DÉGUEULER, DÉGUEULASSE → GUEULE
DÉGUSTER v. tr., attesté en 1802, est emprunté vers la fin du XVIIIe s. (Cf. ci-dessous dégustateur et dégustation) au latin degustare. Celui-ci, formé de de- réalisant une idée d'« accomplissement » et de gustare (→ goûter), signifie « goûter » au propre et au figuré, et par extension « atteindre légèrement, effleurer ».
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Le verbe signifie proprement « goûter attentivement pour savourer » ; il est employé par métaphore pour « apprécier pleinement » et signifie, par antiphrase populaire, « subir une chose désagréable » (1916, chez Mac Orlan) et aussi « souffrir », aussi courant que dérouiller.
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Il a produit
DÉGUSTATEUR, TRICE adj. et n. (1793), aujourd'hui spécialisé comme nom et synonyme rare de l'adjectif
DÉGUSTATIF, IVE adj. (1806), lui aussi peu usuel.
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Quant à DÉGUSTATION n. f., il a été emprunté à date plus ancienne (1519) au bas latin degustatio, dérivé de degustare. Le mot est resté rare avant la seconde moitié du XVIIIe s. (1762), époque où il a provoqué la création de déguster, dégustateur, les trois mots étant courants et spécialisés en gastronomie, en œnologie.
DÉHISCENT, ENTE adj. est emprunté comme terme de botanique (1798) au latin dehiscens « qui s'ouvre, s'entrouvre, se fendille », participe présent de dehiscere « s'ouvrir, s'entrouvrir, se fendre », formé avec de indiquant la séparation, et hiscere « s'ouvrir », lui-même dérivé de hiare « s'ouvrir, se fendre » (→ hiatus).
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Le mot, utilisé en botanique, a été repris en entomologie. Il s'est répandu dans l'usage didactique et littéraire pour qualifier un objet qui peut s'ouvrir.
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Par substitution de suffixe, on a formé
DÉHISCENCE n. f. (1798), d'usage didactique (botanique, entomologie) et aussi littéraire au sens de « séparation » (en parlant de sentiments, de réalités humaines plus que d'objets concrets).
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Les deux mots s'opposent à INDÉHISCENT, ENTE adj. (1799) et à INDÉHISCENCE n. f. (1799), qui ne sont employés qu'en botanique et s'appliquent aux organes végétaux qui ne s'ouvrent pas spontanément à l'époque de la maturité.
L
DEHORS adv. et loc. prép. est issu, sous l'ancienne forme defors (v. 980) du bas latin deforis, adverbe, « de l'extérieur » puis aussi « à l'extérieur », formé de la préposition de et de l'adverbe foris « dehors » qui a donné le français fors*. En français, le passage à la forme dehors (fin XIIe-déb. XIIIe s.) s'est fait en deux temps : par suite de la disparition normale du -f- en position intervocalique qui a abouti à un type deors, puis par dégagement d'un -h- dans l'exclamation emphatique, phénomène qui s'est généralisé. L'Est et le franco-provençal ont defors, le Midi defors, deforas.
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Jusqu'au XVIIe s., dehors a été employé à la fois comme adverbe et comme préposition de lieu (1080) [comme dedans], avant d'être réservé à un emploi adverbial, tout en entrant dans la formation de locutions prépositionnelles (en dehors de). Il a également servi à former plusieurs locutions adverbiales, dont là-dehors (vivant en langue classique) qui ne s'est pas maintenue, contrairement à la locution symétrique formée avec dedans.
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Le mot est substantivé dans la locution adverbiale au dehors (1268, au defors) puis dans l'emploi du pluriel (XVIe s., les dehors) pour désigner l'apparence extérieure, et au XVIIe s. la façade, les communs, le jardin d'une maison, et spécialement des « fortifications extérieures ».
DÉICIDE n. et adj. est emprunté (1585) au latin chrétien deicida « meurtrier de Dieu », de deus (→ dieu) et caedere « tuer » (→ césure).
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En passant en français, le mot a pris le sens de « meurtre de Dieu » d'après homicide ; celui de « meurtrier de Dieu » a été repris par figure étymologique (av. 1704).
DÉICTIQUE adj. et n. m. est un emprunt (1908) au grec deiktikos « propre à démontrer, démonstratif », en logique et en grammaire, dérivé de deiknunai « montrer », verbe dont le dérivé préfixé apodeixis « exposé » a donné 2 police*. Deiknunai repose sur une racine indoeuropéenne qui conserve dans un certain nombre de ses représentants, grecs et latins, un caractère solennel, juridique ou sacré (→ bénir, dire, juger, prêche, venger, etc.).
