? BIFFER v. tr., d'abord au participe passé biffé (1676), est d'origine incertaine, probablement dérivé de l'ancien français biffe n. f. (v. 1220), « tissu léger, en général rayé », avec un développement sémantique analogue à celui qui mène du mot latin cancellare « disposer en treillis » (→ chanceler) à canceller « raturer ». L'origine de biffe est discutée : l'étymon latin °bifĭlis pour °bifīlis, « à double fil » en parlant de la chaîne ou de la trame du tissu, dérivé du latin bĭfīlum, « double fil », de bis, « double » (→ bis), et filum (→ fil), fait difficulté par les transformations phonétiques qu'il suppose. L'hypothèse d'un radical onomatopéique °biff- exprimant le gonflement des joues, d'où la moquerie, la tromperie, se heurte au fait que le tissu désigné est léger, de texture lâche mais non de qualité ordinaire et que le sens de « tromperie » n'est pas attesté pour biffe avant la fin du XVIe s. (Montaigne). On a aussi vu dans biffer le dénominatif d'un °biffe « objet à deux fentes », par allusion à la pratique du Palais de justice de barrer de deux traits à la plume ou au canif les textes annulés ; ce mot non attesté viendrait d'un °bifida, féminin substantivé de bifidus « fendu en deux » (→ bifide) ; cependant, cette hypothèse manque d'attestations.
❏  Biffer signifie « annuler d'un trait (ce qui est écrit) » et par métaphore « annuler, effacer, retrancher » (1584). ◆  Il a pris en orfèvrerie le sens technique de « briser officiellement les poinçons d'un maître » (1863), vieilli dès la fin du XIXe siècle.
❏  BIFFURE n. f., d'abord biffeure (1580), désigne à la fois la barre par laquelle on biffe et l'action de raturer. On n'en possède pas d'attestations entre 1611 et le XIXe s., qui l'a repris.
■  BIFFAGE n. m., d'abord terme de comptabilité (1732), sert de nos jours de substantif d'action à biffer.
De biffe « tissu », conservé dans les dialectes, provient BIFFIN n. m., qui signifie d'abord « chiffonnier » (1836) et qui ne prend que plus tard (1878) son sens moderne de « fantassin », par comparaison du havresac de soldat avec la hotte de chiffonnier.
■  Biffin a produit BIFFE n. f., resté en argot (1878) au sens de « corporation des chiffonniers » (la biffe) et passé dans l'argot militaire pour « infanterie » (1898).
■  Du même biffe « chiffon », vient le mot argotique, puis familier, BIFFETON ou BIFTON n. m. (1860) « billet » et « lettre (écrite) », aussi « billet de banque », avec le dérivé argotique BIFTAGON n. m. (dans le Breton).
❏ voir (SE) REBIFFER.
BIFIDE adj. est emprunté savamment (1772, J.-J. Rousseau) au latin bifidus « fendu en deux », employé en description anatomique et botanique, de bis « en deux » (→ bis) et du participe de findere « ouvrir, séparer » (→ fendre).
❏  Le mot a repris les spécialisations du mot latin : employé en botanique pour qualifier une partie de la feuille ou de la fleur fendue dans le sens de la longueur, il se dit aussi en anatomie d'un organe naturellement ou accidentellement fendu sur une partie de sa longueur (1805, Cuvier).
❏  Le latin scientifique BIFIDUS a été appliqué (1900, bacteroides bifidus, Tissier) à une bactérie (le bifidobacterium bifidus) et ce terme de nomenclature a été repris en 1986 (par la firme Saint-Hubert) pour désigner dans l'usage général cette bactérie utilisée industriellement comme ferment lactique, notamment dans les laits fermentés appelés couramment et abusivement yaourts.
