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Les plus anciens emplois de l'adjectif
bon se rangent sous la notion de « convenance » : le mot qualifie un être possédant les qualités jugées propres à sa nature, à son sexe, à son rang, à sa fonction, selon le code culturel dominant (v. 881,
buona pulcella : bonne pucelle « vraie, vertueuse »). Dans une société imprégnée de christianisme, il s'applique à celui qui remplit convenablement ses obligations de
bon chrétien (v. 1050). Dans cette société, féodale et guerrière, il qualifie le chevalier (av. 1250,
bon chevalier), à la fois en référence à sa noblesse
(→ débonnaire) et à sa vaillance, fonctionnant comme synonyme de « fort, courageux, preux ». Sa valeur est colorée par le code courtois, tandis qu'à la même époque, la société urbaine commence à mettre l'accent sur l'idée de « judicieux, avisé, efficace », conformément à une morale plus pragmatique, celle des bourgeois et des commerçants (d'où
bon marchand, sur un axe différent de
bon sergent ou
bon archer du code guerrier).
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Bon qualifie aussi un animal qui s'acquitte honorablement de sa tâche et un objet qui remplit sa fonction, témoigne de sa qualité (v. 1050). Dès le
XIe s., ce sens est représenté par un grand nombre de syntagmes qualifiés, à la fois avec un nom concret (1080,
bons écus) et avec un nom abstrait de qualité :
bon conseil, bonne foi, bonne compagnie (av. 1250). La même notion est illustrée par
bon sens (v. 1270) et
bonne volonté (v. 1300) ainsi que par les tours syntaxiques
bon à et infinitif (v. 1130-1160),
bon de et infinitif et
bon pour et infinitif (1250).
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Dès le Xe s., probablement d'après son emploi pour caractériser l'être bon par excellence, Dieu (Cf. le bon dieu*), bon qualifie du point de vue chrétien la personne qui fait le bien (v. 980) et, par métonymie, un acte, un sentiment inspiré par la bonté (XIe s., bonne intention). Cette valeur, extrêmement fertile en expressions figurées comme bon courage au sens de « bon cœur » ou bonnes grâces (av. 1250), est étroitement lié au précédent. Il s'en dégagera progressivement avec la laïcisation de la morale et la constitution d'une psychologie individuelle ; ainsi, le syntagme bon cœur, encore employé au XVIe s. avec le sens hérité de l'ancienne morale, « cœur vaillant, fier », prend l'acception moderne de « généreux, affectueux » (avoir bon cœur).
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À la même époque, bon affaiblit son sens en « agréable » dans bon homme (av. 1544) et bonne femme (1611), deux expressions employées communément à l'adresse de gens âgés, d'abord par déférence puis familièrement, voire avec une pointe de condescendance (→ bonhomme, bonhomie à homme), bonhomme et bonne femme aboutissant à deux synonymes familiers, respectivement de homme et de femme. Cet affadissement sémantique vaut à l'adjectif d'être employé dans des formules de politesse (vous êtes bien bon) et en témoignagne d'un lien d'affection (mon bon ami, ma bonne dame) comme le mot cher aujourd'hui.
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Par une dérivation conduisant à une appréciation plus floue et plus subjective, bon correspond à ce qui procure du plaisir, de l'agrément (v. 1172-1175), valeur souvent éclairée par le contexte. Il est employé notamment dans le domaine des plaisirs de la table où l'expression bonne bouche (1606, faire bonne bouche) se rapporte d'abord proprement au mets odoriférant que l'on mange à la fin du repas pour se rafraîchir l'haleine, puis au meilleur morceau gardé pour la fin, également au figuré (garder pour la bonne bouche, enregistré par Furetière, 1690). La locution bon comme le bon pain (1622) joue sur les valeurs morale et concrète du mot ; elle a été modifiée, de façon elliptique, en bon comme le pain.
