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Eau désigne d'abord le liquide naturel, incolore, inodore et transparent ; de ce sens viennent de très nombreux emplois particuliers : « pluie » (
XIIIe s.) et
eau de pluie ; eau de (la) mer, etc. L'expression
eau vive (
XVIe s.) désigne une eau non souillée qui s'écoule rapidement ; opposée à
eau morte, d'origine biblique, cette expression a ajouté au sens d'« eau courante » les connotations positives liées à l'idée de « vie » ; de même
vive eau « grande marée » s'oppose à
morte-eau (1484) « marée faible ».
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Les eaux (seulement au pluriel) se dit des masses d'eau qui séjournent
(la faune des eaux) ou des eaux qui se déplacent ;
d'eau entre dans de nombreux syntagmes pour désigner une eau courante (
eau « courant d'eau »,
XIIe s. ;
eau courante, 1080 ;
cours d'eau, chute d'eau) ou non
(pièce d'eau).
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Le
fil de l'eau (
XIIe s.) désigne le courant.
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Par ailleurs, au pluriel depuis le XVIIe s. (1694 ; 1611, l'eau), les eaux désigne le liquide amniotique qui entoure le fœtus.
Parmi les valeurs spéciales acquises par les eaux, au pluriel, dans le contexte des utilisations et aménagements des eaux par l'homme, on peut signaler celle des « eaux jaillissantes », attestée au XVIIe s. (1690, Furetière), d'où grandes eaux (in Bescherelle, 1845), grandes eaux signifiant au XVIIe s. « inondation » (Sévigné) et « source d'eau minérale à vertu curative ou thérapeutique ».
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De ce dernier sens vient par métonymie la valeur de « lieu où l'on va se traiter par l'eau » (1622), activité dénommée prendre les eaux, d'où aussi le syntagme ville d'eau, en concurrence avec station thermale.
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Une autre métonymie concerne les eaux dans la nature, objet de surveillance et d'exploitation économique.
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Eaux et forêts (XVe s.) désigne à la fois la juridiction des bois, de la chasse et de la pêche et (1835) les forêts, rivières, lacs et étangs concernés. Cette désignation a été abandonnée par l'administration française en 1979.
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L'eau comme milieu de vie animale (mammifères, oiseaux) est évoquée dans poule d'eau (1530), rat d'eau (1907) et des expressions analogues.
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Dans un tout autre contexte, eau s'applique au liquide ayant servi à nettoyer, à laver et devant être évacué ; les syntagmes les plus courants sont eau de vaisselle (1878), au figuré « mauvais bouillon » (1901), eaux résiduaires (1877), eaux usées (XXe s.).
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Dans le contexte des récipients et de l'étanchéité, on peut signaler pot à eau et des expressions comme tenir l'eau « ne pas fuir » (1674) ou voie d'eau (1678) « ouverture dans la carène d'un bateau ».
Le mot entre dans de nombreux syntagmes où est indiqué le mode d'utilisation de l'eau ou encore ses caractéristiques utiles. Dans le contexte de la boisson, on relève eau de boisson, didactique, et, plus courant, eau potable. Buveur d'eau a eu des valeurs figurées plutôt péjoratives, ne pas gagner l'eau qu'on boit a signifié « être fort paresseux » (XVIIe s.). Une locution restée courante est mettre de l'eau dans son vin « couper le vin d'eau » (Cf. baptiser), au figuré « réduire ses exigences », l'idée de « modération » dominant dans les emplois antérieurs, sortis d'usage : « compromettre le succès de qqch. » (1531), « modérer ses passions » (1636), « calmer sa colère » (1656). Faire de l'argent comme de l'eau, « gagner beaucoup et facilement » s'emploie en français du Québec.
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L'eau est souvent associée au pain comme symbole de nourriture et boisson de base (être au pain sec et à l'eau ; vivre d'amour et d'eau fraîche...).
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Toujours dans le contexte de la boisson, eau minérale, syntagme ancien (→ minéral), s'est répandu au XIXe et surtout au XXe s., avec le discrédit de l'eau du robinet « eau courante distribuée par les villes », souvent désinfectée, chlorée, javellisée ; l'eau minérale est mise en bouteilles sous forme gazeuse ou non, et les syntagmes eau gazeuse et eau plate s'opposent. Bouteille d'eau (minérale) donne par métonymie une eau. Parmi les locutions familières sur ce contexte, compte là-dessus et bois de l'eau fraîche vaut pour un refus amusé. Ne pas avoir inventé l'eau chaude, tiède, n'est connu qu'après 1970.
