ENVI (À L') loc. adv. et prép. apparaît sous la forme à tous enviz et toutes restes (1534, Rabelais) puis à l'envy (1543). C'est une locution formée à partir de l'ancien français envi « défi au jeu, provocation » (fin XIIe s.), « rivalité » (XVIe s.), déverbal de l'ancien français envier « convier, inviter à », d'où « inciter », « provoquer (au jeu) » (v. 1050). Ce verbe envier est issu du latin classique invitare « inviter, engager », emprunté ensuite sous la forme inviter*.
❏
Issue de l'expression jouer à l'envi (de) « sur le défi d'un adversaire », la locution signifie (1534) « en enchérissant », d'où « sans retenue ». Dans cet emploi adverbial, la locution est aujourd'hui d'usage littéraire et son sens a évolué par influence d'envie, l'origine n'étant plus sentie ; à l'envi correspond plus ou moins à « selon ce que chacun souhaite, désire ». Quant à à l'envi de..., locution prépositive, (1549) « en lutte, en rivalité avec », l'expression est aujourd'hui sortie d'usage.
L
ENVIE n. f. est une adaptation sous les formes enveie (v. 980), enveia (Xe s.), puis envie (1155), du latin classique invidia « malveillance ; jalousie ; envie », de invidus « envieux ». Cet adjectif est dérivé de invidere « regarder d'un œil malveillant » d'où « vouloir du mal » et « envier », composé de in- et videre qui a donné voir*. Il y a dans invidere une allusion à la croyance au mauvais œil dont le caractère indoeuropéen est établi ; l'emploi pour « haïr » a été rendu possible par la présence d'autres formes ayant le sens de « voir », comme specere (→ spectacle).
❏
Le mot est introduit en français, avec l'un des sens du latin, « hostilité, haine », qu'il n'a pas conservé ; on relève à l'époque classique
l'envie de qqch. (1580) pour désigner le caractère odieux de qqch. et la haine qu'on en éprouve.
■
À partir du milieu du XIIe s., le mot est employé dans les deux acceptions principales aujourd'hui en usage : envie se dit (v. 1155) d'un sentiment de jalousie haineuse devant les avantages d'autrui, d'où le proverbe il vaut mieux faire envie que pitié, et signifie à la même date « désir (de qqch.) », d'où les expressions passer (contenter) son envie « satisfaire un désir » (1666), faire passer (ôter) à qqn l'envie d'une chose, faire envie « exciter le désir » (1625), passer son envie (1660).
◆
Depuis la fin du XVe s., envie (de) s'emploie en parlant d'un besoin organique, d'où la locution familière ça l'a pris comme une envie de pisser « très brusquement » et, absolument, avoir envie « avoir envie d'uriner ». L'expression envie de femme grosse (enceinte) « désir vif, subit (notamment alimentaire) que l'on attribue aux femmes enceintes » (1606) a donné naissance, au début du XVIIe s., à un sens métonymique d'envie pour « tache sur l'épiderme présente à la naissance » (1611), cette tache étant considérée comme la trace d'une « envie » de la mère, à un moment de la grossesse.
❏
ENVIES n. f. pl. se dit familièrement (1640) pour désigner les petites peaux qui se forment sur le pourtour des ongles.
◈
Le verbe dérivé
ENVIER v. tr. (v. 1120-1150) est d'abord employé, au
XIIe s., avec le sens d'« éprouver un sentiment de jalousie envers (qqn) ». L'idée initiale de haine s'effaçant, c'est l'idée de « désir » qui domine dans les différents emplois : en ancien français (v. 1200)
envier (qqch.) signifiant « souhaiter, désirer pour soi-même (qqch.) ». La tournure
envier (qqch.)
à (qqn) [mil.
XVIe s.] s'employait pour « ne pas accorder, refuser (qqch.) », surtout en négation ou en interrogation, puis pour « éprouver un sentiment d'envie envers qqch. dont jouit, que possède qqn » (1667). La locution
n'avoir rien à envier à signifie « n'avoir rien à désirer, être comblé » (en parlant d'une personne) et « être de même qualité que, au moins égal à » (en parlant d'une chose).
■
Du verbe dérive ENVIABLE adj. (fin XIVe s.), rare avant le XIXe s., et qui se dit surtout d'une situation, fréquemment en emploi négatif.
◈
ENVIEUX, EUSE adj. et n. (1120-1150,
envïos) est dérivé d'
envie d'après le dérivé latin classique
invidiosus « qui envie, qui jalouse ». L'idée de « jalousie », de « cupidité » domine dans les emplois du mot.
