JUDICIEUX, EUSE adj. est dérivé savamment par suffixation (1588, esprit judicieux) du latin judicium « acte judiciaire, procès » (→ judiciaire), pris au sens courant de « faculté de juger, discernement ».
❏
L'usage soutenu l'emploie au sens de « qui a une bonne faculté de juger » et, par métonymie, l'applique à une chose, au sens de « qui manifeste un bon jugement » (1647, choix judicieux). Il a évincé le doublet judicier, attesté chez Brantôme.
❏
On en a tiré JUDICIEUSEMENT adv. (1611).
JUDO n. m. est, comme le sport qu'il désigne, un emprunt (1931) au japonais judo, composé de ju « souple » et do « voie » (→ kendo), proprement « voie de la souplesse », parce que le judo est fondé sur un principe de non-résistance à la force de l'adversaire. Cette technique de combat sans armes fut créée par Jigoro Kano dans l'école de Kodokan (fondée en 1882). Elle est issue du ju-jitsu des samouraïs, né au XVIe s., et pratiqué dans tout le Japon au XVIIIe siècle. Le ju-jitsu (dont le nom signifie « art de la souplesse ») a fait son apparition en France avant le judo, sous le nom de JIU-JITSU (1906) et JU JITSU n. m. d'abord jujetsu (1903). Après la démonstration faite par Jigoro Kano à Paris en 1938, le jiu jitsu (ou « art martial ») et le mot qui le désigne ont été supplantés par le judo (création de la Fédération française de judo en 1947, entrée du judo au programme olympique en 1964).
❏
Le mot dénomme un sport de combat consistant à déséquilibrer en souplesse son adversaire.
❏
JUDOKA n. (1944) est emprunté au mot japonais de même forme signifiant « celui, celle qui pratique le judo ». Le niveau des judokas est symbolisé par des ceintures de couleurs différentes et, pour les ceintures noires, par des dans*.
L
JUGE n. m. est issu (v. 1170) du latin judicem, accusatif de judex, -icis « juge, arbitre ». Ce mot signifie proprement « celui qui montre le droit par un acte de parole » ; il est composé de jus « droit » (→ juridique) et de dicere « montrer verbalement, dire » (→ dire). Comme le souligne É. Benveniste, ce mot témoigne de la liaison constante qui existe en indoeuropéen entre les notions de « droit » et de « prononcer » : en effet, c'est par l'intermédiaire de cet acte de parole (le jus dicere) que s'est constituée la terminologie judiciaire latine (→ judiciaire, judicieux, juridiction, juridique). En passant dans le langage courant, judex s'est dépouillé de son sens technique pour acquérir la valeur plus large de « celui qui estime, qui pense ».
❏
Juge est attesté dans les premiers textes avec le sens historique de « magistrat suprême du peuple juif, avant l'établissement de la royauté »
(Livre des Juges).
◆
Son sens juridique courant, « magistrat chargé d'appliquer les lois et de rendre la justice », est attesté depuis 1174, et la spécialisation des fonctions du juge s'exprime en syntagmes du type
juge de paix (1660),
juge-commissaire (1808), etc.
Juge d'instruction désigne en France un(e) magistrat(e) qui instruit une affaire en matière criminelle ou correctionnelle. Le nom du magistrat équivalent est en Suisse
juge informateur. Outre ses emplois figurés généraux,
juge de paix s'est dit en argot pour « arbitre, dans le milieu », et d'abord à propos de ce qui sert à régler un différend, un gourdin (1800), une partie de dés (fin
XIXe s.), un pistolet (dans Simonin, 1955).
◆
Dès les premières attestations,
juge désigne aussi une personne appelée à faire partie d'un jury ou à se prononcer comme arbitre (v. 1170), sens repris dans le langage sportif (1872, une fois en 1858). En français du Canada,
juge de ligne désigne l'arbitre qui surveille les hors-jeu.
