DÉTENIR v. tr. est emprunté (1160-1174) au latin detinere proprement « tenir éloigné », d'où « retenir, arrêter, empêcher » et « tenir occupé ». Detinere est composé de de- et tenere (→ tenir). La forme française a été adaptée d'après tenir.
❏  Le mot, qui signifie d'abord « s'emparer de », prend avant la fin du XIIe s. le sens de « retenir, garder », en parlant de qqn (1176) ou de qqch. (1176-1181). Il se rapporte spécialement (1306) au fait de garder prisonnier.
❏  Son participe passé, DÉTENU, UE, est adjectivé (1529) puis substantivé en parlant de toute personne retenue dans un lieu, en particulier d'un prisonnier (1826).
DÉTENTEUR, TRICE adj. et n. est emprunté sous la forme detamptor (1320) au bas latin juridique detentor (dans le Codex Justinianus) fait sur le supin (detentum) de detinere. Le français emploie surtout le mot en contexte juridique, de même que le composé CODÉTENTEUR, TRICE adj. et n. (XVIe s.).
■  DÉTENTION n. f. est lui aussi emprunté avec la graphie detencion (1287) au bas latin juridique detentio « action de détenir, séjour », formé sur le supin de detinere. Le mot, rare avant le XVIe s., désigne l'action de détenir une chose (spécialement dans une acception juridique) et, en rapport avec détenir et détenu, l'action de retenir qqn en captivité.
DÉTERGER v. tr. est emprunté comme terme de médecine (1538) au latin detergere « nettoyer en enlevant, en essuyant », d'où au figuré « chasser, dépenser ». Ce verbe est le composé en de- de tergere « essuyer », « frotter, fourbir, nettoyer », lequel relève d'une racine ancienne, mais n'a aucun correspondant connu dans les autres langues indoeuropéennes.
❏  Introduit en médecine pour « nettoyer (une plaie, un organe) », le mot a acquis au XXe s. le sens technique de « nettoyer », correspondant à l'usage de détergent et de détersif.
❏  DÉTERGENT, ENTE adj. et n. m. est issu, comme l'indique la forme détergeant en 1549, du participe présent de déterger pour qualifier et désigner un médicament propre à nettoyer une plaie. Au XXe s., le mot s'applique à un produit qui nettoie en séparant les impuretés, des huiles « détergentes » ayant été introduites en France à la Libération par les armées américaines.
■  DÉTERSIF, IVE n. m. et adj., formé (1539) par les médecins sur le radical du participe passé latin detersus (de detergere) a eu la même évolution.
■  On a formé un nom d'action correspondant à déterger, DÉTERSION n. f. (1560), par emprunt au latin médical detersio, dérivé du supin (detersum) de detergere.
DÉTÉRIORER v. tr. est emprunté (1411) au bas latin deteriorare « abîmer, gâter », issu du latin deterior « pire, inférieur », comparatif de l'adjectif inusité deter (le superlatif étant deterrimus), lequel comprend l'élément de.
❏  Le verbe a gardé le sens du mot latin, au propre et (XVIIIe s.) au figuré : Rousseau l'emploie (La Nouvelle Héloïse, 1767) dans le syntagme détériorer une âme qui semblerait aujourd'hui une métaphore inélégante, le mot ayant pris une connotation concrète et technique, et s'appliquant figurément surtout à une situation sociale, politique.
❏  Le nom correspondant, DÉTÉRIORATION n. f., emprunté (XVe s.) au dérivé bas latin deterioratio « action d'abîmer », est rare avant le XVIIIe siècle.
DÉTERMINER v. tr. est emprunté (1119) au latin determinare « marquer des limites, borner, limiter », au figuré « arrêter, régler, fixer » (Cf. définir) et spécialement « tracer, dessiner ». C'est le composé, avec de- à valeur intensive, de terminare (→ terminer).
