L
CUIR n. m., d'abord quir (v. 1080) puis cuir (v. 1160), est issu du latin corium « peau de l'animal (robe, cuir) », « peau de l'homme » et « enveloppe, peau des arbres et des fruits », également employé à propos de la surface qui recouvre un liquide, d'une couche de sable. Le mot se rattache à une racine indoeuropéenne °(s)ker- « couper », « séparer », « partager », la peau étant ce que l'on peut détacher du reste (→ chair, écorce, etc.).
❏
En ancien français,
cuir désigne aussi bien la peau de l'homme (1080) que celle de l'animal (v. 1160) ; sous la concurrence de
peau, il a décliné après le
XVIIe s. en parlant de la peau humaine, exception faite de quelques emplois plaisants et de
cuir chevelu (1800) ; en parlant de celle d'un animal, il s'est spécialisé, par métonymie, au sens de « peau séparée de la chair, tannée et préparée » (1170).
◆
D'après ce sens, il est parfois utilisé par métonymie
(un cuir) à propos d'un vêtement de cuir et, par analogie, désigne diverses matières (déterminé dans
cuir de laine, des Vosges).
■
Le sens figuré, « faute de langage consistant à lier les mots de façon incorrecte » (1783), paraît entièrement démotivé : il se comprend peut-être par l'expression antérieure écorcher un mot (déjà chez Rabelais) et il est en relation métaphorique avec velours.
❏
CURÉE n. f., d'abord
curiée (v. 1160), est un terme de vénerie qui désigne la portion de la bête que l'on abandonne aux chiens (généralement étendue sur le cuir de la bête dépouillée) et, par extension, le fait ou le moment de donner cette curée. Par transposition au figuré, il se rapporte à une ruée sur qqch., à une dispute âpre et violente autour d'un butin, d'une place laissée disponible, sens relativement ancien (1582) et diffusé par le roman de Zola,
La Curée (1871). Le mot est aujourd'hui complètement démotivé.
■
CUIROT n. m. (1518) a désigné un morceau de cuir, puis s'est spécialisé en « peau de mouton séchée et délainée ».
❏ voir
CORIACE, CUIRASSE, EXCORIER, ROND (ROND-DE-CUIR).
CUIRASSE n. f., d'abord cuirace (1266) puis cuirasse (1417), est probablement emprunté, avec influence de cuir* sur l'initiale, à l'ancien provençal coirassa (v. 1200) plutôt qu'à l'italien corazza (fin XIIIe s.) ou à l'ancien aragonais cuyraça (1362), qui semblent plus tardifs. Tous ces mots romans sont issus du latin tardif coriacea (sous-entendu vestis), « vêtements de cuir », d'un emploi substantivé de l'adjectif dérivé de corium (→ cuir).
❏
Le mot désigne la pièce de l'armure protégeant le dos et la poitrine (à l'origine en cuir), l'expression figurée encore usuelle le défaut de la cuirasse « le point faible » (1718) se référant proprement à l'intervalle entre le bord de la cuirasse et les autres pièces qui s'y joignent. L'évolution des techniques défensives dans le domaine français a détourné le mot de son origine et il a rapidement évoqué le métal, non plus le cuir.
◆
Par analogie de forme, il a servi à désigner un ancien corsage de femme descendant jusqu'aux hanches et, par analogie de fonction, s'applique au revêtement métallique protégeant un char de combat, un navire (1863).
❏
CUIRASSIER n. m., d'abord
cuirachier (1577) a désigné à l'origine un soldat muni d'une cuirasse, puis un soldat servant dans une unité de grosse cavalerie et, par figure, un régiment blindé.
■
CUIRASSER v. tr. (1638), « revêtir une cuirasse », a développé, surtout en emploi pronominal, le sens figuré de « se fortifier » (1803).
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Il a produit CUIRASSEMENT n. m. (1876), assez rare, et CUIRASSÉ n. m. (1867), nom tiré du participe passé qui désigne un ancien navire de guerre fortement blindé et armé d'artillerie lourde, disparu dans les années 1960 (mais le mot est encore connu, notamment par le nom de navires célèbres, tel le cuirassé Potemkine).
L
CUIRE v., d'abord sous l'ancienne forme coist, troisième personne pronominale du parfait (v. 881), est hérité du bas latin °cocere, altération du verbe classique coquere. Ce mot signifie à la fois « soumettre un objet à la chaleur pour en modifier la substance » mais aussi « brûler, fondre », « digérer » et, au figuré, « méditer mûrement » et « tourmenter ». Il appartient à une racine indoeuropéenne °pekw- « cuire » et « mûrir », représentée dans le grec pessein (→ peptique) le sanskrit pácāmi, le vieux slave pekǫ « je cuis ». Les dialectes celtiques et italiques ont une forme °kwekw- où le p initial est devenu kw par assimilation.
❏
Le premier sens de cuire est celui de « brûler » en parlant du corps humain soumis au supplice du feu, sens sorti de l'usage avant 1600, tout comme celui de « griller, flétrir (des végétaux) sous l'action des intempéries » (v. 1278).
◆
Plusieurs autres valeurs figurées, qui donnaient au mot des sens trop variés, ont également décliné au cours du XVIIe s. ou au XVIIIe s., dont celles d'« élaborer par la digestion », « mettre sa confiance en qqn » (mettre cuire sur), « réfléchir à », « comprendre, apprécier » et « préparer (par la pensée) ».
◆
Le sens de « soumettre à l'action du feu » (1155, char [chair] quite ; → charcutier), utilisé en parlant d'un aliment ou d'une substance non alimentaire, est devenu progressivement le sens dominant, au propre et au figuré, dans les locutions être dur à cuire (1611), d'où au XIXe s. un dur à cuire, et cuire dans son jus (1866, argotiquement).
◆
Par extension, le mot exprime l'idée de « brûler, faire mal » en parlant d'une plaie (1180-1190) et, au figuré, de « tourmenter, faire du mal » (v. 1170), en particulier dans l'expression impersonnelle en cuire à qqn (1660 ; dès le XIVe s., sous une forme légèrement différente).
◆
En français de Belgique, ce verbe s'emploie aussi pour « faire bouillir » (cuire de l'eau) ; en Suisse, sans complément, pour « cuisiner » et avec complément, pour « faire bouillir » (cuire la lessive).
❏
Le participe présent
CUISANT, ANTE est adjectivé (
XIIe s.) au propre et au figuré. Son sens particulier, « qui sert à cuire » (1324) et la valeur « qui cuit facilement » (1690), se sont maintenus dans quelques patois.
