L DETTE n. f., d'abord dete (1160), est issu du latin debita, neutre pluriel de debitum, pris en langue populaire comme féminin singulier. Debitum « ce qui est dû », est le participe passé neutre substantivé de debere (→ devoir).
❏  Dette a évincé l'ancien masculin det, qui représente debitum et qui a donné lieu à l'emploi masculin un dette, attesté jusqu'à la fin du XVIe siècle. Les parlers méridionaux conservent encore le genre masculin : ancien provençal deude, deute. Le mot est employé au propre et au figuré, de même que dû.
❏  Le mot a produit le préfixé ENDETTER v. tr. et pron. (1180-1190), dont le participe passé est adjectivé, et qui a servi à former ENDETTEMENT n. m. (1611, endebtement). Ce dernier semble moins usité que le verbe avec son sens général, se réservant surtout l'acception spécialisée de « total des emprunts contractés par l'État, les collectivités publiques et entreprises nationalisées » (Littré). ◆  De là SURENDETTÉ, ÉE adj. et SURENDETTEMENT n. m. (1985), préfixés suscités par les difficultés économiques et financières.
L DEUIL n. m., d'abord dol (v. 980) puis doel, duel (XIIe s.), est issu du bas latin dolus « douleur » (→ dol). Le passage de la forme initiale dol à la forme moderne (1658) s'est fait en deux temps : dol a cédé la place à duel, attesté jusqu'au XVIe s., et c'est le pluriel de celui-ci, dueus, qui a servi à faire la forme moderne sur le modèle de œil-yeux (on trouve aussi dœil). On a aussi écrit dueil (1450) jusqu'au XVIIe s. (1611). Cette hypothèse est préférable à celle qui rattache deuil directement au bas latin dolium « chagrin » (attesté en latin classique en composition, dans la forme cordolium) qui ne rendrait pas compte des formes de l'ancien français.
❏  De fait, le premier sens du mot est « affliction », valeur sortie d'usage avant le début du XVIIIe s., mais qui est à l'origine du sens encore vivant « impression de tristesse profonde, aspect lugubre » (v. 1742) propre au style littéraire. Par spécialisation de l'objet de l'affliction, le mot a pris dès l'ancien français son sens moderne de « chagrin causé par la mort (d'une personne) » (1050), dont procèdent plusieurs sens secondaires. ◆  Par métonymie, il désigne collectivement les signes extérieurs de l'affliction liée à la mort (1050) et, en particulier, le vêtement, signe codifié en cette circonstance (v. 1170, guarnemenz de dol). Il concerne la perte de l'être cher elle-même (XVe s.) et le temps pendant lequel doivent apparaître certains signes convenus du deuil (1549, achever son dueil). Autre emploi métonymique, le sens de « cortège funèbre » (1606) vit surtout dans l'expression mener, conduire le deuil. La locution figurée faire son deuil de qqch. (1823) « y renoncer » est familière. Enfin le mot est devenu un terme de psychanalyse (le travail du deuil) par traduction de l'allemand trauer (Trauer und Melancholie, Freud, 1915).
■  Une série d'emplois argotiques est peut-être à rattacher au régionalisme lorrain deuil, adjectif, pour « douloureux », à savoir « ennui, difficulté » (1870), « danger » (1896) d'où porter le deuil (dans Simonin, 1954) « avertir un complice d'un danger », et « dénonciation », « plainte auprès de la police », dans aller au deuil (équivalent : porter le pet).
❏  Deuil est entré dans la formation de DEMI-DEUIL n. m. (1758), employé comme terme culinaire en parlant d'une côtelette de veau, s'applique depuis 1909 à la poularde.
■  Il a produit DEUILLEUR, EUSE n. attesté en 1936 comme terme d'anthropologie à propos d'une personne ayant pour tâche de pleurer et de chanter lors des funérailles, chez certains peuples. ◆  Le féminin deuilleuse désigne également une ouvrière qui réalise les bordures de deuil sur les enveloppes (deuilleuse à la main s'opposant alors à deuilliste [XXe s.], nom réservé à la machine).
Le verbe préfixé ENDEUILLER v. tr. et pron. est attesté depuis 1887 (J. Laforgue).
■  Son dérivé ENDEUILLEMENT n. m. a pris (1896, Goncourt) le sens figuré d'« assombrissement ».
