JUNIOR adj. et n. est un emprunt à l'anglais, où le mot est pris au latin junior « plus jeune » (1761 ; 1672 dans une traduction de l'anglais « personne inexpérimentée »). Le mot latin est le comparatif de juvenis (→ jeune). L'emprunt correspond à l'usage anglais d'ajouter cette indication après un nom de famille pour désigner la plus jeune des deux personnes d'un même nom, usage d'abord attesté en latin médiéval, puis en anglais au XVIIe siècle. L'emprunt s'est aussi fait selon l'usage anglais du mot dès le XVIe s. pour qualifier ou désigner des personnes plus ou moins expérimentées dans une activité, une profession, d'après un emploi déjà répandu en latin tardif.
❏  Le mot se place après un patronyme pour désigner le plus jeune d'une famille. Il s'est surtout répandu en sports (1884) à propos d'un jeune sportif appartenant à une catégorie intermédiaire entre celle des cadets et celle des seniors.
JUNK, JUNKIE n. est un emprunt à l'argot (slang) anglo-américain où junk correspond à « camelote, came » et le dérivé junkie (1923) à « drogué ».
❏  En français, cet anglicisme, apparu en 1970, s'emploie pour « personne qui s'adonne à une drogue dure, notamment l'héroïne ».
Dans plusieurs composés anglo-américains, junk a le sens de « camelote » : JUNK FOOD « mauvaise nourriture », JUNK MAIL « courrier publicitaire sans intérêt ».
JUNKER n. m. est emprunté (1863) à l'allemand Junker, littéralement « jeune seigneur », en moyen haut allemand juncherre « jeune noble, écuyer qui n'a pas encore été fait chevalier », avec deux développements, d'une part « fils de noble, de propriétaire terrien », d'autre part « jeune noble qui entre à l'armée pour devenir officier ». Le mot est composé de junc « jeune » (jung en allemand moderne) et de herre « seigneur, maître », d'où « homme » (Herr en allemand). Le premier repose, comme l'anglais young, sur un type germanique apparenté à la racine indoeuropéenne qui sous-tend aussi le latin juvencus « jeune taureau », juvenis (→ jeune). Le second appartient à une famille germanique de mots dont la signification originelle devait être « vénérable par l'âge » et qui a développé le sens de « maître » par l'intermédiaire d'un emploi comme terme d'adresse envers un supérieur (Cf. le latin senior et ses représentants).
❏  Le mot, attesté en Suisse romande dès le XVe s. (jungker), désigne un hobereau allemand ; il s'est dit aussi d'un jeune noble allemand, fils de propriétaires terriens, qui servait dans l'armée (1902).
JUNTE n. f., d'abord juncte (1581), junta (1665) puis junte (1669), est emprunté à l'espagnol junta « assemblée, réunion » (1055), plus spécialement « assemblée administrative judiciaire » et « assemblée d'individus désignés pour diriger les affaires d'une collectivité ».
■  Le mot, selon les circonstances, revêt des caractères opposés et peut se référer à un organe de consultation ou de subversion. Ce dernier cas apparaît au XVIe s. en Espagne ; il prend une nature particulière avec la crise de la monarchie au XXe s. et les pronunciamentos de Primo de Rivera (1923) et de Franco (1936). Le mot désigne enfin le régime issu de l'organe provisoire, en général une dictature militaire, notamment en Amérique latine. Junta est le féminin substantivé du participe passé junto, dérivé du latin junctus, de jungere (→ joindre).
❏  En français, le mot s'est longtemps référé à une réalité espagnole ou portugaise. Après un emploi métaphorique relevé chez Balzac qui taxe la presse d'espèce de junte perpétuelle (1831), il a pris son sens moderne de « gouvernement militaire ayant pris le pouvoir par un coup d'État » vers 1959, en corrélation avec putsch, d'après le sens voisin de « gouvernement dictatorial » déjà attesté au XIXe s. (1871).
JUPE n. f. est emprunté (v. 1188) à l'ancien italien du sud jupa « veste d'homme ou de femme d'origine orientale » (1053), lui-même emprunté à l'arabe ǧubba « veste de dessous ».
