2 BOUQUIN → BOUCHE
3 BOUQUIN n. m., d'abord boucquain (1459) puis bouquin (fin XVIe s.) est emprunté à un diminutif du moyen néerlandais boec « livre ». Ce dernier, de même que le vieil anglais boc (anglais book, → bookmaker), l'ancien haut allemand (allemand Buch), l'ancien norrois bók, remonte à un germanique °bōks. Celui-ci est considéré comme dérivé de °bōkā « hêtre », le bois de cet arbre ayant servi de matériau pour les tablettes sur lesquelles on inscrivait les runes. Les diminutifs moyen néerlandais boecskijn, boekelkijn (avec un suffixe que l'on retrouve dans mannequin*) étant trop tardifs pour rendre compte de la forme française, on postule un dérivé ancien °boeckijn.
❏  Le sens a d'abord été celui de « vieux livre dont on fait peu cas » (« vieux livre fripé et peu connu », Furetière 1690), souvent dans vieux bouquin. ◆  Par extension, le mot s'est dit péjorativement d'un livre moderne (1845) puis désigne en général tout livre (1866). Cet emploi familier, étendu au XXe s. à tout ce qui se lit par distraction (album de bandes dessinées, etc.) coexiste avec la valeur devenue positive de « vieux livre, livre ancien » (les boîtes à bouquins des bouquinistes, etc.).
❏  2 BOUQUINER (1611) a signifié « rechercher les vieux livres », sens qui subsiste dans le langage de bibliophiles. ◆  Par extension, le verbe signifie « lire de vieux livres » (1840), sens vieilli, puis en général « lire » (1884), très usuel dans l'usage familier. ◆  Le verbe a pour dérivé BOUQUINEUR, EUSE n. (1671) « amateur de vieux livres », puis (1928) « liseur ».
■  BOUQUINERIE n. f. (v. 1650), comme bouquiniste, n'a pas suivi l'évolution sémantique de bouquin et bouquiner. D'abord employé à propos d'un amas de vieux livres, il désigne un commerce de livres d'occasion (1800).
■  BOUQUINISTE n. (1752), plus fréquent, se dit d'un marchand de vieux livres, dès les premiers emplois à propos des marchands installés le long des quais de la Seine à Paris. Il se distingue dans l'usage de libraire d'ancien, un peu comme brocanteur se distingue d'antiquaire.
? BOURBE n. f., d'abord borbe (1223), puis bourbe (av. 1307), est d'origine inconnue, peut-être hérité du gaulois, comme le mot de sens voisin boue (mais l'origine gauloise supposée de boue* serait différente). L'ancien irlandais berbaim « je bous », le cymrique (gallois) bervi, le breton birvi « bouillir », permettent de restituer un gaulois °borvo auquel se rattache le nom du dieu gaulois, Borvo ou Bormo qui préside aux sources thermales ; celui-ci est attesté dans les inscriptions de Bourbon-Lancy et de Bourbonne-les-Bains, lieux où se trouvaient des sources d'eau chaude, et dans plusieurs toponymes : aquae bormonis (IVe s.) pour Bourbon-Lancy, Burbine (VIIIe s.) pour Bourbon-l'Archambault, Borbona (846) pour Bourbonne-les-Bains ; cependant, tous ces noms renvoient à l'idée de bouillonnement, de source chaude, celle de boue ne lui étant associée que très occasionnellement (« bains de boue thermale »). Le phonétisme de borbe, bourbe suppose un pluriel collectif °borva, à rapprocher du latin médiéval borba (1145). Après l'entrée en français, l'influence de boue est évidente.
❏  Le mot désigne la boue épaisse qui se dépose au fond d'une eau stagnante. ◆  Dès les premiers textes, il est employé avec la valeur figurée et péjorative de « chose vile, méprisable » demeurée d'un usage plus rare que boue et fange, tout comme le sens concret, mieux représenté dans l'usage par les dérivés.
❏  BOURBIER n. m. apparaît en même temps que bourbe sous la forme borbier (1223) avec la valeur figurée d'« affaire, situation difficile », « lieu impur ». Il désigne concrètement un lieu creux plein de bourbe.
■  BOURBELIER n. m., terme de vénerie, a désigné l'épaule du sanglier (1393) puis, de nos jours, son poitrail (1755) par allusion au fait que l'animal, se roulant dans la bourbe, laisse souvent des traces boueuses sur son pelage.
■  BOURBEUX, EUSE adj. (1552) s'emploie assez couramment au propre et au figuré ; il est senti comme un renforcement de boueux.
■  BOURBILLON n. m. (Furetière, 1690), terme médical, désigne un petit amas de pus et de tissu nécrosé au centre d'un furoncle. ◆  Il s'est dit aussi d'un petit amas de boue tel qu'il s'en forme au fond d'un encrier (av. 1755).
EMBOURBER v. apparaît comme bourbe au XIIIe s. (1223) sous la forme enborber au pronominal et au sens figuré dans un contexte religieux. Il exprime également l'idée d'« engager (une voiture, etc.) dans un bourbier, dans la boue ».
■  Le dérivé EMBOURBEMENT n. m. (1611), moins fréquent, décrit surtout l'action physique et son résultat.
■  DÉSEMBOURBER v. tr. redouble débourber, qui a disparu.
DÉBOURBER v. tr. apparaît au XVIe s. au sens propre (1564) et figuré (1594), ce dernier d'abord dans un contexte religieux, puis avec la valeur de « tirer d'un mauvais pas » (av. 1755) ; disparu dans l'usage général, il a reçu des spécialisations techniques en œnologie et en pêche.
■  Son dérivé, DÉBOURBAGE n. m. (1838), est surtout employé techniquement.
❏ voir BARBOTER, BARBOUILLER.
BOURBON n. m. est emprunté (1907 sous la forme bourbon whisky) à l'anglo-américain bourbon, d'abord Bourbon whiskey, du nom du comté de Bourbon, dans l'État du Kentucky.
❏  Le mot désigne un whisky à base de maïs, distillé aux États-Unis.
