DÉGÉNÉRER v. intr. est emprunté (1361) au latin degenerare, de de et generare (→ générer) « perdre les qualités de sa race (genus), s'abâtardir », « s'abaisser à », et transitivement « altérer, ruiner ».
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Le mot est passé en français avec le sens étymologique, recevant ensuite la valeur figurée d'« avoir moins de valeur, de mérite que ceux dont on est issu » (1458, dans dégénérer de). Par extension, il se construit avec la préposition en avec le sens de « changer de bien en mal », d'abord dans un contexte médical (fin XVIe s., se dégénérer), puis en général (1663, Molière).
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Le participe passé a produit l'adj. DÉGÉNÉRÉ, ÉE, d'abord attesté pour « qui a perdu les qualités de sa race » (1753), puis « qui est atteint d'anomalies congénitales », d'où un, une dégénéré(e) (1891), quasi synonyme de débile, idiot. Il s'emploie au figuré, en sciences, pour « qui a perdu ses caractères premiers ».
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Le nom correspondant,
DÉGÉNÉRATION n. f., qui avait été emprunté (1508-1517) au bas latin
degeneratio, est devenu rare, sauf dans un emploi spécial en pathologie.
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Il a reculé devant DÉGÉNÉRESCENCE n. f. (1796, Condorcet), fait sur le radical de dégénérer avec le suffixe -escence, sur le modèle de efflorescence, effervescence...
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En prenant modèle sur les adjectifs en -ent correspondant à de tels noms, on a formé par la suite DÉGÉNÉRESCENT, ENTE adj., attesté en 1834 dans un dictionnaire de sciences naturelles.
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Le vocabulaire scientifique a aussi formé DÉGÉNÉRATIF, IVE adj. sur le radical de dégénérer (1872, Cl. Bernard).
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NEURODÉGÉNÉRATIF, IVE adj., concerne la pathologie du système nerveux.
❏ voir
l'antonyme RÉGÉNÉRER.
DÉGINGANDÉ, ÉE adj. est l'altération (av. 1596), probablement sous l'influence du moyen français giguer « folâtrer » (→ guinguette), du participe passé de l'ancien verbe dehingander « disloquer » (1552, Rabelais). Ce dernier, d'origine obscure, peut se rattacher au moyen néerlandais henge « gond » (allemand Hängen, moyen haut allemand hengen), d'un groupe germanique signifiant « pendre » (anglais to hang « pendre » et hinge « gond ») relevant d'une racine indoeuropéenne que l'on retrouve dans le sanskrit çáṇkate « il hésite » et le latin cunctari « temporiser, s'attarder ». On a aussi évoqué un emprunt au moyen haut allemand hingeln « boiter ».
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Le mot aurait pénétré en français par la région bilingue du Nord, passant de l'idée de « sortir de ses gonds » (
dé- impliquant séparation, éloignement) à celle de « disloquer ».
Dégingandé qualifie d'abord un objet, un véhicule disloqué et, par analogie, une personne (1690), de nos jours avec l'idée physique de grandeur et de maigreur, celle de dislocation n'étant plus sentie. Par extension, il signifie au figuré « qui manque de tenue, se laisse aller » (1670).
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Le verbe SE DÉGINGANDER (v. 1800) dépend aujourd'hui de ce participe passé adjectivé.
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En sont issus les noms synonymes DÉGINGANDAGE n. m. (1887) et DÉGINGANDEMENT n. m. (1867), l'un et l'autre peu employés.
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DÉGLINGUER v. tr., attesté depuis 1880, est d'origine obscure : on y a vu une variante du terme de marine déclinquer « détacher des bordages (ou clins) du corps d'un bâtiment » (1792), lequel est dérivé de clinc, ancienne forme de clin*. On a aussi évoqué une dérivation des formes issues de l'allemand klingen « sonner, retentir », mot reposant sur une onomatopée largement répandue dans les langues germaniques et en français même (→ clinquant, cliquer) telles que les formes dialectales glinguer « sonner, résonner », glingue « chose sans valeur ».
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D'abord argotique, le mot s'est répandu dans l'usage familier pour « détériorer (qqch.) par dislocation ». Il correspond aussi à « tuer » (1935), et son participe passé DÉGLINGUÉ, ÉE s'est employé pour « malade, épuisé » (1897) et « ivre » (1982 dans Pierre Perret).