Des syntagmes déterminés correspondent aussi à des liquides contenant une autre substance, solution, distillats, etc., comme l'eau régale (1680). Ainsi eau rose (XVe s.), puis eau de rose (XVIe s.) succédant à eve rose, ieaue rose, d'où au figuré (personne) à l'eau de rose (1759) « molle, sans énergie », employé aujourd'hui (v. 1900) en parlant d'une œuvre. Autre extrait distillé, l'eau d'orange (1636), ou de fleur d'orange (1680), aujourd'hui de fleur d'oranger (1846). L'eau de senteur (1636) a précédé le produit devenu en français le type même de distillat odorant, l'eau de Cologne (1765), inventée en 1709 (Grimm) et ainsi dénommée en français (Köllner wasser, 1803, vient du français). Au Québec, eau d'érable désigne la sève de l'érable à sucre.
Parmi les produits thérapeutiques, il faut signaler l'eau de goudron (1743) traduisant l'anglais tar water, liquide considéré au XVIIIe s. comme un remède (Cf. l'œuvre du philosophe Berkeley qui lui est consacrée). Eau de Javel (1830 ; → Javel) et anciennement eau de chlore correspondent à des liquides nettoyants. L'eau de chaux (1694) avait un usage thérapeutique, comme eau ferrée (1611). Eau de Seltz (1755) est à l'origine le nom d'une eau minérale, l'eau de Selse ou de Selters (localité allemande).
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Eau entre aussi dans des usages symboliques, liés à l'idée de purification : eau baptismale, eau bénite, dans la liturgie catholique, d'où la locution plaisante eau bénite de cave « vin » (XVIe s.), encore en usage au milieu du XVIIe s., et la locution ancienne eau bénite de cour « fausse promesse » (1656), l'eau bénite à l'église étant aussi abondamment utilisée que les promesses à la cour (Cf. benoît pour la même évolution).
De très nombreux syntagmes correspondent à des usages de l'eau liés à l'économie humaine : moulin à eau (à l'eau, 1530), château d'eau « grand réservoir d'eau ». Le syntagme eau courante correspond à l'état technique de la distribution d'eau à usage individuel, dans la seconde moitié du XIXe siècle, signe du « confort moderne » avec le gaz et l'électricité. De là compteur à eau et par métonymie relever l'eau « les compteurs à eau ».
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Peinture à l'eau (opposé à à l'huile) désigne l'aquarelle.
Eau, toujours avec le sens de liquide naturel, est un élément d'expressions figurées : battre l'eau avec un bâton (ou dans un mortier) « travailler inutilement », en usage au XVIe (Calvin) et au XVIIe s., a été remplacé par (donner) un coup d'épée dans l'eau « un acte inutile » (1718) ; troubler l'eau (v. 1560) signifiait « causer de la division » ; pêcher en eau trouble « tirer avantage d'une situation troublée » (1606) est emprunté à une locution grecque qui se retrouve dans plusieurs langues ; être heureux comme un poisson dans l'eau (1640). Clair comme de l'eau de roche signifie « limpide, peu coloré », puis « évident » (en parlant de choses abstraites), mais eau de roche « eau de source », où roche conserve le sens ancien de « caverne, cave », ne s'emploie plus seul aujourd'hui.
L'eau en tant que boisson inspire, outre noyer son vin d'eau (1694) et mettre de l'eau dans son vin, se noyer dans un verre d'eau (1787), avec les variantes dans un bol (une goutte) d'eau « se perdre dans des difficultés infimes » ; on dit aussi (1718) se noyer dans un plat d'eau, où plat désigne une surface d'eau peu profonde.
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Si eau bouillie se dit de l'eau après ébullition, en français de Provence l'expression désigne un bouillon à l'ail (on dit aussi, d'après le provençal, aigue boulide).