? BOURDAINE n. f. est, sous sa forme actuelle (attestée au XIVe s., après 1350), l'altération de borzaine (av. 1204 en ancien normand), mot des parlers de l'Ouest, -rg- y évoluant souvent en -rd- (poitevin ardile pour argile). Le mot est d'origine obscure ; il est aussi attesté par le toponyme latin Boscum de Bordena (XIIIe s.), aujourd'hui La Bourdaine en Seine-Maritime. Il pourrait représenter un pré-roman °burgena, dérivé d'un type contenu dans le basque burgi, désignant une plante (l'alaterne), et qui semble autochtone en basque. P. Guiraud, partant de la vocation de la bourdaine, arbuste dont les branches servent à faire des perches, préfère évoquer un type roman (latin populaire) °burdana « producteur de perches » apparenté à 1 bourdon*. Selon lui, les formes borzaine et bourgène (1775) s'expliqueraient par une forme °bourge, doublet de bourde qui se déduit de bourger (d'un °burdicare) « fourgonner, tisonner, c'est-à-dire fouiller avec un bâton ». Cependant, la bourdaine est anciennement identifiée comme plante médicinale, et le contexte culturel ne justifie pas cette hypothèse.
❏  Le mot désigne un arbrisseau à écorce laxative dont le bois sert à faire de la poudre de chasse ; la variante bourgène (1775) est devenue rare.
BOURDALOU ou BOURDALOUE n. m. est la lexicalisation, dès 1701, de Bourdaloue, nom d'un prédicateur français de l'ordre des Jésuites (1632-1704) qui commença à prêcher en 1666 et connut immédiatement un vif succès, vint à Paris en 1669 et devint l'orateur qui prêcha le plus souvent devant la Cour.
❏  Le mot recouvre divers objets se rattachant tous plus ou moins à la personne du fameux prédicateur : il désigne la tresse garnie d'une boucle ou le ruban de gros-grain entourant la forme d'un chapeau (1685 en français du Canada, non attesté en France avant 1701, féminin jusqu'en 1798) par allusion au ruban du chapeau de Bourdaloue.
■  Il désigne également un type de pot-de-chambre de forme oblongue au fond duquel était peint un œil entouré de légendes grivoises (1762). Ce second emploi est plus obscur : on a évoqué tantôt les confidences entendues en confession par le prédicateur, tantôt une allusion ironique aux longues et pénibles attentes à l'église que les amples sermons de Bourdaloue opposaient à la satisfaction des besoins naturels.
■  Enfin, l'usage du mot en pâtisserie pour un entremets chaud de fruits divers, dressés sur une couche de frangipane et saupoudrés de macarons écrasés, ne repose pas sur une anecdote connue.
? 1 BOURDE n. f. (v. 1180) est d'origine obscure, de même que l'ancien provençal borda « mensonge » (1291) qui lui est probablement apparenté. On l'a rapproché du latin des gloses burdit, glosé par le grec gauria, 3e personne du singulier de gaurian « s'enorgueillir de qqch., faire le fier », ce verbe pouvant peut-être être rapproché de psainein « faire du bruit ». Burdit aurait donc signifié « il fait du bruit pour se faire remarquer ». On peut ainsi reconstruire un substantif hypothétique °burda qui, de « bruit pour attirer l'attention », serait passé à « vantardise ». Ce °burda a parfois été identifé avec burda « chalumeau » attesté par Ausone, lui-même probablement d'origine onomatopéique. ◆  P. Guiraud fait de bourde une forme de bourre* « flocon de laine, fétu de paille » et, métaphoriquement, « mensonge » en ancien français et en argot : plus précisément, il en fait le représentant d'un °burrita « coquille, fétu », dérivé gallo-roman de burra qui a donné bourre.
❏  Le mot désigne une histoire inventée, en général pour abuser de la crédulité de qqn ; dans ce sens, il a vieilli (Cf. blague). ◆  Par extension, il a pris le sens de « faute, bévue » (XVIIIe s.), spécialement dans le domaine de l'expression écrite ou orale.
❏  Le dérivé 1 BOURDON n. m. (1690) désigne spécialement en imprimerie une erreur de composition se traduisant par l'omission d'un mot ou d'un membre de phrase.
BOURDANTE n. f., qui n'est pas attesté avant le XXe s., ne peut pas être le participe présent féminin substantivé de l'ancien français bourder (v. 1223) disparu au XVIIe s. (« vieux mot », 1704). Il semble avoir été dérivé de bourde d'après gourante (→ gourer) pour désigner en argot familier une bourde (au sens moderne). Il semble être sorti d'usage.
❏ voir CALEMBOUR ; peut-être 3 BOURDON.
2 BOURDON n. m., d'abord burdun (v. 1170), bordon, puis bourdon (1311), remonte à l'accusatif burdonem du latin burdo, -onis « mulet ». L'existence des noms propres latins Burdo, Burdonus, Burdonianus, dans le domaine celtique des Gaules, appuie l'hypothèse d'une origine celtique. Burdo, dont le sens de « mulet » est passé dans le sicilien burduni, a développé, par une métaphore fréquente dans les parlers populaires (Cf. bélier, chevalet, poutre, chevron), le sens de « support », d'où « baguette, bâton », attesté dans le latin médiéval burdo (XIe s.), l'italien bordone, le catalan bordó, l'espagnol bordon, le portugais bordão. C'est semble-t-il à tort que Corominas attribue au mot espagnol bordon un seul étymon pour « bâton de pèlerin » et « lance », les faisant dériver de behordo « petite lance », lui-même issu de behordar, verbe repris de l'ancien français behorder « jouter à la lance ». Il est au contraire possible que le sens de « lance » soit issu en français du croisement de bourde « bâton de pèlerin » et d'un autre mot, l'ancien français behort « lance pour jouter » (1174), déverbal de behorder (1170-1171), issu du francique °bihordôn « enclore ». Ce mot est dérivé du francique °hurd « claie », postulé par l'ancien haut allemand hurt (allemand Hürde) et correspondant au moyen bas allemand behurden « entourer de palissades ». Le verbe ancien français signifiait donc « enclore de lices le lieu du tournoi (où l'on combat à la lance) ».
❏  Bourdon a eu en ancien français le sens de « mulet », éteint au début du XVIe siècle.
■  Celui de « bâton de pèlerin », aussi ancien, est encore usité comme terme d'histoire. ◆  Par analogie de forme avec le renflement de l'extrémité du bâton de pèlerin, le mot désigne en couture une ganse et un point de broderie. ◆  Le sens de « lance » (1559), qui correspondrait à une altération de behort, behorder (ci-dessus), sorti d'usage, a été conservé par les historiens.
❏  Avec son sens de « baguette, bâton », l'ancien français bourde a produit deux mots techniques de sens très spécialisé : 2 BOURDE n. f., avec l'ancien sens de « bâton » (1381, borde) subsiste dans le parler régional. Le mot a été repris en marine pour désigner l'étai soutenant provisoirement un navire échoué.
■  Son ancienne valeur, « bâton », est probablement à l'origine du diminutif BOURDILLON n. m. (1732), terme technique appliqué au bois de chêne refendu servant à faire des futailles, des douves de tonneaux.