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Il a produit DÉGLINGUEMENT n. m. (1910), DÉGLINGUAGE n. m. et DÉGLINGUABLE adj. (1936, Céline).
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Le déverbal DÉGLINGUE n. f. au figuré « délabrement psychologique », est à la mode dans un usage très familier (v. 1960-70).
DÉGLUTIR v. tr. est emprunté (v. 1120) au bas latin deglut(t)ire « avaler, engloutir », de de- indiquant l'achèvement du procès et glut(t)ire « avaler », dérivé de glut(t)us « gosier » (→ engloutir, glouton).
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Le verbe, qui a conservé le sens du latin, « avaler », est surtout d'usage didactique (en physiologie, 1832).
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Le nom correspondant DÉGLUTITION n. f. a été formé savamment en médecine (1561) sur deglutire au moyen du suffixe -tion.
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DÉGOTER v., enregistré en 1694, est d'origine obscure : le rattachement à gal, gau « caillou » (→ galet), proposé par Ménage, fait difficulté d'un point de vue phonétique. Il faut peut-être rapprocher dégoter de l'angevin got « trou pour la balle, dans un jeu », mais c'est alors l'origine de ce nom qui fait problème. Selon P. Guiraud, l'élément -got- désignerait un lieu d'où l'on fait sortir qqch., de sorte que l'hypothèse la plus vraisemblable serait, pour lui, un rattachement à l'ancien français cote « cabane », « niche », « étable à cochons » dans les dialectes normands. Cote désignerait au jeu le « trou » ou le « rond » dessiné sur le sol ; l'adoucissement du k- initial en g- ne pose pas de problème, du fait de sa position intervocalique.
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Ménage, d'après un auteur normand du XVIIe s., interprète ce verbe, employé dans un jeu d'enfants, comme « pousser la balle d'un lieu appelé gal », ce mot désignant une des pierres plantées ou posées à une distance déterminée. Selon cet étymologiste, « dans notre province d'Anjou, quand celui qui la pousse est sur le point de la pousser, il crie aux autres joueurs : Dégot s'en va ». Le jeu de la gôt, consistant à pousser une balle ou une pierre vers un trou, est encore pratiqué dans le Perche. Du langage des enfants, dégoter est passé dans l'usage familier pour « déplacer » (1740), et spécialement « chasser d'un poste » (1757). De là, d'après l'idée de « trouver un poste en supplantant qqn », il a pris son sens moderne de « dénicher, trouver » (1846), argotique puis familier. Il s'emploie intransitivement pour « être remarquable, avoir belle tournure » (c'est-à-dire « éliminer les autres ») et a eu la valeur d'« abattre, tuer », en argot (1883).
DÉGOULINER v. intr. est dérivé (1757), avec le suffixe -iner, de dégouler « s'épancher », ancien verbe attesté une première fois au XIIIe s. sous la forme sei desgoler « se glisser », et dérivé de goule (→ gueule).
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Le mot est employé familièrement à propos d'un liquide ou d'une substance visqueuse qui s'écoule.
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En sont issus DÉGOULINEMENT n. m. (1884), nom d'action, et DÉGOULINADE n. f. (attesté 1938), assez courant pour « trace de ce qui a dégouliné ».
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DÉGOULINANTE n. f. a eu plusieurs sens figurés en argot, « horloge ou montre » (1912 aux Halles), plus rarement « malchance » (Simonin, 1958).
1 DÉGRADER v. tr. est issu (1174) du latin chrétien degradare, proprement « faire descendre du grade », et spécialement « destituer (un prêtre, un évêque) », de de- et gradus (→ grade).
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Le mot est passé en français avec cette acception, étendue par la suite au domaine militaire (v. 1570). Il exprime également l'idée morale d'humiliation, d'abaissement (av. 1342), de même que ses participes adjectivés 1 DÉGRADÉ, ÉE et DÉGRADANT, ANTE (1769). Par extension, il est employé couramment (v. 1593) au sens concret de « détériorer ».
