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Le mot, d'abord attesté à propos des humains, puis des autres mammifères, désigne l'un des organes de la bouche, durs et calcaires, (longtemps assimilés à des os), implantés sur le bord des maxillaires, et servant à broyer la nourriture. Comme la plupart des noms d'organe, il entre dans une abondante phraséologie, concrète et figurée, et, en tant que générique, suscite une terminologie importante (nom de dents spécifiques :
dents canines, incisives, maschalieres, molares, in Cotgrave, 1660 ; noms de positions, de parties :
racine, couronne, collet...). Sur le plan concret certaines expressions sont anciennes, telle
dent de lait (1330-1332), d'autres, mal datées, doivent l'être :
dent de sagesse (aussi
dents de sens au
XVIIe s.
in Cotgrave),
avoir de belles dents, les dents blanches, mal aux dents... Se frotter (
XVIIe s.),
se laver les dents correspondent aux progrès de l'hygiène ;
arracher une dent, arracheur de dents (au figuré au début du
XVIe s.), aux débuts de la chirurgie dentaire.
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S'agissant toujours de dents humaines, la phraséologie reflète une série de valeurs concrètes et symboliques attachées au mot : fonction nutritive dans à belles dents, qui s'oppose à du bout des dents « sans appétit » (la locution est d'abord attestée dans un autre contexte : rire du bout des dents [1330-1332]), avoir qqch. à se mettre sous la dent « à manger » et, dans doute récemment, l'argotique avoir la dent « avoir faim ». Le rôle des dents dans l'articulation de la parole est en cause pour dire entre ses dents (1150), ne pas desserrer les dents « ne pas parler ». Dent évoque aussi des attitudes physiques à signification psychologique : serrer les dents (1548, de rage), grincer des dents, claquer des dents (de froid, peur, fièvre...).
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D'autres locutions, imprévisibles, remontent à des images où les dents animales sont assimilées à l'homme (idée d'arme, de menace, etc.) par exemple dans montrer la dent (1340) puis montrer les dents « menacer », œil pour œil, dent pour dent, proverbe biblique. Armé jusqu'aux dents (v. 1550), au-delà de l'allusion à la position de la bouche (Cf. de pied en cap) utilise aussi le symbolisme de la menace et de l'arme. Sur les dents (attesté 1611) « épuisé, harassé », fait probablement allusion au cheval dont les dents appuient sur le mors, de même que prendre le mors aux dents « s'emballer ».
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Avoir les dents longues « être ambitieux », mêle les connotations humaines (1548, « avoir grand faim ») et animales ; l'expression a pris sa valeur morale vers la fin du XIXe s. (Duneton).
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Sur le plan concret, les dents d'animaux, dans des syntagmes du type dent de..., désignent des objets techniques : DENT-DE-CHIEN (1690) « ciseau de sculpteur », DENT-DE-RAT (1754) « dentelure en passementerie », (Cf. ci-dessous dent-de-loup) ; des plantes (Cf. dent-de-lion), des minéraux, tel DENT-DE-CHEVAL (1864) « variété de topaze », etc.
Employé seul, dès l'ancien français,
dent comme le latin
dens sert à désigner un objet, un élément pointu faisant partie d'un ensemble : les
dents du peigne (1177-1179),
d'un râteau, d'une fourchette, d'une scie d'où la locution
en dents de scie, concrète et abstraite. Spécialement (1786), le mot désigne un sommet aigu de montagne.
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Enfin, une autre analogie lui donne la valeur de « découpure pointue », d'abord saillante, ce sémantisme étant à l'origine de nombreux dérivés (dentelle, dentelé, indentation, voir ci-dessous).
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Le mot a produit un grand nombre de dérivés, tant d'usage courant que didactique. Dès l'ancien français, on relève
DENTÉ, ÉE adj. (v. 1120) au propre et au figuré (v. 1250), toujours vivant surtout dans le second cas
(roue dentée), alors que
DENTU, UE adj. (v. 1179) ainsi que
DENTÉE n. f. (fin
XIIe s.) sont sortis d'usage.
Dentée a d'abord désigné un coup sur les dents puis, dans le langage de la vénerie, la quantité de nourriture qu'un animal saisit d'un coup de dent.
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Le moyen français voit la création de DENTURE n. f. (1276) pour « ensemble des dents (d'un animal, d'une personne) » qui prendra un sens technique (1752), à propos de l'ensemble des dents d'un outil, d'un pignon, d'un engrenage.
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De denture sont dérivés DENTUROLOGIE n. f., qui désigne au Québec la technique et la pratique des prothèses dentaires, et DENTUROLOGUE n.
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Par emprunt à une expression italienne,
al dente « à la dent »,
AL DENTE adv., prononcé
aldenn'té.
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DENTELLE n. f., avec son sens étymologique de « petite dent » (
dentele, av. 1388), se détache de son origine lorsqu'il s'applique (1549) à un ouvrage de fils, activité qui devient rapidement un art, puis une industrie.
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Ce sens apparu au
XVIe s. vient d'Italie avec la chose désignée. Le même mot correspond à la fois à l'activité et à l'objet de parure fabriqué ; il entre dans de nombreux syntagmes et prend une grande importance dans l'histoire du vêtement, aux
XVIIe et
XVIIIe s. laissant la locution ironique
guerre en dentelles, attestée plus tard. Au
XIXe s., la dentelle, objet de parure, est réservée aux femmes ; sa fabrication devient mécanique dans la seconde moitié du siècle. Au figuré, le mot symbolise la délicatesse (
il ne fait pas dans la dentelle, « il est direct, brutal... ») et, concrètement, évoque une surface découpée, ajourée.