DEUTÉRO- élément préfixal, est tiré du grec deuteros « deuxième », lui-même employé comme premier élément d'une quinzaine de composés tardifs sous la forme deutero-. Deuteros, qui est sans rapport avec duo (→ deux), est une forme de comparatif en -teros constituée sur le thème de deisthai (deuesthai dans divers dialectes) « manquer de, être inférieur », mot indoeuropéen de la même famille que le sanskrit dosa- « manque » ; le sens propre de deuteros est donc « (celui des deux) qui se trouve en arrière, inférieur », d'où « second ».
❏  En français, deutéro- ou deuto- sert à former des mots savants, principalement dans les domaines de la chimie et de la médecine (mais aussi en théologie et en linguistique), désignant le second élément, la seconde phase d'une série, ou indiquant qu'un deuxième élément ou une deuxième phase se rencontre dans un corps ou dans un phénomène. Il est encore productif, bien que concurrencé quelquefois par di-*, bi-*.
❏  DEUTÉRONOME n. m., d'abord deutronome (v. 1275) puis deuteronome (1547), est emprunté au latin ecclésiastique deuteronomium, lui-même emprunté au grec des Septante Deuteronomion ; c'est le nom du cinquième livre du Pentateuque, formé de deutero- « deuxième » et de nomos « loi » (→ -nome, -nomie dans économe, économie) : en effet, selon l'interprétation donnée (XVII-18), ce livre contient les secondes lois édictées par Moïse.
■  À la fin du XIXe s. sont apparus les dérivés didactiques DEUTÉRONOMIQUE adj. (1891) et DEUTÉRONOMISTE adj. et n. m. (1889).
L DEUX adj. et n. inv., d'abord duos (v. 980) puis deus (XIIe s.), est issu du latin duos, accusatif masculin pluriel de duo « deux » (→ duo) qui contient une racine indoeuropéenne de même sens représentée également en grec dans duo « deux » (→ dyade) et dans le préfixe di- « deux fois » (par exemple → dilemme). L'ancien français a en outre possédé un cas sujet dui, doi issu d'un latin populaire °dui, et un féminin does, issu du latin duas, accusatif féminin pluriel, attesté dans des textes de l'est de la France.
❏  Dès les premières attestations, le mot est employé comme adjectif cardinal ; de même que plusieurs autres numéraux, il se prête à divers emplois stylistiques pour exprimer un petit nombre (v. 1200), une différence (v. 1245) ou une multiplicité. Son emploi comme adjectif ordinal est attesté depuis la seconde moitié du XVIIe s. (1694). ◆  Il est substantivé pour désigner le nombre (1270) dans une locution exprimant l'idée de « rapidité », de deux en trois, équivalant au moderne en moins de deux (années 1940) et il entre dans quelques autres locutions dont certain comme deux et deux font quatre (1690), en langue familière ça fait deux « c'est très différent ». Par euphémisme pour « fesses » ou « couilles », de mes deux (dans Huysmans, 1879) sert de qualificatif méprisant, en forme de nom nobiliaire dérisoire.
■  Deux désigne plus particulièrement le nombre deux inscrit sur un élément de jeu (1690, double deux au trictrac) et le chiffre qui représente le nombre.
■  Depuis la fin du XVIIe s., il est également employé avec la valeur d'un ordinal, au sens de « deuxième ».
❏  Le mot montre une certaine productivité dans la formation de composés auxquels il fournit le premier élément : ce sont les locutions musicales à deux-quatre (1736), à deux-seize (XIXe s.), à deux-deux (XIXe s.) et à deux-huit (XIXe s.) et une série de noms composés. ◆  Le plus ancien d'entre eux est le deux points grammatical (1572), les autres datant des XIXe-XXe siècles. ◆  Ce sont d'abord des termes de marine : DEUX-PONTS n. m. et adj. (1864) et DEUX-MÂTS n. m. (1864), puis le terme de musique DEUX-TEMPS n. m. et adj. (1870) repris pour qualifier (1908) un type de moteur.
■  Au XXe s. sont apparus DEUX-PIÈCES n. m. (1925) terme d'habillement, spécialement appliqué à un maillot de bain (1947), repris par le vocabulaire du logement pour « appartement de deux pièces » (1957, deux pièces).
■  DEUX-CHEVAUX n. f. (v. 1950) se dit du modèle d'automobile populaire lancé par Citroën en 1949.
■  DEUX-ROUES n. m. (v. 1960) recouvre l'ensemble des bicyclettes, motocycles (Cf. le mode de formation de bicycle).