■  BOURDONNIÈRE n. f. (1842) désigne la pièce d'huisserie où pivote le goujon (ou bourdonnier) d'une porte, d'une fenêtre.
❏ voir LAMBOURDE.
3 BOURDON n. m. (1350), d'abord bordon (1210-1225), est probablement une formation onomatopéique évoquant le bruit fait par l'insecte en volant. Cette formation est peut-être déjà attestée dans le bas latin burdo, glosé atticus (à lire attacus) « sorte de sauterelle » ; certains étymologistes ont rapproché burde du bas latin burda, « chalumeau », peut-être identique à °burda « mensonge » (→ 1 bourde), lui-même d'origine expressive.
❏  Il est difficile de déterminer si les deux emplois, désignant un insecte (1210-1215) et un instrument de musique (v. 1280) procèdent l'une de l'autre ou s'il s'agit de deux formations onomatopéiques conjointes. Le nom de l'insecte, aujourd'hui plus usuel, a donné par métonymie une manière de nommer le bruit que font certains insectes volants et, par analogie, une rumeur (XIXe s.), sens vieilli. ◆  Le sens musical a produit la caractérisation de la basse continue de certains instruments, ainsi que le nom d'une grosse cloche à son grave.
■  Le sens figuré et familier de « tristesse » (1915), surtout dans avoir le bourdon, est peut-être un développement métaphorique du nom de l'insecte analogue à celui de cafard ou du terme de musique, mais l'origine de cet emploi reste obscure.
❏  BOURDONNER v., d'abord bordonner (v. 1200), signifie « faire entendre un son grave et continu », spécialement à propos d'un insecte (1579). Dans cet emploi, le verbe est plus usuel que le substantif bourdon. Il est employé aussi en musique pour « faire sonner » un instrument (1606, à propos de la cornemuse), une cloche (1863) ; ces emplois sont techniques. En parlant de la voix humaine, le verbe signifie « chanter à bouche fermée » (av. 1696). Par extension, il caractérise la parole humaine quand elle murmure (1648).
■  En sont dérivés BOURDONNEMENT n. m. (1545 en médecine : bourdonnement d'aureilles), BOURDONNANT, ANTE adj. (XVIe s.) usuels et BOURDONNEUR, EUSE adj. (1606 ; 1495, bourdonneresse), rare.
FAUX-BOURDON n. m. désigne (v. 1450) en histoire de la musique une forme du plain-chant et, aujourd'hui, une harmonisation de chant d'église (chant en faux-bourdon).
L + BOURG n. m., réfection graphique (v. 1360), d'après le latin, de burc (1080), borc (1164), bourc (v. 1275), est issu d'un croisement entre deux mots latins homonymes et apparentés. Le premier est burgus n. m., « fortification, tour fortifiée, redoute », emprunt au grec purgos, « tour, enceinte garnie de tours », employé ultérieurement avec divers sens figurés ; le mot grec, d'origine incertaine, viendrait du germanique par l'intermédiaire d'une langue balkanique (peut-être le macédonien) ou, selon d'autres étymologistes, serait emprunté à une langue indoeuropéenne d'Asie Mineure. Le mot latin, par extension, est pris comme synonyme de castellum parvulum « petit château » puis « petit hameau » dès 185, puis au IVe-Ve siècle. Le second mot est le bas latin burgus n. f. « ensemble d'habitations fortifiées » (Ve s., en toponymie, référant au burgus Pontii Leontii, aujourd'hui Bourg-sur-Gironde). Il est issu du germanique °burg n. f. « localité, ville fortifiée », reconstitué par une série de mots germaniques, comme l'ancien frison burch, le vieil anglais burg (d'où l'anglais borough), l'ancien saxon burg (moyen néerlandais burch, néerlandais burg), l'ancien haut allemand buryg (allemand Burg). Cette famille remonte à un radical verbal °bergan, « abriter, protéger », rattaché à la racine indoeuropéenne °bhṛgh- « hauteur fortifiée ». La confusion entre les deux mots (latin et bas latin d'origine germanique) est en rapport avec l'évolution des fortifications au haut moyen âge et avec la tendance à remplacer les tours de garde romaines qui servaient à protéger les frontières par des habitations fortifiées. De cette rencontre est issu le latin médiéval burgus attesté au IXe s. (837) pour désigner une petite ville, souvent centre de marché, parfois fortifiée ou close de murailles.
❏  Bourg a progressivement perdu la valeur de « petite ville fortifiée » pour désigner un gros village où se tiennent ordinairement les marchés. L'octroi de droits à certains bourgs, à l'époque féodale (bourgs francs) est à l'origine du dérivé bourgeois (ci-dessous). ◆  Dans les régions à l'habitat dispersé, bourg désigne spécialement la partie de l'agglomération regroupant les commerces, les édifices publics et un certain nombre d'habitations particulières. Moins usuel que ville et village, qui se répartissent la plupart des désignations d'agglomérations, bourg est en français contemporain, comme cité, un mot soit historique, soit administratif, sauf dans certains usages ruraux (aller au bourg).
❏  Le dérivé BOURGEOIS, OISE adj. et n. est d'abord attesté sous la forme latine médiévale burgensis, attestée à propos de l'habitant d'un bourg franc institué par le comte d'Anjou Foulque Nera autour d'une abbaye près de Loches (charte de 1007) ; puis en général à propos des habitants de la ville (v. 1066). ◆  En français, burgeis (v. 1080) est refait d'après bourg en bourgeois (1393).