BIFTECK n. m. est la francisation partielle de beeft stek (1735), écrit biffteck (1805) puis bifteck (1807). C'est un emprunt à l'anglais beef-steak (1711) « tranche de bœuf », composé de beef « viande de bœuf » (v. 1300), emprunté à l'ancien français boef (français bœuf*), et de steak, « mince tranche de viande ou de poisson » (XVe s.). Steak, mot germanique, vient de l'ancien norrois steik « être rôti ».
❏  Le mot est le témoin de l'influence de l'Angleterre dans la modification des habitudes alimentaires françaises. Il désigne une tranche de bœuf grillée ou destinée à l'être. D'abord terme exotique, il s'acclimate en français de manière progressive, avec des fluctuations graphiques comme beefstake (1785), bif-steak (1791) et, après l'apparition de bifteck, beefsteak (1821), beefsteack (1830 ; encore en 1867), marquant la résistance à la francisation. Celle-ci s'est arrêtée à bifteck, l'adaptation de la finale en bifetèque (1899) ou biftèque (1939) demeurant marginale. ◆  Devenu usuel, le mot, après avoir perdu ses connotations britanniques, a développé le sens figuré de « nourriture » (1933), la locution gagner son bifteck (1939) correspondant à gagner sa vie (Cf. bœuf, entrecôte) ; une autre locution familière, défendre son bifteck (1939), se dit pour « défendre ce qui fait vivre qqn, ses intérêts ». ◆  Enfin l'argot l'emploie par une métaphore courante (Cf. marmite, au XIXe s.), pour « prostituée » (av. 1925), celle-ci gagnant le bifteck de son protecteur.
Bifteck a vieilli, concurrencé par un nouvel anglicisme STEAK n. m. attesté en 1872 comme mot anglais (dès 1848 à propos d'une tranche de poisson), puis acclimaté en français (1894). Cet emprunt direct à l'anglais steak (ci-dessus) est passé dans l'usage notamment dans steak au poivre, steak tartare, steak frites et steak salade. En français contemporain, seul steak est utilisé au restaurant et en gastronomie, bifteck se disant plutôt chez le boucher, sans désigner un morceau précis (un bifteck bien tendre).
■  Par ailleurs, bifteck a été abrégé en BIF n. m. (1920) dans l'usage très familier, mais cet emploi n'a pas pénétré la langue courante.
❏ voir ROMSTECK.
BIFURQUER v. est dérivé savamment (v. 1560) du radical du latin impérial bifurcus, « fourchu », de bis « double » (→ bis) et furca (→ fourche) avec la désinence verbale.
❏  Jusqu'au XIXe s. et encore chez Littré, le mot est attesté à la forme pronominale se bifurquer, « se diviser en deux branches ». ◆  C'est seulement au XIXe s. qu'on le rencontre dans un emploi transitif d'ailleurs rare et, surtout, en emploi intransitif avec un sujet désignant une voie, un véhicule et, métaphoriquement, une personne.
❏  BIFURCATION n. f. est dérivé, parallèlement au verbe (v. 1560), du radical du latin impérial bifurcus avec le suffixe -ation des substantifs d'action. Le mot désigne une division en deux branches, d'abord en anatomie, puis en botanique (1752). ◆  Il passe dans l'usage courant au XIXe s. désignant l'endroit où une voie de communication se dédouble (1894 en chemins de fer).
■  Parallèlement, il développe le sens figuré de « possibilité d'option entre deux voies », d'abord à propos de la réforme des programmes de l'enseignement secondaire en France (1852).
? BIGAILLE n. f., attesté au XVIIIe s. pour « moustique, insecte volant qui pique », puis pour « menu fretin » (1843), est un mot régional du sud de la France, d'origine obscure, peut-être de la famille du languedocien bigne « frelon ».
❏  Le mot, archaïque en français d'Europe, reste vivant en français d'Haïti pour un insecte piqueur. ◆  En argot de France (1935), il s'est employé comme collectif, d'après « menu fretin », pour « petite monnaie ». Cet emploi a disparu.