❏  Le mot a désigné un vêtement couvrant le buste, pourpoint ajusté fait d'étoffes repliées ou rembourrées (jusqu'en 1613), pourpoint à longues basques (XVIIe s.). ◆  Il a changé de valeur au XVIIe s. pour désigner un vêtement féminin qui descend de la ceinture aux pieds (1603) puis plus ou moins bas selon la mode : on précise alors jupe de dessous, jupe de dessus (1690), supplantant cotillon. Depuis 1665, il est employé au pluriel pour désigner l'ensemble formé par la jupe et les jupons, entrant dans l'expression figurée être dans les jupes de sa mère (1878 ; 1839, être cousu à la jupe maternelle). ◆  En français d'Afrique, jupe-pagne n. f. désigne une large jupe « portefeuille » en tissu traditionnel.
■  Par analogie de forme, il désigne en technique une pièce de forme cylindrique ou ajustée à la partie inférieure d'un objet (1952 en marine), notamment la partie gonflée d'air d'un véhicule sur coussin d'air.
❏  Ses dérivés sont tous des termes de couture ou d'habillement.
■  JUPON n. m., d'abord jupoun (1347, en anglo-normand dans un texte latin) et gippon (1376 en ancien champenois), puis juppon (1380), jupon (1372), est le plus ancien et aussi le plus vivant. Après avoir désigné une tunique d'homme à manches, il a pris son sens moderne de « jupe de dessous » (1680) suivant l'évolution du sens de jupe. Certains de ses emplois recoupent ceux de jupe, tels celui du pluriel jupons (1779) en locution figurée, et son emploi métonymique au sens de « femme » (1823), dans coureur de jupons (1900), expression qui a supplanté le dérivé JUPONNIER n. m. (1886). ◆  L'ancien sens de « veston masculin », attesté jusqu'au XIXe s., reste vivant dans certains dialectes.
■  De jupon sont dérivés JUPONNAGE n. m., passé du sens d'« action de matelasser une partie du vêtement masculin » (v. 1800) à « ensemble de jupons » (1913), et JUPONNER v. tr. (1800 ; 1819 comme terme de confection masculine), employé en couture et (1872) en habillement.
■  Le composé ENJUPONNER v. tr. (1534) est employé à la forme pronominale avec le sens péjoratif de « s'enticher d'une femme » (1835).
Parmi les autres dérivés de jupe, JUPIER n. m. (1881 au féminin) désigne le tailleur spécialisé dans la jupe féminine.
■  JUPETTE n. f. (1894) désigne une jupe très courte, tout comme l'anglicisme MINIJUPE (1966), traduction de l'anglais mini-skirt, mot formé sur le modèle de minicar pour désigner un vêtement dont l'invention revient à la styliste Mary Quant.
Le composé PORTE-JUPE adj. formé sur le modèle des composés créés à la Renaissance, mais plus tardif, s'est appliqué en dérision à la femme, animal porte-jupe. ◆  Le mot a été recréé (mil. XXe s.) pour « pince pour suspendre les jupes (à un cintre) ».
❏ voir JUPE-CULOTTE (art. CUL).
JUPITÉRIEN, IENNE adj. est un dérivé régulier, attesté au XVIIIe siècle de Jupiter, nom latin du dieu suprême, continuant le Zeus des Grecs.
❏  Qualifiant ce qui est relatif au dieu Jupiter, le mot s'emploie (1834) pour « impérieux, dominateur », dans un usage assez littéraire.
JURASSIQUE adj. est dérivé (1829) de Jura « chaîne de montagnes s'étendant sur la France, la Suisse, et l'Allemagne » avec le suffixe -ique. Le toponyme remonte au latin Jura, lui-même du celtique juris « forêt, montagne ».
❏  Le mot qualifie en géologie ce qui se rapporte à la deuxième période de l'ère secondaire entre le trias et le crétacé, période marquée par le dépôt d'épaisses couches calcaires, notamment dans le Jura. Il est également employé substantivement (le jurassique).
❏  JURASSIEN, IENNE adj. (1840), dont l'emploi en géologie recouvre celui de jurassique, s'applique plus largement en géographie à ce qui est propre au Jura, à ses habitants.
L JURER v. est issu à très haute époque (842, iurat « il jure », dans les Serments de Strasbourg) du latin jurare « prononcer la formule rituelle, prêter serment », d'où « prendre à témoin, engager par son serment », dérivé de jus, juris dans son sens originel de « formule rituelle ayant force de loi » (→ juridique).