■
En dérive ENVIEUSEMENT adv. (XVe s.), d'emploi assez rare.
ENVIRON prép., adv. et n. m. refait au XIIe s. (v. 1155), est composé (fin Xe s., evirum) du préfixe en-* et de l'ancien français viron « tour », « rond, cercle », qui n'est attesté que vers 1225 et dérive de virer*.
❏
Il est d'abord attesté en emploi adverbial (fin
Xe s.) avec le sens de « à l'entour », puis comme préposition (1080,
envirun lui) pour « autour de, dans le voisinage de » qui survit dans un emploi littéraire en parlant du temps (1340), dans des expressions comme
environ cette époque.
◆
L'adverbe signifie ensuite (1273), « à peu près », sens aujourd'hui courant en parlant du temps, de l'espace, d'une quantité, d'un prix.
■
L'emploi substantivé du mot apparaît à la fin du XIIIe s. (v. 1280) dans (tout) à l'environ, et au pluriel vers 1460, dans les environs « les alentours » devenu usuel, tout comme aux environs de « du côté de » (1552, en parlant d'un lieu) ; cet emploi est critiqué dans un emploi temporel.
❏
Le dérivé
ENVIRONNER v. tr. apparaît au participe passé pour « disposé en cercle » (v. 1165) ; il est attesté à l'actif (v. 1265) pour « entourer, enclore ». Ce sens propre a engendré divers emplois : « se mettre autour de (qqch., qqn) » (
XIVe s.), spécialement « assiéger », tombé en désuétude ; « vivre habituellement auprès de (qqn) » (1538 ; 1530 au participe passé) en emploi pronominal ou au passif.
◆
Au
XVIe s., le verbe prend le sens figuré d'« entourer » (1538,
être environné de dangers).
■
Son dérivé ENVIRONNEMENT n. m., d'abord au sens de « circuit, contour » (v. 1265, environemenz) puis (1487) d'« action d'environner », tous deux disparus, est didactique pour « environs (de qqch., d'un lieu) ».
■
Un sens étendu, « ensemble des éléments et phénomènes physiques qui environnent un organisme vivant, se trouvent autour de lui », en géographie humaine (1921), est emprunté à l'anglais environment (1827). Une valeur plus générale en est issue (répandue v. 1960) : « ensemble des conditions naturelles et culturelles susceptibles d'agir sur les organismes vivants et les activités humaines » (Cf. cadre de vie) ; cet emploi appartient aux domaines de l'éthologie et de l'écologie.
■
Du dernier sens d'environnement procèdent, au XXe s., les termes didactiques ENVIRONNEMENTAL, ALE, AUX adj. (1972) formé d'après l'anglais environmental et ENVIRONNEMENTALISTE n. (1972) et ENVIRONNEMENTALISME n. m., autres emprunts à l'anglais.
◈
ENVIRONNANT, ANTE adj., (1787, Féraud) du participe présent d'
environner, se dit pour « qui environne » « qui forme un milieu ».
ENVOÛTER v. tr. est dérivé (v. 1200) par préfixation de l'ancien français volt, vout (v. 1120) « visage », « image » et en particulier « figures de cire représentant une personne à qui on veut nuire par une opération magique » ; malgré le sens initial de vout, envoûter n'a jamais interféré avec envisager, formé de manière analogue. L'ancien français est issu du latin classique vultus « visage, physionomie », d'origine incertaine.
❏
Le verbe a pris d'abord le sens propre de « soumettre (qqn) à une action magique », par l'intermédiaire de ces figurines autrefois nommées volt, vout, et, à la fin du XIXe s. par une évolution comparable à celle de charmer, « exercer sur (qqn) un attrait, une domination irrésistible ».
❏
Le dérivé
ENVOÛTEMENT n. m. s'emploie comme le verbe, d'abord au sens fort (
XIIIe s.,
anvoutemanz) puis au figuré (fin
XIXe s.).
■
ENVOÛTEUR, EUSE n. (1847) « personne qui envoûte » et au figuré « charmeur, ensorceleur » est d'emploi littéraire ou didactique.
■
Le participe présent ENVOÛTANT, ANTE adj. (attesté en 1948) s'emploie seulement au figuré.
L
ENVOYER v. tr., réfection (XIIe s.) de enveiier (v. 980), est issu du bas latin inviare « parcourir, marcher sur, parvenir », formé de in- et de via (→ voie).