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Dentelle entraîne la création de DENTELLIER, IÈRE n. (1647), puis adj. (1864) et de DENTELLERIE n. f. (av. 1870) « activité, art de la dentelle ».
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Son ancienne valeur diminutive (-elle) s'est transmise à son propre diminutif DENTELET n. m. (1611), qui a pris le sens technique de « petit cube de pierre dans lequel on taille des denticules » (1690).
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Dentelle, sous sa forme ancienne dentele « petite dent », a aussi donné DENTELURE n. f. (1467).
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DENTELER v. tr. (1584), qui semble postérieur à DENTELÉ, ÉE adj. (1545), est dérivé de dentele au sens initial (ci-dessus). Le verbe correspond à « découper en forme de petites dents, en angles », l'adjectif, plus courant, à « qui présente des indentations » ; il s'est spécialisé en anatomie (muscle dentelé ; d'où n. m. le grand, le petit dentelé).
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Au
XVIe s., on commence à employer le dérivé
DENTAL, ALE, AUX adj. (1534), ainsi que
DENTINE n. f. (1586) repris depuis 1855 et répandu au début du
XXe s. et
DENTIER n. m. (1574), qui signifie à l'origine « rangée de dents » et « mâchoire » (av. 1589). Au sens moderne « ensemble de dents artificielles » (1624), s'est adjoint un sens technique qui fait de
dentier le synonyme de
denture n. f. (1857).
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Toujours au XVIe s. DENT-DE-LION n. f. (1596) calque le latin médiéval dens leonis par allusion aux feuilles dentées du pissenlit et emprunté par l'anglais (dan de lion).
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Un peu plus tardif, DENT-DE-LOUP n. f. (1676) est un terme de décoration qui possède plusieurs sens concrets (technique, cuisine).
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DENTISTE n., mot qui semble avoir été créé par Pierre Fouchard (1728,
Le chirurgien dentiste), créateur de l'odontologie moderne, a concurrencé et évincé l'appellation
barbier-chirurgien. Avec l'évolution des techniques médicales, le mot s'applique depuis le
XIXe s. à un praticien diplômé, autorisé à soigner les dents et à pratiquer des interventions chirurgicales sur les dents, les gencives, ainsi que des soins stomatologiques. Le mot s'emploie en apposition dans
chirurgien dentiste (France) et
médecin dentiste (Suisse).
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Du statut de barbier-chirurgien, voire d'arracheur de dents, la profession est passée à celle de médecin ou chirurgien spécialisé (début
XIXe s.), avant que l'idée d'un diplôme spécialisé ne se fasse jour (projet de loi de 1847).
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Le mot a pour dérivé
DENTISTERIE n. f. (1889).
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DENTISTIQUE n. f., mot technique et rare, désigne la fabrication assistée par ordinateur des prothèses dentaires.
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Les dérivés
DENTIFÈRE adj. (1846),
DENTIMÈTRE n. m. (
XXe s.) ainsi que plusieurs composés en
dento- (
XXe s.) sont didactiques.
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Dent a engendré également quelques préfixés : le plus ancien est
ENDENTER v. tr. (av. 1134) « pourvoir de dents », spécialisé en blason (v. 1234) et en marine (fin
XVIIIe s.), et qui a pour dérivé
ENDENTEMENT n. m. (1792) ; les deux mots sont didactiques et rares.
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ÉDENTER v. tr., lui aussi ancien (v. 1200 comme intransitif), est plus courant. Le participe passé du verbe a fourni le nom d'un ordre de mammifères sans dents (1829).
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La série de INDENTATION n. f. (1861) et INDENTÉ, ÉE adj. (XXe s.), est d'usage didactique, mais indentation s'est diffusé pour décrire une forme dentelée en creux.
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Dent entre encore dans SURDENT n. f. (v. 1560) « dent en plus », spécialisé en médecine vétérinaire du cheval (1678), qui existait déjà en ancien français sous la forme sordent (v. 1160) au sens figuré d'« outrage ».
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1 DENTAIRE adj. est emprunté (1541), pour servir d'adjectif à
dent*, au dérivé latin
dentarius « qui concerne les dents ».
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Le terme de botanique 2 DENTAIRE n. f. est emprunté (1572) au latin dentaria « jusquiame », cette plante étant utilisée contre les maux de dents.
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DENTIFRICE n. m. et adj. est emprunté dès le moyen français (1495) au latin impérial
dentifricium, formé de
dens, dentis et de
fricare « frotter »
(→ friction). Avant le
XIXe s., le mot relève du vocabulaire médical : on le rencontre chez Paré en 1575, et Furetière le taxe de « terme de médecine » dans un article où il énumère les substances sèches et humides avec lesquelles on se frotte les dents.
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Devenu courant, il est aussi employé comme adjectif depuis 1864
(pâte dentifrice).
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DENTITION n. f. est un emprunt plus tardif (1754) au dérivé latin impérial
dentitio « forme des dents, pousse des dents ». Enregistré dans l'
Encyclopédie au sens de « poussée des dents », il ne prend le sens concret d'« ensemble et disposition des dents », concurrençant
denture*, qu'au milieu du
XIXe s. (1864). Ce dernier emploi, aujourd'hui courant, a longtemps été considéré comme fautif (Littré).
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REDENT n. m. (1611) désigne en architecture un ornement découpé, denté, caractéristique du style gothique.
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REDAN n. m. est l'altération (1677) de
redent. Il s'emploie à propos d'un ouvrage de fortification saillant, puis (1743) d'un ressaut vertical, d'une saillie et enfin (mil.
XXe s.) d'un décrochement vertical de la coque d'un canot, d'un hydravion.