❏  Le mot, héritier de la valeur juridico-religieuse du verbe latin, signifie « prêter serment solennellement », « promettre en prêtant serment » (1080) et « prendre à témoin (qqn) du sérieux de son serment » (1080). Cette dernière valeur (jurer Dieu que) est entièrement sortie d'usage en dehors de la locution jurer ses grands dieux que, relativement courante dans une acception laïcisée pour « affirmer catégoriquement » (1690). ◆  Dès l'ancien français, jurer se construit intransitivement avec un complément prépositionnel (sur, de) indiquant l'être pris à témoin ou la chose engageant le serment (v. 1150, jurer sur), l'objet, le propos du serment (v. 1225, jurer de). Par métonymie, il équivaut spécialement à « fiancer, promettre en mariage » (1080), sens disparu en français moderne, et, l'accent étant mis sur la conviction de la personne qui prête serment (1080), il devient synonyme de « promettre, affirmer avec force » (1461-1469), perdant l'idée de serment. Cette laïcisation du verbe conduit à des expressions où jurer équivaut à « attester avec certitude, être certain », comme il ne faut jurer de rien (1656), je ne (n'en) jurerais pas (1656), je vous jure « je vous affirme » (1667), ne jurer que par (qqn, qqch.) « suivre aveuglément » (1668) où jurer correspond simplement à affirmer.
■  Parallèlement, un autre développement s'est fait à partir de la spécialisation pour « invoquer de manière sacrilège le nom d'êtres ou de choses sacrées » (1160-1174), qui insiste sur le caractère sacré de l'acte (Cf. ci-dessous juron). ◆  L'accent se portant sur la violence des paroles proférées, on passe au sens d'« être fortement en discordance » (1665 en musique ; 1688 dans un contexte plus général).
❏  JURÉ, ÉE, participe passé de jurer, a confondu ses emplois adjectivés (par exemple dans foi jurée) et substantivés avec le représentant (fin XIIe s.) du latin juratus, participe passé de jurare, signifiant « qui a prêté serment » et substantivé au moyen âge pour désigner la personne qui a juré, prêté fidélité (fin XIe s.) ; juratus est employé spécialement dans les chartes octroyées aux villes du nord de la France pour les conseillers liés par le serment fait au seigneur. ◆  Juré, terme d'histoire des institutions, s'applique au vassal ayant prêté serment au roi et au membre du conseil d'une commune bénéficiant, sous serment, d'une délégation des pouvoirs du seigneur pour l'administration et la justice (v. 1200). Le mot se rapporte aussi au membre d'une corporation professionnelle commis par serment à la garde et à la surveillance d'un métier (1260), sens ayant donné l'expression maître juré, et des emplois plaisants (1668, maître juré filou chez Molière) et figurés (1580, ennemi juré) de l'adjectif.
■  Dans le cadre des institutions modernes, le mot se réfère au membre d'un jury de tribunal, d'abord (1588) dans un contexte anglais, d'après jury* et son composé juryman « membre du jury », puis dans un contexte français à partir de la Constitution de 1791.
■  Jurer a aussi donné JURANDE n. f. (XVIe s.), terme d'histoire des institutions qui s'applique à la charge de juré dans une corporation et, par métonymie (1694), au corps des jurés d'une corporation.
JUREUR n. m. (1174-1176), nom d'agent, a assumé une valeur juridique et (v. 1233, jurere) la valeur religieuse de « blasphémateur », qui est à peu près sortie d'usage. Il ne s'emploie plus guère qu'en histoire, à propos des prêtres ayant prêté serment à la Constitution civile du clergé en vigueur de 1791 à 1802 (attesté 1795).
JUREMENT n. m. (v. 1200), probablement dérivé de jurer d'après le bas latin juramentum, « serment » et « blasphème », a désigné le serment et (1537) le juron, avant d'être nettement distancé par ces deux termes.
JURON n. m., relativement tardif (1599), a assumé le même double sens : il a désigné le serment, sens disparu avant la fin du XVIIe s., le mot s'employant surtout pour « blasphème » (1606) ; il désigne par extension une interjection ou exclamation grossière traduisant une vive réaction de colère, de surprise. Dans ce contexte, on dit sacre en français canadien.
❏ voir ABJURER, ADJURER, CONJURER, INJURE, JURIDICTION, JURIDIQUE, JURISPRUDENCE, JURISTE, JURY, JUSTE, PARJURER.
JURIDICTION n. f. est emprunté (1209) au latin jurisdictio « action et droit de rendre la justice » d'où « pouvoir, autorité, ressort » (notamment dans les provinces de l'Empire romain), mot composé de juris, génitif de jus « droit » et dictio « acte de prononcer », de dicere (→ dire). La forme actuelle résulte de la suppression du -s- latin sous l'influence de mots comme juridicus (→ juridique) et ce dès l'emprunt ; cependant, on relève encore au XVIIIe s. une variante jurisdiction qui rétablit le -s- d'après le latin.