Eau désignant une masse de liquide dans la nature (rivière, lac, mer, etc.) s'emploie spécialement pour désigner le niveau auquel monte cette masse d'eau (hautes, basses eaux). Eau plate (1525) a signifié « eau peu profonde ». Dans cette acception, le mot entre aussi dans des locutions. Nager entre deux eaux « manœuvrer entre deux partis » (nager entre deux yawes, v. 1370), comme nager dans les eaux de qqn (1874), fait appel à l'ancien sens de nager « naviguer », avec l'idée d'une habile manœuvre. D'une manière générale, la phraséologie exploite les valeurs liées à divers contextes, tant réalistes (rapport de l'homme aux masses d'eau : nage, danger de noyade, navigation, etc.) que symboliques (écoulement irréversible, profondeur, calme ou agitation...) ; ces valeurs sont liées aux sémantismes de mots comme cours d'eau, fleuve, rivière, lac, mer, océan...
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Eau marine (1562), locution vieillie, signifie au figuré « couleur verte de la mer » (Cf. aigue-marine). En particulier, le thème de la navigation suscite une opposition entre la mer d'une part, les rivières et les lacs de l'autre, sous la forme eau de mer, eau douce, marin d'eau douce acquérant (déb. XIXe s.) une connotation péjorative ou dérisoire peut-être suscitée par médecin d'eau douce (v. 1550) « médecin médiocre qui utilise des remèdes inefficaces ». Il n'est pire eau que l'eau qui dort est probablement antérieur à la formulation il n'y a point d'eau plus dangereuse que celle qui dort, attestée en 1531. C'est le feu et l'eau (1685) qualifie deux choses opposées. Porter de l'eau à la mer (1531, en la mer) ou à la rivière (1690) « ajouter une chose là où il n'y en a que trop », a vieilli, ainsi que une goutte d'eau dans la mer (1690) « un apport inutile ». Gens delà l'eau « crédules, naïfs » (1580) est sorti d'usage ; l'expression désignait les étrangers frais débarqués, et l'eau est ici la frontière naturelle par excellence.
Il coulera (passera) de l'eau sous le pont ou sous les ponts est attesté au début du XVIIe s. et représente l'irréversibilité du temps (aussi laisser passer l'eau sous les ponts, 1718). Laisser courir l'eau « laisser les choses évoluer sans s'en soucier » (1685) est sorti d'usage aujourd'hui (on dit laisser courir). Se jeter à l'eau « se décider brusquement » s'oppose à tâter l'eau « hésiter » ; tomber à l'eau (on a dit dans l'eau) « échouer » se dit en parlant d'une entreprise, comme être à l'eau. Cependant, être dans les mêmes eaux se dit de choses qui ont la même valeur. Enfin, remonter, revenir sur l'eau correspond à « être à nouveau dans une bonne situation » (Cf. faire surface) ; revenir sur l'eau s'est employé (XIXe s.) au sens d'« être de nouveau évoqué ».
Par analogie, eau s'emploie surtout dans des expressions, depuis le XIIe s. (1185, eaue ; 1490, eau), en parlant d'une sécrétion liquide du corps humain : le mot peut correspondre à sueur : être (tout) en eau (1531), suer sang et eau (1588) ; à « larmes » (XIIIe s.) d'où fondre en eau (1685, d'abord se fondre en eau, 1636 Corneille, Le Cid) ; à « urine » (1560) : faire, lâcher de l'eau, du XVIe au XIXe s., et faire de l'eau claire « échouer » (1690). Dans il n'y a que de l'eau claire (1752) la fonction excrémentielle représente par métonymie l'activité humaine. Eau s'emploie aussi pour « sérosité » et pour « salive » (avoir l'eau à la bouche « saliver à l'avance » ; et mettre, faire venir l'eau à la bouche). Le mot désigne aussi (1546, Rabelais) le suc des fruits et des plantes.
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Au figuré, par allusion à la transparence du liquide pur, il signifiait « transparence et brillant des pierres précieuses » (1611), d'où de la plus belle eau.
En comparaison, eau peut qualifier une couleur claire, transparente, dans la couleur d'eau donnée au fer poli (1653), syntagme sorti d'usage, et dans l'expression moderne vert d'eau « vert clair » (1798).
Revenant à la substance, dont la nature chimique (H2O) est établie avec la chimie moderne (fin XVIIIe s.), eau donne lieu aux syntagmes eau chimiquement pure ou eau distillée, distinguée du corps naturel contenant diverses substances et notamment des sels minéraux (eau minérale, Cf. ci-dessus, est plus ancien et d'usage courant, non technique). Toujours en chimie, eau lourde (1938) désigne un composé analogue à l'eau mais formé avec de l'hydrogène lourd, deutérium (D2O) ou tritium.