■
Par métaphore, juge s'applique à la personne que l'on considère comme l'autorité suprême ayant droit et pouvoir de juger (1356) et, plus communément, à celle qui est appelée à donner un avis, une opinion (v. 1270), surtout en expressions du type prendre pour juge.
◆
Il se dit aussi (1564) à propos de celui ou celle qu'on estime capable d'apprécier une chose (être juge de, bon juge, s'ériger en juge). Le XXe s. voit l'application du mot à une chose (1914), en cyclisme où juge de paix désigne le col de montagne qui « juge » les concurrents en les éliminant.
◆
Le féminin jugesse (1504), attesté au propre comme au figuré, est fortement concurrencé par le masculin et l'expression femme juge.
❏ voir
JUGER, JURER.
L
JUGER v. tr., d'abord jugier (1080), est issu du latin judicare « rendre un jugement » et, dans l'usage commun, « apprécier, décider », de judex (→ juge).
❏
Juger, apparu au sens restrictif de « condamner » (juger à mort), a pris son sens juridique actuel dès le XIe siècle. Il est entré dans l'usage commun avec les sens de « décider en qualité d'arbitre », « prendre position » (v. 1278) et « soumettre au jugement de sa conscience, de sa raison ». Depuis le XIIIe s. (v. 1278), il admet un complément construit avec un adjectif ou une complétive, au sens particulier de « considérer comme ». Avec une complétive juger que..., est employé pour « imaginer, se représenter, penser » (1636).
◆
La locution au juger, « d'une manière approximative », est probablement issue du langage des chasseurs pour (v. 1270) « tirer à l'endroit où l'on présume que se tient le gibier ».
◆
L'époque classique a introduit la construction juger de « imaginer, se représenter » (1636), d'usage soutenu.
◆
Juger est employé absolument (1564) en psychologie et en philosophie, au sens de « faire usage de discernement », en relation avec jugement (ci-dessous), et « affirmer ou nier une existence, un rapport ».
❏
JUGEMENT n. m. (1080), apparu avec sa valeur juridique de « sentence rendue par un juge », est employé dans le contexte religieux du
jugement dernier « jugement rendu par Dieu après la résurrection des corps », depuis la fin du
XIIe siècle.
◆
Il a développé tous les sens courants correspondant à ceux de
juger et de
juge ; il désigne une appréciation (approbation ou condamnation) non juridique (v. 1165), quelquefois affaiblie en « avis » (av. 1450), et s'emploie spécialement en philosophie (1361) au sens de « faculté de l'esprit qui compare et juge », désignant (1637) une décision par laquelle le contenu d'une assertion est posé à titre de vérité.
◈
JUGEUR n. m., réfection suffixale en
jugeor, jugeour (1080) puis
jugeur (
XIIIe s.) de
jugedor (v. 1050), a eu la valeur juridique de « juge ou juré pouvant rendre un jugement », puis est sorti d'usage, sauf en histoire. Il a été repris d'après le sens extensif du verbe pour « personne qui prétend juger de tout » (1773).
■
JUGEABLE adj., réfection graphique de jujable (av. 1200), ce dernier signifiant en ancien français « condamnable », a été repris avec la valeur neutre de « qui peut, doit être jugé » (1575), à propos d'une cause, puis (1790) d'une personne. Au sens psychologique de juger, il est passé (1842) dans la langue des philosophes.
■
Par substitution de suffixe, on a formé JUGERIE n. f. (1340), qui est passé de son ancien sens de « juridiction » au sens péjoratif de « cour de justice » (1749), « mauvaise manière de juger » puis est sorti d'usage.
◈
JUGEOTE ou
JUGEOTTE n. f. (1868 ; 1835,
jugeoteur « personne aimant juger de tout ») continue, avec son sens familier de « bon sens », des emplois classiques de
juger et
jugement, tel
d'après mon petit jugement (av. 1694) « d'après mes saines capacités de juger ».