❏
Envoyer a d'abord le sens général de « faire aller » ; le verbe ne se construit plus sans complément direct, sauf dans un contexte littéraire. Il entre dans plusieurs locutions, notamment en fonction d'auxiliaire :
envoyer qqn ad patres (1694), à la mort, envoyer qqn balader, bouler, coucher, paître, promener (1640), etc. « s'en débarrasser ». D'autres expressions sont clairement locatives, avec
à (envoyer au bain, à la balançoire...) ou
sur (sur les fraises, les roses...).
◆
Avec cette valeur générale, il s'est spécialisé au sens de « nommer, faire aller (qqn) dans une assemblée » (1694), d'où un emploi intransitif (2
e moitié
XVIIe s.) pour « envoyer ou déléguer qqn ».
◆
Au
XIIe s.,
envoyer prend (v. 1165) le sens de « lancer (un projectile) » (par exemple
envoyer un ballon à qqn), d'où ensuite « donner avec force » (
XVIIIe s. ;
envoyer un coup), et (1172) « faire parvenir (qqch. à qqn) »
(envoyer une lettre) ; le verbe a pris aussi le sens de « donner », par exemple, de l'argent
(envoyer la monnaie, les envoyer).
◆
Il signifie (1694) « faire aller jusqu'à ».
◆
Il s'est employé en ancien français au sens de « faire venir (qqn) » (v. 1155, comme intransitif) et a été remplacé par
renvoyer au sens de « congédier (qqn) » (fin
XVe s.).
◆
Dans l'usage régional breton (Bretagne occidentale), il se dit pour « porter, apporter (qqch.) » (
« J'ai envoyé des pommes avec moi », P. J. Hélias), et « emmener (qqn) avec soi ».
Voir avec.
■
Le pronominal a pris à la fin du XIXe s. (1897) une nouvelle valeur dans plusieurs expressions : s'envoyer un verre, un repas, s'envoyer qqn « posséder charnellement » (la personne étant assimilée à une chose), s'envoyer tout le travail (déb. XXe s.) « le faire de mauvais gré ». La métaphore est celle de se faire, se farcir ; elle est probablement d'origine sexuelle (Cf. posséder).
❏
ENVOI n. m. (v. 1165,
envei), déverbal d'
envoyer, signifie d'abord « action d'envoyer ».
◆
Le mot se spécialise et désigne ensuite (v. 1350,
envoy), dans une ballade, la dernière strophe qui dédie le poème à qqn, puis une dédicace (fin
XIVe s.). Par métonymie de l'emploi général, il se dit (1803) de ce qui a été envoyé.
◆
Le mot s'emploie en sports (1908) dans
coup d'envoi.
■
ENVOYÉ, ÉE adj. signifie « qui a été envoyé », d'où au figuré (1867) une réponse, une réplique bien envoyée « très pertinente » ; le mot s'emploie comme nom, un envoyé (XVe s., d'abord fors envoyé « envoyé dehors », 1290), pour désigner une personne envoyée quelque part pour accomplir une mission, d'où (XXe s.) envoyé spécial, notamment terme de journalisme.
■
ENVOYEUR, EUSE n., attesté au XIIIe s. (envoieur), est rare jusqu'au XIXe s. ; il s'emploie surtout dans retour à l'envoyeur.
◈
RENVOYER v. tr. (v. 1130), préfixé en
re-*, s'emploie, par rapport à
envoyer, pour indiquer le retour à un état antérieur. Le verbe a pris (
XVe s.) en droit le sens d'« adresser (qqn) à un autre destinataire plus approprié », d'où « faire se reporter » (1538 ;
renvoyer le lecteur aux notes), puis les locutions figurées
se renvoyer la balle (1787),
renvoyer dos à dos (1845).
Renvoyer s'est employé pour « rabrouer (qqn) » (1535) ; il signifie en particulier (1480) « faire partir (qqn), en faisant cesser une fonction », puis (1690) « reporter à une date ultérieure ». Par ailleurs il se spécialise au sens de « réverbérer » (1690 ;
renvoyer la lumière).
■
Le déverbal RENVOI n. m. (1396, faire renvoy « avoir recours ») a le sens général d'« action de renvoyer », par exemple en typographie (1611). Il désigne spécialement (renvoy, v. 1748) l'expulsion de gaz de l'estomac par la bouche et sert d'euphémisme pour rot.