❏  Le mot a été repris avec le sens de « délimiter, fixer » d'abord avec une nuance temporelle. D'usage courant, il est employé aussi en logique (v. 1370, Oresme) et en droit, ainsi qu'en grammaire pour « préciser la valeur, le sens d'un mot » (attesté 1864). En moyen français, l'accent étant mis sur la volonté en tant que principe de décision, il a pris le sens psychologique de « décider », surtout dans se déterminer (1381), en emploi absolu, et quelquefois, avec une infinitive introduite par de (1450), plus fréquemment par à. Symétriquement, la construction transitive assume le sens de « faire prendre une décision à (qqn) » (1665).
❏  Le participe passé adjectivé DÉTERMINÉ, ÉE, à sens passif et actif (une personne déterminée), correspond au verbe dans tous ses emplois, notamment au sens psychologique. ◆  Il a servi à former l'adverbe DÉTERMINÉMENT (1324, determineement), vieilli après le XVIIe s. mais encore employé par certains auteurs.
■  Le participe présent DÉTERMINANT, ANTE est lui aussi adjectivé (av. 1662) et substantivé dans certains usages spécialisés : grammaire (1847), mathématiques (1864), biologie.
Le radical du verbe a servi à former DÉTERMINATIF, IVE adj. (fin XIVe s.), spécialisé en grammaire (fin XVIIe s.), où il est substantivé (1835), et employé dans un sens synonyme de déterminant.
■  L'adjectif verbal DÉTERMINABLE (fin XVIIIe s.) correspond au sens passif de « qui peut être fixé ».
■  DÉTERMINATION n. f. est emprunté par les philosophes médiévaux (v. 1361, Oresme) au dérivé latin determinatio « fixation d'une limite, fin ». Le mot a subi ensuite l'influence sémantique du verbe, développant les mêmes emplois spécialisés (par exemple en grammaire, 1789) et désignant le fait de prendre une décision (1541), d'où, par métonymie, la décision prise (1802).
Au XIXe s., le groupe s'est enrichi par l'emprunt de termes didactiques. DÉTERMINISME n. m. (1827) et DÉTERMINISTE adj. et n. (1811) sont pris à l'allemand : le premier est l'adaptation de Determinismus (1790), dérivé du verbe determinieren, lui-même emprunté au latin determinare ; le second de Determinist (1788).
Déterminer et ses dérivés ont reçu, par emprunt au latin ou par préfixation en français, un antonyme en in- : le premier attesté est INDÉTERMINÉ, ÉE adj. (v. 1361, Oresme), formé sur déterminé ou emprunté au bas latin indeterminatus « infini ». Essentiellement appliqué à un inanimé, cet adjectif qualifie quelquefois une personne indécise (v. 1670). Il a donné un adverbe en -ment (1816) d'usage didactique ou rare, et, par élargissement de désinence, le verbe pronominal S'INDÉTERMINER (1893), attesté pour la première fois chez Durkheim.
■  Le moyen français connaît aussi INDÉTERMINABLE adj. (1470, repris XVIIIe s.), emprunté au bas latin indeterminabilis « à quoi on ne peut assigner de limites », antonyme de determinabilis.
■  INDÉTERMINATION n. f. a été formé ensuite sur détermination (av. 1600) en parlant de l'état d'une personne qui hésite ; d'après les valeurs de déterminer et détermination, il a pris un autre sens, « caractère de ce qui n'est pas défini précisément » (fin XVIIIe s.).
■  Enfin, déterminisme et déterministe ont été pourvus d'antonymes : INDÉTERMINISME n. m. et INDÉTERMINISTE adj. et n. dans la seconde moitié du XIXe s. (respectivement 1865 et 1873).
Le français a aussi emprunté PRÉDÉTERMINER v. tr. (1530) au latin ecclésiastique praedeterminare, de prae- et determinare « fixer d'avance ».
■  Le verbe a entraîné la formation de PRÉDÉTERMINATION n. f. (1636) employé lui aussi en philosophie et en théologie.