BIGAME adj. et n. m. est emprunté (v. 1275) au latin ecclésiastique bigamus, « veuf remarié », et aussi en latin médiéval « homme ayant deux femmes » (1110). Ce mot est formé, avec substitution de l'élément latin bi- « deux fois », sur le grec digamos, « adultère », « marié une seconde fois ». L'élément -gamos vient du mot désignant l'union, le mariage (de l'homme) et, par métonymie, l'épouse, dérivé de gamein, « prendre femme, épouser », à rapprocher de gambros « gendre » (→ gamète).
❏  Le mot se dit en droit canon d'un homme qui s'est remarié ou qui a épousé une veuve puis, en droit civil, d'un homme ayant deux épouses en même temps (v. 1450).
❏  BIGAMIE n. f. est emprunté (1370) au latin médiéval bigamia « état d'un homme qui a deux épouses en même temps » (1076-1100), « remariage d'un homme » (1243-1248), de bigamus. ◆  Le mot exprime l'état de celui qui a contracté un second mariage, puis de celui qui a simultanément deux femmes (v. 1450). ◆  Furetière, en 1690, répertorie l'expression juridique bigamie spirituelle à propos du cumul de deux bénéfices ecclésiastiques incompatibles.
❏ voir MONOGAME, POLYGAME.
BIGARADE n. f. (1660), d'abord écrit bigarrade (1651), est emprunté au provençal moderne bigarrado « orange aigre » et « variété de cerise », dérivé de bigarra (→ bigarré). Antérieurement, le moyen français bigarrat (1600) est emprunté au provençal bigarrat, participe passé du verbe bigarra, qui fut substantivé au temps de la Ligue pour désigner ceux qui nageaient entre deux eaux et qu'on appelait en France les Politiques.
❏  Après une attestation en moyen français comme nom de l'arbre qui produit des oranges amères, le mot est repris comme nom de cette sorte d'orange (1651). ◆  Il sert aussi à désigner une poire plate d'un gris jaunâtre (1690). ◆  Le mot est plus courant dans les régions francophones où pousse l'arbre, comme l'île Maurice.
❏  BIGARADIER n. m. (1771), d'abord bigarradier (1751), est le nom d'arbre correspondant.
? BIGARRÉ, ÉE adj. (v. 1450) est d'origine obscure, probablement composé à l'aide du préfixe bi-*, « deux fois », et du moyen français garre, « de deux couleurs » (v. 1360), également garré, surtout employé pour qualifier le pelage, la robe d'une bête jusqu'au XVIe s., essentiellement attesté en Haute-Bretagne et d'origine inconnue. Un emprunt, par l'intermédiaire de l'espagnol abigarrar, de l'arawak de Haïti bija, « teinture rouge », est peu vraisemblable. L'hypothèse d'une dérivation à partir de l'espagnol bígar(r)o « coquillage » ou du languedocien bigar « frelon », fait difficulté du point de vue sémantique et chronologique.
❏  Le mot qualifie ce qui présente des couleurs ou des dessins variés plus ou moins disparates. Il s'emploie avec des acceptions spécialisées en héraldique et en minéralogie. ◆  Par extension, il se dit au figuré de ce qui est composé d'éléments variés et disparates (v. 1550-1615) ; cet emploi est littéraire.
❏  En est dérivé BIGARRER v. tr. (attesté 1530) « diversifier par des couleurs qui tranchent les unes sur les autres » et, au figuré, « rendre disparate » (v. 1550-1615).
■  À son tour, ce verbe a produit BIGARRURE n. f. (1521) « ensemble de couleurs bigarrées », de sens propre et figuré (1548) et BIGARREAU n. m. (1583), nom d'une cerise bigarrée de rouge et de blanc qui correspond au provençal bigarra (→ bigarade) et dont est tiré BIGARREAUTIER n. m. (1680, bigarrotier).
❏ voir BIGARADE, BIZARRE.