■  Comme second élément, il a donné ENTRE DEUX ou ENTRE-DEUX n. m. attesté de bonne heure comme nom d'un coup d'épée par le milieu (v. 1160). Le mot s'est spécialisé pour un espace entre deux choses, un intervalle (1314) d'abord en anatomie et en couture (1394), également en ameublement (1542) et, ultérieurement en sports. ◆  La transposition temporelle se réalise en particulier dans ENTRE-DEUX-GUERRES n. m. ou f. (1915, Daudet). Un emploi abstrait d'entre-deux, pour « état intermédiaire entre deux extrêmes » (1921) est demeuré rare.
■  De deux est dérivé DEUXIÈME adj. num. ord. d'abord noté deuxiesme (1306) et deusime (1319-1340), substantivé depuis Richelet (1680, 1665 d'après Larousse de la Langue française). Un deuxième classe se dit à propos d'un soldat (1946). ◆  Deuxième et son dérivé DEUXIÈMEMENT adv. (1740) subissent la concurrence de second*, secondement. ◆  Deuxièmement a pour synonyme familier DEUXIO (1862), ou DEUSIO (1926 dans Montherlant), DEUZIO (1959), formé sur deux d'après tertio.
DÉVALER → VAL
DÉVALISER → VALISE
DÉVALUER v. tr. est formé (1928) d'après évaluer*, avec le préfixe dé-, peut-être d'après l'anglais to devaluate, attesté en 1898 à côté de to devalue (1918) et dont la spécialisation économique est indirectement attestée en 1914 par un emploi du substantif devaluation.
❏  Le verbe désigne le fait de diminuer par un acte gouvernemental la valeur de la monnaie d'un pays. Il a été entraîné par valeur et évaluer vers le sens figuré de « faire perdre de sa valeur à qqch. » (en 1948 dans les dictionnaires).
❏  DÉVALUATION n. f. a été formé (1928) d'après évaluation*, avec le suffixe dé-*, peut-être d'après l'anglais devaluation (1914) ; il est employé en économie et avec la valeur figurée de « perte de crédit, de valeur » (1944-1948).
DEVANCER → DEVANT
DEVANT adv., prép. et n. m. résulte de la soudure (v. 980) de la locution antérieure de avant (Xe s.), formée de de* et avant*. Le mot s'est d'abord écrit davant mais a pris très tôt sa forme en de-, peut-être sous l'influence de dessous (→ sous), dessus*.
❏  Le mot s'est d'abord employé comme adverbe, avec un sens temporel aujourd'hui réservé à auparavant* (autre composé de avant) ; il demeure toutefois des traces de cet emploi dans les dialectes ainsi que dans la locution proverbiale être, rester Gros Jean comme devant (1678, La Fontaine). En revanche, l'emploi adverbial à valeur spatiale, également ancien (1050), est resté vivant pour « en précédant dans l'espace », « en avant » (XIIe s.), y compris dans la locution par devant (1176). Chaud* devant ! est un avertissement donné par un serveur portant des plats.
■  Employé comme préposition (v. 980), devant signifie d'abord « du même côté que le visage d'une personne, le côté visible d'une chose » (encore en 1552). Le sens d'« en avant, en face de » (v. 1050) est également réalisé dans les locutions de devant et par devant (1177-1181). ◆  En français d'Afrique, devant s'emploie pour « plus loin, en allant tout droit » (le village est devant).
■  Le mot s'emploie parfois avec une nuance temporelle (temps spatialisé) notamment dans la locution conjonctive devant que « avant que ». Celle-ci s'est employée jusqu'au XVIIIe s. suivie du subjonctif (1181-1190) et depuis le XVe (v. 1460) jusqu'au XVIIe s. suivie de l'infinitif ; l'emploi de avant que de suivi de l'infinitif (Montaigne, 1580) a également décliné. ◆  Par extension, devant exprime aussi l'idée de « en présence de qqn » (déb. XIIe s.), notamment dans la locution par devant (1174), cantonné dans un type d'emploi juridique ou administratif.