■
La valeur figurée morale est réalisée par le participe passé CUIT, CUITE dans être cuit (XVIe s.) qui a d'abord signifié « être ruiné » avant de prendre le sens moderne d'« être vaincu » (1675) et spécialement « être ivre » (1606). Mais toutes ces valeurs tendent à être interprétées comme des emplois figurés du sens culinaire. Beaucoup de locutions encore usuelles au XVIIe s. sont sorties de l'usage mais on rencontre encore avoir son pain cuit « avoir ce qu'il faut pour vivre aisément ».
■
Le féminin CUITE a été substantivé (1268, cuite du levain) au sens très particulier de « fournée de pain correspondant à une quantité donnée de levain ».
◆
Sous l'influence de l'expression être cuit « ivre », il a pris son sens familier d'« ivresse » (1864), peut-être à rapprocher de l'expression argotique équivalente chauffer son four « boire ».
◆
Il a entraîné SE CUITER v. pron. (1869) « se soûler » et SE DÉCUITER (XXe s.).
■
L'antonyme de cuit, INCUIT, INCUITE adj. (XVIe s., également encuit) « mal cuit, non cuit », a été repris fin XVIIIe s. (1798) et substantivé au XIXe s. pour désigner la partie mal cuite d'une viande (1867) ; le mot est archaïque, sauf au sens technique de « partie inerte d'une chaux, d'un ciment insuffisamment chauffé » (1841).
■
CUISEUR n. m. a désigné (1270) l'ouvrier qui dirige le feu d'un four et désigne aujourd'hui (1917) un appareil de cuisson d'aliments, d'où le composé AUTOCUISEUR n. m. (v. 1917).
◆
Le nom d'ouvrier est vivant à propos de celui qui surveille la cuisson du sirop de canne pour produire le sucre, par exemple en français de l'île Maurice (chef cuiseur). Le feminin est virutel.
■
CUISAGE n. m. (XIVe s.) s'est spécialisé techniquement à propos de la réduction du bois en charbon, laissant l'emprunt cuisson (ci-dessous) assumer le sens général.
◈
Par préfixation,
cuire a donné
RECUIRE v. tr. (v. 1130) « cuire de nouveau », employé également dans le domaine technique dès le
XIIe s. (pour un métal).
◆
Celui-ci a produit à son tour
RECUISSON n. f. (1611), d'après
cuisson, de nos jours employé à propos d'une opération de verrerie artisanale (1869), et
RECUIT n. m. (1676), appliqué aujourd'hui à une opération technique en métallurgie (1890).
■
SURCUIRE v. tr. (1876 ; 1868 surcuit, au p. p.) réalise l'idée d'une cuisson excessive, appelée SURCUISSON n. f. (1868).
■
PRÉCUIRE v. tr. (1972) et PRÉCUIT, CUITE adj., concernent une cuisson préalable à la vente (de légumes ou d'aliments). De là PRÉCUISSON n. f.
◈
CUISSON n. f. continue (1256) le latin
coctio « action de cuire », « aliment cuit », également « digestion », dérivé du supin de
coquere. Son initiale a été adaptée sous l'influence de
cuire.
■
Le sens de « démangeaison, sensation de brûlure vive » est premier par rapport au sens aujourd'hui dominant d'« action de cuire, de chauffer » (XVe s.).
❏ voir
BISCUIT, CONCOCTER, CUISINE, CUISTRE, PRÉCOCE, QUEUX et les emprunts BISCOTTE, CAKE, COCAGNE, 2 COQ, QUICHE.
L
CUISINE n. f. est issu (1155) du bas latin °cocina, altération du mot classique coquina « lieu où l'on cuisine » et « art du cuisinier », dérivé de coquere (→ cuire).
❏
Le rapport avec coquinus (→ coquin) demeure mystérieux. Le mot a repris les sens latins et, par métonymie, désigne aussi les mets cuisinés (1170). Ultérieurement, au XVIIIe s., il s'est étendu par métonymie au personnel travaillant aux cuisines (1740).
◆
Le mot, du XIIe s. à nos jours, désigne des lieux spécialement affectés à la préparation des aliments, dans des contextes variés, d'abord surtout dans des collectivités et de vastes résidences, du monastère au château, puis dans les maisons privées, avec une distinction bourgeoise (cuisine, office, salle à manger) inconnue des classes sociales rurales et prolétariennes (au XIXe s.). Une valeur spéciale au XXe s. concerne l'équipement de cette pièce (cuisine équipée, meubles de cuisine). D'une manière plus abstraite, le mot s'applique à l'espace consacré à la préparation de la nourriture, par exemple dans coin cuisine (d'un studio), en français de France. En français d'Afrique, cuisine s'emploie pour l'endroit, parfois extérieur (par exemple dans un enclos, une concession) où on prépare les repas.
◆
Cuisine a reçu le sens figuré, souvent péjoratif, de « manière de préparer, en littérature, en politique » (av. 1778).
◆
Au sens d'« art culinaire », il s'entend spécialement (XVIIIe s.) de la préparation des aliments consommés immédiatement, à l'exclusion de la pâtisserie, des confiseries et conserves.
◆
L'expression latin de cuisine « mauvais latin » est à mettre en rapport avec l'évolution de sens de cuistre*.
❏
Le dérivé
CUISINER v. tr. (
XIIIe s.), transitif pour « préparer (un plat) », ou absolu
(elle cuisine mieux que...) a pris lui aussi le sens figuré de « chercher par tous les moyens à obtenir de qqn des renseignements » (1881).
■
Un autre dérivé de cuisine, CUISINIER, IÈRE n., d'abord quisinier (v. 1200), a évincé le plus ancien queux* de l'usage courant.
◆
Son féminin (1299) est doublé par le nom d'appareil CUISINIÈRE n. f. (1771) qui a désigné une rôtissoire avant de se dire d'un appareil à diverses surfaces chauffantes pour cuire les aliments (1892), d'où cuisinière à bois, à charbon, à gaz, électrique, désignant des appareils très différents.
◆
CUISINISTE n. (1982) se dit du, de la spécialiste de l'installation des cuisines, des éléments de cuisine, et des vendeurs de ces éléments.
■
Cuisine a été déformé en CUISTANCE (1912), dans l'argot militaire (peut-être d'après béquetance), qui désigne le lieu où l'on fait à manger ; il est passé dans le langage familier au sens de « préparation des mets ».
◆
On en a tiré CUISTOT n. m. (1894), « cuisinier (surtout dans une communauté) », et CUISTANCIER (1915), qui s'est moins bien imposé.