? BIGLE adj. et n. est l'altération (1471), peut-être d'après la finale de aveugle*, de bigre (1336), lui-même d'origine inconnue (sans rapport avec bigre, bougre*). Outre qu'elle ne rend pas compte de la forme bigre, l'hypothèse d'un emprunt au provençal moderne biscle « qui louche », lequel remonte à un latin populaire °bisoculus (à l'origine de l'ancien français biseuil, « qui louche »), fait difficulté du point de vue de l'accentuation. Biscle proviendrait de bisclar, d'un latin populaire °bisoculare, « loucher », composé de bis (→ bis) et de °oculare, « regarder », dénominatif d'oculus (→ œil). C'est pourquoi bigle est peut-être le déverbal de biscler bien que ce verbe ne soit attesté qu'au XVIe siècle. ◆  P. Guiraud préfère faire de bigle un doublet de bigue, bigot, « boiteux », par l'intermédiaire d'une forme reconstruite °bigicus, de °bigus, « chevaux attelés deux à deux » ; dans ce cas, le rapport entre bigle et bigler (anciennement biscler) serait secondaire et d'abord sémantique.
❏  Le mot qualifie, et quelquefois désigne, une personne qui louche ; il a vieilli depuis le XIXe siècle.
❏  Le féminin BIGLESSE adj., fréquent au XVIIe s., par exemple chez Mme de Sévigné, est aujourd'hui inusité.
■  BIGLEUX, EUSE adj. et n. (1936) « qui louche » et, par extension, « qui voit mal » (1940), mot familier et péjoratif, tend à supplanter bigle.
■  BIGLERIE n. f. (v. 1950) s'est peu répandu.
BIGLER v., réfection moderne de biscler (XVIe s.) d'après bigle, est souvent considéré comme issu d'un latin populaire °bisoculare (voir ci-dessus). ◆  Le verbe a vieilli au sens de « loucher ». Dans l'usage familier il s'emploie transitivement pour « regarder du coin de l'œil » (1800), avec ou sans complément, à la manière de loucher sur (qqch.).
❏ voir BIGNER.
BIGNER v. tr. « lorgner, loucher », verbe régional, semble être une variante de bigler. Il a pour dérivé bignoler, disparu, mais dont le déverbal BIGNOLE est passé dans la langue populaire, au sens de « policier, agent de la sûreté » (1927), puis de « concierge » (dans Céline, en 1934), sens encore vivant.
BIGNONIA n. m. ou BIGNONE n. f. est dérivé, sous la forme latinisée bignonia (1694), adaptée en bignone (1751), du nom de Jean-Paul Bignon (1662-1743), prédicateur du roi et membre de l'Académie française. C'est en son honneur que Tournefort, son protégé, nomma la plante.
❏  Le mot, sous la forme latine et sous la forme adaptée, auxquelles s'ajoute la forme suffixée BIGNONIER n. m. (1892), désigne une liane ou un arbrisseau grimpant d'origine équatoriale, cultivé en Europe pour ses fleurs.
❏  BIGNONIACÉES n. f. pl. (1821) est le terme de classification botanique correspondant ; il s'est imposé aux dépens de la variante bignogniées n. f. pl. (1842) qui a disparu des dictionnaires du XXe siècle.
BIGOPHONE n. m. est composé (1890) du patronyme Bigot, nom de l'inventeur de cet instrument, et de l'élément -phone*.
❏  Le mot désigne un instrument de musique burlesque, de formes diverses, dont on joue en criant dans l'embouchure ; cet emploi est archaïque. ◆  Par extension, le mot a reçu dans l'argot militaire le sens de « téléphone » (1918, chez des téléphonistes de l'armée d'Orient), étendu par métonymie à « ligne téléphonique » (1936) et concurrencé par biniou.
❏  BIGOPHONER v. tr., « téléphoner » (1965), témoigne de la vitalité de bigophone, équivalent malicieux de téléphone.
BIGORNE n. f., d'abord bigorgne (1386) puis bigorne (1389), est emprunté au latin bicornis, « qui a deux cornes » (→ bicorne, art. corne), probablement par l'intermédiaire de l'ancien provençal bigorna (provençal moderne bigorno), « enclume » (1403).