■  Le mot est substantivé (fin XIe s.) sous la forme debant puis devant (1125) et désigne en ancien français le giron. Aux XIIe et XIIIe s., il entre dans la locution adverbiale au-devant (1130) puis dans la locution prépositionnelle au-devant de (1280). Ce n'est qu'à partir du XVIe s. (1530) que le devant désigne la partie antérieure d'un animal, plus rarement d'une personne (par opposition à derrière) avec le sens spécial (XVe s.) de « parties sexuelles », et d'une chose, en particulier de la façade d'une maison (1671). Par extension, il se dit d'un objet destiné à être placé devant un autre (1642, devant de cheminée). Il est entré dans la locution figurée prendre les devants, qui appartient proprement au langage de la vénerie (au figuré 1660, Retz) et s'emploie aujourd'hui au figuré. D'autres locutions, avoir, emporter le devant « surpasser » (XVIe s., Pasquier), ont disparu.
❏  Les dérivés datent de l'ancien français. DEVANCER v. tr. (1160-1170) doit probablement sa désinence à l'influence de avancer* ; il a évincé l'ancien type devancir (av. 1150) propre à l'ouest de la France et qui était employé au sens d'« arriver, agir avant (qqn) », « l'emporter par sa valeur », ainsi que adevancier « prendre les devants », attesté du XIIe (1176-1184) au début du XVIIe s. (1636). Devancer a perdu son premier sens intransitif, « se rendre quelque part » (emploi isolé), pour se réserver à l'usage transitif (devancer son âge, v. 1200). Il a aussi perdu après le XIVe s. le sens religieux de « prévenir, faire bénéficier (qqn) de bienfaits ». ◆  Seuls demeurent le sens de « prendre de l'avance sur », au propre (1288) et au figuré (1540) et la valeur temporelle « se produire avant » (av. 1573) spécialement dans le contexte de la conscription (1870, devancer l'appel).
■  Le radical du verbe a servi à former DEVANCEMENT n. m. (fin XIIe s. ; v. 1330 selon Wartburg), d'abord davancement, avec le sens figuré « action de venir au devant de » ; cet emploi semble isolé, de même que le sens de « progrès » relevé en 1554. Le mot semble avoir eu du mal à s'imposer avec le sens propre d'« action de devancer », relevé au XIVe s. puis en 1556, et glosé comme sorti de l'usage en 1771 (Dictionnaire de Trévoux). Il n'est guère vivant qu'avec un sens temporel, spécialement dans le syntagme devancement d'appel (av. 1870) à l'armée.
■  L'autre dérivé du verbe, DEVANCIER, IÈRE n. est lui aussi rare : d'abord relevé comme adjectif (1243) au sens de « précédent », sorti d'usage au début du XVIIe s., il est repris avec une nuance très voisine en 1800, mais est archaïque au XXe s. (rare apr. 1929). L'usage moderne connaît surtout devancier comme nom (1257) pour « celui ou celle qui a précédé qqn dans une fonction ».
Devant a aussi produit deux noms : le plus vivant des deux est DEVANTURE n. f. employé depuis 1423 après une première attestation au XIIIe siècle. Le mot a longtemps servi à désigner une façade (sens encore répertorié par le Larousse de 1929), mais ne se dit plus aujourd'hui, en architecture, que du revêtement (boiserie, vitrage) d'une façade (1811) et, par métonymie, d'un étalage de marchandises exposées à la vitrine d'un magasin (1859). Le pluriel devantures, devenu technique, est employé spécialement (1694) comme terme de maçonnerie, à propos du raccord de plâtre qui unit le pied d'une cheminée au toit. Comme devant, le mot compte quelques emplois techniques pour désigner un objet à placer devant un autre. ◆  En français d'Afrique (Maghreb et Afrique subsaharienne), « l'avant, le devant (d'un bâtiment) » (à la devanture de l'hôtel, de la poste).
■  Le second nom d'objet formé sur devant, DEVANTEAU ou DEVANTIER n. m. (1380) est aujourd'hui d'usage régional pour désigner un tablier : le moyen français et le XVIe s. ont d'abord eu la forme devantel (1330), éteinte au profit de devanteau (1508). Devantier est attesté depuis la fin du XIVe s. ; signalé comme « hors d'usage » par Richelet (1680), il s'est maintenu dans les parlers de l'Est et du Centre (tandis que devanteau se rencontre surtout dans ceux de l'Ouest et du Centre-Ouest), de même que devantière n. f. (dep. Montaigne).
CI-DEVANT, formé sur ci (→ 1 ci), et devant, signifiait « précédemment ».