◈
Par préfixation,
juger a produit
MÉJUGER v. tr. (1205,
mesjugier) « se tromper dans son jugement », assez rare au moyen âge, disparu et repris à partir du
XIXe s. ; le mot s'emploie spécialement en vénerie (1561) à propos d'un animal qui met les pattes de derrière en dehors des traces de celles de devant.
◆
Le sens d'« avoir mauvaise opinion de » (1829) est littéraire.
◈
L'ancien préfixé
DÉJUGER v. tr. (v. 1220), employé en ancien français au sens de « condamner qqn », a été repris vers 1845 à la forme pronominale avec son sens moderne de « revenir sur son jugement ». Il est peu employé pour « annuler un procès, un jugement » (1845).
❏ voir
ADJUGER, PRÉJUGER.
JUGULAIRE adj. et n. f. est dérivé savamment (1534), avec le suffixe -aire, du latin jugulum « endroit où le cou se joint aux épaules et à la poitrine, gorge », mot du groupe de jugum (→ joug).
❏
Le mot qualifie, en anatomie, ce qui se rapporte au cou ou à la gorge (
veines jugulaires, 1534).
■
Le féminin est substantivé, la jugulaire, comme dénomination d'une des quatre veines situées dans les parties latérales du cou (1694).
◆
Il désigne aussi l'attache sous le cou (1820 dans les règlements militaires), généralement à propos d'une coiffure militaire, connotant l'idée de tenue stricte, peut-être par influence de juguler. De là l'expression familière jugulaire, jugulaire, d'abord exclamation, pour « d'une discipline stricte » (1925, Galtier-Boissière).
❏ voir
JUGULER.
JUGULER v. tr. est emprunté (v. 1213) au latin jugulare « saisir à la gorge, assassiner (en égorgeant) » et, au figuré, « confondre, terrasser, abattre », dérivé de jugulum « gorge » (→ jugulaire).
❏
Jusqu'au
XVIe s.,
juguler a été employé au sens propre d'« égorger » ; après avoir été abandonné au
XVIIe, il a été repris au
XVIIIe s. au sens figuré d'« accuser, condamner (qqch.) » (1771, Beaumarchais), disparu au
XIXe siècle.
■
Il signifie ensuite « accabler, dépouiller de son argent » (1789, Cahier de doléances) et « importuner » (1821), sens à rapprocher de la locution saisir à la gorge, avant de s'établir avec la valeur actuelle d'« interrompre le développement de (qqch.), enrayer » (1836). Il est aussi employé au sens plus général d'« empêcher d'agir, tenir en bride », l'accent étant mis sur l'idée de neutralisation.
❏
JUGULATION n. f. (1888) et JUGULATEUR n. m. et adj. m. (v. 1950) sont très peu employés.
L
JUIF, JUIVE n. et adj., d'abord judeu (v. 980), puis juef (v. 1150), juiu (v. 1190) et enfin juif (v. 1223), est issu du latin Judaeus « de la tribu de Juda, juif » (→ judaïsme). Ce mot est emprunté, par l'intermédiaire du grec ioudaïos à l'araméen yĕhūdāi, correspondant à l'hébreu yĕhûdî. Celui-ci est dérivé de yĕhûdāh « Juda », nom d'un personnage biblique, fils de Jacob et de Léa et éponyme d'une des douze tribus d'Israël (Genèse 35, 23 ; 49, 8) ; par extension, nom de cette tribu, puis d'un des deux royaumes de Palestine et du peuple qui y vivait. Le développement de sens vient de ce que la plupart des Hébreux qui revinrent de la captivité de Babylone étaient de la tribu de Juda et occupèrent le territoire de l'ancien royaume de Juda.
◆
Les formes de l'ancien français juieu, juiu, jueu aussi écrit giule (passé dans l'anglais jew) ont été refaites en juif sur le féminin juiue, juive.