■  L'évolution du mot, très différente de celle de bourg, est étroitement liée aux contextes historiques et sociaux. Au moyen âge, bourgeois désigne l'habitant de villes commerçantes soustraites par des chartes de franchise à l'influence du seigneur, qu'il soit laïc ou ecclésiastique ; à ce sens correspond le syntagme franc bourgeois (XIIIe s.), conservé dans des noms de rues et où franc signifie « exempt de charges, de redevances ». ◆  Souvent synonyme de marchand (mercator), il implique, à partir du XIIIe s. et des premiers conflits sociaux dans les villes, une certaine aisance et la possession de droits ou de biens immeubles sur le territoire de la cité. Son développement reflète celui d'une classe sociale moyenne, intermédiaire entre les nobles et les manants (pagenses, rustici). L'essor économique, politique et culturel de cette couche sociale au XVIIe s. correspond sur le plan du langage au détachement du mot par rapport à son origine. Le bourgeois cesse alors d'être caractérisé par son caractère urbain et se définit (1668) par son appartenance à un groupe social, la bourgeoisie (voir ci-dessous), quelquefois avec une valeur de singulier collectif (1678-1679) déjà différenciée en petit bourgeois (voir ci-dessous) et en gros bourgeois (1680). ◆  On relève alors les premiers emplois péjoratifs visant en lui une personne sans goût ni culture (1635). Progressivement, le mot se définit non plus dans son opposition au noble (l'opposition originelle avec le paysan reste valable), mais à l'ouvrier, opposition socio-économique qui se manifeste clairement avec la Révolution et ses luttes d'idées (1793), et qui correspond donc bientôt à une opposition idéologique. ◆  Parallèlement, la réaction contre cette classe devient chez les romantiques le fait de l'artiste : bourgeois et artiste s'opposent, bourgeois devenant le symbole du conformisme, uniquement préoccupé de réussite matérielle, fermé aux valeurs esthétiques et aux évolutions. Avec les idéologies révolutionnaires, puis socialistes, le mot s'inscrit dans le vocabulaire des luttes politiques du XIXe puis du XXe siècle. ◆  En découlent des emplois dérivés, pour « patron, employeur », comme appellatif à la fin du XIXe s. et au début du XXe s., par exemple chez les cochers de fiacre. Ces emplois ont disparu. ◆  Bourgeois, comme bourgeoisie, s'emploie dans des syntagmes qualifiés à partir du moment où ce groupe est analysé en sous-groupe : gros bourgeois ayant disparu, petit-bourgeois (1657, n. m.), s'oppose à grand bourgeois et, devenant dans le vocabulaire marxiste un véritable composé, s'emploie comme adjectif (mentalité petite-bourgeoise). Dans le contexte de la révolte étudiante, qui éclate en 1968, bourgeois, parfois abrégé en BOURGE, devient le pôle négatif du jugement social. ◆  Ce sont les valeurs du mot antérieures au XVIIe s. qui se sont conservées en français de Suisse, parallèlement à Burger et bürgerlisch en allemand (de Suisse), et sont devenues officielles, pour le nom et l'adjectif. Bourgeois désigne le ressortissant d'une commune, ayant droit de cité (assemblée des bourgeois ; bourgeois d'honneur). Comme adjectif, « qui a le droit de cité » ; « qui est composé des bourgeois d'une commune » (citoyen bourgeois ; corporations, autorités bourgeoises) et aussi « relatif au corps des bourgeois d'une commune », le mot peut être synonyme de bourgeoisial (ci-dessous). Enfin, comme adj. et n., bourgeois qualifie les partis politiques de droite et du centre (alors opposé à socialiste), de même que bürgerlich en allemand.
■  Le féminin BOURGEOISE n. f., apparu avec le sens de « femme d'un bourgeois » au sens médiéval (1280) — encore en Suisse —, suit une évolution analogue et reçoit au XVe s. en France le sens particulier de « femme, épouse », notamment avec un possessif : ma bourgeoise ; cet emploi, usité au XIXe s., est devenu populaire et archaïque.
■  L'adjectif tiré du substantif est d'abord employé dans des syntagmes aujourd'hui sortis d'usage, pain bourgeois, lettre bourgeoise en typographie (1529), caution bourgeoise « solvable et facile à discuter » (1538) étant encore connu, mais mal compris. ◆  Le sens actuel de « relatif à la bourgeoisie, au bourgeois » (depuis 1611), en France, détermine l'évolution ultérieure de l'adjectif, le développement de ses valeurs idéologiques et caractérisantes.
Bourgeois a pour dérivé BOURGEOISIE n. f. qui correspond au latin médiéval burgensia (v. 1200) « redevance due pour la jouissance des privilèges accordés aux habitants des villes ». Le mot apparaît sous la forme bourgesie (1240). Il a eu jusqu'au XVIIIe s. une définition féodale et économique de « qualité (juridique) d'habitant des cités », dont l'usage helvétique garde trace, bourgeoisie correspondant encore en Suisse à « caractère communal ». Il est passé progressivement au sens collectif d'« ensemble des bourgeois » (1538), d'abord par opposition à la noblesse. Dès le XVIIe s., le mot s'applique nettement à une couche sociale non noble mais relativement privilégiée, déjà caractérisée (bourgeoisie de robe, d'Église, etc.). ◆  L'idée du groupe social se précisant, bourgeoisie est défini idéologiquement comme « groupe dominant l'économie » (XVIIIe s.) et « ensemble des membres de cette classe », développant une valeur péjorative (1839) moins nette que celle de bourgeois. Avec la notion de classe (surtout après Marx), le mot entre en opposition avec prolétariat et des expressions précisent les valeurs : petite, moyenne, grande bourgeoisie. ◆  En français de Suisse, le mot a les mêmes valeurs que bourgeois (ci-dessus) : « droit de cité d'un bourgeois » (obtenir la bourgeoisie ; bourgeoisie d'honneur), et « corps des bourgeois d'une commune » (l'assemblée, le président d'une bourgeoisie).
■  Tous les dérivés ultérieurs de bourgeois participent de la valeur moderne caractérisante. Exception faite de l'adjectif BOURGEOISIAL, AUX du français de Suisse (1669 ; bourgeoisal au XVe s.) « relatif à la bourgeoisie », au sens suisse, et « qui est la propriété de la bourgeoisie d'une commune », et de l'adverbe BOURGEOISEMENT attesté en 1654 chez Scarron, ils apparaissent tous au XIXe s. avec une valeur sociale en général péjorative : (S')EMBOURGEOISER v. tr. pron. (1831) et EMBOURGEOISEMENT n. m. (1870) sont restés usuels et expriment une certaine mobilité sociale et l'accession des couches populaires, ouvrières ou rurales, à un statut reconnu comme celui des classes moyennes. BOURGEOISISME n. m. (1852, Flaubert) est rare ; BOURGEOISETÉ n. f. (1841) et BOURGEOISERIE n. f. (1871), tentant de cerner le caractère du bourgeois, ne s'emploient plus.
Au sens moderne de bourgeois correspond le préfixé ANTIBOURGEOIS, OISE adj. qui qualifie (1869) ce qui s'oppose à la bourgeoisie, à son mode de vie, à son idéologie.
■  DÉBOURGEOISÉ, ÉE adj. (1834) est le participe passé du verbe débourgeoiser, apparu en 1700 avec le sens qu'avait alors le mot bourgeois (donc, « enlever à (qqn) ses habitudes bourgeoises », condamnées comme vulgaires par l'aristocratie). L'adjectif s'est encore employé au XXe s., mais avec une valeur très différente : « qui ne se comporte plus en bourgeois », au sens moderne du mot.