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Le nom correspondant,
1 DÉGRADATION n. f., est emprunté (1486) au bas latin
degradatio « destitution d'un prêtre, d'un évêque », de
degradare. Il a suivi le même développement que
dégrader, passant du domaine religieux au domaine militaire (v. 1570,
dégradation d'armes), prenant aussi la valeur morale d'avilissement (1539) et, par extension, celle de « détérioration » (1690). Il est passé au
XIXe s. dans le langage des physiciens avec l'idée de « diminution, perte », appliquée à l'énergie (1883,
dégradation de l'énergie).
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Le préfixe scientifique
bio- a servi ultérieurement à faire les composés
BIODÉGRADABLE adj. (1966), plus courant que
BIODÉGRADATION n. f. (1966) et
BIODÉGRADABILITÉ n. f. (v. 1970).
Biodégradable est usuel dans le contexte du respect de l'environnement.
❏ voir
DEGRÉ.
2 DÉGRADER v. tr. est emprunté (1651, traduction d'un traité de Léonard de Vinci) à l'italien digradare « diminuer graduellement l'intensité d'une couleur, d'une lumière ». Ce terme de peinture est dérivé (déb. XVe s.) de grado « degré » (correspondant au français grade*) avec le préfixe di- (latin dis- ; → dis-).
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Le mot exprime le fait de diminuer insensiblement l'intensité d'un coloris. En photographie, il signifie « atténuer sur les bords la teinte sombre du fond ».
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Le participe passé
2 DÉGRADÉ, ÉE adj. (1669) est substantivé à propos de l'affaiblissement d'une couleur, d'une lumière (1890). Il est employé spécialement en photographie, comme adjectif (1879,
fond dégradé) et comme nom masculin (1884).
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2 DÉGRADATION n. f. (1669) est emprunté à l'italien digradazione, en peinture (fin XVIIe s.). Le sens figuré de « modification progressive » (1749-1751), assimilé à un emploi de l'homonyme dégradation (→ 1 dégrader) n'a pas vécu.
DEGRÉ n. m. a été formé assez tardivement (v. 1050) à partir du latin gradus (→ grade) et du préfixe dé-*, peut-être d'après degradare (→ 1 dégrader). Cette forme préfixée, qui était répandue dans le centre de la France, s'est imposée aux dépens du mot simple, gré, répandu de la Wallonie jusqu'en franco-provençal, probablement en raison de la rencontre phonétique de ce dernier avec l'homonyme gré (bon gré, etc.) issu de gratus. Gradus avait en latin classique le sens concret de « pas, marche (d'un escalier) » et, abstraitement, celui de « hiérarchie, rang dans la magistrature, dans la considération, dans l'échelle des sons » ; en bas latin, il prend des valeurs spéciales, concernant l'astronomie, la parenté, la grammaire et, en latin médiéval, un grade dans l'université. Ces valeurs sont quasiment toutes passées en français, l'emprunt postérieur de grade se limitant à une acception spécialisée.
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Concrètement, le mot a d'abord désigné un escalier et dès le
XIe s. (1080) une marche, sens devenu dominant,
les degrés pouvant encore se dire d'un escalier (1080), avant de subir la forte concurrence de
marche et de se réserver essentiellement à des sens figurés.
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Dès l'ancien français, il désigne un niveau dans l'échelle sociale ou professionnelle, dans les honneurs (1120), un niveau de parenté (1220), un niveau de compétence ou de connaissance (1379).
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La même notion, dans le vocabulaire de l'enseignement, correspond comme gradus en latin médiéval au grade, au diplôme (entre 1496 et 1507) et, dans celui du droit, à la place d'un tribunal dans la hiérarchie des juridictions (1549). Au XVIIIe s., il commence à se dire du rang de noblesse (1771) et, également dans l'enseignement, du niveau d'instruction : Condorcet, dans son Organisation de l'instruction publique (1792), distingue cinq degrés.
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Le mot a acquis quelques valeurs spécialisées dans diverses disciplines scientifiques, géométrie astronomique comme en latin (1265), géographie (1557), métrologie (1624), et il désigne aussi la division d'un thermomètre ou d'un baromètre (1685, Furetière), un niveau de concentration d'alcool (1814). Il sert également à mesurer, en musique, la hauteur des sons (1694).
