LA LANGUE FRANÇAISE EN CORSE
La Corse, île formant un département français à statut particulier (1982), est en situation typique de « diglossie ». Celle-ci est déséquilibrée. En effet, à l'usage traditionnel du français central qui sert de référence aux usages régionaux de cette langue en Corse — caractérisés par une phonétique et des éléments lexicaux spécifiques — ne correspond aucune référence sociale admise — celle que le toscan pourrait jouer — aux parlers spontanés qui forment la « langue corse ».
L'ensemble dialectal corse fait clairement partie du plus grand ensemble des dialectes italiens du Centre et du Sud, distincts du sarde et comme lui issu du latin : son phonétisme est méridional (« sud-italique »). Un dialecte ancien, peut-être apparenté au sarde, a pu exister en Corse, mais il a été recouvert par des parlers de nature toscane (variété occidentale de Pise). Ce caractère pisan du corse se retrouve dans les parlers locaux et dans la forme véhiculaire répandue dans toute l'île. L'influence sur la langue écrite et officielle de la variété d'italien employé par la république de Gênes a été remplacée après 1768 par l'introduction du français, longtemps contrariée par la présence de l'italien.
À côté de l'italien, le corse se manifeste par écrit en 1817, puis au milieu du XIXe s. ; longtemps après la littérature, l'enseignement du corse devint une réalité dans les années 1970. Cette période fut nommée riacquistu (« réacquisition »). Cependant, l'application concrète de ces intentions a pu être vivement critiquée. On peut penser avec P. Marchetti, par exemple, qu'un enseignement efficace du corse supposerait (comme ce fut le cas en catalan, en basque) un travail de normalisation portant sur des dialectes en passe de devenir patois et sur les formes écrites du corse, aboutissant à une grammaire et à un dictionnaire acceptables par tous. Ce travail supposerait la maîtrise du point de référence que constitue le toscan : or, l'enseignement de l'italien en Corse est très insuffisant. Étant donné que l'omniprésence du français, l'immigration de non-corsophones, la baisse démographique des autochtones menace de l'extérieur cet ensemble dialectal, on peut craindre « un état de contact linguistique où le corse succombe » (P. Marchetti). En outre, l'influence lexicale et phonétique du français sur les parlers corses semble importante.
Transformer cette diglossie, où les parlers menacés deviennent plus l'objet d'une symbolique volontariste que d'une « réacquisition » effective, en un vrai bilinguisme, reste cependant possible.
BIBLIOGRAPHIE
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G. ROHLFS, Historisches Grammatik der Italienische Sprache und ihren Mundarten [Grammaire historique de la langue italienne et de ses dialectes], 1954.
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P. MARCHETTI, La Corsophonie, un idiome à la mer, Albatros, 1989. — « Corse, le problème de la langue », in Commentaires, no 56, Paris, Julliard, 1992.