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Les dictionnaires des XVIe et XVIIe s. constatent une foule de figements où les notions de « convenance » et d'« agrément » sont bien affranchies du code culturel médiéval, comme bon mot (XVIe s.) « mot plaisant » à bon escient, faire bon accueil, à bon marché, à bon compte, bon moyen, bon à manger, à bon droit, à bon port, de bon cœur, se donner du bon temps, en bon langage, bonne maison, bonne santé, bonne renommée, bonne réputation, bonne chère, bonne contenance, de bonne grâce, bonne cause, en bonne partie (pour en bonne part), bonne mine, bons morceaux (1606). Outre ces syntagmes pour la plupart encore en usage, le XVIe s. et le XVIIe s. enregistrent les locutions proverbiales bon gré, mal gré (1560), bon sang ne peut mentir et à bon entendeur ne faut [manque] qu'une parole (1611), forme archaïque pour à bon entendeur, salut. Furetière (1690) note aussi dire la bonne aventure ; bon an, mal an ; bonne fortune ; les bons comptes font les bons amis ; avoir bon pied bon œil ; être bon prince ; à quelque chose malheur est bon ; n'être bon à rien ; toutes ces locutions sont restées usuelles et présentent déjà leur forme actuelle (à bon chat bon rat ayant remplacé à bon chien bon os, 1611). Avec un nom désignant un langage, une langue, bon qualifie la norme reconnue (en bon français, le bon usage, etc.). En français de Suisse, le bon allemand est l'allemand standard, opposé aux dialectes alémaniques.
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À côté de tous ces emplois, où bon s'oppose implicitement à mal, mauvais ou méchant (explicitement dans bon génie, bon ange et, autrefois, bonne âme, expressions attestées au XVIIe s. et ayant un contraire en mauvais), bon a reçu, peut-être d'après le latin bonus (et par réemprunt), une valeur purement quantitative, « important » (v. 1195), exprimant la plénitude, la mesure comble, dans les expressions bon pas, bon feu (1553), bon poids et bonne mesure (XVIe s.), et, avec une nuance d'intensité physique, bon coup de poing (av. 1664).
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La langue du XVIe s. illustrait cet usage par l'association redondante de bon et gros pour exprimer l'intensité, la quantité ; et, comme le remarque Furetière, bon devient alors ambivalent, augmentatif en bien comme en mal (un bon diable, 1690).
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Dans le domaine temporel, cette valeur intensive correspond à « définitif » (XVIe s., une bonne fois « une fois pour en finir » [Cf. une fois pour toutes]), et à « tôt » dans la locution usuelle de bonne heure (1606), à ne pas confondre avec à la bonne heure « sous de bons auspices » (1606), « à propos » (1690).
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L'usage général de bon adjectif s'est donc fixé très tôt dans la langue ; il convient toutefois de noter la disparition en ancien français de l'ancienne solidarité entre bon, beau et bien, encore sensible dans l'association d'épithètes bel et bon (av. 1250 chez Chrétien de Troyes) conservé en style soutenu.
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L'usage de bon dans la formation du comparatif de supériorité (plus bon), encore relevé au XVIe s., a disparu au profit du comparatif synthétique meilleur, repris au latin.
L'emploi adverbial de
bon (v. 1165-1170) n'a pas d'équivalent en latin où ce rôle était assumé par
bene. Le représentant de ce dernier en français,
bien (opposé à
mal), s'est mieux implanté que
bon, lequel lui a cédé la valeur de « bien, de bonne manière, heureusement », mais a conservé quelques emplois (opposé à
mauvais). En moyen français et jusque dans l'usage classique, il a eu la valeur matérielle de « cher » dans
vendre bon, coûter bon (encore chez Scarron) ; celle-ci s'est éteinte en laissant une trace dans l'usage très familier sous la forme rédupliquée
bonbon (coûter bonbon).
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L'usage classique et moderne a privilégié d'une part la valeur normative de « sérieusement, véritablement » dans
tout de bon et
pour de bon (en remplacement de
à bon, tout à bon, 1611), ou encore
à quoi bon ? (1690) — d'où
aquoibonisme, ci-dessous — ; et, d'autre part, une notion d'agrément.
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Tout de bon !, en français de Suisse, sert de formule de souhait lorsqu'on prend congé.
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La notion d'agrément est aussi réalisée dans
sentir bon (1539) et dans
sembler bon, utilisé dans
ce que bon lui semble et
si bon lui semble (1606).
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Faire bon, d'abord employé pour « promettre de payer pour soi ou pour autrui » (1606,
bon y étant peut-être en emploi substantivé sans article), a fait fortune en construction impersonnelle :
il fait bon exprime une idée d'occasion favorable, d'opportunité (1690,
il fait bon vivre) et s'applique en particulier au climat, pour « il fait doux ».
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Bon réalise la même valeur intensive que l'adjectif dans la locution
tenir bon « tenir fermement, ne pas céder » (1601). Il ne reste presque plus trace de l'ancienne solidarité
bel et bon (1690,
tout ceci est bel et bon) du fait de la fortune de formules équivalentes
c'est bien beau, c'est bien joli.
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Bien bon s'emploie en français d'Afrique pour « très », « beaucoup ».