❏  Un autre dérivé de bourg, FAUBOURG n. m. représente sous sa forme actuelle l'altération, par croisement avec l'adjectif faux*, de l'ancien français forsborc (v. 1200) de même sens, le faubourg ayant été conçu comme s'opposant au « vrai » bourg, comme en témoigne le latin médiéval falsus burgus (1380). L'ancien mot était composé de l'ancien préfixe fors- (du latin foris « dehors [sans mouvement] » → fors) et de bourg pour désigner ce qui est « en dehors du bourg ». Il s'appliquait en effet à la partie d'une ville située hors de l'enceinte (v. 1360), sens repris par les historiens (1831), et, par extension, dès le XVe s., à l'espace habité à la périphérie d'une ville (1478). ◆  C'est avec la révolution industrielle et l'urbanisation par afflux des ouvriers que le mot acquiert ses valeurs modernes, prenant par métonymie le sens de « population ouvrière vivant à cet endroit » (1838). ◆  Il s'est conservé comme nom de certains quartiers situés autrefois hors de l'enceinte d'une grande ville (1728), sens avec lequel il a reçu au XIXe s. deux applications particulières à Paris, le faubourg Saint-Antoine et sa population d'artisans (av. 1850) et le faubourg Saint-Germain, où beaucoup de familles nobles avaient leur hôtel à partir du XVIIIe s. d'où (1865) le nom de noble faubourg ou le Faubourg. ◆  Pour la partie des grandes agglomérations situées hors des limites de la ville, c'est un autre mot d'origine féodale, banlieue* (→ ban), qui l'a emporté au XXe s. avec d'autres connotations.
■  Par transposition métaphorique, faubourg a servi à dénommer argotiquement le postérieur (1612), sens repris dans le dernier tiers du XIXe s. (1879, Huysmans). L'image est celle du quartier situé près de l'entrée de la ville.
■  Le dérivé FAUBOURIEN, IENNE n. et adj. apparaît tardivement (1801, Chateaubriand) pour « habitant d'un faubourg » et « relatif aux faubourgs, à leurs habitants » (1838), spécialement à propos de Paris, avec des connotations populaires (accent faubourien, etc.), vieillies après 1940.
BOURGADE n. f., réfection (1446) de borguade (1418), est emprunté à l'ancien provençal borgada, « village formé de plusieurs groupes de maisons » (1392), dérivé collectif de l'ancien provençal borc (v. 1160), de même origine que bourg*. Un emprunt à l'italien borgata de même sens, attesté depuis le XIIIe s., lui-même de borgo, « bourg », est moins probable. ◆  Le mot, passé en français avec le sens de l'ancien provençal, est devenu un quasi-synonyme de bourg, son origine provençale n'étant plus perçue et le pseudo-suffixe -ade n'ayant pas de valeur précise.
■  En revanche, le dérivé BOURGADIER n. m. (1879, Daudet) est demeuré régional ; il est employé en Provence pour désigner l'habitant d'un bourg, d'une bourgade.
BOURGMESTRE n. m. est un terme implanté dans les aires linguistiques francophones proches de territoires de langue germanique. Il est emprunté au XIVe s. (selon les lieux) au moyen néerlandais borgermeester et au moyen haut allemand burgermeister ou burgemeister, titre donné aux Pays-Bas, en Belgique, Suisse et Allemagne au premier magistrat des villes dont les fonctions sont analogues à celles du maire français. Le mot est composé, dans chaque langue, du mot germanique signifiant « maître », issu du latin magister (→ maître), et de celui qui signifie « bourgeois », dérivé du nom du bourg. L'hésitation de la graphie entre bourgemaistre, bourmaistre (1309), brugemaistre par métathèse (v. 1360), bourghmaistre (v. 1340), l'emprunt graphique burgermeister (1368), enfin bourgmestre, encore écrit bourg-mestre dans le Dictionnaire de Trévoux en 1752, témoigne de la variété des langues d'emprunt et de la difficulté de la francisation, faite d'après bourg.
■  Le mot, en français de France, se réfère à une réalité étrangère ; mais il est usuel en français de Belgique (Cf. aussi échevin) et de Suisse.
❏ voir BORDJ, BURGRAVE ; 2 BOBO.
L BOURGEON n. m., d'abord burjon (attesté 1160, mais antérieur, Cf. bourgeonner), est issu d'un latin populaire °burrio (accusatif °burrionem), dérivé du bas latin burra (→ bourre) parce que, comme l'écrit Ménage, « les bourgeons des arbres ont quelque chose de velu, et qui approche de la bourre ». Cette étymologie est appuyée par l'emploi du français bourre à propos du duvet qui recouvre les jeunes bourgeons et par des sens analogues du mot et de ses dérivés dans les dialectes. °Burrio par sa semi-consonne notée i développe un j (comme diurnum, d'où jorn, jour).
❏  Le mot désigne l'excroissance qui apparaît sur la tige ou la branche d'une plante et contient en germe les tiges, branches, feuilles, fleurs ou fruits, d'où, par spécialisation, la nouvelle pousse de la vigne (1798). ◆  Par extension, et analogiquement avec bouton, il a pris le sens de « bouton sur le visage » (v. 1270), de nos jours archaïque ou senti comme un emploi métaphorique plaisant (Cf. bourgeonner, bourgeonnant). ◆  L'idée figurée d'élément embryonnaire s'est appliquée à une personne très inexpérimentée (1565) avant de l'être à une situation. ◆  Le mot est passé en anatomie dans l'ancienne dénomination bourgeon charnu (1824) puis dans bourgeon gustatif (av. 1948) « organe récepteur du goût, de forme ovoïde ».
❏  Le dérivé BOURGEONNER v. intr. (v. 1121) s'emploie dès le XIIe s. au propre et au figuré pour « apparaître, commencer à se manifester » (1160). ◆  Du sens analogique ancien vient l'acception « se couvrir de boutons » (av. 1664) plus vivante que l'emploi correspondant du nom, surtout au participe passé bourgeonné.
■  Le participe présent BOURGEONNANT, ANTE est adjectivé au figuré (un nez bourgeonnant).
■  BOURGEONNEMENT n. m., attesté en 1600 avec son sens botanique, disparaît des dictionnaires après 1611 pour y être de nouveau accueilli en 1771 (« je ne trouve ce mot dans aucun Dictionnaire. Pourquoi cela ? L'usage l'a adopté ; et s'il n'étoit pas reçu, il faudroit le recevoir parce qu'il est nécessaire », écrit le Dictionnaire de Trévoux). Ce nom est passé dans les vocabulaires médical et biologique.
