'est de cette forme féminine qu'est dérivé
BÊTASSERIE n. f. (1908) « sottise, ineptie ».
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BÊTIFIER v. est dérivé de
bête adjectif (1777) au moyen du suffixe
-fier ; il est littéraire en emploi transitif pour « rendre bête », plus courant comme verbe intransitif au sens de « faire la bête ».
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En sont dérivés BÊTIFIANT, ANTE adj. (XIXe s.) « qui rend bête, qui abêtit », plus courant que BÊTIFIEMENT n. m. (XXe s.).
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BÉBÊTE n. f. et adj., redoublement enfantin de
bête, avec la valeur de « petite bête », « bestiole », apparaît en 1808 pour appeler un animal, l'emploi
adj. est dans Balzac (1834). Avec la valeur d'« inintelligent », il signifie « un peu bête, niais », et comme nom « petite bête », souvent « insecte ». C'est un mot du langage enfantin.
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Bébête est modifié en BIBITE ou BÉBITE n. f. en français du Québec, où le mot est sorti du vocabulaire enfantin (il est familier). Bibite à patates s'est dit du doryphore.
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BIBE n. m. s'emploie en français de Madagascar pour « bestiole », spécialement « parasite ». Au figuré (gros bibe), il prend le sens de « bêta, personne un peu bête ».
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ABÊTIR v. tr. apparaît sous la forme
abestir (1330-1332) au sens propre de « rendre (l'homme) semblable à la bête » et glisse progressivement (repris mil.
XVIIIe s.), sous l'influence de l'adjectif
bête, vers le sens de « rendre bête » réalisé à la forme transitive et pronominale
(s'abêtir), quelquefois depuis le
XVIIIe s. à la forme absolue mais déjà dans la langue classique, alors lié à la renonciation à la raison, et parfois dans un contexte religieux.
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Le moyen français a eu une forme concurrente
abester de même sens, distincte de
abester « mettre les chiens sur la trace du gibier » (v. 1320).
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Abêtir a produit ABÊTISSEMENT n. m. (1552), rare avant 1842, où il est réintroduit comme un mot nouveau, et ABÊTISSANT, ANTE adj. (1845) qui concurrence bêtifiant.
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EMBÊTER v. tr. (1794) s'écarte de l'idée de bêtise et signifie « causer une vive contrariété à qqn » d'où, par extension, « causer de l'ennui à (qqn) » (1820, Stendhal), avec pour intensif familier
emmerder. Le pronominal est usuel pour « s'ennuyer ».
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Le dérivé EMBÊTEMENT n. m. se dit surtout de ce qui cause une contrariété (fin XVIIIe s.) et de l'état de celui qui a des ennuis (1842) plus qu'à l'état de celui qui s'ennuie (1842).
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EMBÊTÉ, ÉE, le participe passé de embêter, est adjectivé avec le double sémantisme de « contrarié » (1831) et « ennuyé » (1842).
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Symétriquement, le participe présent EMBÊTANT, ANTE est adjectivé pour qualifier ce qui contrarie (1840), d'où l'embêtant, substantif à valeur de neutre (1876), et ce qui ennuie (1840).
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Toute la série, très usuelle, était familière, mais l'est beaucoup moins depuis qu'elle est concurrencée par des termes plus marqués (emmerder, etc.).
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Indépendamment des dérivés français, plusieurs emprunts à des dérivés latins sont sentis comme liés à
bête.
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BESTIAL, ALE, AUX adj. est emprunté (v. 1190) au latin chrétien bestialis « qui tient de la bête » (IVe s.), « sauvage » (Ve s.), dérivé de bestia.
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Le mot signifie « qui assimile l'homme à la bête », impliquant généralement la violence, la cruauté ou la stupidité et l'aveuglement. Récemment, bestial a pris les valeurs positives d'instinct qui sont réalisées par bête (comme une bête, etc.).
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De bestial sont dérivés BESTIALEMENT adv. (fin XIIe s.), qui a toutes les valeurs de l'adjectif et BESTIALISER v. tr. (1835) « rendre bestial, avilir ».
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BESTIALITÉ n. f., d'abord sous la forme semi-populaire bestiauté (XIIIe s.) puis sous la forme savante bestialité (v. 1370), est emprunté au latin médiéval bestialitas « caractère de ce qui est propre à la bête », de bestialis.