❏  Juridiction est apparu au sens de « pouvoir juridique » (sur une catégorie d'individus, une portion de territoire donnée, une catégorie de procès). Par métonymie (1538), il s'applique aussi au ressort de ce pouvoir (1538), à un tribunal, et à l'ensemble des tribunaux de même degré ou de même classe.
❏  En est issu JURIDICTIONNEL, ELLE adj., mot créé (1537) au sens de « qui a le pouvoir d'exercer la justice », disparu, et repris au début du XIXe s. (1802) pour « relatif à une juridiction ».
JURIDIQUE adj. est emprunté (1410) au latin juridicus « relatif aux tribunaux ou à la justice, conforme à la justice », de jus, juris « droit » (→ juste) et dicere (→ dire). Jus est un ancien terme de droit et de religion qui a dû désigner à l'origine une formule religieuse ayant force de loi. Il correspond, en indo-iranien au védique yóh « salut ».
❏  D'abord employé au sens ancien de « qui se fait en justice, selon les formes judiciaires », valeur où il a été supplanté par judiciaire, juridique a pris (1588) le sens plus général de « qui a rapport au droit ».
❏  Il a produit JURIDIQUEMENT adv. (déb. XVe s.) et le terme d'usage didactique JURIDISME n. m. (1940) désignant l'attitude d'une personne qui s'en tient à la lettre des textes juridiques (souvent avec une connotation critique). L'élément JURIDICO- est productif (ex. juridico-religieux, euse, adj. 1947).
❏ voir JURIDICTION, JURISPRUDENCE, JURISTE, JURY.
JURISPRUDENCE n. f. est emprunté (1562), avec maintien du -s- étymologique (à la différence de juridiction*), au bas latin jurisprudentia « science du droit », de jus, juris « droit » (→ juridique) et prudentia « connaissance, compétence » (→ prudence), après que les deux mots eurent été souvent associés à l'époque classique.
❏  Jurisprudence, vieilli au sens de « science du droit et des lois » (1562), a depuis le début du XVIIe s. (1611) la valeur plus précise d'« ensemble des décisions des juridictions sur une matière ou dans un pays en tant que constituant une source de droit ». Il entre dans l'expression faire jurisprudence (1804) « faire autorité (en parlant d'une décision de justice) ». ◆  La langue familière l'emploie parfois avec le sens figuré de « coutume, usage ».
❏  JURISPRUDENTIEL, ELLE adj. (1874) qualifie ce qui appartient à la jurisprudence et, par extension, ce qui est conforme à l'application d'une règle, à son usage.
JURISTE n. est emprunté (v. 1361) au latin médiéval jurista (XIIIe s.), formé sur jus, juris « droit » (→ juridique).
❏  Le mot désigne une personne qui a de grandes connaissances en droit et en fait profession, et spécialement un auteur d'ouvrages juridiques.
■  Ce sens a évincé celui de « personne proférant souvent des jurons » (1606), dérivé de jurer*, rapidement sorti d'usage malgré la rareté de son synonyme jureur dans ce sens. On dit blasphémateur.
JURY n. m. est emprunté (1588) à l'anglais jury qui désignait à l'origine une réunion de personnes choisies pour statuer sur une question particulière, la forme jury étant elle-même la transcription de l'ancien français juree, féminin du participe passé substantivé de jurer*, signifiant « serment » (XIIIe s.) et « enquête juridique », parce que les personnes interrogées prêtaient serment. Passé en anglais avec ce sens, le mot en est venu à désigner le groupe de personnes interrogées pour statuer sur le sort d'un prévenu.
❏  D'abord introduit en français en référence à une réalité anglaise, jury a été adopté lors de la création d'une institution révolutionnaire correspondante, en 1790, après de nombreuses hésitations : certains optaient pour la forme juré*, jurie ou voulaient reprendre le terme spécialisé jurande* ; l'anglicisme l'a emporté. Par extension, jury s'est rapidement appliqué à une commission temporaire chargée de l'examen d'une question (1793 ; 1792 sous la forme juré), notamment dans le contexte d'un examen et (1794) d'une réalisation artistique.
L JUS n. m. est issu (v. 1165) du latin jus, juris « jus, sauce, brouet », d'un mot indoeuropéen qui indique un mets confectionné avec de la viande cuite dans une sauce (et dont témoignent le sanskrit yūḥ « bouillon de viande » et plusieurs formes indoeuropéennes).