■  PRÉDÉTERMINISME n. m. représente quant à lui un emprunt postérieur (déb. XXe s.) à l'allemand Praedeterminism, employé en philosophie par Kant ; il n'est guère usité.
■  SURDÉTERMINÉ, ÉE adj. (1926) est calqué de l'allemand (Freud, 1900), après SURDÉTERMINATION n. f. (1906), traduction de Überdeterminierung (Freud, 1895). Ces mots s'appliquent au phénomène psychologique de détermination par plusieurs facteurs qui s'additionnent. Ces termes se sont élargis à la psychologie et SURDÉTERMINER v. tr. (1946) les a rejoints.
Les préfixés en auto-, AUTODÉTERMINER v. tr. (1965) et surtout pron. et AUTODÉTERMINATION n. f. (1907) sont de vocation essentiellement politique, liés à la notion d'autonomie ou d'indépendance obtenues démocratiquement.
DÉTERRER → TERRE
DÉTESTER v. tr. est emprunté (1461, Villon) au latin detestari, employé dans la langue religieuse au sens de « détourner en prenant les dieux à témoin, avec des imprécations », et dans la langue juridique « renoncer solennellement devant témoins ». Le mot est composé de de et testari « prendre à témoin » (→ tester) ; il s'oppose doublement à obtestari et attestari (→ attester), mots synonymes.
❏  Comme d'autres verbes exprimant un sentiment fort, détester a vu sa valeur primitive « maudire, exécrer » (jusqu'au XVIIe s.) affaiblie et laïcisée (v. 1550) en « ne pas aimer ». De là, par litote, ne pas détester « aimer bien ».
❏  DÉTESTATION n. f., emprunté (XVe s.) au latin detestatio « malédiction, exécration » (du supin de detestare), a suivi une évolution analogue. Contrairement au verbe, il est vieux ou littéraire.
■  DÉTESTABLE adj., emprunté (1308) au dérivé latin detestabilis, est en revanche usuel. De valeur très forte (« haïssable ») jusqu'au XVIIIe s., il s'est lui aussi affaibli en « très désagréable » (1663), puis en « très mauvais dans son genre » (un film détestable, etc.), le sens fort initial n'étant plus en usage. ◆  Il a pour dérivé DÉTESTABLEMENT adv. (1393).
DÉTIRER → TIRER
DÉTONER v. intr., d'abord écrit détonner, est emprunté (XVIIe s.) au latin detonare « tonner fortement », composé intensif en de- de tonare (→ tonner).
❏  Le mot est donné par Richelet (1680, détonner), avec le sens de « produire un bruit soudain par une brusque détente de gaz », d'où « émettre un bruit violent qui rappelle celui du tonnerre ». ◆  Le participe présent du verbe DÉTONANT, ANTE a été adjectivé (1729), notamment dans l'expression mélange détonant (1860) « mélange de gaz susceptible de s'enflammer », aussi employée par métaphore. ◆  Il a pour préfixé ANTIDÉTONANT, ANTE adj. (1927).
❏  DÉTONATION n. f. est dérivé sur le radical du verbe avec le suffixe -(a)tion (1690 ; 1676 selon Bloch et Wartburg) pour désigner le « bruit de ce qui détone ».
■  DÉTONEMENT n. m. (1611), fait sur le verbe au moyen du suffixe -(e)ment, est sorti d'usage.
■  Plus tard, a été formé DÉTONATEUR n. m. (1874) pour le dispositif qui permet à un explosif de détoner ; le mot est aussi employé avec le sens figuré de « déclencheur » (v. 1966). L'orthographe des mots du groupe a été sujette à variations, en raison de celle de tonner et du verbe dérivé de 1 ton, détonner (on rencontre détonnement chez Baudelaire).
DÉTOURNER v. tr., d'abord desturner (1080), est dérivé de tourner* avec le préfixe dé-*. Sans être complètement démotivé, le verbe est assez autonome par rapport à tourner.