■  À la différence de ci-dessus, ci-dessous, etc., le mot est attesté dans la langue familière (Collé, 1740). Il a connu à partir de 1789 et pendant la Révolution un emploi spécial pour ci-devant noble, un, une ci-devant équivalant alors à aristocrate et souvent à suspect. ◆  Le mot s'emploie encore plaisamment en épithète antéposée.
DÉVASTER v. tr. a été emprunté à diverses époques, pour la première fois (v. 980) sous la forme devastar, au latin devastare « détruire, ravager (en particulier en faisant le vide) ». Ce verbe est composé de de et de vastare « rendre désert, dépeupler », « ravager, désoler, ruiner », dérivé de vastus avec son sens premier de « vide, désert » (→ vaste).
❏  Le verbe est attesté avec son sens concret fin Xe s., puis en 1499, avant d'être réemprunté au XVIIIe s. (1718) sous l'influence de dévastation (ci-dessous) et de se répandre dans l'usage. Il a pris ultérieurement le sens abstrait moral, « apporter la destruction dans un domaine » (1802, chez Chateaubriand en parlant des passions).
❏  Les autres mots du groupe ont également eu du mal à s'implanter en français : DÉVASTATION n. f., emprunté au dérivé bas latin devastatio, est relevé isolément au XIVe s., puis en 1502, mais il est rare avant 1690.
■  DÉVASTATEUR, TRICE n. et adj., emprunté au bas latin devastator « celui qui ravage », du supin de devastare, est attesté en 1581 pour désigner celui qui ravage un pays mais il est rare avant 1755, où il réapparaît comme dérivé de dévaster. L'adjectif, attesté une première fois en 1604, est lui aussi repris au XVIIIe siècle. Comme le verbe et le nom, dévastateur a pris un sens figuré, comme adjectif (1799) et comme nom (1856, Hugo).
DÉVELOPPER v. tr. est formé (v. 1170, desvoleper) du préfixe des- (→ dé-) et de l'ancien voloper « envelopper », issu du bas latin faluppa « balle de blé », mot d'origine obscure avec influence du latin volvere « tourner » (→ volute) et celle de envelopper* auquel développer sert d'antonyme.
❏  Le verbe a d'abord le sens spatial de « sortir (qqn, qqch.) de ce qui l'enveloppe » et « étendre (ce qui était roulé sur soi-même) » (fin XIIe s.). Ces sens ont perdu en vitalité, si l'on excepte quelques acceptions spéciales : géométrie (1694), cyclisme (1892) au sens de « parcourir une certaine distance » (en relation avec le sens spécial correspondant de développement) et, plus couramment, en photographie (1865, faire développer l'image). Le mot, en dehors de l'emploi pronominal (v. 1662) où sens spatial et sens temporel s'équilibrent, est plus courant avec un sens temporel : il exprime d'abord le sens d'« exposer en détail » sur le plan du langage (XIVe s., repris 1671) puis « faire croître, faire prendre de l'extension à » (1787), cette valeur étant antérieure pour se développer (Pascal).
❏  Le participe présent développant est substantivé au féminin, DÉVELOPPANTE n. f. (1675) pour désigner en géométrie une courbe en relation définie avec une autre courbe dite DÉVELOPPÉE n. f., ce mot étant le féminin substantivé (1675) du participe passé.
■  Le masculin, DÉVELOPPÉ n. m. (fin XIXe s.), a reçu deux spécialisations en chorégraphie (1883, Huysmans) et en sports (1894).
■  Le dérivé le plus usuel est DÉVELOPPEMENT n. m. (fin XIVe s., desvelopemens) d'abord « action de dérouler, de déplier ce qui est enveloppé sur soi-même ». Le mot est rare avant le XVIIe s., où il commence à s'employer en géométrie (1694) et en architecture. Il répond aux autres emplois spécialisés du verbe en cyclisme (1886) où il correspond à la distance parcourue en un tour de roue, celle-ci caractérisant l'effet du système de transmission, et en photographie (1890). ◆  Comme le verbe, il réalise aussi une valeur temporelle, « action d'évoluer, de s'épanouir » (1754), spécialement « action d'exposer un sujet en détail » et, par métonymie, « développement détaillé » à propos d'un sujet (1789), d'un thème musical (1862). ◆  Par contamination de l'anglais development « mise au point », il a pris (v. 1960) le sens spécial de « suite des événements manifestant une tendance », plus précisément « mise au point (d'un produit), mise en valeur (d'une zone) », valeurs critiquées comme anglicismes. ◆  DÉVELOPPEUR, EUSE n., d'abord littéraire et abstrait (développeur d'idées, 1895 Goncourt), s'est spécialisé en photographie (déb. XXe s.), puis en informatique, pour désigner la personne qui écrit (et en général conçoit) des logiciels, des systèmes.