❏  D'abord appliqué à un bâton ferré, le mot désigne surtout des objets à deux bouts pointus, notamment (1389) une enclume dont chaque extrémité est en pointe ; en peausserie, il sert à nommer la masse de bois servant à fouler les peaux mouillées (1808) et en marine, un ciseau utilisé par le calfat pour couper les clous (1831). ◆  Le mot désigne aussi un coquillage à deux pointes, d'où bigorneau (ci-dessous).
■  Le sens argotique ancien de « parler argotique » (1628), par exemple dans jaspiner bigorne « parler argot », est à rapprocher du lyonnais bigornu, « contrefait, boiteux », et du moyen français bicornu, d'où biscornu (XVIe s.), « qui a une forme irrégulière » (→ corne), le jargon étant une déformation de la langue courante ; il doit être antérieur au XVIIe s., le dérivé bigornier étant attesté dès le XVIe siècle.
■  Le sens argotique de « police » (1901) est un emploi métonymique du sens d'« objet à deux pointes », par référence plaisante au bicorne des anciens agents de police et influence de bigorneau. Il est sorti d'usage.
■  Quant aux emplois très familiers pour « bataille » (1917) puis pour « bagarre » (1925), ils procèdent du sens d'« enclume » avec la valeur de « lieu où l'on frappe fort » ; Cf. ci-dessous bigorner, dont il est peut-être le déverbal.
❏  BIGORNEAU n. m. désigne proprement (1423) une petite enclume de serrurier, sens archaïque.
■  L'emploi du mot en zoologie à propos d'un petit coquillage comestible commun (1911), sens usuel, est dérivé de bigorne au sens de « limaçon de mer ». De là, probablement, la valeur péjorative d'« imbécile » (1919). Cf. moule.
■  Par allusion aux deux cornes du limaçon, le mot a pris en argot ancien le sens de « sergent de ville » (1841), réalisant avant bigorne la métonymie du chapeau à deux cornes pour celui qui le porte. Par extension, on a appelé bigorneau des soldats de marine (1861 ; dès 1832 sous la forme bigreneau dans l'argot de Polytechnique) et des fantassins de ligne (1870). ◆  Le sens disparu de « menue monnaie » (1925) s'explique probablement par analogie de forme avec le coquillage et par allusion à son peu de valeur.
BIGORNER v. (1680), verbe technique pour « battre le fer sur la bigorne » et, en peausserie, « fouler (les peaux) sur la bigorne » (1845), a quasiment disparu avec les techniques qu'il dénomme. ◆  Par une métaphore ironique, il signifie « démolir, endommager » (1917, dans l'aviation) et, d'abord dans l'argot des soldats de la Première Guerre mondiale, « tuer » (1918) ; de ces valeurs archaïques vient l'emploi très familier de se bigorner « se bagarrer » (1918).
■  On en a dérivé BIGORNAGE n. m. (1928), substantif d'action d'emploi technique et très familier (1942), BIGORNE n. f. étant repris comme déverbal (voir ci-dessus).