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Dans un autre groupe d'emplois remontant au moyen français, degré réalise l'idée abstraite d'un état dans une évolution, notamment en parlant de sentiments, de qualités (1580, Montaigne). Il est employé spécialement en algèbre, avec l'idée d'une succession et d'une complexité croissante (1691) et, ultérieurement, en médecine où il désigne la phase d'une maladie (1800) et, plus spécialement, la gravité d'une brûlure (1823), surtout dans au premier, deuxième... degré.
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La valeur récente de « niveau d'interprétation » s'incarne dans le second (troisième...) degré, manière de juger avec distance en détournant les intentions premières, à la manière du kitsch.
DÉGRESSIF, IVE adj. est un dérivé tardif (1903) et savant, sur le modèle de agressif, progressif, du latin degressus. Celui-ci est le participe passé de degredi « descendre de, s'éloigner d'un lieu élevé », de de indiquant un mouvement de haut en bas et gradi « marcher, s'avancer », verbe qui appartient à la base grad- de gradus (→ grade) et qui apparaît surtout en composition (→ agression, congrès, digression, progrès, régression, transgression).
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L'adjectif qualifie ce qui va en diminuant ; il est didactique.
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Sur le radical de dégressif ont été formés DÉGRESSION n. f. (1910), spécialisé dans un contexte fiscal (1929), et DÉGRESSIVITÉ n. f. (1941), s'opposant l'un à progression, le second à progressivité.
DÉGRINGOLER v., d'abord desgringueler (1595), puis dégringoler (1662), se rattache au moyen néerlandais crinkelen « friser, boucler (de cheveux) », mot qui fait partie d'une famille germanique occidentale krink (krank, krunk) ayant le sens général de « tourner » : le moyen bas allemand a krink, kringe « cercle, anneau », kringel « cercle », le néerlandais kring « cercle », l'anglais la forme diminutive cringle « anneau de corde ». Dans le passage au français, il y a eu adjonction du préfixe dé- indiquant le point de départ de l'action. Cependant, P. Guiraud, se fondant sur le fait que dégringoler est le contraire de grimper, propose de le rattacher à un type °grimpicare ou °grimicare en postulant °gringue « chose qui s'agrippe » et en se référant à l'existence de gringuenaude « petite chose accrochée ».
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Le mot évoque une chute par bonds successifs, ce qui dégringole tournant plusieurs fois sur soi-même, contrairement à ce qui tombe en chute libre. Le moyen français gringoler (1583, gringoller) est probablement le dérivé régressif de dégringoler (malgré l'attestation un peu antérieure).
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Sur le radical de dégringoler est formé DÉGRINGOLADE n. f. (1804) de sens propre et, dès les premiers emplois, figuré ; on rencontre quelques attestations du participe passé féminin substantivé DÉGRINGOLÉE n. f. (1870, Larousse) « chute, dégringolade ».
DÉGUERPIR v. est le préfixé (v. 1120) en dé- de l'ancien français guerpir « renoncer à la possession de (qqch.) » (1050), également sous la forme gurpir « abandonner (qqn, qqch.) » (v. 980). Ce verbe, sorti d'usage au début du XIVe s., est emprunté au francique °werpjan « jeter, lancer », reconstitué d'après l'ancien haut allemand werfan, l'allemand werfen, de même sens. Le néerlandais werpen, l'anglais to warp « gauchir » et, au figuré, « pervertir », sont apparentés. La forme en -u-, qui se retrouve en ancien provençal et en franco-provençal, vient probablement du burgonde ou du gotique °waurpjan.
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Déguerpir, d'abord transitif, a eu le sens d'« abandonner » ; il était employé dans l'ancien droit, comme guerpir, pour « abandonner (une possession) » (1507, deswerpir), aussi en emploi absolu (av. 1617). L'usage moderne l'emploie intransitivement au sens dérivé d'« abandonner un lieu en se sauvant (par crainte) » (1599).
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En français d'Afrique subsaharienne, le verbe est à nouveau transitif, pour « expulser par décision administrative (d'un logement, d'un quartier, de la voie publique) », le participe passé DÉGUERPI, IE adj., qualifiant les expulsés (aussi comme nom : les déguerpis), et les lieux qui ont été vidés de leurs occupants. Le dérivé 2 DÉGUERPISSEMENT n. m. désigne l'opération.
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1 DÉGUERPISSEMENT n. m., d'abord dégarpissement (1308), appartenait au langage juridique ; il ne s'emploie guère au sens moderne du verbe.