❏
Le mot désigne et, comme adjectif (v. 1119), qualifie une personne qui descend du peuple issu d'Abraham et se réclame de la tradition d'Abraham et de Moïse. Dès l'ancien français et avec des nuances différentes selon les époques, le mot a revêtu des connotations péjoratives diverses, liées à l'hostilité de la majorité chrétienne ; c'est le thème de l'usurier (1265), allusion à l'ancienne interdiction des métiers d'argent pour les chrétiens, développé plus tard en « avare » (1265),
juif devenant quasi synonyme de
arabe, dans cet emploi, à l'époque classique.
◆
À partir du milieu du
XIXe s., le mot reflète la montée du racisme antisémite* ; dès lors, les emplois insultants en appellatifs, les synonymes injurieux et la création de dérivés péjoratifs sont plus actifs
(Cf. ci-dessous). À certaines époques, on a conseillé d'éviter le mot au profit d'
israélite, plus neutre, mais il a été repris et revendiqué
(conscience juive, renouveau juif), un peu à la manière de
nègre.
■
L'expression figurée petit juif (1931), lexicalisée comme nom familier de l'endroit sensible du coude et (1962) du petit doigt, est d'origine obscure.
Le mot a été traité en verlan sous la forme feuj.
❏
JUIVERIE n. f., d'abord
juerie (
XIIe s.) et
juierie (v. 1207), refait d'après le féminin
juive en
juiverie (v. 1350), a désigné la communauté juive et sa religion (jusqu'au
XVIIe, repris à la fin du
XIXe s. chez les antisémites), et aussi un quartier juif (
XIIIe s.), un marché usuraire (1607) et un acte d'usurier (1656). Ses emplois, le plus souvent péjoratifs puis insultants, l'ont fait sortir de l'usage courant.
■
Certains dérivés anciens comme JUIVETÉ n. f. (XVe s.) ont disparu, remplacés par les mots didactiques plus neutres judaïsme, judaïque, judaïser*.
◈
Plusieurs dérivés antisémites ont été formés à la fin du
XIXe et au début du
XXe s., par exemple
ENJUIVER v. tr.
■
Certaines formations argotiques sont des corruptions du nom du juif en allemand. ANTIJUIF, IVE adj. apparu peu avant 1900, concurrence antisémite et manifeste une xénophobie « raciste » plus claire.
❏ voir
YOUDE, YOUPIN.
JUILLET n. m., qui apparaît au début du XIIIe s. (v. 1213), a éliminé vers le XVIe s. l'ancien juignet, dérivé diminutif de juin*, proprement « petit mois de juin ». Cette dérivation s'explique peut-être par le fait que l'on regardait juillet comme une répétition de juin, un juin cadet, tout comme on distinguait ces deux mois en ancien anglais en faisant précéder le même nom de l'épithète « le premier » et « le second ». Juillet est donc une réfection de juignet d'après l'ancien juil (v. 1119), mot maintenu dans les parlers du Nord, issu du latin julius (mensis) « (mois) de Jules ». Le mois avait été nommé par Marc Antoine en l'honneur de Jules César, né dans ce mois et réformateur du calendrier en 45 av. J.-C. ; il s'appelait auparavant quintilis « le cinquième » parce que l'année commençait en mars. Le mot latin, régulièrement employé dans les documents médiévaux, a lui-même contribué à la transformation de juignet en juillet.
❏
Le mot désigne le septième mois de l'année, caractéristique de l'été dans la zone géographique où se trouvent les pays francophones européens. L'expression historique française les journées de juillet concerne la révolution de 1830 et s'est employée dès 1830. Monarchie de Juillet est le nom du régime de la France entre la révolution de juillet 1830 et celle de février 1848.
❏
Récemment, les vacanciers du mois de juillet ont reçu le nom familier de JUILLETTISTES n. pl. (1969), par opposition aux aoûtiens.