■
CUISINETTE n. f. (1920 au Canada, repris 1973) est recommandé officiellement en remplacement de l'anglicisme kitchenette. Il est aussi employé en Suisse (où l'anglicisme n'a pas cours) à propos d'une petite cuisine équipée (1950).
L
CUISSE n. f., d'abord quisse (1080), est issu du latin impérial coxa « os de la hanche, hanche », qui a dû désigner à l'origine une articulation en général car les mots correspondants, dans d'autres langues, s'appliquent à des articulations diverses (irlandais coss « pied », sanskrit kákṣaḥ, kakṣā « aisselle », etc.). Coxa a pris le sens de « cuisse », éliminant le latin classique de même sens femur lequel souffrait d'une ressemblance déplaisante (→ fémur), cependant que la notion de « hanche » a été exprimée par un terme emprunté au germanique (Cf. hanche).
❏
Le mot, employé principalement en parlant de l'être humain, se dit aussi de l'animal et spécialement d'une volaille cuisinée (par opposition à aile). Tout comme fesse et cul, mais moins souvent que ces derniers, il est employé avec des connotations érotiques, en parlant d'une femme (ci-dessous cuissage). Il donne lieu à des locutions comme être (se croire) sorti de la cuisse de Jupiter « être exceptionnel ».
❏
Dans un autre registre,
cuisse a produit les termes techniques de boucherie
CUISSOT n. m. (v. 1200), réservé aux gros gibiers et employé par extension pour désigner les cuisses d'un animal, et
CUISSEAU n. m. (1651), d'abord dit d'un chevreuil puis réservé au veau (1725). Ce dernier, sous la forme
quissel (1240-1260), existait en ancien français comme dénomination d'une partie de l'armure couvrant la cuisse.
■
À partir du sens métonymique de cuisse, « partie du vêtement recouvrant la cuisse », ont été dérivés plusieurs termes d'habillement. CUISSETTES n. m. pl. (1945) est un terme de Suisse romande qui désigne des culottes courtes de sport sans poche ni braguette (à la différence de short).
◆
CUISSARDES n. f. pl. (av. 1922), d'abord adjectif dans guêtre cuissarde (1894), désigne des bottes qui montent haut sur les cuisses.
■
Les termes plus anciens CUISSIÈRE n. f. (1280) et CUISSARD n. m. (1571) se sont reconvertis : du vocabulaire de l'armurerie, ils sont passés dans celui de l'habillement sportif, cuissard désignant la garniture protégeant la cuisse du hockeyeur sur glace (1930) et cuissière celle de l'escrimeur (1906).
■
CUISSAGE n. m. (1577), surtout employé dans l'expression droit de cuissage (1756), désigne le droit féodal selon lequel les seigneurs pouvaient mettre une jambe nue dans le lit de la mariée d'un de leurs serfs ou vassaux le jour de ses noces, voire (et c'est le sens courant de l'expression) passer la première nuit avec elle. Ce droit, qui pouvait être racheté à prix d'argent, s'est changé en impôt sur le mariage avant de disparaître (Cf. jambage). Cependant, l'expression est encore employée, adaptée à un contexte moderne (relations phallocratiques patron-employée, dénoncées par les féministes).
◈
Cuisse a fourni deux désignations métaphoriques en botanique :
CUISSE-DE-NYMPHE n. f. (
XVIIIe s.), par analogie de teinte et allusion à la peinture du temps de Boucher, d'une variété de rose blanche teintée de rose, mot également utilisé comme adjectif de couleur invariable, parfois renforcé en
cuisse de nymphe émue, et
CUISSE-MADAME n. f. (1611,
cuissedame), par analogie de forme, « variété de poire de forme allongée, de couleur jaune ».
◆
CUISSE-DAME n. f. (1907) correspond en français de Suisse au suisse allemand
Schänkeli, et désigne une pâtisserie cylindrique brune, sucrée, de pâte à beignet frite. On dit aussi
cuisse de dame.
■
Le composé ÉCUISSER v. tr., employé en ancien français au sens de « couper les cuisses » (v. 1179, escuissier), s'est spécialisé en sylviculture (1571) pour « faire éclater le tronc d'un arbre », d'après l'emploi de cuisse au sens de « branche, fourchon », attesté vers 1400.
◈
Pour combler la carence d'un adjectif didactique relatif à la hanche, on a formé
COXAL, ALE, AUX adj. (1811) sur le latin
coxa « hanche ».
◆
Le mot a suscité une série scientifique en
cox- avec
COXALGIE n. f. (1823),
COXITE n. f. (1956) et
COXARTHROSE n. f. (1956).
❏ voir
COUSSIN.
L
CUISTRE n. et adj. apparu à l'époque classique (1622), est, avec une intéressante évolution sémantique, l'ancien cas sujet coistre, quistre (1174) correspondant à l'ancien cas régime coistron, quistron « marmiton, valet de cuisine » (dès 1140, en latin médiéval quistrun), lui-même issu du bas latin °coquistro, dérivé de coquere (→ cuire) et peut-être à identifier avec le latin des gloses cocistro « goûteur des mets ». Le cui- de la forme actuelle s'explique par l'influence phonétique de mots du même groupe cuire, cuisine, etc., et le maintien du s répond à un souci d'expressivité.
❏
Le mot s'est appliqué au valet, au subalterne dans un collège, puis (1640) à l'écolier qui porte le manteau et le bonnet (mais pas la robe longue), et au cuisinier des étudiants.
◆
C'est vers 1670 qu'il a commencé à désigner un homme pédant, ridicule et vaniteux de son savoir, également en emploi adjectivé. Un emploi secondaire, à propos d'un homme manquant de savoir-vivre, ou compensant sa pauvreté par sa prétention, est propre à la langue classique mais a continué à s'employer ensuite.
❏
CUISTRERIE n. f., dérivé tardif (1844), désigne le pédantisme dans ce qu'il a de ridicule et, par métonymie, un ou des propos de cuistre (av. 1857).
L
CUIVRE n. m. est issu (v. 1120) du latin cyprum, cuprum « cuivre », mot emprunté au grec kupros, nom de l'île de Chypre (d'étymologie inconnue), d'abord employé dans le syntagme aes cyprium « cuivre de Chypre », avant de remplacer le nom latin du cuivre aes (→ airain). La terminaison -um est probablement analogique d'autres noms de métaux (aurum « or », ferrum « fer », argentum « argent »).