Développer et développement, pris avec une idée d'amélioration, de modernisation, entrent dans les composés SOUS-DÉVELOPPÉ, ÉE adj. (1951) et SOUS-DÉVELOPPEMENT n. m. (1952). Ce dernier, euphémisme politique pour « pauvre » en parlant d'un pays, d'une zone géographique, a pris des connotations péjoratives et tend à être remplacé par le nouvel euphémisme en voie de développement ou en développement (forme utilisée par l'O. N. U.). Ces composés correspondent à l'anglais underdeveloped et underdevelopment.
■  SURDÉVELOPPEMENT n. m. (1904) est un terme technique, comme SURDÉVELOPPÉ, ÉE adj. (attesté 1967).
■  Les dérivés morphologiques DÉVELOPPABLE adj. (1799), son antonyme INDÉVELOPPABLE adj. (1873), le terme de photographie DÉVELOPPATEUR n. m. (1899), sont tous d'emploi technique.
❏ voir DÉSINVOLTE.
DEVENIR v. intr. est un emprunt ancien (v. 980) au latin devenire, de de et venire (→ venir), proprement « venir de, arriver à » d'où au figuré « aboutir à, recourir à » et, à basse époque, « être engagé dans un processus qui aboutit à un changement d'état ».
❏  Devenir, emprunté dans ce dernier sens, ne s'est employé à la forme impersonnelle il devient qu'en français classique (mil. XVIIIe s., Prévost). La locution devenir à rien (1549) « se réduire à rien », vivante à l'époque classique, est sortie d'usage.
■  Le sens de « venir ou revenir de quelque part » (1282, de nouveau en 1807), vivant au Canada, dans le Centre et l'Ouest, est dû à l'influence de venir* plutôt qu'à celle du mot latin.
❏  L'emploi nominal de l'infinitif, le devenir, est attesté depuis 1839 (Michelet).
■  De tous les composés préfixés attestés en ancien français (mesdevenir « arriver malheur », adevenir « arriver », endevenir « devenir »), seul REDEVENIR v. tr. « devenir de nouveau » (XIIe s.) s'est maintenu.
DÉVERGONDER → VERGOGNE
DEVERS prép., aujourd'hui archaïque, est formé (1080) de de* et de vers*, ou bien, comme le pense Th. Sävborg, issu de l'ancien français avers* « en comparaison de, à côté de » par substitution de préfixe.
❏  En ancien et en moyen français, le mot a indiqué la provenance (« de la région de... »). Son emploi au sens de « vers, en direction de » (1080) était déjà vieilli au XVIIe s. (Cf. Vaugelas), la locution par devers (1175) dans le même sens, n'étant plus attestée au-delà de 1534. Une autre valeur de devers, sans idée de mouvement, « vers (cet endroit) » (1080), a également vieilli. ◆  Un troisième sens, « chez, du côté de » (1080), « auprès de » (1175), est lui aussi sorti d'usage, mais la locution par devers au sens correspondant s'est maintenue pour « en possession de » (1280), surtout au figuré (par devers lui « sans exprimer ») et, en emploi juridique, « par devant, en présence de » (1283). L'emploi temporel de devers « environ à telle époque » (1334) est lui aussi sorti d'usage. On rencontre des exemples de tous ces emplois chez des auteurs archaïsants, tel Péguy.
DÉVIDER → VIDE
DÉVIER v. tr. est emprunté (v. 1370) au bas latin deviare, formé de de marquant l'éloignement (→ 2 de), via (→ voie) et d'une désinence verbale ; ce verbe signifie proprement « s'écarter du droit chemin », d'où au figuré « ne pas suivre son cours normal » et, transitivement, « détourner ».
❏  Attesté pour la première fois avec le sens figuré intransitif de « s'écarter d'un principe, d'une règle », le verbe a été repris à la fin du XVIIIe s., à la fois en emploi transitif « détourner du droit chemin » (av. 1787) et intransitif, propre et figuré (1792, Marat).
❏  Ses différents sens sont partagés par les participes adjectivés DÉVIÉ, ÉE et DÉVIANT, ANTE, notamment dans le domaine scientifique (av. 1845, fluides déviés ; 1909, force déviante). Déviant, substantivé (v. 1960), désigne une personne qui s'écarte d'une norme psychosociale.