❏  Le verbe réalise l'idée d'« écarter de la voie suivie ou à suivre » dans tous ses emplois. Au plus près du sens physique, il signifie « écarter (qqn) de son chemin, de qqch. » (1080), par brachylogie dans l'expression détourner un coup « l'empêcher d'atteindre son but » (v. 1190). Il correspond également à « modifier le tracé (d'une voie fluviale ou terrestre) » (XIVe s.), sens dont procède, à plusieurs siècles d'intervalle, détourner un avion (v. 1970).
■  Figurément, il correspond à « dissuader qqn de suivre son dessein ou ce qui est sa voie » en lui prodiguant de bons conseils (v. 1160) ou, plus souvent et péjorativement, de mauvais avis (1538, détourner qqn de son devoir ; 1580, de son travail). Abstraitement, l'idée d'un changement du cours des choses débouche sur détourner le sens (d'un mot, d'un texte) [v. 1550] et détourner une conversation (1671). De l'idée de détourner l'attention, croisée avec l'emploi concret pour « sortir de sa place » doit venir l'ancien argot détourner pour « voler, dérober » (1821).
■  L'accent est mis sur le fait de tourner dans une autre direction afin d'éviter qqch. ou qqn, avec le nom d'une partie du corps pour complément (1538), le plus souvent dans détourner la tête ou les yeux, mais aussi l'oreille (1550) ou l'esprit pour chasser de mauvaises pensées (1671).
■  Au figuré, le mot fait intervenir une notion de culpabilité dans détourner les soupçons, expression enregistrée en 1835, mais dont le sens est déjà assumé par détourner en 1784 chez Beaumarchais. Cette notion plus ou moins latente et péjorative est réalisée explicitement dans l'usage juridique du mot pour « s'approprier frauduleusement en interceptant (des fonds, des papiers) » (1383) et « soustraire un mineur à ceux qui en ont la garde » (1864, détourner un mineur).
■  Le pronominal se détourner réalise à la fois l'idée physique de « changer de direction » (v. 1290), voire « s'enfuir pour esquiver » (1283), et sa transposition morale en « changer de dessein » (XVIe s.). Le geste physique peut être l'indice d'une émotion que l'on veut cacher (1611) ou d'une aversion que l'on ne peut cacher.
❏  Le participe passé DÉTOURNÉ, ÉE est adjectivé avec les mêmes sens que le verbe, superposant emplois concret et figuré dans une expression comme voie détournée (fin XVIIIe s., Mme de Sévigné) qui connote souvent péjorativement un moyen indirect, retors et secret.
DÉTOUR n. m. d'abord destor (v. 1165) a désigné un lieu écarté, une cachette, en détour équivalant à « en cachette » (début XIIIe s.), avant de se rapporter à l'endroit où un chemin, une rivière change de direction (1552) et à un chemin qui éloigne du chemin direct (1552), le pluriel DÉTOURS exprimant l'idée de « voie sinueuse et difficile à suivre » (1538).
■  Dès l'ancien français, il s'emploie au figuré pour un prétexte, un faux-fuyant (XIIIe s.), le pluriel s'appliquant à une expression indirecte et dissimulée (1553) ou aux replis secrets du cœur (1690) ; l'expression être sans détour exprime au contraire franchise et loyauté (1835).
DÉTOURNEMENT n. m. (1150-1200) a signifié « empêchement » jusqu'à l'époque classique, et a désigné un endroit retiré (XIIIe s.) en ancien français. Il s'est établi comme substantif d'action pour un changement de direction (1422), prenant au XVIe s. les sens d'« action de tourner la tête d'un autre côté » (1560), « action de changer le tracé d'une rivière, d'une route » (1538) et, juridiquement, « action de détourner de l'argent à son profit » (1549, sens rare avant le XVIIIe s.). Il a ainsi supplanté détour dans d'anciens emplois synonymes et, au XIXe s., est entré dans l'expression détournement de mineur (1836).