❏  Le mot latin a été conservé par le provençal et le français où il désigne le suc d'un fruit et (1538) la sauce d'une viande. Ces deux emplois donnent lieu à une spécialisation, jus de fruits (et jus de, suivi d'un nom de fruit) demeurant plus courant que jus seul, dans le second cas, sauf en français de Madagascar où jus se dit des boissons sans alcool. ◆  Fin XIXe s. sont apparus plusieurs sens analogiques d'usage familier : le mot se rapporte alors à un liquide de couleur douteuse, en particulier au mauvais café (1894, locutions jus de chapeau, de chique, de chaussette), à l'eau dans quelques expressions (1884, d'après jus de grenouille) et au courant électrique (1914, « eau des accumulateurs ») [→ court-jus]. ◆  Une métaphore de la cuisine a abouti à cuire, rester, mariner dans son jus « avoir très chaud » (idée de sueur) et « rester dans une mauvaise situation » (1866). ◆  L'argot des poilus, en 1914, apporte les expressions premier, deuxième jus pour « première, deuxième classe », à propos d'un soldat (vivant jusqu'à la suppression du service militaire). ◆  Depuis la fin du XIXe s., jus exprime une idée abstraite de qualité dans des locutions familières comme avoir du jus « de la vigueur », ça vaut le jus (1883), de même jus (1889) ; il se rapporte en particulier au profit tiré d'une affaire (1867), en relation avec juteux. ◆  Il a signifié familièrement « élégance, allure », notamment dans jeter, avoir du jus (1867) et, plus récemment, « énergie » (1895), mis en rapport avec le sens postérieur de « courant électrique ».
❏  À l'exception du terme technique JUSÉE n. f. (1765) « liquide acide obtenu en lessivant du tan déjà épuisé », les dérivés de jus comportent un -t- de soutien (dit « épenthétique »).
■  JUTEUX, EUSE adj. (XIVe s.), « qui a beaucoup de jus », a reçu au XIXe s. le sens figuré de « profitable » (1830) et, en rapport avec jus, « élégance, chic », celui d'« élégant » (1883) qu'il n'a pas conservé.
■  D'après premier jus « soldat de première classe », JUTEUX est substantivé dans l'argot militaire au sens d'« adjudant » (1907), par calembour sur la forme de ce mot.
■  JUTER v. intr. (1844), « rendre du jus » au propre et au figuré (dès 1844 en parlant de la pipe), a développé quelques valeurs familières — « pleurer » (1852), « cracher » (1862) — et érotiques, pour « éjaculer » (1910).
Combiné à vert*, jus a donné VERJUS n. m. (XIIIe s.) « suc acide de certaines espèces de raisin cueilli vert », d'où par métonymie « raisin cueilli à demi-mûr » (1351).
■  Verjus a servi à former VERJUTER v. tr. (1872 ; 1694, verjuté), verbe technique signifiant « préparer au verjus ».
❏ voir AZYME, ENZYME.
JUSANT n. m., d'abord attesté en Normandie (1484, iusan) et dans l'ouest de la France, est probablement dérivé de l'ancien adverbe jus « en bas », lui-même issu du latin deorsum « vers le bas », composé de de (→ de) et versum (vorsum) (→ vers) ; son vocalisme serait dû à celui de l'opposé antithétique de deorsum, susum (→ sus). Une autre hypothèse propose d'y voir un emprunt à l'ancien gascon iusant « inférieur » (1256), de même origine. La finale du mot s'explique peut-être par l'influence de mots tels que levant, ponant.
❏  Le mot désigne la marée descendante et, par métonymie, le moment où elle se produit.
JUSQUE prép., adv. et conj. est probablement issu (v. 980, jusche, jusque), en dépit de l'hiatus chronologique, de l'ancienne préposition et conjonction enjusque (v. 1175) dont le en- a disparu dès lors qu'on l'a senti comme un préfixe superflu. Cette forme venait du latin inde usque, de inde « d'ici », mot du groupe de is, adjectif-pronom de renvoi ayant donné des adverbes de lieu, et usque « jusqu'à », formé de ut (→ ut) et que, fréquent à époque tardive mais déjà relevé en langue classique. L'hypothèse d'un rattachement direct de jusque au latin de usque est réfutée (P. Falk) pour une raison concernant la datation du traitement phonétique. Le -s- intérieur de jusque, normalement amuï comme en témoignent les formes juque, juc (encore au XVIe s.), a été rétabli par analogie avec la conjonction puisque et par rapprochement étymologique avec le latin usque ; en revanche, la graphie jusques, avec s adverbial, fréquente en langue ancienne, n'est plus employée que pour des raisons phonétiques (devant voyelle), surtout en poésie.