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Le mot désigne le caractère d'une personne qui se livre à des instincts l'assimilant à la bête.
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Il désigne spécialement (1680) le commerce sexuel contre nature avec un animal, autrefois englobé sous sodomie, et dont l'équivalent savant plus tardif est zoophilie.
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1 BESTIAIRE n. m. est emprunté (v. 1119) au latin médiéval
bestiarium, attesté chez Ugutio de Pise (mort en 1210) et dérivé de
bestia, désignant un recueil d'animaux réels ou imaginaires dont on se sert comme symboles d'une signification morale ou religieuse.
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Le mot apparaît dans le premier texte français du genre, celui que Philippe de Thaon écrivit pour la cour d'Angleterre. Au
XIVe s., les bestiaires de chasse font prévaloir un esprit moins symbolique, plus pratique et plus scientifique. L'emploi du mot, déplacé par les sciences naturelles, est ensuite réservé au passé ; il est renouvelé par la fable classique et, plus près de nous, par J. Renard (1896,
Histoires naturelles) et G. Apollinaire (1911,
Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée).
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Par métonymie, le mot désigne l'ensemble des animaux décrits ou évoqués par un écrivain, représentés par une œuvre d'art ou un peintre.
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BESTIOLE n. f. est emprunté (v. 1170) au latin
bestiola « petite bête, insecte », diminutif de
bestia. Le sens est celui de « petite bête », spécialement à propos d'un insecte, mais seulement dans un usage familier et affectif.
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Un autre diminutif, BESTION n. m. « bestiole » (1520) a désigné à l'époque classique (1690) une figure de proue qui comportait une représentation animale. Tous ces emplois ont disparu.
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BÉTAIL n. m., d'abord
bestail (
XVe s.), est l'altération, par un suffixe masculin, de
bestaille (1205), dérivé de
beste sur le modèle de l'ancien français
aumaille « gros bétail à cornes », lequel continue le latin
animalia, de
animal.
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Parallèlement, l'ancien français a eu le féminin collectif
bestiaille (1213), dérivé du radical du latin
bestia avec le sens large de « ensemble des animaux de ferme », et dont on a tiré un nom masculin
bestial (
XIIIe s.,
bestiall). Celui-ci, encore répertorié en 1611 par Cotgrave et usité de nos jours dans les dialectes du Nord-Ouest et de Normandie, a été évincé par
bétail, probablement afin d'éviter l'homonymie avec l'adjectif
bestial*. Il s'est maintenu au pluriel
bestiaux (ci-dessous).
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Bétail désigne l'ensemble des animaux entretenus pour la production agricole à l'exception des animaux de basse-cour ; cette valeur est voisine d'un emploi spécial de
bête au pluriel
(les bêtes). Le mot s'emploie au figuré, par mépris, dérision ou pitié, à propos d'une collectivité humaine (
XVIIe s., La Fontaine), spécialement dans l'argot des proxénètes à propos des prostituées (1905).
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Le dérivé BÉTAILLÈRE n. f. (attesté 1953) est le nom d'un fourgon automobile servant au transport des animaux de boucherie.
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BESTIAUX n. m. pl. (XVe s.), à l'origine pluriel de bestial n. m. (voir ci-dessus bétail), se différencie de bétail en tant qu'il désigne l'ensemble des mêmes animaux considéré en tant que somme d'individus (distributivement, successivement) et non en tant qu'ensemble ; de là son choix dans wagon à bestiaux. Comme bétail, il est quelquefois employé péjorativement à propos d'un ensemble d'individus.
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Le singulier BESTIAU n. m. désigne dans l'usage rural ou plaisant le bétail, en particulier, une pièce de gros bétail et devient un synonyme familier de bête.
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2 BESTIAIRE n. m. est emprunté (1495) au latin
bestiarius « gladiateur combattant contre les bêtes fauves au cirque », dérivé de
bestia.
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Le mot est employé en référence aux jeux antiques ; rare avant le XVIIIe s., il subit, dans le style poétique, la concurrence de belluaire*.
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Par jeu de mots paronymique avec vestiaire, il désigne quelquefois l'endroit où l'on parque les fauves des jeux du cirque (1883, Hugo).