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En français de Suisse, placé devant des adjectifs brefs, en général monosyllabiques, exprimant une qualité sensible,
bon s'emploie pour « de manière agréable », par exemple dans
il fait bon chaud, bon frais. Cet emploi existe aussi en Alsace, en Savoie.
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Au XIXe s., l'adverbe a été déformé sous la forme BONO (1852) dans l'argot des soldats d'Afrique qui l'ont transmis à l'usage familier (1863), aujourd'hui archaïque. → macache (bono).
L'emploi interjectif de bon (enregistré en 1690) peut être considéré comme une ellipse pour c'est bon, et marque l'approbation ou, au contraire, le dépit, l'impatience, l'ironie, le rejet, également développé en ah bon ! Il a pu être influencé par l'emploi exclamatif de l'adjectif dans bon Dieu ! bonne Vierge ! (archaïque), expressions dont la valeur adjurative a été progressivement effacée par celle de juron, et qui peuvent être révélatrices si l'on considère que le mot appartient originellement au langage religieux (voir ci-dessus).
Bon, bonne a été substantivé dès le
XIIe s. (1130-1160), peut-être en partie sous l'influence du latin qui employait le neutre
bonum « le bien, un bien », son pluriel
bona « les biens, l'avoir », et le pluriel masculin
boni, traduisant ainsi le grec
to agathon, ta agatha, oi agathoi.
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L'ancien français a plutôt réservé
bien pour la valeur morale, philosophique et juridique correspondant au nom latin, réservant
bon pour « ce qui fait plaisir, ce que l'on désire, le bon plaisir ». Ce sens est réalisé à la fois dans sa généralité et dans sa particularité par le pluriel
les bons, des bons (1130-1160). Dans la littérature courtoise, il se rapporte spécialement au plaisir dont un homme jouit avec une femme et aux faveurs que celle-ci accorde (
XIIe s.).
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À la même époque, dans les romans de chevalerie, le pluriel
les bons désigne les braves, les preux, ceux qu'on a également appelé les prudhommes, puis les personnes qui sont bonnes (v. 1225), par opposition manichéenne aux
méchants.
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Avec le même affadissement que l'adjectif,
mon bon, ma bonne s'est constitué en appellatif affectueux, de nos jours légèrement archaïque et familier (aussi
tout bon, toute bonne, fréquent chez M
me de Sévigné).
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C'est de cet usage que s'est détaché 2 BONNE n. f. (1708), dénomination courante de la domestique, usuelle au XIXe s. en appellatif (les enfants disaient ma bonne à la personne qui s'occupaient d'eux), péjorativement suffixée en BONICHE n. f. (1906), parfois écrit bonniche, terme très méprisant qui, heureusement, ne s'emploie plus guère.
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De ma bonne, terme d'adresse à une épouse, vient le redoublement BOBONNE n. f. (1828) terme d'affection petit bourgeois au XIXe s., puis « épouse petite bourgeoise d'âge moyen », avec une idée de vulgarité (aussi adj. : elle fait un peu bobonne). L'emploi pour « bonne d'enfant » (1865, About ; Maupassant) a disparu.
Pour le substantif, le sens général ou collectif de « ce qui est bon, la bonne partie de qqch. » s'est affirmé relativement tard (1576) et connaît une certaine vitalité dans
rien de bon (1690),
avoir du bon (av. 1695 ; antérieurement
avoir cela de bon sur « avoir en cela l'avantage sur », d'après
bon « avantage, occasion favorable »). En français de Belgique,
avoir de bon se dit parfois pour « avoir en réserve, pouvoir utiliser ».
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Le féminin bonne a mieux conservé que le masculin certains emplois elliptiques : être en ses bonnes (XVIe s., Rabelais), « être de bonne humeur », a disparu mais on dit encore familièrement l'avoir à la bonne, parfois prendre à la bonne avec l'idée d'humeur facile ou de bienveillance.
Un emploi substantivé de
bon a cependant acquis assez d'autonomie pour être perçu comme un autre mot.
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2 BON n. m. (av. 1755), par une spécialisation financière, s'applique à une formule écrite autorisant à fournir ou à payer pour le compte de celui qui l'a signée (Cf. le premier emploi de faire bon en 1606).
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Le mot désigne spécialement l'engagement souscrit par le Trésor public ou par des sociétés financières de payer une somme déterminée au détenteur du titre ou au porteur (bon du Trésor).