ENZYME n. f. ou m. est un emprunt (1878) à l'allemand Enzym, mot formé (1876) par le physiologiste allemand W. Kühne, à partir du grec en « dans » et zumê « levain », lequel semble être en relation, dans d'autres langues indoeuropéennes, avec des mots signifiant « soupe, bouillon », comme le latin jus (→ jus).
❏
Enzyme, qui s'est substitué à diastase, ferment, zymase, désigne en biochimie une substance protéinique qui facilite ou accroît une réaction biochimique. Le mot est employé couramment au masculin, usage critiqué par l'Académie des Sciences (1959), l'Académie de Médecine (1967), l'Académie française (1970).
❏
Le dérivé
ENZYMOLOGIE n. f. (1890) se dit de l'étude des enzymes, d'où
ENZYMOLOGIQUE adj. (
XXe s. ; attesté en 1963) et
ENZYMOLOGISTE n. (
XXe s.).
■
ENZYMATIQUE adj. (1903) s'est substitué à diastasique pour qualifier, dans un emploi didactique, ce qui concerne les enzymes.
◈
Enzyme entre comme second élément de composition dans la formation de mots savants (chimie, biologie) tels que
PROENZYME n. m. (1904),
ANTIENZYME n. m. (1922),
COENZYME n. m. ou f. (1922),
APOENZYME n. f. (1936) et
HOLOENZYME n. f. (
XXe s.).
❏ voir
AZYME.
ÉOCÈNE adj. et n. m. est un emprunt (1843, adj.) à l'anglais eocene, terme attribué au géologue anglais Lyell et diffusé par lui, probablement dû au philosophe anglais W. Whewell ; ce mot est formé à partir du grec eôs « aurore » et kainos « récent, nouveau » (Cf. miocène, pliocène, formés de manière analogue).
❏
Éocène se dit en géologie de ce qui est relatif à une période de l'ère tertiaire (succédant au Paléocène) ; il désigne comme nom commun (1901) cette ère.
ÉOLIEN, IENNE adj., attesté une première fois en 1615 et repris en 1794, est dérivé du nom d'Éole, le latin Aeolus, lui-même du grec Aiolos, dieu de la mythologie grecque qui présidait aux vents, de aiolos « vif, rapide », dont l'étymologie est discutée.
❏
L'adjectif signifie « qui est relatif à Éole » ; il est employé dans le syntagme harpe éolienne, instrument dont l'invention est attribuée au Père Kircher au XVIIe s., pour désigner une table ou boîte sonore sur laquelle sont tendues des cordes que le vent fait vibrer. De là par extension, sons éoliens « doux et harmonieux », qui a été en usage dans le vocabulaire poétique.
◆
À la fin du XIXe s., l'adjectif est employé en géologie (1878, formations éoliennes) avec le sens de « dû à l'action du vent » et au début du XXe s. pour « qui est actionné par le vent » (1907, machine éolienne), d'où une éolienne, nom féminin, (XXe s.) et force, énergie éolienne.
ÉON n. m. est un emprunt savant (1732) au latin chrétien aeon, -onis, lui-même du grec aiôn, -ônos « force vitale, vie », d'où « durée d'une vie », « durée » en général et, chez les philosophes, « éternité ». Le mot provient d'une racine indoeuropéenne °ai-w-, qui exprime la force vitale, la durée (Cf. l'allemand Ewigkeit « éternité »). Le mot fut employé en latin par l'hérésiarque Valentin et par les gnostiques pour désigner des entités abstraites et éternelles, émanations du bon principe (sagesse, raison).
❏
Il est repris en français au XVIIIe s. comme terme de philosophie pour désigner une puissance éternelle, émanant de l'Être suprême et par laquelle s'exerce son action sur le monde. Le mot a aussi le sens, repris du grec (par l'intermédaire de l'anglais aeon), de « durée immense ». Il est d'emploi didactique dans les deux acceptions.
ÉPACTE n. f. est un emprunt (1119) au bas latin epactae (pl.), lui-même du grec epaktai (hêmêrai) « (jours) intercalaires », dérivé de epagein « introduire », de agein « conduire ». Ce mot se rattache comme le latin agere (→ agir ; action) à une racine indoeuropéenne °ag- « pousser devant soi (un troupeau) ».
❏
Épacte, mot didactique, désigne le nombre de jours à ajouter à l'année lunaire pour qu'elle égale l'année solaire (dans le calendrier julien) et le nombre indiquant l'âge de la lune au 31 décembre de chaque année du calendrier grégorien.