DÉTRACTION n. f., d'abord detractiun (v. 1119), est emprunté au latin detractio « action de retrancher, suppression » qui désigne la saignée (detractio sanguinis) à l'époque impériale, et au figuré, à basse époque, la médisance. Le mot est formé sur le supin (detractum) de detrahere « tirer à bas, retrancher », au figuré « ravaler, rabaisser », de de et trahere « tirer, traîner » (→ traire).
❏  Le sens d'emprunt, « action de rabaisser qqn, médisance », tend à vieillir, bien qu'il soit soutenu par la vitalité de détracteur. Le sens médical de « saignée », calqué du latin (détraction de sang, 1520), est sorti d'usage dès le XVIIe siècle. Certains dictionnaires, tels Littré et Guérin, donnent également la variante détractation probablement influencée par tractation*.
❏  DÉTRACTEUR, TRICE n. est emprunté (XIVe s.) au latin detractor « celui qui déprécie, qui rabaisse », formé sur le supin de detrahere prisavec son sens figuré. Le mot a supplanté detraiëor (fin XIIe s.), son doublet de formation populaire ; il est plus courant que détraction.
■  Sur le radical de détracteur, on a fait DÉTRACTER v. tr. (1372 selon Bloch et Wartburg, 1474 selon F. e. w.) qui a remplacé l'ancien français detrahere « chercher à rabaisser de façon souvent injuste les mérites, la valeur de (qqn) » ; ce verbe est très peu employé.
DÉTRAQUER v. tr. est dérivé (1464) du moyen français trac « piste, trace, chemin » (→ traquer) avec le préfixe dé-* et la désinence verbale -er.
❏  Le mot signifie littéralement « détourner de sa piste » et, de fait, le pronominal se détraquer s'est employé au XVe s. pour « se séparer en suivant chacun un chemin différent » (1464). L'idée de « chemin, marche » étant interprétée avec la valeur figurée de « fonctionnement », le verbe a pris son sens moderne de « déranger dans sa marche » (1564) et surtout au pronominal et au participe passé DÉTRAQUÉ, ÉE adj., en particulier à propos d'un organe (1578, estomach détraqué), d'une machine, d'un esprit (1601, âmes turbulentes et détraquées). ◆  Le sens propre de détraquer, maintenu dans l'acception spécialisée, en manège, de « faire perdre à un cheval ses bonnes allures » (1719, Richelet), est compris comme un figuré du sens moderne.
❏  Le verbe a été doté du nom d'action DÉTRAQUEMENT n. m. (v. 1600), d'abord employé au sens particulier de « fait de n'avoir pas un train de vie réglé », puis avec son sens moderne.
■  On rencontre un synonyme plus rare, DÉTRAQUAGE n. m., chez Goncourt (1870), et le déverbal DÉTRAQUE n. f., répandu dans le parler genevois avec le sens de « désordre, laisser-aller, désorganisation ».
L 1 DÉTREMPER v. tr., d'abord relevé sous la forme du participe passé féminin destempree (1155) est issu du latin impérial distemperare « mélanger, délayer », de dis- (→ di-) et temperare dont les sens expriment une idée de juste mesure, de combinaison harmonieuse (→ tempérer). La forme moderne prise par le mot en français est due à l'influence de tremper*, représentant, avec le doublet savant tempérer*, du latin temperare.
❏  Le verbe signifie « amollir en imprégnant de liquide ou d'humidité » ; il est spécialement employé en cuisine et en peinture.
❏  C'est aussi comme terme de peinture que l'on emploie aujourd'hui le déverbal DÉTREMPE n. f., d'abord attesté sous la forme destempre au sens ancien de « breuvage, infusion » (1231). Dès 1304 il est employé dans la locution faire destrempe as [aux] couleurs ; par métonymie, il désigne une œuvre exécutée avec une solution de peinture détrempée (1636). On dit aussi peinture a tempera, par un emprunt technique à l'italien.
■  L'action de détremper est désignée par DÉTREMPAGE n. m. (v. 1375), peu attesté avant 1869 et demeuré rare.