BOURGEONNEUX, EUSE adj., dérivé de bourgeon (1571) « couvert de bourgeons » d'où « couvert de boutons », s'est peu répandu, le second sens étant remplacé par bourgeonnant.
La série constituée par le préfixé ÉBOURGEONNER v. tr. (1486, esbourjonner) et ses propres dérivés ÉBOURGEONNEMENT n. m. (1551, esbourgeonnement) et ÉBOURGEONNAGE n. m. (1611, esbourjonnage), a trait à l'action d'enlever les bourgeons superflus de la vigne ou des arbres.
BOURGMESTRE → BOURG
BOURGOU n. m., emprunt probable à une langue du Sahel, désigne en français de cette zone d'Afrique subsaharienne une graminée aquatique au suc riche en sucre, recherchée des troupeaux après la décrue, dans une vallée inondable. Le mot s'emploie aussi à propos de cette zone et de son peuplement.
BOURGUIGNON, ONNE adj. (1150-1200, bourgengon) est issu du bas latin Burgundio « Burgonde », à l'accusatif Burgundionem (fin Ve s.), dérivé de Burgundiones, lequel vient, par le germanique, d'une racine indoeuropéenne qui signifierait « haut (de taille) ». Le passage, en moyen français, de la forme borgoignon à borguignon, bourguignon, s'explique par une dissimilation, puis par la fermeture en i, au contact de gn-, du e de °borguegnon.
❏  L'adjectif et nom signifie « de la Bourgogne ». Dès les premiers emplois, il se réfère au parler régional de la Bourgogne appelé le bourguignon et parler bourguignon. ◆  Ultérieurement, à côté de ses implications ethniques et géographiques, il a pris chez les marins l'acception spéciale et inexpliquée de « bloc de glace flottant » (1752). ◆  Il a donné à la cuisine régionale le bœuf bourguignon, la viande étant cuite dans une sauce au vin rouge de Bourgogne (1866).
■  En argot, probablement par l'usage des vendangeurs, le bourguignon signifie « le soleil » (1821).
❏  BOURGUIGNOTE ou BOURGUIGNOTTE n. f. est la substantivation d'une variante ancienne (v. 1460) de bourguignon, obtenue par substitution de suffixe ; le mot est employé en termes d'habillement militaire à propos d'un casque léger à crête et couvre-nuque, utilisé pour la première fois au XVe s. par les Ducs de Bourgogne et en usage jusqu'au XVIIe siècle. Par plaisanterie, il a été repris par les soldats de la guerre 1914-1918 au sens de « casque ».
BOURGOGNE, nom de la province, a fourni par l'intermédiaire de vin de Bourgogne le nom masculin bourgogne (attesté fin XVIIe s., après l'expression vin de Bourgogne). ◆  En français québécois, bourgogne est un adjectif de couleur, pour « d'un rouge soutenu » (voisin de bordeaux en français de France).
? BOURLINGUER v., attesté en 1831 mais, selon Jal, connu dès la fin du XVIIIe s., est d'origine obscure. Il pourrait se rattacher à un autre terme de marine, boulingue ou bouringue « voile supérieure voisine de la hune » (1509), et signifier proprement « être secoué (sur les vagues) comme une boulingue ». L'étymologie de boulingue est elle-même inconnue. P. Guiraud propose de voir en bourlinguer un dérivé diminutif de bourre* qui désigne toutes sortes de menus objets (bogue de châtaigne, coquille vide) ; cette hypothèse supposerait une forme ancienne bourlingue, avec attraction de bouler au sens de « rouler » (→ boule), d'après l'impression visuelle que produit la voile de hune, vue de loin. L'hypothèse qui établit un rapport avec bouliner, de bouline*, est contraire à la morphologie.
❏  Ce verbe, en marine, se dit d'un navire qui avance péniblement en luttant contre le gros temps, roulant et tanguant ; il a vieilli. ◆  Par extension, il est passé dans l'usage commun et familier avec le sens de « mener une vie aventureuse de voyageur » (1861). ◆  Une autre extension l'a fait employer transitivement dans l'argot des ouvriers au sens de « renvoyer (qqn) » (1878), sorti d'usage.
❏  BOURLINGUE n. f. (1878), déverbal, a été employé en argot au sens de « renvoi (d'un ouvrier) » et, par extension, dans la locution être dans la bourlingue « dans une situation précaire » (1896), emplois disparus. Le mot subsiste régionalement avec le sens de « grand voyage » (XXe s.), refait d'après bourlinguer.
■  BOURLINGUEUR, EUSE n. et adj. (1880), d'abord mot d'argot des ouvriers pour désigner le patron (menaçant toujours de congédier l'ouvrier), sens disparu, a été repris à propos d'une personne qui voyage beaucoup, a une vie aventureuse (1896, avec l'idée de vie difficile, comme dans routard en français contemporain).
BOURRACHE n. f., attesté au XIIIe s. (1256, bourrache, bourrace) en dialecte du Hainaut français (le rouchi), est emprunté au latin médiéval borago, borrago, attesté depuis le XIe siècle. Le mot latin est probablement emprunté à l'arabe ᾿abû ῾araq, « père de la sueur », nom donné à cette plante pour ses vertus sudorifiques, et devenu b̸῾aráq par altération populaire. D'après Arveiller, la forme bourrache, caractéristique des parlers du Nord, représente une adaptation du latin borrago, -age y étant rendu par -ache du fait d'une confusion habituelle entre les consonnes sourdes et les consonnes sonores correspondantes.
❏  Le mot désigne une plante médicale à fleurs bleues, ayant des vertus sudorifiques et diurétiques et, par métonymie, une tisane faite avec cette plante. ◆  L'exclamation argotique disparue de la bourrache ! correspondait à « tu me fais suer » (1867). ◆  L'emploi métonymique au sens de « cour d'assises (lieu où le prisonnier transpire beaucoup) » (1881), attesté à Paris et dans les faubourgs, a lui aussi disparu.
BOURRASQUE n. f. est probablement emprunté (1548) à l'italien bur(r)asca, borrasca, pluriel borrasche « coup de vent violent et subit » et, au figuré, « accès de colère » (XVIe s.). Ce mot est issu de bora « vent du Nord » (av. 1556), forme vénitienne et triestine issue du latin boreas de même sens (→ borée), elle-même reprise en français (bora 1818, Stendhal).