❏
En dérive ÉPACTAL, ALE, AUX adj. (1775), didactique.
ÉPAGNEUL, EULE n., d'abord espaignol (1354-1376) puis sous la forme francisée espaigneul en 1465, par suffixation en -eul, semble issu d'un latin populaire °hispaniolus, dérivé du latin classique hispanus (→ espagnol).
❏
Épagneul, nom donné à un chien de chasse originaire d'Espagne, représente simplement pour certains la substantivation de (chien) espaignol (espagnol).
L
ÉPAIS, AISSE adj. apparaît à la fin du XIe s. sous la forme espes (1080), encore en usage au XVIIe s., issue, comme l'italien spesso et l'espagnol espeso, du latin classique spissus « épais, dense, compact », d'origine indoeuropéenne. La forme moderne épais (XVIIe s.) est due à l'influence d'une variante espeis, espois (v. 1200) et le résultat d'une évolution analogue à celle de roide / raide. Cette variante provenait d'un croisement de espes avec le substantif espeisse, espoisse « épaisseur » (XIIe s.), hérité du latin populaire °spissia, et avec l'ancien verbe espeissier, espoissier « épaissir » (XIIe s.), du latin populaire °spissiare « rendre épais ».
❏
Le mot est d'abord employé substantivement (1080,
le plus espès) pour désigner la partie la plus dense, la plus serrée de qqch. ; cet emploi est resté courant sous la forme :
au plus épais de (la forêt, la mêlée, etc.), mais
une espesse « une foule » (v. 1155) et
un espés « un fourré » (v. 1225) ne se sont pas maintenus.
◆
Au milieu du
XIIe s., apparaît l'adjectif avec le sens de « dense, compact » (v. 1150,
espesse pluie), souvent par opposition à « clairsemé », d'où l'emploi adverbial dans
semer épais (1538). Depuis la même époque, le mot se dit en parlant d'un corps à trois dimensions (v. 1160,
mur espais), puis d'une surface
(trait épais). Par extension, l'adjectif s'emploie notamment en parlant d'un gaz, d'une vapeur (
XVe s.), puis (
XVIe s.) d'un liquide qui manque de fluidité
(bouillie épaisse) et par métonymie d'une
langue épaisse (Cf. pâteux).
■
Au XVIe s., épais s'applique à des être vivants et animés dont l'aspect extérieur est massif, grossier (av. 1564 ; formes épaisses), d'où il n'est pas épais « il est mince, maigre ». Au figuré, un homme épais, il est épais... se dit d'une personne qui manque de finesse (1677). Cet emploi est beaucoup plus courant en français du Canada qu'en français d'Europe, et épais se dit d'une personne lourde, grossière, pénible à supporter. Comme adverbe, en mettre épais s'emploie pour « exagérer ». Cf. En faire trop.
❏
Épais a plusieurs dérivés usuels.
■
ÉPAISSEMENT adv. (v. 1120-1150, espessement) signifie « d'une manière épaisse, serrée ».
■
ÉPAISSIR v. (v. 1180, intr. epessir), avec une variante spessir (XIVe s.), signifie d'abord « devenir plus épais, plus dense ». Depuis le XVIe s., il s'emploie transitivement (1538, espessir la chevelure) et pronominalement « rendre plus compact, plus profond » (1578). Au début du XVIIIe s., en relation avec épais figuré, le verbe est employé pour « perdre de sa vivacité », en parlant d'une faculté intellectuelle (1704) et, avant le milieu du XVIIIe s., il se dit au propre, en emploi transitif, pour « augmenter le volume, accroître l'importance de (qqch.) ». S'épaissir, pronominal, recouvre les mêmes emplois que épaissir transitif, mais est plus courant.
◆
ÉPAISSISSEMENT n. m. (1538, espessissement) dérive du radical du participe présent.
◆
ÉPAISSISSANT, ANTE adj. et n. m. (1660), tiré du participe présent, est rare en emploi adjectival ; le nom masculin désigne (1890) une substance capable de rendre plus épais un mélange liquide ou pâteux.
■
ÉPAISSISSEUR n. m. (1923) est un terme technique.
■
Le préfixé DÉSÉPAISSIR v. tr. (1572), réfection de despaissir (XIVe s.) [→ 1 dé-], a le sens de « rendre moins épais ».