L
JUIN n. m. est issu (v. 1119) du latin junius (sous-entendu mensis, → mois), mot d'étymologie discutée : on a évoqué le nom de L. Junius Brutus, premier consul romain et l'un des fondateurs de la République. On y a aussi vu le dérivé de Juno « Junon », nom d'une déesse italique, plus tard assimilée à Héra et sans doute à rattacher à la racine de juvenis (→ jeune), exprimant la force physique et la jeunesse dans sa plénitude.
❏
Le mot désigne le sixième mois de l'année.
◆
On parle en histoire des journées de juin (1848) pour l'insurrection ouvrière écrasée par Cavaignac.
JUJUBE n. m. vient (v. 1256) du latin populaire °zizupus (avec assimilation régressive de i aboutissant à u), altération du latin classique zizufum, zizuphum, zizuphon « fruit du jujubier, jujubier ». Ce mot est emprunté au grec tardif de même sens zizuphon, d'origine obscure. Étant donné l'aire méditerranéenne de l'arbre, il est probable que le mot soit parvenu en français par l'intermédiaire du provençal, mais on ne relève dans cette langue aucune forme du même type, sinon jousibo (Hérault, Gascogne, Languedoc, Pays de Foix), issu d'une forme °zuzipus ; et gigoulo, chichoulo, issu d'un latin populaire °zizula, probablement contraction de °zizupula ; enfin ginjourlo, chinchurlo, issu d'un °zinzula par l'italien.
❏
Le mot désigne le fruit du jujubier, consommé à des fins thérapeutiques (v. 1265, décoction de jujubes). Il a été considéré comme féminin (1600) par la plupart des dictionnaires à partir du XVIIe siècle.
◆
Par métonymie, il désigne une préparation pectorale adoucissante tirée du fruit, en particulier sous forme de pâte (1845). Le mot a vieilli au début du XXe s. comme pâte pectorale, au profit d'autres dénominations (boule de gomme...).
❏
JUJUBIER n. m. (1546), nom de l'arbre, a évincé jujube dans cet emploi.
JUKE-BOX n. m. est emprunté (1947 en France ; 1944 en français du Canada) à l'anglo-américain juke-box (1939), antérieurement et encore quelquefois juke organ (1937), elliptiquement juke (1959), expression et mot désignant un électrophone public qui sélectionne un titre musical lorsqu'on insère une pièce de monnaie ou un jeton et que l'on appuie sur un système de touches. Le premier élément est juke « relais, bordel » (1935), probablement du gullah, dialecte des Noirs de la Caroline du Sud et de la Georgie où juke, jook (d'origine ouest africaine) signifie « mauvais, en désordre ». Le second élément est box « boîte » (→ box), issu (XIVe s.) du latin tardif buxis (→ boîte, buis).
❏
Le mot a conservé le sens de l'anglo-américain.
JULES n. m. recouvre plusieurs emplois ironiques comme nom commun du prénom Jules, du latin Julius (→ juillet).
❏
En moyen français, le nom a désigné une petite monnaie valant environ cinq sous, en usage en Italie (1570) en référence au nom du pape Jules II.
■
Le sens populaire de « vase de nuit » (1866), aujourd'hui vieilli, est (trop) ingénieusement expliqué par Esnault au moyen d'une rengaine du milieu du XIXe s., « j'suis comme Jules, incrédule », qui renverrait elle-même à Thomas « pot de chambre, vase de nuit » (de 1830 à 1870) ; l'emploi de Thomas en ce sens s'expliquant par un calembour sur les paroles du Christ à l'apôtre Thomas (Saint-Jean, XX, 26) : en latin vide Thomas, « vois, Thomas » étant compris comme « videz Thomas ». La péjoration du prénom Jules était déjà intervenue au XVIIe s., à la suite des Mazarinades, Jules (Giulio) Mazarin étant passablement haï. Mais l'écart chronologique interdit de recourir à cette explication pour le sens mentionné ici. Dans ce sens, Thomas a disparu et Jules est archaïque.