? 1 BIGOT, OTE adj. et n., attesté au XIIe s. (v. 1155), est d'étymologie douteuse et controversée. En s'appuyant sur un des premiers emplois du mot dans la chanson de geste Girart de Roussillon (v. 1180, version franco-provençale), en tant que nom propre d'un peuple apparemment du sud de la Gaule, Caseneuve au XVIIe s. y voyait un représentant de Wisigothus, « Visigoth » (→ wisigoth) : les relations entre les Visigoths de Toulouse, qui étaient ariens, et les Francs, qui étaient catholiques, étaient de nature à attacher au nom des Visigoths la valeur négative d'« étranger détestable », « hérétique étranger ». Cependant, les romanistes modernes mettent en doute cette hypothèse, pour des raisons phonétiques et parce qu'il n'est pas avéré que la langue vulgaire ait conservé le nom Wisigothi. L'existence d'une forme latine médiévale Bigothi (Du Cange) constitue cependant un indice de l'éventuelle relation du mot au nom des Goths. Il est difficile d'établir l'existence d'un lien avec le mot espagnol bigote « moustache ». ◆  En se fondant sur la première attestation du mot chez Wace, sous la forme bigoz, bigos, surnom injurieux donné aux Normands, on y a vu aussi l'adaptation de l'anglo-saxon be gode !, « par Dieu », juron ou invocation, probablement fréquent chez les Normands avant et après leur romanisation, mais seulement attesté en moyen anglais (bi godd, 1300 ; be gode, v. 1330). L'Oxford English Dictionary conteste cependant la légende selon laquelle Hrolf (en latin Rollo) de Normandie aurait refusé de baiser le pied de Charles le Simple en lui répondant : « ne se, bi got », soit en anglais, « No, by God » (« non, par Dieu »), phrase que Charles aurait interprétée comme le nom du peuple de Rollo. Même si l'on accepte cette étymologie, il est difficile d'expliquer l'évolution sémantique en français, à moins de faire intervenir un nouvel emprunt à une autre langue germanique : moyen haut allemand bîgot ou moyen néerlandais bi gode. Le dictionnaire d'Oxford mentionne en outre le fait que le féminin bigote a été appliqué par la suite de manière injurieuse aux Béguines et rappelle que le premier texte où figure le mot (1598) identifie bigot et bigin ou beguine (→ béguine). On peut ajouter que la transcription de by god en bigoth est attestée chez Rabelais, dans un contexte maritime et dans un jargon germanisé.
❏  Le mot a été employé comme surnom infâmant des Normands jusqu'au XVIIe siècle. ◆  Son emploi actuel pour qualifier et désigner une personne qui montre une dévotion outrée date du moyen français (1425), selon une évolution de sens inconnue — sinon en faisant intervenir l'étymon germanique signifiant « par Dieu » (ci-dessus) —, mais où l'import péjoratif est clair. Le mot a eu des connotations différentes selon les époques, le féminin devenant plus courant au XIXe s. où il s'applique à un type social caricatural, développé par les attitudes anticléricales sous la IIIe République.
❏  Bigot a fourni les dérivés BIGOTERIE n. f. (v. 1450), « dévotion étroite du bigot », BIGOTISME n. m. (1646), « caractère, manière de penser de bigot », et BIGOTEMENT adv. (1836, Stendhal), les deux derniers peu usités.
? 2 BIGOT n. m., attesté en 1366 dans un inventaire, est d'origine obscure. À cause de l'aire géographique des premières attestations (domaines provencal et franco-provençal), on a émis un rapprochement avec l'ancien provençal bigos, « pioche à deux fourchons », aussi latinisé en bigo, -onis (1220). On pense à une formation comparable à celle de 1 bigorne* avec le préfixe bi-* « deux ».
❏  Ce terme technique d'agriculture désigne une pioche double.
? BIGOUDI n. m., attesté en 1852 dans le Nouveau Glossaire genevois, est d'origine obscure. Un emprunt au portugais bigode, « moustache », prononcé à peu près bigódi, est peu vraisemblable des points de vue géographique et chronologique : le français classique bigotère ou bigotelle « bourrelet destiné à rouler la moustache pour la faire friser » (1649) était emprunté à l'espagnol bigotera. Ce dernier vient de bigote « moustache », correspondant au portugais bigode et peut-être issu de l'ancien haut allemand bî gote « par Dieu » (→ 1 bigot). Ce bigotelle aurait pu favoriser l'emprunt de bigoudi au portugais mais le mot, bien attesté aux XVIIe et XVIIIe s., semble sorti d'usage au XIXe siècle. Une composition de bigue « tordu » et oudir, variante de ourdir (Vosges, Franche-Comté), évoquée par P. Guiraud, est peu vraisemblable.