◈
ÉPAISSEUR n. f. (fin
XIVe s.,
espesseur), autre dérivé de
épais, désigne (1399) l'une des trois dimensions d'un corps par opposition à la longueur et à la largeur, d'où le sens de « couche » (1864) dans
en simple, double épaisseur. Depuis la fin du
XIVe s., le mot se dit aussi de ce qui est serré, dru (en parlant de végétation) et, par extension, de l'état de ce qui est dense, compact (1570-1582).
◆
Au
XVIIe s.,
épaisseur s'applique à l'aspect physique de ce qui est massif (1671-1682) et par la suite s'emploie au figuré (1713), comme l'adjectif
épais.
■
Il a un dérivé préfixé SURÉPAISSEUR n. f. (1783), terme technique qui désigne une épaisseur renforcée.
ÉPANALEPSE n. f. est un emprunt savant (1546, Rabelais) au bas latin epanalepsis, terme de grammaire, pris au grec epanalepsis « reprise » de epanalambanein « reprendre, recommencer ». Ce dernier est composé de epi « en plus », ana « de nouveau » et lambanein « prendre, saisir », que l'on rattache à une racine indoeuropéenne °labh- de même sens (→ épilepsie).
❏
Le mot est introduit en français au XVIe s. comme terme de rhétorique avec le sens de « reprise, répétition » (d'un mot ou groupe de mots) ; devenu rare comme la plupart des termes de rhétorique, il désigne au XXe s. en linguistique (1933) la reprise d'un mot ou d'un syntagme déjà énoncé par un pronom, à l'intérieur d'une même proposition.
L
ÉPANCHER v. tr. est issu par évolution phonétique (v. 1200, espancier) du latin populaire °expandicare, dérivé du latin classique expandere « étendre » (→ épandre).
❏
Il s'emploie d'abord avec le sens propre de « répandre » (v. 1200) et ne prend qu'au XVIIe s. le sens particulier de « verser abondamment (un liquide) » (1669, Racine), sens qui ne survit aujourd'hui que dans un usage poétique ou au figuré (épancher ses bienfaits).
◆
Il se dit aussi pour « exprimer, communiquer (ses sentiments) » (1669, Racine) surtout dans épancher son cœur, sa bile et au pronominal s'épancher (1668). S'épancher est en revanche devenu rare au sens concret de « couler, se déverser », sauf comme terme de médecine (1832), en parlant d'un liquide organique.
❏
Le dérivé
ÉPANCHEMENT n. m. est sorti d'usage au sens propre (1605), sauf en médecine (1671) ; le mot désigne couramment au figuré l'action de confier à qqn ses sentiments, ses pensées (1606).
■
ÉPANCHOIR n. m. (1716) est un terme technique (Cf. déversoir).
ÉPANDRE v. tr. est un emprunt francisé (1080, espandre) au latin expandere « étendre, déployer, étaler », au figuré « développer », préfixé par ex- de pandere « écarter, déployer, étaler » (→ expansion).
❏
Les principaux emplois du verbe sont attestés au milieu du XIIe siècle. Il signifie d'abord (1080) « répandre » et notamment (v. 1190) « verser, répandre (un liquide) », d'où au figuré « prodiguer, verser en abondance » ; s'épandre (v. 1165) correspond à « s'étendre, se répandre, occuper un certain espace ».
◆
À la fin du XIIe s., le verbe prend le sens particulier d'« étendre sur le sol en dispersant » qui s'est seul maintenu, et est usuel dans le vocabulaire agricole (épandre de l'engrais).
◆
En effet, épandre est déjà devenu archaïque dans la seconde moitié du XVIIe s. : il est employé par Corneille, mais jamais par Racine ; bien que les symbolistes aient tenté de le remettre en usage, il reste d'un emploi très littéraire, étant supplanté, depuis le XVIIe s., par répandre.
❏
Le verbe préfixé
RÉPANDRE v. tr. (
XIIe s.,
respandre) de
re- a donc remplacé
épandre. Il se dit par ailleurs à partir du
XVIIe s., au propre, pour « produire et envoyer hors de soi, autour de soi » (1690 au pronominal ;
odeur qui se répand) et acquiert, à la même époque, les emplois métaphoriques du verbe simple :
répandre des bienfaits « accorder, donner avec profusion » ;
répandre l'épouvante, la joie « provoquer (une émotion) », « faire régner (un sentiment) » ;
répandre une doctrine « diffuser (dans un milieu, une société) » ;
répandre une nouvelle « faire connaître, rendre public ».