■
Le sens familier d'« amant, mari » (1947, certainement antérieur) est à mettre en relation avec le sens argotique de « souteneur », variation du même ordre que celle qui touche julot (ci-dessous) dès le début du XXe siècle. Cet emploi est usuel, surtout avec un possessif. Un jules s'emploie aussi pour « homme, mec ».
❏
JULOT n. m., diminutif populaire de
Jules, est en effet un nom argotique du souteneur (1904 chez Jean Lorrain), d'après la lexicalisation fréquente d'un prénom à la mode pour une classe d'individus peu nommables
(→ Jacques). Le même mot a servi à désigner les policiers de la brigade des mœurs chargés de la répression de la prostitution, peut-être d'après l'ambivalence du souteneur et du policier, également signes de la loi pour les prostituées.
■
JULIE n. f., avec une diffusion moindre, désigne en argot la maîtresse (1953), la petite amie.
❏ voir
JULIENNE.
JULIENNE n. f. est probablement tiré (1482-1483), par un cheminement sémantique obscur, du prénom Julien, Julienne, du latin Julianus, dérivé de Julius (→ Jules).
❏
Le mot est attesté à Bordeaux au
XVe s. comme nom régional d'une grande morue appelée
lingue, molve. Il est repris en ce sens à partir de 1732.
■
Parallèlement, il est employé sous la forme juliane (1665), puis julienne (1677) comme nom d'une plante crucifère.
■
Il est devenu celui d'une préparation culinaire de légumes coupés en petits filaments (1691), sens encore usuel.
JUMBO n. m. est emprunté (1953) à un usage américain de l'anglais jumbo (1823), mot d'origine incertaine qui pourrait être une contraction de Mumbo Jumbo, nom d'une divinité africaine. Jumbo a commencé par désigner une personne ou un animal gigantesque et lourd ; il est ensuite devenu le nom propre de l'éléphant géant au zoo de Londres qui fut vendu au cirque Barnum en 1882, et, de là, un surnom familier de l'éléphant. Il s'est répandu comme adjectif épithète (1897), signifiant « éléphantesque, géant ». Un emploi technique à propos de grandes plates-formes mobiles utilisées dans les travaux publics est relevé en 1908 aux États-Unis.
❏
Le mot a été repris comme terme de travaux publics, désignant un chariot à portique supportant des perforatrices, utilisé pour le forage dans le percement des souterrains.
❏
JUMBO-JET n. m. a été emprunté (1967) à l'anglo-américain jumbo-jet, composé (1964) de jumbo pris au sens de « gros porteur » (1960) et de jet « avion à réaction » (→ 2 jet). Jet est le déverbal de to jet « jeter, projeter », lequel a été repris (XVIe s.) au français jeter*. Le mot s'emploie pour un avion à réaction de grande capacité, aussi appelé gros porteur.
L
JUMEAU, JUMELLE adj. et n. est issu (v. 1165) du latin gemellus « l'un des enfants nés d'un même accouchement » et (comme adjectif pluriel) « semblables », diminutif poétique de geminus (→ géminer) qu'il a supplanté pour des raisons d'expressivité. La forme actuelle, résultant d'une transformation du [ə] de la première syllabe en u sous l'influence des deux consonnes labiales qui l'entourent, a remplacé de bonne heure gemeau, encore vivant dans les parlers de l'Est et dans le terme d'astrologie gémeau*. Le midi et le centre de la France ont besson (1260, beçon), issu du latin gallo-roman °bissus issu de l'adverbe bis « deux fois » (→ bis) ; fréquent jusqu'au XVIe s., il est depuis limité à un usage régional.
❏
Jumeau est apparu avec son sens courant, comme nom et (fin XIIe s.) comme adjectif. Par extension, il qualifie des objets en tout point semblables (fin XIIe s.).