◆
Les formes de l'anglo-normand queivre, quivre (1155), ainsi que coivre, sont généralement ramenées à des variantes du latin impérial cyprium, cupreum, mais l'évolution phonétique est obscure. La forme régulière, issue du latin impérial cuprum, est keuvre (1288), encore en usage en picard, wallon, franco-provençal et occitan. Le i pourrait s'expliquer par une confusion avec l'ancien français cuivre « carquois ».
❏
Le mot, nom d'un métal de couleur rouge-brun, a reçu des valeurs métaphoriques (mettant l'accent sur la couleur, la sonorité) et des sens métonymiques : il désigne, depuis le XIXe s., un ensemble d'ustensiles de cuisine ou d'objets d'ornement (1823) et, en musique (1832), l'ensemble des instruments à vent en cuivre employés dans un orchestre. Cuivre désigne également (1845), en gravure, la planche de cuivre gravée et, par métonymie, la gravure elle-même.
◆
Il fournit un adjectif de couleur (1818), en concurrence avec cuivré.
❏
CUIVREUX, EUSE adj., d'abord
cuyvreux (1571) proprement « qui contient du cuivre », qualifie aussi ce qui a la couleur (1740) et la sonorité (1838) du métal.
■
CUIVRER v. tr. (1723) est employé en technique et réalise le sens figuré de « donner à (une chose) les caractéristiques du cuivre », avec une notation de couleur, de sonorité et, au figuré, d'ivresse (1838, Barbey).
◆
Son participe passé CUIVRÉ, ÉE adj. est en passe de supplanter cuivreux dans sa valeur visuelle (1740) se spécialisant pour qualifier une teinte rougeâtre, et sonore (1848).
◆
Les dérivés de cuivrer, CUIVRAGE n. m. (1777) et CUIVRERIE n. f. (1877), sont d'usage seulement technique.
◈
L'élément savant
CUPR- (cupri-, cupro-) a servi à former un certain nombre de termes de minéralogie, chimie et métallurgie, ainsi que les adjectifs didactiques
CUPRIFÈRE (1834) et
CUPRIQUE (1845), dont les correspondants anglais sont attestés avant 1800 (
cupriferous, 1784 ;
cupric, 1799).
L +
CUL n. m. est issu (v. 1179, Renart) du latin culus « derrière humain », mot populaire relevé dans les graffiti satiriques et les priapées, et conservé dans toutes les langues romanes. Il a été rapproché de l'irlandais cúl « dos », du slave kyla et de l'ancien haut allemand hōla « hernie », mais ces derniers sont éloignés par le sens ; il n'est pas impossible qu'il soit apparenté à cunnus (→ con).
❏
L'usage de
cul au sens concret de « derrière » est marqué comme vulgaire ou tabou à partir de la seconde moitié du
XVIIe s. ; la plupart des emplois neutres (locutions et dérivés) attestent encore aujourd'hui le caractère relativement tardif des interdits.
◆
Cul est très productif en locutions familières, entre autres
avoir le cul pesant (
XIIIe s.) « être un lourdaud »,
faire le cul de plomb (1640) « être toujours assis »,
avoir le feu au cul « être pressé »,
baiser le cul à qqn (1694) « s'abaisser », ne se dit plus,
péter plus haut que son cul (1656) est encore vivant pour « être prétentieux ».
◆
Le syntagme
faux cul, appliqué par péjoration à une personne hypocrite, désignait à l'origine une tournure portée par les femmes.
◆
Les emplois de
cul au sens métonymique de « personne » sont d'ailleurs nombreux et ne présentent pas tous le même degré de vulgarité. À côté de
cul « homme bête et grossier » (1872), on rencontre les composés
CUL-TERREUX n. m. familièrement « paysan »,
CUL-DE-PLOMB n. m. « personne sédentaire » ; plus neutre,
CUL-DE-JATTE (1604) dans lequel
cul a d'abord le sens de « fond d'un objet ».
■
Plusieurs emplois de cul sont directement sexuels, se référant à la sodomie (« anus », comme dans l'avoir dans le cul) mais aussi aux fesses en tant qu'objet sexuel et au sexe de la femme ; ce dernier sens, encore plus marqué que les précédents, étant devenu usuel, d'abord dans le milieu de la prostitution. À ce sens se rattachent des expressions évoquant le désir (le feu au cul, 1536), l'acte sexuel et sa possibilité (→ aussi fesse), sa représentation (du cul !, à la télévision)...
■
Parallèlement, cul désigne familièrement (1250) le fond de certains objets. Il fournit alors une désignation usuelle dans CUL-DE-SAC n. m. (1307) « rue sans issue », au figuré « situation sans issue » (XVIIIe s.), CUL-DE-FOUR n. m. (1555 ; au cul du four, déb. XVe s.), et CUL-DE-LAMPE n. m. (1448, avec un sens ancien) spécialisé en architecture (1657) et en typographie, pour un ornement évoquant la base d'une lampe d'église. Ces mots innocents étaient dénoncés comme bas aux XVIIe et XVIIIe siècles.
◆
Cul a fourni le premier ou le second terme d'autres noms composés (généralement écrits avec un trait d'union dès lors que le composé n'a plus le sens de la somme de ses composants) ; on peut citer CUL-BLANC n. m. et PAILLE-EN-CUL, noms de sortes d'oiseaux, et aussi SOUS-CUL n. m. (1890) « petit tapis sur lequel on s'assoit », BRONZE-CUL n. m. (v. 1970) « action de se bronzer en s'exposant nu au soleil ».
La réduplication de type enfantin CUCUL adj. aussi écrit CUCU (1929) a la valeur adoucie de « niais, un peu ridicule » ; elle est renforcée en cucul la praline. Le dérivé CUCUTERIE n. f. a la même valeur.
❏
Cul a produit plusieurs dérivés techniques comme
CULASSE n. f. (1538) « extrémité postérieure d'une arme à feu ».
CULÉE n. f. (1355) est utilisé en architecture
(la culée d'un pont) et en marine (1694) ainsi qu'aux sens de « partie d'une peau tannée prise sur l'arrière-train de l'animal », et « souche ».
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S'y ajoutent CULER v. intr. (1687 ; 1482, « frapper, pousser au cul ») utilisé en marine au sens d'« aller en arrière » (→ reculer) et son dérivé CULEMENT n. m. (XIXe s.).
◆
CULERON n. m. (1611) désigne la partie de la croupière sur laquelle repose la queue d'un cheval harnaché.
◆
CULIÈRE n. f. (1260), est le féminin substantivé de l'adjectif CULIER, IÈRE (XIIIe s.) [Cf. boyau culier, par exemple chez Rabelais], également en parlant d'un cheval et substantivé au féminin pour une sangle fixée à la croupe afin d'empêcher le harnais de glisser.