Se répandre en (injures, menaces, etc.) se dit (milieu
XVIIe s.) pour « exprimer, extérioriser ses sentiments » ;
se répandre (fin
XVIIe s.) signifie « se montrer beaucoup dans la société », d'où (v. 1700)
être répandu dans le monde « fréquenter le monde ».
◈
Les dérivés de
épandre sont issus du sens technique, « étendre en dispersant ».
■
ÉPANDAGE n. m. (1769) s'emploie aujourd'hui dans le vocabulaire de l'agriculture (1769, épandage des fumiers ; 1913, champ d'épandage) et en géographie (1958).
■
ÉPANDEUR n. m. (1930) ou ÉPANDEUSE n. f. désigne une machine pour l'épandage.
■
De répandre proviennent les synonymes plus techniques RÉPANDAGE n. m. (1865), puis RÉPANDEUR n. m. (mil. XXe s.) et RÉPANDEUSE n. f. (id.) noms de machines agricoles.
G
ÉPANOUIR v. apparaît comme intransitif sous la forme espannir vers 1180 (1176-1184 au participe passé adjectivé espani), puis espanoïr (XIIIe s.) et il est rare avant le XVIe s. (espanouir, 1564). Il est issu du francique °spannjan « étendre », restitué d'après l'ancien haut allemand spannan, le moyen haut allemand spennen, spannen de même sens (→ empan). La forme espanir ou espannir, encore usitée au XVIe s., s'est transformée en espanouir sous l'influence probable de évanouir. Le francique °spannjan, au sens d'« écarter », a aussi donné en ancien français espanir « sevrer ».
❏
À la fin du XIIe s., le verbe est employé avec le sens propre de « s'ouvrir », en parlant d'une fleur (v. 1180), d'où par analogie « déployer (ses ailes) » (1538).
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L'idée initiale d'« ouverture », d'« extension » s'est réalisée dans des emplois figurés ou métaphoriques exprimant la détente, la plénitude, en parlant du corps humain, de sentiments positifs, de qualités.
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Par métaphore, s'épanouir, verbe pronominal, signifie « se développer librement dans toutes ses possibilités ». Cette valeur était réalisée en ancien français par le participe passé adjectivé espani (1176-1184) « accompli, avéré » puis (1372-1373) « développé », en parlant d'un sentiment.
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Au XVIIe s., épanouir prend une nouvelle valeur figurée et se dit pour « détendre en rendant heureux » (1671 ; 1675, au pronominal).
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Le dérivé
ÉPANOUISSEMENT n. m. (1440-1475,
espannissement), tiré du radical du participe présent de
épanouir, s'est d'abord employé au figuré ; au début du
XVIIe s., il se dit du déploiement de la corolle d'une fleur (1611). Le substantif traduit comme le verbe l'idée de déploiement, de développement, d'où celle de jaillissement, de plénitude.
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L'adjectif ÉPANOUISSANT, ANTE, attesté seulement en 1920, qualifie ce qui provoque l'épanouissement.
G
ÉPARGNER v. tr., d'abord esparigner (1080) puis esparnier (v. 1120), est issu du francique °sparanjan « traiter avec indulgence », lui-même formé à partir du germanique °sparôn (attesté par l'ancien haut allemand sparên, sparon « ne pas tuer », d'où l'allemand sparen) sous l'influence d'un autre verbe francique °waidanjan (→ gagner).
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Le verbe est d'abord attesté en français avec le sens issu de l'étymon : « ne pas tuer, laisser vivre », d'où (v. 1120) « traiter avec ménagement, indulgence » (1690, avec un sujet nom de chose).
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Au début du XIIe s. apparaît l'idée de constituer une réserve : le verbe, avec un complément nom de chose, signifie (1121-1134) « consommer, employer avec mesure, de façon à garder une réserve » (Cf. économiser), sens vieilli, d'où (v. 1200) « conserver, accumuler par l'épargne » (épargner une somme d'argent), et en emploi absolu « économiser ».
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S'épargner (v. 1167) s'est dit au figuré pour « se ménager » et ne reste en usage qu'à la forme négative (ne pas s'épargner). Par la suite, le verbe se dit au figuré (1580) pour « employer avec mesure » (épargner ses forces), surtout à la forme négative en français moderne.
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Du premier sens est issu épargner qqch. à qqn « faire en sorte que qqn ne subisse pas qqch. » (1595) ; du second sens vient (1690) l'emploi technique (peinture, gravure) pour « laisser intact, sans traitement (le papier dans une aquarelle, certaines parties d'une planche gravée) ».