■  Déviant a pour dérivé DÉVIANCE n. f. (av. 1968) dans le même contexte.
Le nom d'action DÉVIATION n. f. est emprunté sous la forme deviacion (déb. XIVe s.) au dérivé bas latin deviatio « action de s'écarter de l'orthodoxie » (déb. Ve s.), employé à l'époque médiévale. Le mot, d'abord attesté jusqu'en 1461 au sens figuré pour « erreur, action de s'écarter d'une règle, d'un principe », a été repris au XVIIIe s. avec son sens propre dans une série de domaines spécialisés, en astronomie (1704) et physique (1752), développant une valeur figurée qui retrouve certaines valeurs du moyen français, pendant la période révolutionnaire (1798, Académie). ◆  Au cours du XIXe s., il est passé dans le vocabulaire de la médecine à propos de la position anormale d'un organe (1829) et dans celui des travaux publics (1874, Journal officiel), acception devenue courante dans le contexte des itinéraires routiers.
■  De déviation sont dérivés les deux termes politiques DÉVIATIONNISME n. m. (1952) et DÉVIATIONNISTE adj. et n. (attesté 1957), le concept de « déviationnisme » ayant lui-même été introduit un peu après celui d'« opportunisme » dans la critique de la théorie de Bernstein par Kautsky, à l'époque où la théorie du centralisme démocratique dans les partis communistes se trouva infléchie par Staline (v. 1930).
■  DÉVIATEUR, TRICE adj. et n. a été dérivé du radical de dévier sous la forme desviateur (1542), à l'exemple du latin médiéval deviator « celui qui dévie » (XIIIe s.). Comme pour les autres mots du groupe, il s'agit d'une attestation isolée, le mot étant repris au XIXe s. comme adjectif (Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1861). Il est substantivé depuis 1904 pour désigner un dispositif (mil. XXe s. comme terme d'aéronautique).
L DEVIN, DEVINERESSE n. est issu (v. 1119) du latin divinus de même sens, également « diseur de bonne aventure », devenu par dissimilation devinus à basse époque. Le mot latin est la substantivation de l'adjectif divinus qui a donné divin*. Il est passé en français sous la forme divin (au féminin divineresse, 1155) refaite en devin sous l'influence du latin tardif °devinus.
❏  En ancien français , le mot a désigné un théologien, sens sorti de l'usage vers la fin du XIIIe s. au bénéfice du sens actuel de « personne pratiquant la divination » (1160). Le féminin devineresse est, à l'origine, celui de devineur* : supplanté par la forme devineuse, devineresse est devenu le féminin de devin, évinçant l'ancien féminin devine. L'attribution des sens de devin, devineresse, d'une part, et de devineur, -euse, d'autre part, a connu une période de flottement. Devin ne s'applique plus aujourd'hui qu'aux personnes qui s'adonnent aux sciences occultes ou aux pratiques de l'Antiquité, ainsi qu'aux civilisations où la divination religieuse est normale (Afrique, Océanie, Asie...) [Cf. mage, prophète], et devineur, d'ailleurs archaïque, aux personnes qui devinent (au sens courant du terme), sous l'influence du sens usuel de deviner*. Par référence à la vénération inspirée par les devins, le nom de devin a été donné au boa constrictor (1803, Boiste), vénéré par certaines tribus.
❏ voir DEVINER, DIVIN.
L DEVINER v. tr. est issu (1155) du latin divinare, devenu °devinare à basse époque, et qui signifie « présager, prévoir » et spécialement « prophétiser ». Ce verbe est dérivé de divinus, qui a donné divin* et, sous la forme tardive °devinus, devin*. L'ancien français a eu en outre les formes préfixées adeviner et endeviner (ancien provençal endevinar), encore usitées dans d'assez nombreux dialectes, de même que l'italien a eu indovinare (d'où indovino « devin ») et l'espagnol adivinar.