◆
CULARD adj. m. se dit en termes d'élevage d'un bœuf dont l'arrière-train développé fournit plus de viande que dans les espèces traditionnelles. C'est aussi un nom masculin.
◈
CULOT n. m. (1292) et son féminin
culotte ont une grande vitalité :
culot, apparu avec le sens technique de « fond, partie inférieure d'un objet », s'est étendu, par métonymie, à ce qui reste au fond, le résidu (
XVIIe s.) et à l'endroit d'une pipe où se forme ce résidu. Toujours au
XVIIe s., il a reçu le sens figuré de « dernier », en particulier « dernier-né » (1606) et « dernier reçu dans une compagnie » (1611).
◆
Par métaphore, il a développé (1879) le sens familier courant d'« assurance excessive, effronterie », soit parce que celui qui a « du culot » ne perd pas facilement l'équilibre, étant fermement assuré sur sa base (par une évolution du type de celle d'
aplomb), soit par allusion à
culot de pipe : le fait d'être aguerri, endurci, aurait quelque analogie avec le fait, pour une pipe, d'être culotté.
■
Culot a produit CULOTTÉ, ÉE adj. (1792 ; repris fin XIXe s.) et le verbe 2 CULOTTER v. tr. (1823), d'abord technique puis (1838, pronominal) de sens figuré pour « rendre audacieux, expert ».
◆
De ce sens procèdent CULOTTAGE n. m. (1841), CULOTTEUR n. m. (1845) « grand fumeur de pipes » et 2 DÉCULOTTER v. tr. (1850) en parlant d'une pipe.
◈
Quant au féminin
CULOTTE, dont l'origine est encore moins sentie que celle de
culot par la majorité des locuteurs, il a d'abord désigné un vêtement de dessus (de même que
chausses et
braie, plus anciens). L'opposition entre
culotte, vêtement serré sous les genoux, et
pantalon* est active au
XVIIIe s., mais s'atténue au
XIXe s. et disparaît au
XXe siècle.
Culotte s'est maintenu uniquement à propos de types de vêtement particulier (
culottes bouffantes, culottes courtes — opposé à
pantalon long —,
culotte de cheval, jupe-culotte) et dans des expressions où, par opposition à
jupe, il figure l'emblème de l'homme (
porter la culotte, 1798).
■
L'appellation SANS-CULOTTE (1790) est un reliquat du sens ancien, par allusion au fait que les hommes du peuple portaient le pantalon, la culotte serrée étant l'apanage des nobles. Elle a été rapidement démotivée, devenue synonyme de révolutionnaire et de patriote, comme le montre le féminin une sans-culotte (1794, Restif).
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Culotte est resté usuel comme terme d'habillement mais s'applique, en français d'Europe, soit aux culottes des jeunes garçons, soit à un sous-vêtement féminin (1903), soit encore à un sous-vêtement de petit enfant (couche*-culotte).
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Certains emplois de culotte, en français québécois, correspondent à l'usage de pantalon en français d'Europe. Une paire de culottes : un pantalon. Culottes de baseball, de hockey désignent un vêtement qui couvre le corps des joueurs (différents selon le sport) de la taille aux genoux ou aux mollets. Plusieurs locutions figurées sont en usage au Québec : sauter dans ses culottes, « s'habiller en hâte » ; être pris les culottes à terre, « par surprise » ; (ne pas être) gros dans ses culottes, (être) « mal à l'aise ». Toujours en français du Québec, on désigne par le mot culotte ou petite culotte le sous-vêtement féminin et enfantin.
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Par analogie et par métonymie, culotte est utilisé en boucherie (1708) comme désignation d'une partie de la cuisse de l'animal et, au XIXe s., a reçu quelques acceptions techniques (mécanique, mines, travaux publics).
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Le sens moins clair de « perte importante au jeu » (1838) est probablement à mettre en rapport avec culot « partie basse de qqch. » pris avec l'idée d'« infériorité », par exemple dans être culot « être inférieur à son adversaire, au billard ».
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Celui d'« action de s'enivrer, état d'ivresse » (v. 1820) se rattache à se culotter « se colorer comme le culot d'une pipe » d'où « se soûler » ; il dépend donc en fait de culot et non de culotte.
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Comme culot, culotte a produit un verbe 1 CULOTTER v. tr. (1792), proprement « vêtir d'une culotte », et son antonyme 1 DÉCULOTTER v. tr. (1739, se déculotter) qui a reçu de nombreux sens figurés, dont ceux de « faire avouer » et « révéler publiquement » (1894).
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Ce dernier sens vit dans les dérivés DÉCULOTTAGE n. m. (1890) au propre et (1831) au figuré, et DÉCULOTTÉE n. f. (1906) « défaite cuisante ».
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RECULOTTER v. tr. « remettre sa culotte, son pantalon à (quelqu'un) » est surtout usité au pronominal.
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Culotte a également fourni le nom de celui qui confectionne des culottes et des pantalons : CULOTTIER n. m. (1790).
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Un composé caché de
cul, en usage en français de Suisse, est
CUPESSE n. f., formé selon Wartburg de
cul et du dialectal
pesse « épicéa », avec le sens de
culbute*. Attesté depuis 1802, le mot s'emploie en Suisse pour « culbute », au figuré
faire la cupesse « être ruiné ».
En cupesse loc. adv. signifie « en désordre » (comme
en chni, en cheni). Le dérivé
CUPESSER v. intr. (1820) s'emploie aussi pour « faire la culbute », au propre et au figuré.
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La majorité des préfixés verbaux dérivés de
cul sont démotivés et devenus autonomes
(→ acculer, basculer, bousculer, éculer, reculer).
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Seul ENCULER v. tr. (1734, Piron) est senti spontanément, avec son sens érotique et même au figuré, comme un mot du même groupe. Il a produit ENCULAGE n. m. (1936), ENCULEUR n. m. (1790), et ENCULÉ, ÉE adj. (v. 1850) qui désigne au masculin un homosexuel passif et est adressé injurieusement à un homme (sans préjuger de ses mœurs sexuelles) et même à une femme.
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Outre sa valeur érotique, la série a un emploi métaphorique assez courant, par exemple dans enculage de mouches « minutie excessive dans la critique de détails » (Cf. pinaillage, pinailler).
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Du sens figuré de
cul « imbécile », vient le dérivé oral
CUTERIE n. f. (1897).