◆
Sa spécialisation en anatomie pour désigner deux muscles pairs date du XVIIIe s. (1747), mais correspond à un sens anciennement réalisé par gémeau (XVIe s.). Elle a donné une spécialisation en boucherie (1931) pour le morceau de bœuf situé dans l'épaule.
❏
Le féminin
JUMELLE s'est spécialisé en héraldique (1234) et désigne un ensemble de deux pièces fonctionnant de pair en charpenterie (1332), en mécanique. Il désigne aussi une pièce de bois renforçant ou doublant un mât en certaines pièces d'un bateau (1634,
gemelles).
◆
Le sens courant de « double lorgnette » est attesté depuis 1829, par ellipse pour
lorgnettes jumelles (1825).
■
JUMELER v. tr., d'abord gemellé (1660), jumelé (1678) au participe passé, a d'abord été employé au sens technique de « fortifier (un mât, une vergue) ». Depuis 1765, le verbe signifie couramment « ajuster deux choses semblables ensemble », en particulier en parlant de villes (v. 1956).
◆
Il a produit JUMELAGE n. m. (1872), nom d'action correspondant à toutes les acceptions du verbe (art militaire, automobile, chemin de fer), y compris figurément (1956, jumelage des villes).
L
JUMENT n. f. est issu (v. 1120) du latin jumentum, mot neutre dont le premier sens est « attelage », issu d'un dérivé populaire de jugum (→ joug) désignant un attelage de chevaux ou de mules. De bonne heure, jumentum a pris le sens de « bête d'attelage », spécialement « cheval ». Dans les langues romanes où il s'est conservé, il est passé très tôt du sens de « bête de somme » au sens spécialisé d'« âne » ou de « femelle du cheval » — ce qui est le cas du français — parce qu'on employait souvent la jument poulinière au transport. Dès le VIe s., le latin jumentum puis, aux VIIIe-IXe s., jumenta prend le sens de « jument ». Le mot a éliminé l'ancien français ive, remontant au latin equa, féminin de equus (→ équestre) et conservé par l'espagnol yegua.
❏
Le mot, d'abord masculin, a désigné la bête de somme (cheval, mulet...), seul et en apposition dans
cheval jument (1444). Cette acception disparaît au
XVIe siècle.
■
Dès le XIIe s., il a changé de genre en se spécialisant au sens de « femelle du cheval » (1174), éliminant le féminin jumente (1314).
JUMPING n. m. est emprunté (1900, Jumping prizes) à l'anglais jumping « action de sauter, saut », substantivation du gérondif de to jump « sauter » (XVIe s.). Ce dernier est d'origine expressive, imitant probablement le bruit des pieds touchant le sol après leur bond ; des formations similaires existent de manière indépendante dans l'italien dialectal tzumpā, dzumbā, l'allemand gumpen, le danois gumpe et le suédois dialectal gumpa.
❏
Cet anglicisme désigne un saut d'obstacles en hippisme.
❏
JUMPER n. m., quelquefois francisé en JUMPEUR, a été repris à l'anglais jumper, nom d'agent dérivé de to jump, à propos d'un cheval spécialisé dans le saut d'obstacles.
JUNGLE n. f. est emprunté (1796) à l'anglais jungle de même sens (1777). Ce dernier est emprunté à l'hindoustani jangal « territoire inhabité, désert », d'où « territoire couvert d'une végétation impénétrable », du sanskrit jaṅgala « désert, lieu sauvage ».
❏
Le mot, quelquefois écrit jongle (1878) d'après la prononciation de l'anglais, s'est d'abord appliqué à l'Inde puis aux régions de l'Asie tropicale ; Le Livre de la jungle, de R. Kipling (1899), a contribué à sa diffusion internationale. Par analogie, il est employé (1904) au sens figuré de « milieu où règne la loi du plus fort », dite aussi loi de la jungle (1899) d'après l'anglais law of the jungle.