❏  Le mot désigne un petit objet cylindrique ayant d'abord eu la forme d'une tige de plomb entourée d'étoupe et recouverte de cuir, sur lequel on roule les cheveux pour les mettre en plis ou les friser. ◆  Devenu accessoire de la coiffure féminine, l'objet et son nom symbolisent le négligé (être en bigoudis) et entraînent un jugement social défavorable.
BIGRE → BOUGRE
? BIJOU n. m., attesté en 1460 mais indirectement dès le XIVe s. par son dérivé bijouterie, est en général considéré comme emprunté au breton bizou, « anneau pour le doigt », dérivé de biz, « doigt », mot celtique correspondant au cymrique byson, au cornique bisou. P. Guiraud, contestant cette étymologie, propose un dérivé de biseler « tailler en biseau » (→ biseau) : le bijou serait proprement un objet taillé au biseau ou en biseau. Il explique la forme bijou comme une forme dialectale, peut-être wallonne, mais la première attestation (dans le glossaire de Gay) est bretonne, ce qui compromet gravement cette hypothèse.
❏  Au sens de « petit objet ouvragé, précieux servant de parure » correspondent des extensions spéciales et figurées : le mot se dit d'une chose, d'une construction remarquable par sa beauté ouvragée (1690), d'une personne aimable, gracieuse (1690), et s'emploie en appellatif (mon bijou) ; Cf. trésor. ◆  Il a pris familièrement une valeur sexuelle, se référant au sexe de la femme (1628) [sens exploité par Diderot dans Les Bijoux indiscrets] et de l'homme (1750), notamment dans la locution les bijoux de famille « le pénis et les testicules ». ◆  Au pluriel, bijoux a autrefois désigné en argot de métier les restes d'un restaurant, constituant un bénéfice pour les plongeurs (1872).
❏  BIJOUTERIE n. f., dès le XIVe s. sous la forme bijoterie, désigne d'abord l'ensemble des objets précieux servant de parure. Puis, il se dit du commerce des bijoux (1701, Furetière citant Vaugelas qui recommande joaillerie) et de la boutique où l'on vend des bijoux (1869, Goncourt).
■  BIJOUTIER, IÈRE n. et adj. était autrefois l'adjectif qualifiant une personne qui aime les bijoux, les objets curieux (av. 1679). Ce sens n'est plus attesté après 1771, le mot s'employant au XVIIIe s. comme nom pour la personne qui fabrique des bijoux (1701). ◆  Un nouvel emploi adjectif neutre, correspond à « relatif aux bijoux » par analogie avec horloger, ère.
BIKBACHI n. m., emprunt (mil. XXe s.) à la forme arabe d'Égypte prise par le turc bimbachi (1877 en français), littéralement « chef (bašy) de mille (bim) », est le nom d'un officier supérieur de l'armée égyptienne, connu hors d'Égypte à propos du colonel Nasser.
BIKINI n. m. est emprunté (1946) au nom géographique Bikini, nom d'un atoll du Pacifique du groupe des îles Marshall devenu célèbre par le premier essai de la bombe atomique exécuté par la marine militaire américaine en juin 1946.
❏  Le mot a été immédiatement donné en France à un costume de bain féminin très réduit, enregistré comme marque déposée le 20 juin 1946 par Louis Réard : une femme en bikini était censée faire le même effet que la bombe. Le mot a été repris par l'anglais (dès 1948 en américain, où il avait d'abord le sens d'« énorme explosion », 1947) et dans d'autres langues. Le maillot de bain qu'il désigne a été mis à la mode juste après la guerre et a fait quelque scandale au point que certains pays catholiques en ont d'abord interdit le port. Le mot, qui a vieilli, suggère l'époque 1946-1960 ou 1970.
❏  MONOKINI n. m., résultat d'une analyse plaisante de bikini en bi-* « deux fois » et -kini, est un nom déposé en même temps que bikini (1946), mais s'est diffusé plus tard. Le mot désigne un maillot de bain « une pièce », c'est-à-dire sans soutien-gorge.