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Le déverbal
ÉPARGNE (1269-1278,
esperne) est attesté une première fois (1155,
faire esparne) avec le sens d'« action d'épargner (un vaincu) ».
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Il s'emploie à partir du
XIIIe s. pour « somme épargnée » (1269-1278), sens aujourd'hui vieilli, d'où « gestion permettant de constituer des réserves », en particulier dans le vocabulaire de l'économie (
XIXe s.). Au
XVe s.
épargne désignait le Trésor central du royaume (1470), d'où
trésorier de l'épargne. Épargne est un mot-clé de l'économie bourgeoise au
XIXe siècle ; de cette époque date le syntagme usuel
Caisse d'épargne.
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Au figuré (v. 1534)
épargne se dit pour « action d'utiliser une chose avec modération ».
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Le mot prend aussi des acceptions techniques : en gravure (1543)
taille d'épargne ; poire d'épargne (1714) ou
Épargne (1628) ;
bassin d'épargne (
XXe s.).
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ÉPARGNANT, ANTE adj. et n. (v. 1361 ; du participe présent de épargner), vieilli comme adjectif, désigne comme nom (1876) une personne qui épargne.
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ÉPARGNEUR, EUSE n., attesté isolément comme nom au XVIe s. (1556, au figuré) et au XVIIe s. (1614, espagneur), repris au XIXe s. (1878), est d'emploi rare. Il est aussi adjectif.
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ÉPARPILLER v. tr. apparaît (v. 1120) sous la forme esparpeillet et a pour équivalents l'ancien provençal esparpalhar, l'italien sparpagliare de même sens et l'espagnol desparpajar « bavarder sans suite ». L'origine du mot est discutée. Il est peut-être issu d'un latin populaire °disparpaliare qui aurait pour origine le syntagme dispare palare « répartir (palare) inégalement (dispare) » attesté chez Pétrone, devenu dispalare « répandre, disperser ». Ce verbe aurait donné °dispallare par gémination, et °disparpallare par altération expressive de dis- en dispar(e), adverbe, d'après l'adjectif dispar (→ disparate). Éparpiller pourrait aussi avoir pour étymon un latin populaire °expaleare (Cf. le portugais espalhar), d'un croisement de spargere « répandre » avec un dérivé de palea « paille », avec pour premier sens « disperser comme la paille sur l'aire ». Enfin, l'attraction paronymique de épars, épandre est assez évidente.
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Le verbe attesté a d'abord le sens de « jeter, répandre ça et là des choses au hasard », d'où au XIIIe s. « répartir, disposer, distribuer irrégulièrement » et dès le XIIe s. (v. 1170) s'éparpiller, en parlant de personnes. Un premier sens figuré, aujourd'hui sorti d'usage, apparaît à la fin du XVIIe s. (1694, Sévigné) : éparpiller son argent « le dépenser de-ci de-là ».
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Le sens figuré de « diriger (ses forces, ses efforts, son attention) dans diverses directions » apparaît au début du XVIIIe s. (av. 1719) en emploi pronominal ; dans ces emplois la paronymie de parpill- avec papill- dans papillonner a pu jouer un rôle.
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Le dérivé ÉPARPILLEMENT n. m. (v. 1290, esperpillement ; forme actuelle en 1636) ne semble employé au figuré qu'à la fin du XIXe siècle.
L
ÉPARS, ARSE adj. représente depuis le XIIe s. (v. 1165, espars) le participe passé adjectivé de l'ancien français espardre « séparer, disperser, répandre » (1119 ; usité jusqu'au XVIe s.). Ce verbe est issu du latin spargere « répandre », « parsemer », qui se rattache à une racine indoeuropéenne °spher- « éparpiller » et « semer ».
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L'adjectif est employé au XIIe s. avec le sens de « répandu ici et là », qu'il conserve, spécialement usité à propos de cheveux en désordre (v. 1275) ; il s'est dit à l'époque classique en parlant de personnes, au sens fort de « répartis et dispersés ». Le mot, au pluriel, s'applique le plus souvent à des notions concrètes. Au figuré, qualifiant un sujet au singulier (une odeur éparse ; un esprit épars « qui se disperse »), en parlant de personnes « qui va au hasard » (un homme épars), il est devenu archaïque.
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Le dérivé ÉPARSEMENT adv. (v. 1190), « de façon éparse », est d'emploi rare ou très littéraire.