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Le mot s'emploie en linguistique à propos d'un élément de l'énoncé qui sert à désigner avec précision ou insistance et, par extension, qui renvoie à la situation spatio-temporelle du locuteur ou au locuteur lui-même.
DÉIFIER v. tr. est emprunté (déb. XIVe s.) au latin chrétien deificare, composé de deus (→ dieu) et de la forme fréquentative de facere (→ faire), « rendre divin, élever au rang de dieu ».
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Le mot est d'abord attesté par son participe passé féminin adjectivé déifiée, employé comme synonyme de divine. L'usage du verbe, pour « honorer comme un dieu », n'est attesté que depuis 1595 (Montaigne). Le verbe a pris dans l'usage soutenu la valeur affaiblie de « vénérer, placer très haut », au figuré.
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Le nom correspondant,
DÉIFICATION n. f., est emprunté (1375) au dérivé latin chrétien
deificatio.
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Son radical a servi à former DÉIFICATEUR, TRICE n. (1884) mot rare, aussi adjectif.
DÉISTE adj. et n. est dérivé savamment (1564) du radical du latin deus (→ dieu), de même que DÉISME n. m. attesté chez Pascal en 1662.
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Les deux mots, répandus au XVIIe et au XVIIIe s. renvoient à une croyance en Dieu qui reste volontairement imprécise, par refus, soit de l'enseignement des Églises, soit des prétentions de la métaphysique, et notamment à ce que le XVIIIe s. appelait « religion naturelle » (par opposition à « religion positive »). Si la philosophie, après Kant, établit une différence entre déisme et théisme (→ théo-), leurs emplois respectifs sont variables et n'excluent pas la synonymie.
DÉITÉ n. f., d'abord déïtet (v. 1119), est emprunté au latin chrétien deitas « divinité », « nature divine », dérivé de deus (→ dieu).
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Rare au sens de « caractère divin », déité se dit d'une divinité mythologique. Par extension, l'usage littéraire l'applique de manière hyperbolique, à une divinité, une personne ou une chose divinisée (notamment une femme aimée).
DÉJÀ adv. résulte de l'agglutination, d'abord dans l'expression en desja (1465) de l'ancienne locution adverbiale des ja (v. 1278). Celle-ci est formée de dès* et de l'ancien français ja, conservé également dans jadis*, jamais*, indiquant un moment du présent ou du passé. Ja est issu du latin jam qui signifie à la fois « dès maintenant », « dans un instant » et « il y a un instant ».
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Des ja, déjà est employé au sens de « dès à présent », puis « dès ce moment-là (dans le passé) » (1465), « auparavant, à un moment donné du passé » (av. 1549).
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Dans la langue familière, il sert à renforcer une constatation, marquant un degré relatif et signifiant qu'un résultat partiel est acquis dès le moment considéré (1604) ; il marque aussi, en fin de phrase interrogative (1834), le fait qu'une information appelée était connue mais oubliée, par exemple
comment s'appelle-t-il, déjà ?
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Il est substantivé dans des locutions du type le déjà-dit, le déjà-vu (1908) et entre dans la locution figée d'ores et déjà (→ or).
DÉJECTION n. f. est emprunté (fin XIIe s.) au latin dejectio, nom correspondant à dejicere (→ déjeter), pris au sens abstrait de « dégradation » et « abattement moral, lâcheté », notamment chez les stoïciens et chez les auteurs chrétiens ; il est également employé depuis Celse en médecine, au sens concret d'« action d'évacuer, selles ».
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Le mot a été introduit avec le sens moral de « dépravation, abjection », sorti d'usage au cours du XVIe s. (l'anglais dejection a uniquement le sens moral d'« abattement, découragement »). Par emprunt au latin médical, il a reçu son sens physiologique (1538) « évacuation des selles », et par métonymie, au pluriel, « selles », resté didactique et relativement usuel. Par analogie, il est passé dans le langage de la géographie (1886, cône de déjection) et de la géologie.
DÉJETER v. tr. est composé (1050) de dé-* et jeter* ; le bas latin possédait dejectare « renverser », fréquentatif de dejicere, composé de de et jacere (→ jeter). Le verbe latin signifiait proprement « jeter à bas, précipiter d'en haut », « renverser, abattre » ; il était employé avec des sens spéciaux en médecine (d'où dejectio → déjection) et en navigation avec l'idée d'« écarter de sa route » ; il avait aussi plusieurs sens figurés : « abaisser », « détourner », « rejeter », « repousser ».