❏  Le mot est employé par Rabelais dans un contexte maritime, à propos d'un coup de vent impétueux et de courte durée, sens toujours courant. ◆  Le sens figuré de « mouvement de colère brusque et de peu de durée » (1594) est archaïque, mais bourrasque peut encore s'employer comme métaphore.
L + 1 BOURRE n. f., d'abord borre (1174-1178), puis bourre, est issu du bas latin burra « étoffe grossière à longs poils » (Ve s.), attesté dès le IVe s. avec un sens métaphorique figuré, synonyme de nuage. Ce mot d'origine incertaine est peut-être le féminin substantivé de l'adjectif burrus, « roux », emprunté au grec purros « rougeâtre, roux », peut-être par l'intermédiaire de l'étrusque. Purros semble apparenté au groupe de pur « feu » (→ pyro-). L'italien, l'espagnol et l'ancien provençal borra ont la même origine. Voir aussi le schéma.
❏  Le mot désigne le déchet d'une fibre, surtout celle de la laine (1174-1178) et celle de la soie (1280, bourre de soie). Par extension, il désigne l'amas de poils provenant de la peau d'animaux à poils ras, gratté avant le tannage, utilisé pour le rembourrage d'objets et la fabrication du feutre (1268-1271) ainsi que les déchets textiles utilisés pour rembourrer des objets. ◆  Depuis le XVIIe s., il se dit en armurerie de la matière inerte (étoupe, papier) maintenant en place la charge d'une arme à feu (1618). ◆  Par analogie d'aspect et de consistance, il désigne le duvet qui recouvre les bourgeons de certains végétaux (1690, de la vigne). ◆  Au figuré, il s'est dit de ce qui sert à garnir, à remplir sans avoir de valeur (1690 en littérature) ; cette valeur figurée a disparu. ◆  La locution familière moderne de première bourre, « de premier ordre », peut être un emploi métaphorique de bourre dans le langage des tapissiers ; on l'a également interprétée comme un des nombreux emplois familiers de bourre, déverbal de bourrer (ci-dessous).
❏  La dérivation est abondante.
■  BOURRAS n. m. (1260), d'abord boraz (1125-1230), nom donné à une toile grise très grossière en étoupe de chanvre, a souffert de la concurrence de bure*, apparenté étymologiquement. Il se maintient régionalement (Auvergne, sud de la France) pour « toile grossière pour le transport du foin, de la paille ». ◆  BOURRASSER v. tr. s'est maintenu en français du Canada pour « malmener, rudoyer » et comme intransitif « être de mauvaise humeur » (Cf. râler).
■  BOURRELIER, IÈRE n., répertorié dans le Livre des Métiers d'Étienne Boileau (1268-1271), est formé sur l'ancien français bourrel « collier, harnais (rempli de bourre) », dérivé de bourre. ◆  Comme BOURRELLERIE n. f. (1268-1271), bourrelier, toujours compris, a perdu sa fréquence d'emploi en même temps que ce qu'il désigne disparaissait.
BOURRER v. tr., attesté en 1332 mais antérieur (Cf. bourreau*), apparaît au figuré pour « maltraiter, battre ». La permanence de ce sens, passé de nos jours dans le registre familier (bourrer de coups), tient peut-être à sa motivation par l'idée d'« enfoncer, remplir de force (de bourre) », attestée dès le XIIIe s. pour embourrer et rembourrer (ci-dessus). ◆  Le sens propre de « remplir (qqch.) en y enfonçant de la bourre », postérieur (1519), a donné des spécialisations techniques, notamment en armurerie (1704), mais est resté rare par rapport à l'acception extensive « remplir (qqch.) aux limites de sa capacité ». Ce sens correspond à la fois à des acceptions techniques (imprimerie, mines) et à des valeurs métaphoriques familières : selon le contexte et la nature de l'objet, « gaver » (concrètement et abstraitement), « essayer d'en faire accroire », par exemple dans bourrer le crâne, le mou de qqn « lui remplir le crâne de choses fausses » (1907). ◆  Une autre spécialisation populaire correspond à « avoir des rapports sexuels actifs avec (qqn) », d'où le déverbal très familier 3 BOURRE dans bonne bourre ! Cette valeur érotique utilise le sémantisme du coup ; Cf. ficher, foutre. ◆  Au pronominal, se bourrer signifie « s'enivrer », « beaucoup manger » « remplir le ventre (d'un aliment) » (Cf. bourratif) et « s'enrichir » (1930-1935). ◆  En construction absolue, il exprime l'idée d'aller très vite, probablement d'après l'idée de « remplir son objectif à la hâte et n'importe comment ».
■  La spécialisation de bourrer en vénerie, à propos d'un chien qui mord sa proie en essayant de l'attraper, est le seul sens du verbe qui procède de bourre « poil d'animal » ; accueillie en 1694 par l'Académie, elle est probablement aussi ancienne que le moyen français bourrasser, de même sens (XVIe s.).
Outre bourreau*, entièrement démotivé, bourrer a produit un certain nombre de dérivés.
■  BOURRÉE n. f. est la substantivation du participe passé féminin (1326) et désigne ce avec quoi on « bourre » un fagot, un ensemble de menues branches. ◆  Ce sens, seulement régional aujourd'hui, motive peut-être celui de « danse du folklore auvergnat », devenue danse de cour au XVIIe s. (1604), cette danse ayant pu se faire autour d'un feu de joie ; on l'a aussi expliqué d'après bourrer « donner des coups » par allusion aux mouvements vifs des danseurs, mais cette hypothèse est moins plausible. D'après un sens dialectal de bourrer « faire un effort intense et rapide », bourrée s'emploie au Québec avec cette valeur (donner une bourrée).
■  Une autre valeur, « donner des coups », a servi à former BOURRADE n. f. (1553) « coup, attaque », affaibli ensuite en « tape amicale », sens dominant et usuel du mot. ◆  L'acception figurée de « riposte, répartie verbale » (1690) a décliné au XVIIIe siècle. ◆  Le mot est passé en vénerie où, d'après un sens spécialisé de bourrer, il exprime le fait de mordre la proie en lui enlevant de la bourre (1690 ; 1581 en fauconnerie). ◆  Son dérivé BOURRADER v. tr., « donner des bourrades à », est tardif (1888) et peu employé.
■  BOURRAGE n. m., attesté isolément, écrit bourraige (1465), est repris au XIXe s. et sert de substantif d'action à bourrer, rare en emploi concret, mais est courant familièrement dans la locution bourrage de crâne (1876). ◆  Bourrage s'emploie aussi en termes de mines (1838), de construction (1866), de chemins de fer (1894) et de broderie.