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En imprimerie, un bon à tirer désigne les épreuves « bonnes à tirer » et doit procéder de l'adjectif dans épreuves bonnes à tirer et dans la formule bon à tirer.
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Bon a plusieurs dérivés morphologiques.
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BONNEMENT adv. (v. 1170) a eu le sens moral de « charitablement, généreusement », mais celui-ci, qualifié de « familier » par l'Académie en 1835, a été supplanté de l'usage courant par la locution avec bonté.
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Le sens de « vraiment, véritablement » (av. 1553), autrefois usuel avec une construction négative ou interrogative, a décliné ; il est qualifié de « bas » (1694) puis de « familier » (1740) et puis « vieilli » (1835).
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L'adverbe conserve une certaine vitalité dans tout bonnement « tout simplement ».
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Il est malaisé de déterminer si
2 BONASSE adj. (
XVe s.) résulte d'une évolution sémantique de
bonace* comme adjectif par transposition du calme marin au tempérament d'une personne, ou d'une suffixation de l'adjectif
bon. On évoque aussi un emprunt à l'italien
bonaccio, dérivé de
buono (→ bon).
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Le mot a suivi le même type d'évolution que
boniface et
bonhomme, colorant le sens de « doux, au bon caractère » de la valeur péjorative de « trop accommodant, trop faible » (1690).
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En ont été dérivés BONASSEMENT adv. (av. 1778) et BONASSERIE n. f. (1840), aujourd'hui archaïques.
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BONBON n. m. est enregistré par Oudin en 1640
(du bon bon) mais semble déjà présent dans le
Journal de Jean Héroard sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII en 1604. Cette réduplication enfantine de l'adjectif
bon pour désigner quelque chose de bon à manger est devenue la dénomination usuelle d'une petite sucrerie, d'abord à la forme partitive
du bonbon (encore au
XIXe s.). L'usage moderne
(un, des bonbons) correspond à l'acception moderne « petite friandise sucrée et aromatisée », en français de France. En revanche, le mot désigne en Belgique (et dans les anciennes colonies belges) un petit gâteau sec, en français de l'océan Indien un gâteau, un beignet, aux Antilles un gros gâteau à découper en parts, en français d'Afrique,
bonbon glacé se disant d'une glace.
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Par métaphore, le mot a désigné un furoncle, une pustule (fin
XIXe s.).
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Au pluriel
les bonbons, est devenu une désignation familière des testicules, notamment dans l'emploi métaphorique de
casser les bonbons « ennuyer » qui équivaut à
casser les pieds et, avec la même valeur,
casser les couilles.
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Un emploi adverbial renforce
bon, dans
ça coûte bonbon « très cher ».
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Il a pour dérivé BONBONNIÈRE n. f. (1777-1783) « boîte à bonbons », au figuré « petite construction précieuse et coquettement aménagée » (1817, Stendhal), et BONBONNERIE n. f. (1804) « fabrication des bonbons, local où l'on fait et où l'on vend les bonbons ».
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Les emplois de BONBONNET n. m. (1910) « petit bonbon », et BONBONNER v. intr. « manger des bonbons » (1943), stylistiquement marqués, sont très rares.
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Un composé (ou mot-valise) de bonbon et bec, BONBEC n. m. est apparu vers 1960 pour « bonbon ».
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BONARD ou
BONNARD, ARDE adj. (1887), introduit par l'argot des tricheurs aux cartes, est d'origine dialectale. Le manceau
bonard signifie « imbécile, naïf » (1859).
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L'adjectif s'est répandu en français populaire parisien (1900) pour qualifier une personne qui se laisse facilement duper, un naïf, manifestant un retournement péjoratif complet de
bon dans l'argot.
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L'adjectif a des connotations très différentes en français de Suisse, où il s'emploie pour « bon, agréable » et aussi, pour les personnes et les animaux, « sympathique, aimable ». Le féminin est rare.
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La dérivation de
bon a été particulièrement riche en préfixés et composés, ainsi qu'en emprunts
(Cf. les renvois ci-dessous).
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ABONNIR v. tr. est formé (XIIe s.) de a-, bon et suffixe verbal. C'est un quasi-synonyme du composé bonifier, qui a vieilli après l'époque classique par rapport à ce dernier, et qui est devenu rare.
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Il en va de même pour son dérivé ABONNISSEMENT n. m. (1653).
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Récemment, on a formé AQUOIBONISME n. m. (Cocteau) et AQUOIBONISTE adj. et n. (Gainsbourg) d'après la locution à quoi bon, terme à la fois littéraire et familier se rapportant à une tendance au fatalisme.