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En ancien français, déjeter signifiait « jeter à terre » et, au figuré, « repousser, rejeter » (1080), sens sortis d'usage au cours du XVIe siècle. Le verbe passant de l'idée de rejet à celle de déviation, de déformation, ces emplois ont été éliminés par un sens technique, « écarter de sa position naturelle en faisant subir une déviation » en parlant du marbre (1553) puis (1660) du bois. Par extension, déjeter exprime le fait de déformer le corps humain (1819), surtout au pronominal.
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La dérivation se limite au participe passé adjectivé DÉJETÉ, ÉE, d'un usage moins technique que le verbe, et assez courant pour qualifier le corps humain, et à DÉJETTEMENT n. m. substantif rare attesté au XXe siècle.
❏ voir
DÉJECTION.
L
DÉJEUNER v. intr., d'abord à l'ancienne forme pronominale sei desgeüner (1155), est probablement issu du bas latin disjejunare, seulement attesté au XIe s., devenu ensuite disjunare, qui signifie littéralement « rompre le jeûne », de dis- (→ dis-) et jejunare (→ jeûner). L'anglais breakfast de to break one's fast (XIVe s.) « rompre le jeûne » réalise la même idée. Déjeuner est seulement gallo-roman, l'ancien provençal a disnar pour « faire le repas du matin ».
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Déjeuner signifie en ancien français « s'alimenter, manger », puis « manger pour la première fois de la journée ». Au moyen âge, le verbe présentait en outre aux formes non accentuées le radical
disn- (avec un
-i- mal éclairci) d'où est issu au
XIIe s. un second verbe,
disner (→ dîner), qui avait le même sens.
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Quand, par suite de changements dans les habitudes, le premier des deux repas principaux quotidiens a été reculé, la langue a réservé déjeuner pour le petit repas fait au lever et dîner pour le repas fait au milieu du jour : on trouve ainsi dans le Donat provençal disnar traduit par le latin prandium « repas au milieu du jour ». Ce repas avait lieu ordinairement vers dix heures au XVIe s., puis entre onze heures et midi au XVIIe s., cet usage restant assez stable jusqu'à la Restauration. Vers la fin du XIIe s., le verbe est substantivé pour désigner le repas.
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Depuis le milieu du XIXe s., déjeuner et dîner, comme verbes et comme noms, ont subi un nouveau changement de sens, d'abord à Paris : déjeuner a été attribué au repas du milieu du jour (le petit repas du début de la journée se disant alors petit déjeuner) et dîner au repas du soir ; depuis 1850 environ, le repas appelé déjeuner se prend vers midi et, après 1950 et au moins dans les villes, vers 13 heures (Cf. aussi l'évolution solidaire de souper que dîner tend à remplacer en français urbain de France). Aujourd'hui, dans les dialectes gallo-romans, déjeuner désigne encore presque partout le premier repas du matin et dîner le repas du midi (sauf en lorrain où ce repas est désigné par déjeuner, comme en français central). Les français régionaux du Nord, de l'Est de la France, du Centre et du Sud ont conservé cet usage, mais il est combattu par celui du français de Paris et des grandes villes. L'usage canadien est conforme au français classique et aux usages dialectaux ; il en va de même pour la Belgique : déjeuner est réservé au petit déjeuner du français de France, dîner et souper correspondent à déjeuner et dîner, en France.
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Le principal dérivé du verbe est sa substantivation.
DÉJEUNER n. m., d'abord
desjuner (fin
XIIe s.), a suivi l'évolution du verbe. Il a pris par métonymie le sens de « vaisselle du déjeuner » (1728) et celui de « nourriture servie à ce repas ». Il entre dans des syntagmes et locutions :
déjeuner d'affaires, déjeuner sur l'herbe, etc., en composition
déjeuner-débat, déjeuner-conférence (v. 1940), et, au figuré, dans
déjeuner de soleil « étoffe dont la couleur est vite “mangée” par le soleil » (
XIXe s.) et « chose qui dure peu ».
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Le syntagme PETIT-DÉJEUNER (in Larousse, 1866) qui s'oppose initialement à déjeuner à la fourchette (1846) ou à second déjeuner, grand déjeuner, sortis d'usage, a pris la place de déjeuner au sens ancien de « repas du matin », quand déjeuner a remplacé dîner pour « repas de midi » (voir ci-dessus).