❏  Jusque, qui marque le terme final, la limite à ne pas dépasser, est employé comme préposition suivie de à depuis le Xe siècle. D'abord construit avec un complément de lieu ou de temps, le mot introduit aussi un nom abstrait (v. 1225) et un infinitif (1460) ; il indique (1547) l'inclusion de la limite dans un tout (notamment combiné à inclus, y compris). Plus rarement, il se construit avec une préposition autre que à et, dès le XIIe s. (1165), avec un adverbe de temps ou de lieu. Au XVIIe et au XVIIIe s., la construction jusque suivie de aujourd'hui a soulevé de grandes discussions, les uns préconisant jusqu'aujourd'hui en alléguant que l'adverbe contenait déjà l'article au, les autres penchant pour jusqu'à aujourd'hui en argumentant qu'aujourd'hui devait être traité comme un adverbe authentique (solution acceptée par la dernière édition du dictionnaire de l'Académie).
■  Jusque est aussi employé comme adverbe (1561) et comme conjonction, suivi du subjonctif (mil. XVe s.). La langue classique employait fréquemment l'indicatif pour exprimer un fait réel au passé, et rien n'interdit cet emploi lorsqu'on veut insister sur la réalité du fait. Jusque est entré dans la locution jusqu'à tant que (v. 1247), antérieurement (1175) jusque tant que, vieillie ou d'usage régional. On n'emploie plus jusqu'au point que « à tel point que » et jusque-là que (v. 1210) de même sens.
❏  Jusque a servi à former les termes politiques JUSQU'AU-BOUTISTE n. et adj. (1916, Romain Rolland ; 1877, jusqu'auboutien) « partisan de la guerre jusqu'au bout », plus généralement « celui qui va jusqu'au bout de ses idées, de son action ». ◆  JUSQU'AU-BOUTISME n. m. est contemporain du précédent (1916).
JUSQUIAME n. f. est emprunté (XIIIe s.) au bas latin jusquiamos, jusquiamus, altération du latin hyoscyamos, hyoscyamum. Ce dernier est emprunté au grec huoskuamos, nom d'une plante aux propriétés narcotiques et toxiques, signifiant proprement « fève à cochons » : le premier élément, hus huos, correspond au nom du sanglier, de la laie, du porc et de la truie (→ hyène), et se rattache au même groupe indoeuropéen que le latin sus (conservé dans le terme de zoologie suidés), l'allemand Sau et l'anglais sow, désignations de la truie, animal connu pour sa fécondité, ce qui conduit à rattacher ses noms à la racine verbale °su- « mettre au monde » (→ sove). Le second élément, kuamos, est le nom de la fève, soit emprunté, soit du groupe de kuein « porter dans son sein », dont la racine exprime l'idée de gonflement.
❏  Le mot désigne une plante de la famille des solanacées. Très vénéneuse comme ses parentes — la stramoine et la belladone —, ce fut l'une des herbes maudites de la sorcellerie européenne. Sa nature vénéneuse a été analysée par le toxicologue autrichien A. Stoerck (1762).
JUSSION n. f. est emprunté (v. 1450) au bas latin jussio, -onis « ordre, commandement », formé sur le supin jussum de jubere « ordonner » (→ jubé).
❏  Le mot, d'abord employé dans l'ancienne locution tenir en jussion « tenir en sujétion », s'est spécialisé en droit pour désigner une lettre de chancellerie portant commandement (1583-1590). Ce sens, appliqué spécialement aux lettres adressées par le roi aux cours souveraines pour leur enjoindre d'enregistrer une ordonnance, un édit (1690), a été réalisé par l'expression lettres de jussion (1694), employée en histoire du droit.
❏  FIDÉJUSSEUR n. m., emprunté (déb. XIVe s., fidejussor) au latin impérial fidejussor « garant », de fides (→ foi) et jussio, a été employé en droit au sens de « personne s'engageant comme caution » avant de reculer au profit de garant.
■  FIDÉJUSSION n. f. (1375), emprunt au latin fidejussio « garantie », et FIDÉJUSSOIRE adj., emprunt (fin XVIe s.) du bas latin fidejussorius, continuent de se référer en droit romain à une des formes de cautionnement.