❏ voir
ACCULER, BASCULER, BOUSCULER, CULBUTER, ÉCULER, RECULER, TAPE-CUL (art. TAPER), TUTU.
CULBUTER v., d'abord cullebuter (1534) intransitif, est le composé tautologique de culer (1482, « pousser au cul, par derrière ») [→ cul] et de buter*. On notera que le moyen français connaît cullebute au sens de « pénis » (XVe s.), composé très clair de buter et culler (en emploi transitif) ou de cul, qui éclaire le premier emploi rabelaisien.
❏
Le verbe apparaît chez Rabelais dans un emploi érotique. Le sens usuel de « tomber, faire tomber à la renverse » a donné lui-même le sens spécial érotique de « renverser (une femme) pour la posséder charnellement ».
◆
Par la même transposition figurée que renverser, le mot exprime aussi le fait de venir à bout, violemment, de qqch. (1601).
❏
Le déverbal
CULBUTE n. f. apparaît dès le
XVe s. sous la forme du surnom
Cullebute (1479), ironiquement donné à un moine d'après le nom argotique du membre viril. Il se répand au
XVIe s. avec son sens usuel de « mouvement de cabriole, chute brusque » et le sens figuré (1680) correspondant.
Voir aussi cupesse, à l'art. cul.
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CULBUTEUR n. m. (1599) s'applique en particulier à un acrobate, à celui qui culbute les femmes (1610, culbuteur de commères) et, au féminin, à une femme facile (1852).
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Il est usuel comme désignation d'un appareil mécanique servant à renverser un objet (1876), sens spécialisé pour désigner une pièce du moteur à explosion agissant sur les soupapes.
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CULBUTIS n. m., d'abord culebutis (1644), apparu dans le style burlesque, fournit un doublet à culbute de sens moins dynamique.
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Le participe présent CULBUTANT est substantivé techniquement (1845) et repris en argot comme désignation du pantalon (1872), remotivé d'après cul, culotte.
■
CULBUTAGE n. m. (1853) et CULBUTEMENT n. m. (1884) sont surtout employés en aéronautique.
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CULBUTÉ, ÉE, lui-même, participe passé adjectivé (v. 1950), s'emploie à propos d'un moteur à explosion dont les soupapes sont commandées par des culbuteurs.
CULINAIRE adj. est emprunté (1546, Rabelais) au latin culinarius « qui a rapport à la cuisine », dérivé de culina « cuisine », synonyme de coquina (→ cuisine) et également apparenté à coquere (→ cuire). Le mot aurait été déformé sous l'influence de culus (→ cul), les latrines étant souvent attenantes à la cuisine à Rome, et culina est attesté pour « latrines ». Il s'agirait donc à l'origine d'un terme dérisoire et péjoratif.
❏
Le mot, ayant complètement perdu ses connotations latines, qualifie ce qui a trait à la cuisine.
❏
Les dérivés CULINAIREMENT adv. (1825) et CULINARITÉ n. f. (XIXe s.) sont peu usités.
CULMINER v. intr. est emprunté (1751 ; dès 1708, pour culminant) au bas latin culminare « mettre le comble à, couronner », dérivé du latin classique culmen, culminis « faîte, sommet de qqch. », forme plus récente de columen (→ colonne). Le français a d'ailleurs emprunté le type latin CULMEN n. m. (1891) comme terme didactique au sens figuré de « comble » et au sens concret de « sommet » en géographie.
❏
Le verbe a été introduit en astronomie, en parlant d'un astre qui passe par le point de sa trajectoire le plus élevé au-dessus de l'horizon. Il s'est répandu en géographie à propos d'un sommet atteignant son point le plus élevé (1832) et, dans l'usage courant, avec le sens figuré d'« atteindre son maximum » (1845).
❏
CULMINANT, surtout courant dans le syntagme
point culminant, a suivi la même évolution, de l'astronomie (1708), au sens figuré (1823) et à la géographie (1832).
■
Outre culmen, le français dispose de trois noms spécialisés et rares : CULMINATION n. f. (1610, au figuré), emprunté au dérivé latin culminatio et surtout utilisé comme terme d'astronomie (1752) ; CULMINAISON n. f. (1910) d'usage littéraire, enfin CULMINANCE n. f. (1911, Tristan Bernard).
CULTE n. m. est emprunté (1532, selon Bloch et Wartburg ; ou 1570) au latin cultus, proprement « action de cultiver, de soigner », mais beaucoup plus employé au sens moral d'« éducation, civilisation » d'où « manière d'être, de se vêtir », également en religion « hommage rendu à un dieu ». Ce mot correspond au verbe colere « habiter » et « cultiver » (→ -cole, colo-) ; il procède d'une racine kwel- → culture.
❏
Culte est passé en français avec sa spécialisation religieuse, « hommage rendu à Dieu ou à un saint ». Par métonymie, il désigne l'ensemble des pratiques par lesquelles l'homme honore son Dieu (1835), liberté rendue effective après la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État (liberté des cultes). Plus spécialement, le mot s'applique au service religieux protestant (1897 en Suisse) et, plus généralement, à la religion, à la confession.
◆
L'extension figurée de « vénération, admiration » (av. 1690) est très vivante, comme en témoignent les syntagmes du type culte de la personnalité (1909) et l'emploi récent en apposition avec une valeur adjective (film culte).
❏
CULTUEL, ELLE adj. (1872, traduction de l'anglais) et son dérivé CULTUELLEMENT adv. (1957) sont d'usage didactique (anthropologie, droit).
❏ voir
CULTIVER, CULTURE, INCULTE.
CULTIVER v. tr. est la réfection savante (v. 1119), d'après le latin cultus, de l'ancien français coutiver (1155) « vénérer une divinité » et « cultiver la terre », alternance de sens dont témoigne encore l'ancien français culture et couture. Ce verbe est issu d'un type °cultivus, formé à basse époque d'après vacivus « inculte » sur cultus, de colere qui a, entre autres sens, ceux de « cultiver la terre » et d'« honorer » (→ -cole). Le latin médiéval cultivare (1284) est une latinisation de l'ancien français coutiver.
❏
Le verbe exprime l'action de traiter le sol en vue d'une production agricole. Ultérieurement, d'après certains sens de
culture*, il a reçu les sens d'« élever (certains végétaux ou animaux) dans un milieu favorisant leur croissance » (1869) et, en biologie, de « faire vivre et proliférer (des organismes) dans un milieu nutritif approprié » (1880). Le complément peut désigner la terre
(cultiver la terre, un champ), entraînant le participe passé employé comme adjectif, ou bien les végétaux avec pour
cultivé une valeur d'opposition avec
naturel, sauvage (plantes, fraises cultivées).