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Devenu un mot autonome, récemment abrégé (att. 1975) en PETIT-DÉJ' n. m., petit déjeuner désigne la collation matinale traditionnelle en France, les habitudes culturelles rendant nécessaire un adjectif ethnique pour les autres types de collation du matin. Ainsi, petit déjeuner anglais peut désigner le breakfast*. Le syntagme petit déjeuner continental, calque de l'anglais britannique continental breakfast, répandu partout dans le monde et perdant alors sa valeur originelle (« petit déjeuner du “continent”, opposé aux Îles britanniques ») s'est répandu par l'hôtellerie.
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De ce nom a été tiré le verbe PETIT DÉJEUNER (attesté mil. XXe s.) pour lever l'ambiguïté de déjeuner, verbe.
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Du verbe vient aussi
DÉJEUNEUR, EUSE n. (1825 au masc.) « personne qui déjeune », mot rare, et
DÉJEUNATOIRE adj. (1914 chez Valéry), probablement créé à l'imitation de
dînatoire.
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DÉLABRER v. tr., attesté depuis 1533 (Charles de Bovelles), est d'origine obscure : selon l'hypothèse la plus convaincante, ce verbe serait dérivé de l'ancien français label, lambel « ruban » (→ lambeau), probablement issu du francique °labba, °lappa. Label aurait donné délabré par préfixation en dé- en passant par une forme intermédiaire °délabelé, devenue par dissimilation délabré. Une seconde hypothèse, moins probable, rattache le mot au latin dolabra « houe », dérivé de dolare (→ dolent, doloire) qui aurait donné en Suisse délabra « partager », puis délabrer en français. Bovelles signale deslavrer et atteste le verbe chez les « Belgae ».
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Délabrer qui signifie proprement « mettre en mauvais état, réduire à l'état de ruine », est également employé au sens figuré, surtout au participe passé, DÉLABRÉ, ÉE adj. qualifiant une personne, un organe en mauvais état physiologique, et la santé même. Le sens étymologique de « déchirer, mettre en lambeaux », enregistré par le Dictionnaire de l'Académie, de 1798 à 1878, semble fictif.
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Le dérivé DÉLABREMENT n. m. (1718) est quelquefois doublé dans l'usage régional par le déverbal DÉLABRE « ruine », employé dans la locution en délabre(s). Délabrement, comme délabré, est courant à propos des édifices.
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DÉLAI n. m., attesté pour la première fois au XIIe s. (v. 1165-1170) dans la locution sans délai, est le déverbal de l'ancien français delaier (v. 1130) « différer », dont une forme altérée par croisement avec dilation*, dilatoire*, est dilayer (XVe s.), encore en usage dans le Berry. L'origine de ce verbe est obscure : l'hypothèse la plus couramment invoquée consiste à y voir un composé de dé-* et de l'ancien français laiier, infinitif qui serait issu de laiss(i)er* d'après les formes conjuguées lais, lait, lairrai [laisserai], etc. formées d'après la conjugaison de faire* ; elle soulève cependant de sérieuses difficultés morphologiques et géographiques. On a également proposé une origine germanique en posant le francique °laibjan répondant à °bilaibjan « faire rester », avec romanisation du préfixe bi- en dé-. Quant aux rapports entre delaier, dilayer et le verbe moderne délayer*, ils ne peuvent expliquer la forme moderne de ce dernier.
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Le mot exprime l'idée d'un laps de temps autorisé pour réaliser qqch., la notion d'autorisation procédant des emplois juridiques. La locution sans délai attestée dès les premiers emplois du mot signifie « immédiatement », contenant en germe le sens extensif de délai « retard, ajournement ». Par ailleurs, le mot a divers emplois techniques, non seulement en droit, mais dans tous les domaines de la vie sociale et économique (finances, etc.) et s'emploie dans des groupes de mots usuels : délai de grâce, délai de livraison, etc.
DÉLAISSER, DÉLASSER → LAISSER, LASSER
DÉLATEUR, TRICE n. est emprunté (v. 1460) au latin impérial delator « dénonciateur, accusateur », employé par les auteurs chrétiens au sens moins restrictif de « personne qui propose, qui rapporte » (Moïse est appelé delator legis). Delator est le nom d'agent fait sur le supin delatum de deferre pris avec le sens de « dénoncer, porter plainte » (→ déférer).
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Passé en français dans le contexte de la chronique historique, au sens de « celui qui rapporte des faits », d'ailleurs peu attesté, le mot a été repris avec la valeur moderne péjorative de « dénonciateur » (1538).
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Le nom correspondant, DÉLATION n. f., est emprunté (1549) au latin delatio avec son sens actuel. Il rencontre l'homonyme délation, créé pour servir de nom à déférer à partir du supin delatum (1863) mais demeuré très rare.