+ JUSTE adj., n. et adv. est emprunté (v. 1120) au latin justus « conforme au droit, équitable », dérivé de jus, juris « droit » (→ jurer, juridique).
❏  Le mot, comme le groupe latin auquel il se rattache, appartient originellement au vocabulaire juridico-religieux : il est relevé dans les premiers textes avec la valeur religieuse de « conforme à la justice divine, à ses exigences » et se laïcise au XIIIe s., qualifiant la personne qui agit conformément à la justice et ce qui est conforme au droit, à une règle établie (1285). De là, juste Dieu, justes dieux (1661), juste ciel ! À la même époque, l'adjectif développe le sens moral de « fondé, justifié », notamment dans l'expression à juste titre (1470). ◆  Après 1350, il commence à exprimer aussi une idée d'« exactitude » dans deux emplois aujourd'hui archaïques : il s'applique à un instrument, à une mesure exacte (1484) et à un vêtement bien ajusté, qui tombe bien (apr. 1550, encore en langue classique). ◆  Cette idée s'est développée vers la fin du XVIe s., surtout en emplois abstraits, juste réalisant les sens de « conforme à la raison, à la vérité » (1595), « qui convient, exact » (1668, d'une chose) et « qui apprécie bien, avec exactitude » (v. 1660, d'une aptitude). ◆  Il entre ainsi dans l'expression juste-milieu (av. 1662) « point de vue modéré », reprise au milieu du XIXe s. dans le vocabulaire politique, à propos du gouvernement modéré défini par Louis-Philippe.
■  À partir de l'idée de « qui suffit exactement », juste a développé au XVIIe s. celle de « qui suffit à peine » (avec les adverbes trop, à peine), entraînant le glissement de sens de vêtement juste vers sa nuance moderne, « trop ajusté, serré ».
■  En emploi substantivé, JUSTE n. est relevé dès les premières attestations (v. 1120) au sens de « personne qui fait la volonté de Dieu ». ◆  Comme abstrait, le juste est laïcisé avec la valeur juridique (v. 1361) de « ce qui est conforme au droit ». ◆  Plus particulièrement, une juste n. f. a servi à désigner un vêtement ajusté (1528), d'abord une robe de médecin puis, en relation avec le changement de sens de l'adjectif, un vêtement serré (1779) à la mode avant la Révolution.
L'emploi adverbial de juste remonte au XVIIe s., au sens d'« avec exactitude, justesse », concurrençant dans son sens courant l'adverbe dérivé justement (voir ci-dessous). Il assume aussi les valeurs de précisément (1637), dans le domaine spatial, temporel ou logique et, depuis le XIXe s., signifie « de manière trop stricte ». ◆  Le mot est entré dans les locutions adverbiales au juste (av. 1787) et comme de juste (1808 ; 1768, comme juste), cette dernière d'abord condamnée par les puristes et aujourd'hui consacrée par l'usage littéraire.
❏  De juste est dérivé JUSTEMENT adv. (1174-1176), qui réunit les valeurs de « selon la justice », « avec précision » (1225-1250) et, surtout à l'oral, « il se trouve précisément que » (1580), ainsi que JUSTESSE n. f. (1611). Ce dernier a repris au XVIIe s. tous les sens correspondant à ceux de l'adjectif, si l'on excepte l'idée d'« insuffisance », réalisée dans la locution adverbiale de justesse (1878).
Avec son sens d'« exact par la mesure », juste a produit le préfixé verbal AJUSTER v. tr. (v. 1230), d'abord utilisé au sens de « rendre conforme à un étalon » (1260), puis (v. 1480) avec des emplois techniques et (XVIe s.) avec le sens figuré de « mettre en accord à ». Une spécialisation concerne les vêtements « près du corps », entraînant un emploi correspondant du participe passé AJUSTÉ, ÉE adj. ◆  En sont dérivés AJUSTAGE n. m. (1350) et AJUSTEMENT n. m. (1328, adjutement), de nos jours « action d'ajuster les choses » (1611).
■  AJUSTEUR, EUSE n. (XVIe s.) « celui qui ajuste les monnaies » a acquis son sens moderne dans l'industrie (XIXe s.).
■  AJUSTOIR n. m. (1676) et AJUSTURE n. f. sont techniques et rares.