2 DÉTREMPER → TREMPER
L DÉTRESSE n. f., d'abord écrit destrece (1160), puis destresse (déb. XIVe s.) est issu du latin populaire °districtia « chose étroite, étroitesse », dérivé de districtus (→ détroit, district). Ce dernier est le participe passé adjectivé de distringere « serrer », formé de dis- (→ dé-) et de stringere (→ étreindre). L'anglais distress (XIIIe s.) est repris au français.
❏  Le mot s'est maintenu avec le sens moral de « situation désespérée, angoisse », attesté dès les premiers textes, et qui s'est imposé au détriment d'autres acceptions en usage en ancien français : concrètement « étroitesse », en particulier « lieu resserré (défilé, prison) » et, sur le plan moral, « désir pressant », « rigueur », « contrainte », « force », « puissance, pouvoir ». Le sens juridique de « juridiction, saisie, dépendance » a lui aussi disparu. ◆  Le mot désigne surtout, en français moderne, un sentiment pénible d'abandon, de solitude morale et d'angoisse avec des spécialisations en psychologie et en psychiatrie et, concrètement, une situation matérielle difficile, le manque total de moyens matériels, ajoutant à misère un élément psychique. ◆  Il s'est spécialisé à propos de la situation périlleuse d'un navire, plus tard d'un avion, surtout dans en détresse, de détresse (signal, etc.). L'expression feux de détresse, à propos d'automobile, remplacerait avantageusement l'anglicisme warnings. Ce substantif n'a produit aucun dérivé. Cf. le développement sémantique de angoisse.
DÉTRIMENT n. m., d'abord detriement (1236), est emprunté au latin detrimentum « action d'enlever en frottant », « usure (faite par une lime) » et au figuré « perte, dommage » et « désastre, défaite ». Ce mot est issu du supin (detrimentum) de deterere « user par le frottement » et au figuré « affaiblir, user », composé en de- de terere « frotter », « user », « broyer ». Ce verbe contient la racine indoeuropéenne °ter- indiquant l'action d'user en frottant par un mouvement circulaire, et représentée dans un important groupe de mots en latin (→ trier), en grec (→ tourner), en germanique (→ drille) et en celtique (→ tarière, taraud).
❏  Le mot est passé en français avec le sens figuré de « dommage, préjudice grave » ; l'usage moderne en restreint quasiment l'emploi à la locution prépositionnelle au détriment de (XVe s.), précédée de en détriment de (1383). L'usage ancien employait également le mot au pluriel avec le sens concret de « débris », aujourd'hui réservé à détritus*. Ce sens a été repris en géologie (1778 Buffon).
❏ voir TRITURER.
DÉTRITUS n. m. est l'emprunt assez tardif (1753, selon Bloch et Wartburg) du latin detritus « usé, broyé », participe passé de deterere « user par le frottement » (→ détriment).
❏  D'abord employé dans le domaine de la géologie où il a vieilli, le mot est passé dans d'autres sciences (océanographie, biologie) où il a remplacé détriment. Par extension, il a pris, surtout au pluriel, le sens de « matériaux réduits à l'état de petits fragments » (v. 1850), d'où l'acception courante de « petits débris ; ordures », développant ensuite des emplois métaphoriques et figurés toujours péjoratifs (mais moins que pour ordure). L'évolution de sens dans l'emploi ménager usuel témoigne de l'attraction possible de bris (pour l'initiale), et de détruit.
❏  Le radical a servi à former l'adjectif didactique DÉTRITIQUE (1834) et le composé DÉTRITIVORE adj. et n. m. (→ -vore), employés en géologie et en océanographie depuis 1966 au moins.
■  Les termes didactiques et vieillis DÉTRITER v. tr. (1785) « écraser sous la meule », DÉTRITION n. f. (1838) et DÉTRITAGE n. m. (v. 1850) sont formés à partir du latin detritus, et correspondent aux premiers emplois de détriment et détritus.