◆
Le verbe peut s'employer absolument en français d'Afrique, pour « être cultivateur » ou « travailler la terre »
(il est parti cultiver).
Le sens figuré de « former en éduquant, en instruisant », déjà connu du latin, s'est développé au XVIe s. (1538). Il correspond à la valeur abstraite de culture. En procède, dans un registre plus soutenu, celui de « consacrer du temps à, développer par l'exercice » (1543) d'où, plus couramment, « entretenir (une amitié) » (1666).
❏
CULTIVÉ, ÉE adj. au sens figuré de
cultiver et de
culture, s'est plus détaché du verbe que dans les emplois concrets signalés plus haut, lorsqu'il signifie « qui possède une culture, intellectuelle, scientifique, littéraire, artistique ». Il s'oppose à
inculte*, dont l'emploi dominant (le premier attesté) relève du domaine abstrait.
CULTIVABLE adj. (1308), qui a évincé
coutivable (1284), a seulement été repris à partir du
XVIIIe s. à propos d'une terre qui mérite d'être cultivée.
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Il en va de même d'INCULTIVÉ, ÉE adj., attesté du XIVe s. au XVIe s. et repris au XVIIIe s., tandis qu'INCULTIVABLE adj. apparaît ultérieurement (1776).
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Quant à CULTIVATEUR, TRICE n. (1360), qui remplace l'ancien coutiveor (av. 1150, cultivedur), il est rare avant le XVIIe s. et Furetière (1690) le qualifie encore de « suspect ». Il désigne couramment, lui aussi dans la seconde moitié du XVIIIe s., une personne qui exploite une terre et (1796) une machine pour le labour superficiel, ainsi qu'une griffe à petits socs munie d'un long manche. Il tend souvent à remplacer paysan dans l'usage moderne, l'activité économique l'emportant sur le caractère rural.
CULTURE n. f., réfection savante (XIVe s.), d'après le latin, de colture (1150), est emprunté au latin cultura dont l'évolution régulière avait donné l'ancien français couture, comme cultos avait donné naissance aux deux verbes coutiver et cultiver*. Il existait en latin deux noms d'action correspondant au verbe colere « habiter ; cultiver » (→ -cole, cultiver) et « vénérer » (→ culte) ; le plus rare, cultio « action de cultiver, de vénérer », n'a rien donné en français ; c'était un dérivé en -ti-, refait en -tio. L'autre, en -tu-, était cultus (→ culte), qui rend compte de cultura « action de cultiver la terre » et au figuré « action d'éduquer l'esprit, de vénérer », et de cultus, surtout utilisé dans un sens moral et dans la langue religieuse. La racine kwel-, dont procède cette famille de mots, transmet en effet l'idée de « s'occuper de », d'où « habiter et mettre en valeur (un lieu où l'on vit) » et de l'autre « honorer comme sacré », d'où les deux notions de cultiver et de rendre un culte.
❏
C'est ainsi que
culture et
culte*, dont les sens interféraient à l'origine, se sont progressivement différenciés. Le premier sens de
colture (1150) est celui de « champ labouré, terre cultivée et ensemencée », utilisé particulièrement en droit coutumier et attesté jusqu'en 1611. Il s'est conservé dans quelques parlers septentrionaux et en Normandie, où il fournit le nom propre de terres et de champs et le nom de famille
Couture, Lacouture. Le sens moral d'« action de révérer » (1420) n'est pas attesté au-delà du
XVIe s., où il devient l'exclusivité de
culte.
◆
Les sens modernes du mot sont apparus au
XVIe s. :
culture désigne alors l'action de cultiver la terre (on dit alors aussi
culturement) et, par métonymie, la terre cultivée (surtout au pluriel), retrouvant le sens archaïque. Le mot caractérise aussi les méthodes agricoles (
culture irriguée, culture sèche, évitant l'anglicisme
dry farming). Par extension, le mot recouvre l'action de faire pousser un végétal et, ultérieurement (1845), l'élevage de certains animaux fixés, puis (1878) l'action de faire croître certains micro-organismes en milieu approprié
(cultures bactériennes ; bouillon de culture).
C'est également au XVIe s. que culture a repris au latin le sens moral de « développement des facultés intellectuelles par des exercices appropriés » (1549) avec lequel il est employé absolument vers la fin du XVIIe s. (1691). Cette valeur individuelle du mot fait de la culture un bien intellectuel, lié au caractère cultivé ou au contraire inculte, d'une personne.
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À la fin du XVIIIe s., la traduction du terme allemand Kultur, chez Kant, introduit le sens de « caractères collectifs d'un goupe humain envisagé dans ses spécificités intellectuelles » qui va entrer en concurrence avec civilisation, encore très marqué par son sens actif originel, « action de civiliser », qui implique une hiérarchisation. Bien que déjà acclimaté par Mme de Staël en 1810, ce sens de culture ne se répand qu'au XXe s. (son origine allemande étant encore perçue au début du siècle). Au XXe s., sous l'influence conjuguée de l'allemand et de l'anglais culture dans l'usage qu'en font des ethnologues américains comme Malinowski, culture reçoit sa définition ethnologique et anthropologique d'« ensemble des formes acquises de comportement dans les sociétés humaines » (v. 1923, M. Mauss), en partie par opposition à la notion normative et hiérarchique de « civilisation ». Ces emplois sont contemporains du sens moderne d'anthropologie, dite culturelle pour la distinguer de l'anthropologie physique, plus ancienne. Ils donnent lieu à des syntagmes comme le choc des cultures, expression controversée visant à montrer que les conflits entre civilisations différentes sont inévitables. Par ailleurs, sous l'influence du dérivé culturel, la culture est opposée à la nature.
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Enfin, culture physique, attesté une première fois en 1808, s'est répandu après 1911, avec une valeur voisine de gymnastique (voir ci-dessous culturiste).
❏
La totalité des dérivés et composés de
culture date du
XIXe et du
XXe s., si l'on excepte l'antonyme
INCULTURE n. f., d'abord attesté au sens psychologique de « négligence » (1783) puis au sens concret (1783), avant de sortir à peu près d'usage et d'être repris (1860) avec la valeur d'« absence de culture intellectuelle ».