Par préfixation, on a formé RÉAJUSTER v. tr. (XXe s.) et RÉAJUSTEMENT n. m. (XXe s.) qui gagnent du terrain sur les plus anciens RAJUSTER (1170, rajoster) et RAJUSTEMENT (1803 ; 1690, « réconciliation »).
■  L'antonyme de juste, INJUSTE adj. est emprunté (1293) au latin injustus, dont il reprend les sens de « contraire à la justice » et « qui n'agit pas avec équité », en y ajoutant (1677) celui de « mal fondé, injustifié intellectuellement ».
■  Il a pour dérivé INJUSTEMENT adv. (1671) qui a remplacé enjustement (v. 1300), Cf. aussi injusticejustice*).
De juste adjectif, au sens d'« étroit, ajusté », vient le composé JUSTAUCORPS n. m., d'abord écrit just-au-corps (1617), désignant un vêtement serré à la taille avec des basques, sens sorti d'usage, puis un maillot collant.
❏ voir JUSTICE, JUSTIFIER.
JUSTICE n. f. est emprunté (v. 1050) au latin justitia, dérivé de justus (→ juste) recouvrant la conformité au droit, le sentiment moral d'équité, à basse époque le droit, les lois et (au pluriel) les jugements et préceptes puis, dans les textes médiévaux, la circonscription, le pouvoir de justice.
❏  Le mot se rapporte dès les premiers textes au principe moral au nom duquel le droit doit être respecté, puis (v. 1155) à la vertu qui consiste à être équitable. Dès le XIe s., il est employé dans une acception strictement juridique, désignant d'abord par métonymie l'acte par lequel on rend justice. ◆  La locution faire justice, de « châtier » (1080) à « juger » (1538), suit l'évolution de sens de juger ; en passant dans l'usage général, elle correspond au sens élargi de « se montrer équitable (envers qqn) » (1564) et surtout « reconnaître ses mérites » (1672, jusqu'au milieu du XVIIIe s. repris en 1835). Le pronominal se faire justice (1640) comporte parfois le sens de « se suicider pour se punir » (1873). La variante rendre justice à... (1631) s'emploie surtout au sens large de « reconnaître les mérites (de qqn) » (1665). ◆  D'autres extensions métonymiques plus ou moins sorties d'usage, pour « juge » (v. 1130), sens vivant en anglais, et pour « tribunal », se rattachent au sens plus général de « pouvoir de faire régner le droit » (1196). ◆  Une acception voisine, « organisation du pouvoir judiciaire » (XIIe s.), est réalisée dans la locution de justice « ensemble des juridictions de même ordre » (en emploi qualifié, 1283) et « acte par lequel on obtient son dû » (1306), dans demander justice.
■  Le mot renvoie aussi (v. 1278) à la personnification plus ou moins allégorique de la justice, emploi qui a donné lieu à des locutions comparatives familières, comme être raide comme la justice. ◆  La spécialisation religieuse, « rectitude que Dieu met dans l'âme par sa grâce, observation scrupuleuse des devoirs de la religion » (1564), a été introduite à l'époque de la Réforme.
❏  JUSTICIER, IÈRE n. (v. 1119, justisier) est à l'origine un terme de droit féodal désignant le seigneur ayant pouvoir de justice. C'est aussi un autre nom pour le juge (1325, jusqu'au XVIIe s.). ◆  Dès le XIIe s., le mot a pris le sens de « celui qui aime faire justice » (v. 1180), annonçant la valeur moderne du mot, dégagée au XIXe s. au propre et figurément (1801, justicier de la littérature), également en emploi adjectif (1873).
■  L'ancien verbe justicier a produit JUSTICIABLE adj., d'abord justisable (v. 1150), qui a perdu le sens moral de « juste », propre à l'ancien français, pour la valeur juridique de « qui relève de telle juridiction » (XIIe s.), avec lequel il est substantivé (v. 1265). Par extension, le mot qualifie une personne responsable devant la justice (1635). ◆  Il est passé dans l'usage avec la valeur de « qui relève d'une discipline » (1811) et, spécialement en médecine, « qui relève d'un traitement ».
L'antonyme de justice, INJUSTICE n. f. est emprunté (v. 1200) au latin injustitia « rigueur injuste », dérivé de injustus (→ injuste à juste). Il signifie « absence de justice, négation de la justice », plus concrètement (une injustice) « acte d'injustice » (1559), et en emploi absolu (l'injustice) recouvre ce qui est injuste (v. 1361). En langue classique, il était également employé au sens de « caractère de ce qui est mal fondé, injustifié ».