L DÉTROIT n. m. est issu d'abord sous la forme destreit (1080) du latin districtus « empêché, enchaîné », et au figuré « partagé, hésitant ». Cette forme, qui a donné aussi détresse*, et par emprunt district*, est l'adjectivation du participe passé de distringere « maintenir écarté ou étendu », « maintenir à l'écart », « retenir, empêcher », composé en dis- (→ dé-) de stringere « serrer, lier » (→ étreindre).
❏  Le mot, d'abord adjectif, a qualifié un passage étroit, resserré (les destreiz passages) ; il ne s'est maintenu que dans son emploi substantivé, dès les premiers textes, désignant un passage étroit (les destreiz). Il garde ce sens jusqu'au XVIIe s., époque où le sens moderne de « bras de mer resserré » (1534 chez Rabelais) s'impose. ◆  Le sens figuré de « moment critique » a vieilli. ◆  Par analogie, du sens concret ancien, « passage étroit », le mot est passé en anatomie (1833), en parlant du rétrécissement de la cavité pelvienne.
DÉTRÔNER → TRÔNE
DÉTROUSSER → TROUSSER
L DÉTRUIRE v. tr. est issu (v. 1050, destruire) d'un latin populaire °destrugere, réfection du latin classique destruere sur le parfait destruxi, le participe passé destructus et le supin destructum. Le verbe latin, antonyme en de- de struere « bâtir » (→ structure), signifie proprement « démolir une construction », d'où « abattre, anéantir (ce qui était établi) ».
❏  De même, en français, détruire a d'abord une valeur concrète et, très vite, le sens figuré de « faire disparaître, anéantir » (1080). Il est employé particulièrement avec les nuances de « supprimer, tuer (un être vivant) » (1135), « défaire entièrement (ce qui était établi, organisé) » (1172-1174) et, moralement, « discréditer (qqn) dans l'esprit d'autrui » (XIIIe s.). Parallèlement, le pronominal se détruire (d'abord soi destruire) exprime le fait de se nuire à soi-même (fin XIIIe s.) ; ultérieurement, il a pris le sens réciproque de « se combattre, s'annuler l'un l'autre » (1648, Corneille) ainsi que le sens de « se suicider » (1784, Bernardin de Saint-Pierre).
❏  Le sens réfléchi de détruire est renforcé par le composé S'AUTODÉTRUIRE v. pron. (v. 1950), formé d'après autodestruction (ci-dessous) et le sens réciproque par S'ENTRE-DÉTRUIRE (1559).
DESTRUCTION n. f. d'abord destructiun (v. 1121) est emprunté au latin impérial destructio « démolition, ruine ». Il correspond au sens propre et au sens figuré du verbe comme substantif d'action, avec la valeur métonymique attendue : « résultat de cette action ; chose détruite ». ◆  Destruction a pour composé préfixé AUTODESTRUCTION n. f. (d'abord écrit auto-destruction, 1895).
■  DESTRUCTIF, IVE adj. (1372), représentant du latin tardif destructivus, qualifie ce qui a la propriété de détruire ; il empiète en partie sur l'aire d'emplois de DESTRUCTEUR, TRICE adj., d'abord destruicteur (apr. 1250), lui-même repris au bas latin destructor. Mais destructeur, trice s'emploie aussi comme nom.
■  DESTRUCTIBLE adj., formé ultérieurement avec le sens passif de « qui peut être détruit » (1764), a été précédé d'un latin savant, destructibilis, fait sur le radical du supin latin destructum.
■  Il est postérieur à l'antonyme INDESTRUCTIBLE adj. (v. 1685-1716, Leibniz), lui-même emprunté au bas latin indestructibilis, de in- et destructibilis. Cette forme préfixée, comme c'est souvent le cas, est plus usitée que la forme simple, au propre et (v. 1750) au figuré. ◆  Elle a produit INDESTRUCTIBILITÉ n. f. (1737) et INDESTRUCTIBLEMENT adv. (1855).
■  De son côté, destructible a pour dérivé rare DESTRUCTIBILITÉ n. f. (1739).
❏ voir DESTROYER.