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Au XIXe s. sont apparus les dérivés se rapportant au sens concret du mot, comme CULTURAL, ALE, AUX adj. (1846) « relatif à la culture de la terre » et, par extension, « aux cultures microbiennes » (1926), ainsi que la majorité des composés en -CULTURE et -CULTEUR / -TRICE, tels apiculture n. f. et apiculteur, trice n. (1845), horticulture et horticulteur, trice (→ horticole), viticulture et viticulteur (→ viticole), puériculture, puériculteur (→ puéril), arboriculture et arboriculteur (→ arborescent).
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MONOCULTURE n. f. (1842) « culture d'un seul type végétal » et POLYCULTURE n. f. (1908) « culture de plusieurs espèces végétales différentes » ou encore MOTOCULTEUR n. m. (du radical de moteur 1913) « petit tracteur pour la culture ».
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Tous les dérivés du sens intellectuel de
culture datent du
XXe s., après la diffusion de ce sens vers 1900.
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CULTUREL, ELLE adj., d'abord attesté en 1907 au sens particulier de « relatif à la culture religieuse », a pris son sens général vers 1927. Sous l'influence de l'anglais cultural, il a reçu (v. 1950) la valeur spécialisée de « relatif aux formes acquises de comportement », en ethnologie, en relation avec l'évolution du mot et du concept d'anthropologie, avec une opposition entre culturel (sociologique) et naturel (biologique, inné) dans le domaine humain. Depuis les années 1970, l'adjectif a pris de nouvelles connotations institutionnelles (affaires culturelles), sa signification étant alors plus étroite et plus précise.
◆
À son tour, il a produit CULTURELLEMENT adv. (1926), les termes de psychologie et sociologie CULTURALISME n. m., CULTURALISTE n. (v. 1950, emprunts à l'anglais pour désigner une école d'anthropologie qui privilégie les facteurs culturels dans la constitution de la personnalité). Les composés INTERCULTUREL, ELLE adj., TRANSCULTUREL, ELLE adj. concernent les relations entre les différentes cultures.
◈
On doit aux ethnologues plusieurs termes didactiques.
ACCULTURATION n. f. (1911 ; 1880, comme mot anglais), d'où
ACCULTURÉ, ÉE adj. et n. « intégré à une culture ».
Acculturé, ée peut s'employer en Afrique subsaharienne à propos d'une personne qui adopte ou imite le mode de vie européen.
Cf. toubab. Il est souvent péjoratif. En revanche, en français de Djibouti, il vaut pour « civilisé, raffiné ».
DÉCULTURATION n. f. (v. 1963),
DÉCULTURÉ, ÉE adj. et n. (v. 1950) font allusion à la privation d'une culture héritée.
◆
Toute la série, et aussi
CULTURALISER v. tr. et
CULTURALISATION n. f. (v. 1968), porte la marque de l'anthropologie de langue anglaise.
◈
CULTURISME n. m. (v. 1950) et
CULTURISTE n. (1910 ; repris v. 1950) se rapportent à l'expression
culture physique (ci-dessus). Ils se sont spécialisés pour évoquer une forme de développement de la musculature, donnant lieu à une esthétique du corps très artificielle et à des concours.
◈
Culture, au sens moral, a suscité des composés.
SOUS-CULTURE n. f. (1915) s'applique à une culture appartenant à un groupe social, par rapport à celle où ce groupe s'inscrit, et souvent considérée comme inférieure ou marginale.
◆
CONTRE-CULTURE n. f. désigne un système de valeurs (éthiques, esthétiques) qui s'opposent aux valeurs traditionnelles dominantes, dans une société donnée.
❏ voir
AGRICOLE, AGRICULTURE (sous AGRESTE).
CUMIN n. m., d'abord comin (av. 1188) — encore au XVIIe s. —, puis cummin (XIIIe s.) et cumin, est issu du latin cuminum. Lui-même est l'adaptation du grec kuminon, nom d'une plante ombellifère originaire d'Orient, d'origine sémitique (hébreu kammôn, akkadien kamūnu[m]).
❏
Le mot désigne la plante et, par métonymie, sa graine aromatique, plus rarement une boisson alcoolisée à base de cumin.
❏
Les chimistes en ont dérivé l'adjectif CUMINIQUE (1876).
CUMULER v. tr. est emprunté (v. 1355) au latin cumulare « assembler, amasser », dont l'évolution phonétique a donné combler*.
❏
Jusqu'au XVIe s., le mot a signifié « entasser », sens réservé depuis à son composé accumuler*. À partir du XVIIe s., cumuler a pris ses sens modernes en se spécialisant dans l'usage juridique (av. 1690) et dans l'usage administratif (1784).
◆
Par extension, il est employé couramment au figuré, « réunir en une seule personne des caractères » et « réunir plusieurs choses qui produisent un effet ».
❏
De
cumuler sont dérivés
CUMULATION n. f., mot rare du langage juridique et administratif (1792,
cumulation des fonctions) où il subit la concurrence de
CUMUL n. m. (1692), généralisé au
XIXe s. et usuel en commerce, comptabilité et en politique
(cumul des mandats). En droit pénal, le
cumul des peines correspond au fait de devoir subir successivement les peines prononcées pour chacune des infractions différentes commises par une même personne.
Cumul réel désigne les actes matériels successifs constituant chacun une infraction.
◆
En matière fiscale, on appelle en Belgique
cumul des époux l'addition des revenus des époux pour le calcul de l'impôt.
◆
CUMULATIF, IVE adj. (1690) et
CUMULATIVEMENT adv. (1549) sont didactiques.
◆
CUMULABLE adj. (v. 1950) se rapporte surtout aux emplois administratifs de
cumuler et financiers de
cumul.
◆
CUMULARD n. m. est formé (1821) avec le suffixe péjoratif
-ard pour critiquer ceux qui cumulent de manière plus ou moins scandaleuse plusieurs emplois bien rétribués.
◈
DÉCUMUL n. m., en français de Belgique, est un terme administratif dénommant la séparation des revenus d'un couple, pour le fisc.
◈
Au
XIXe s., le français a emprunté au latin le substantif
CUMULUS n. m. « amas, tas »
(→ comble) comme terme de météorologie (1830) pour désigner un gros nuage de forme et de nature caractéristiques.
◆
Par composition, le mot a servi à former d'autres noms masculins de nuages tels
ALTOCUMULUS (1889),
CUMULONIMBUS (1891) et
CUMULOSTRATUS (1830),
STRATOCUMULUS (1894).
◆
Dans la première moitié du
XXe s.,
cumulus a été réemprunté pour désigner un réservoir d'eau chaude, parce qu'il accumule l'eau.
CUMULET n. m., composé de cul (le second élément n'est pas clair), s'emploie en français de Belgique pour « culbute ».