❏  Deviner est d'abord attesté au sens de « découvrir par la conjecture, l'intuition » et spécialement « découvrir par des moyens surnaturels, prédire » (XIIe s.). Cependant, il a eu au moyen âge d'autres valeurs liées à la notion de « parole du dieu », que cette parole enseigne, révèle ou égare ; ainsi, il avait la valeur d'« enseigner, raconter », « signifier », « souhaiter » et aussi de « tromper, induire en erreur ». D'abord construit avec un nom de chose pour complément, le verbe s'emploie aussi depuis l'époque classique avec un complément désignant un être humain (deviner qqn), emploi attesté pour la première fois chez Pascal. C'est aussi depuis le XVIIe s. qu'il réalise le sens figuré de « pressentir, entrevoir, prendre conscience de (qqch.) ».
❏  En ancien français, le verbe a seulement produit DEVINEUR, EUSE n., d'abord devinere (1165) et devineour en parlant d'une personne qui pratique la divination (sens réservé à devin*, sauf en français de l'île de la Réunion, où on dit devineur) et qui devine par l'intuition (fin XIIe s.). Ce dernier sens, le seul vivant, s'est répandu au XIXe s. (in Académie, 1835).
■  Aucun des autres mots du groupe employés au moyen âge ne s'est maintenu, à l'exception relative de DEVINAILLE n. f. (av. 1150) qui a perdu ses sens anciens, « énigme » et « prédiction », et a été repris au XIXe s. pour désigner l'action de deviner (1838) et, concrètement, une petite énigme (1870), sens passé à devinette (ci-dessous). Devinaille est aujourd'hui senti comme dialectal.
■  Au XIXe s., deviner a produit DEVINABLE adj. (1846), précédé par INDEVINABLE adj. (XVIIIe s.), antérieurement indivinable (1588, Montaigne).
■  DEVINETTE n. f. (1864) était un mot répandu dans les dialectes normands, picards et de l'est de la France (1834, dévinete ; à Besançon, devinotte) ; son suffixe plus vivant l'a fait préférer en France à devinaille (ci-dessus) à propos d'une petite énigme présentée par une formule. Mais en français de la Réunion, la chose est appelée DEVINAILLE n. f.
DÉVISAGER → VISAGE
L 1 DEVISER v. intr. est issu (1119) d'un bas latin °devisare, forme altérée par dissimilation de °divisare, lui-même fait sur le supin divisum du verbe classique devidere « partager, répartir » (→ diviser).
❏  Plusieurs sens médiévaux ont disparu au XVIe s., comme celui de « diviser », abandonné au profit de diviser, et ceux de « ranger, ordonner, organiser » (1155), « construire, établir un plan » (1223-1226). Le sens actuel (v. 1168) « discourir », procède de l'idée d'organiser un discours et, sauf dans quelques emplois déterminés par un adverbe (deviser gaiement), relève d'un style littéraire.
❏  Le participe présent DEVISANT est quelquefois adjectivé, une première fois en 1536, de nouveau à partir de 1860 (Goncourt).
Dès le XIIe s., le verbe a produit deux déverbaux. Le féminin DEVISE n. f. (1150-1170) a d'abord eu le sens de « division », correspondant à celui du verbe (jusqu'au déb. XVe s.). Une spécialisation ancienne en a fait un terme de blason (1160), appliqué à une marque distinctive, un emblème. ◆  Le sens moderne est apparu par transfert métonymique de l'emblème à la sentence qui l'accompagnait (av. 1560), le mot désignant aussi l'ensemble composé par l'emblème et la sentence (1610). Devise est passé dans l'usage courant au XVIIe s., s'appliquant à toute formule exprimant une règle de vie, un sentiment (1668, La Fontaine).
■  Le sens financier est apparu le dernier (1842) probablement par emprunt à l'allemand Devise, employé en ce sens vers 1830 : il vient, par métonymie, de ce que l'on imprimait des devises sur des formulaires de change. Ce sens s'est détaché des autres, eux-mêmes sentis comme indépendants par rapport au verbe.
Le masculin DEVIS n. m. (1150) a eu des sens anciens parallèles à ceux du verbe : « souhait, volonté », encore au XVIe s., et « propos, discours » (1406), jusqu'au XVIIe s. : il est qualifié de « bas et vieux » par Richelet en 1680, mais survit en littérature pour évoquer des œuvres anciennes (tels les Joyeux Devis de Bonaventure des Périers).
■  Le seul sens moderne, « description d'une construction à exécuter » (1450), se rattache à celui de « description, disposition testamentaire » (1210-1220) qui a disparu.
■  Une nouvelle dérivation a produit 2 DEVISER v. pour « établir un devis, le devis de (une opération, un travail) », qui semble provenir du français de Suisse, mais s'emploie en France chez les artisans.