■  BOURROIR n. m., nom d'un instrument servant à bourrer, est attesté dans le vocabulaire technique des mines (1758).
■  BOURREUR, EUSE n. (1874) se partage entre l'usage technique (en argot des typographes : bourreur de lignes) et le langage familier (1902-1904). En français d'Afrique, d'après bourrer le crâne, bourreur s'emploie pour « menteur, fabulateur ».
Les dérivés et composés apparus au XXe s. relèvent tous du langage familier.
■  BOURRE-MOU n. m. (déb. XXe s.) vient de bourrer le mou, pour désigner des histoires trompeuses.
■  BOURRE-PIF n. m., de pif « nez » (1954) désigne un coup sur le nez, en pleine figure, et par extension une bagarre à coups de poings.
■  2 BOURRE n. f., déverbal (déb. XXe s.), s'applique au fait de se presser, dans les locutions être à la bourre « en retard, obligé de se presser » et à pleine bourre « tout à fait » beaucoup moins usité que le précédent. ◆  Concrètement, au pluriel, bourres s'est dit de mensonges (1926), d'après bourrer le crâne, le mou.
■  BOURRATIF, IVE adj. (v. 1950) qualifie un aliment qui bourre.
BOURRIER n. m. (1368) a vieilli avec tous ses sens, sauf dans les parlers régionaux : il désignait un déchet traînant par terre, spécialement les débris de paille qui se séparent du blé battu (1560). Le langage des corroyeurs en a fait un synonyme de « écharnures » (1808).
■  BOURRELET n. m. (1386), dérivé de bourre par l'intermédiaire de l'ancien français bourrel, a d'abord désigné un cylindre de tissu rempli de bourre, notamment une couronne servant de base à une coiffure féminine (XIVe-XVe s.), une coiffe d'enfant destinée à protéger des chocs (1680, jusqu'au début du XXe s.), un coussinet rond pour porter une charge sur la tête (1752) ; ces emplois ont tous vieilli. ◆  Le sens analogique de « renflement (circulaire ou non) », en anatomie (1578), en sciences naturelles, celui de « garniture rembourrée » en aménagement intérieur (1835) sont en revanche restés usuels. ◆  Le dérivé régressif 1 BOURRELER v. tr. (1896), rare et littéraire, signifie « former un bourrelet sur ».
■  BOURRETTE n. f. (1423) désigne la soie grossière qui entoure le cocon et, par métonymie, l'étoffe qu'on en fait (1589) ; il est sorti d'usage.
BOURRU, UE adj., d'abord dans oiseau bourru « fourni de plumes » (1555), décrit ce qui a la rudesse, l'apparence de la bourre, et spécialement un vin nouveau non fermenté (1584), un lait fraîchement tiré, une pierre non travaillée. ◆  Avec un nom de personne, il s'est dit pour « vêtu de bourre ». ◆  Par l'attraction étymologique de bure*, l'expression moine bourru (XVIe s., également moine bourré) a désigné un être imaginaire effrayant. ◆  Un peu plus tard, le mot, déjà affaibli, s'applique à une personne peu commode, farouche (1617), sans idée de méchanceté, comme le montre son emploi substantivé dans Le Bourru bienfaisant, titre de la pièce de Goldoni représentée en 1771.
■  L'adverbe BOURRUMENT, tardif (1923), est inusité.
Les dérivés préfixés sont les plus anciens.
■  EMBOURRER v. tr. (v. 1193) a signifié « gaver » (au figuré) et « garnir de bourre (un objet) » (v. 1560). Supplanté par son propre dérivé rembourrer, ce verbe se maintient par le sens technique de « cacher les défauts de fabrication par un mélange de terre et de chaux », en céramique (1864).
■  REMBOURRER v. tr. (fin XIIe s.) a eu le sens figuré d'« obséder (qqn), en parlant du diable ». ◆  Ce sens a disparu, alors que l'acception concrète « remplir de bourre » (XIVe s.) est devenue usuelle, remplaçant embourrer, surtout au participe passé REMBOURRÉ, ÉE, adj., qui se dit par exemple des sièges.
■  Les dérivés REMBOURRAGE n. m. (1765), « ce qui rembourre », est usuel, et REMBOURRURE n. f. (1765), plus rare.
■  REMBOURREUR, EUSE n. désigne, en français du Canada, le ou la spécialiste qui rembourre et recouvre les meubles (appelé tapissier en français de France).
DÉBOURRER v. tr. étant donné sa relative ancienneté (1209) paraît directement dérivé de bourre et non de bourrer (ci-dessus), lequel a pourtant influencé ultérieurement son développement sémantique. ◆  L'ancien sens figuré de se débourrer « se purifier » est prolongé, sans sa nuance morale, par le sens figuré de « perdre et faire perdre ses manières incultes » (1611 ; 1680 en emploi transitif). En procède en manège le sens de « donner le premier dressage à (un cheval) » (1754), encore vivant.
■  À partir du XIVe s. (1346), comme antonyme de bourrer pour « débarrasser de sa bourre », le verbe peut être considéré comme un préfixé de bourrer, notamment en technique et, par analogie, dans le sens de « retirer le tabac du fourneau de la pipe » (1845).
■  Comme intransitif, il a pris en argot le sens métaphorique d'« aller à la selle » (1883) peut-être emploi absolu dérivé de débourrer sa pipe, attesté dans ce sens. Malgré son caractère d'euphémisme, ce verbe est plus marqué comme argotique que chier.
■  Les dérivés DÉBOURRAGE n. m. (av. 1870) et DÉBOURREUR, EUSE adj. et n. (av. 1870) se limitent à l'usage technique.
ÉBOURRER v. tr. (XIIIe s.), lui aussi dérivé de bourre, signifie « ôter la bourre », surtout en termes de tannerie.
■  Il a produit les dérivés ÉBOURRAGE n. m. (1790) et ÉBOURREUR, EUSE n. et adj. (1901), ce dernier employé en apposition avec batteur en agriculture.
❏ voir BOURREAU, BURE, ÉBOURIFFÉ ; peut-être BOURGEON, BOURRICHE, REBOURS ; peut-être aussi BURLESQUE.
⇒ tableau : Bourre
3 BOURRE n. m., vocable argotique pour « policier », cumule les origines : abréviation (1910) de bourrique*, déverbal de bourrer « cogner » (Cf. cogne, de cogner), allusion perfide à bourreau.
❏  Le mot désigne populairement un policier, surtout en civil. À la différence de flic, il est resté marqué comme populaire et assez péjoratif. Il a donné lieu au calembour avec boer*.