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En français, le mot connaît d'abord la graphie
naciuns (pl.), puis
nascion (1175) et enfin
nation par latinisme (1470). Le premier sens, chronologiquement, est, au pluriel, celui de « païens » (par opposition aux juifs et aux chrétiens dans l'Ancien Testament).
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Le mot signifie aussi « naissance » (v. 1165), en particulier « nativité », valeur propre à l'ancien français, et « extraction, rang, famille, lignée » (
XIIIe s.), acception sortie d'usage au
XVIIe s., et employé par archaïsme chez La Fontaine, qui l'applique à une race animale (1668).
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Avec un autre sens du latin, nation renvoie à un ensemble d'êtres humains caractérisés par une communauté d'origine, de langue, de culture (1175), en concurrence avec race, gent.
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En moyen français, il se dit aussi, d'après le latin médiéval, de la division de l'université de Paris, faite selon un découpage linguistique (1470) en « Anglais » (incluant les Allemands), Picards, Normands et « Français » (incluant les Espagnols et les Italiens). Le mot est aussi appliqué à une colonie de marchands se trouvant en pays étranger (v. 1475).
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Au XVIIe s., par extension, nation englobe l'ensemble des individus unis par une communauté d'intérêts, de profession (1651-1657), avec une connotation péjorative que souligne Furetière (1690).
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La notion moderne de « nation » émerge véritablement au XVIIIe s. : avec la Révolution, la nation devient une entité politique identifiée au tiers état (1789, Sieyès), au peuple révolutionnaire, et prend sa définition de « personne juridique constituée par l'ensemble des individus composant l'État » (arrêté du 23 juillet 1789, avec l'expression crime de lèse-nation où le mot se substitue à royauté). La nation ne se confond cependant pas avec l'État dans la mesure où elle n'implique pas une institution juridique, où elle implique une idée de spontanéité, et la volonté de vivre en commun, sentiments qui s'affirment au XIXe siècle. Nation suppose une détermination spatiale, psychosociologique, économique et culturelle, parfois linguistique et ethnique. Les connotations du mot le rapprochent de patrie, mais, au XXe s., l'évolution des emplois de national modifient ses contenus, selon qu'il est question de politique intérieure ou extérieure, domaine où le mot est plus neutre. Il s'emploie en droit international dans l'expression clause de la nation la plus favorisée (1790) pour une clause stipulant que l'État signataire d'un traité s'engage à accorder aux ressortissants de son cocontractant tous les avantages déjà accordés à un pays tiers. Il est entré dans les dénominations Société des Nations (1919) et Organisation des Nations Unies (1945).
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De
nation est dérivé
NATIONAL, ALE, AUX adj. et n. (1534), employé dans les premiers textes avec le sens de « relatif à une nation » en référence à une organisation religieuse
(concille national).
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Le sens général, attesté au
XVIe s. (1550), se répand au
XVIIIe s., dans la période prérévolutionnaire, puis pendant la Révolution. Les ressortissants d'une nation reçoivent le nom de
NATIONAUX n. m. pl. (1769), emploi qui n'est entré dans la langue courante que dans le français d'Afrique, de Madagascar, de Nouvelle-Calédonie, pour toute personne ayant la nationalité du pays où elle réside.
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L'adjectif
national assume en général le sens de « qui concerne l'ensemble de la nation », entrant dans l'expression
assemblée nationale pour désigner les états généraux (1756), puis l'assemblée proclamée le 17 juin 1789. À la même époque,
garde nationale désigne le corps des citoyens armés chargés de maintenir l'ordre et de veiller à la défense du territoire (1789-1791). Une valeur dérivée pour « qui représente la nation, en est l'émanation » est également attestée depuis 1789
(volonté nationale).
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Au XIXe et au XXe s., le mot entre dans nombre de syntagmes avec le sens de « qui appartient à l'État, est géré par lui » (et non par une collectivité territoriale comme le département), dans route nationale (1875), elliptiquement une, la nationale n. f. (1933).
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Les valeurs ironiques et familières du mot, en parlant d'une chose ou d'un être adopté par une communauté, datent du XIXe s. (1866 ; 1922, après un nom propre, notre Jean national, etc.).
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En relation avec nationalisme, l'adjectif, en politique, connote une attitude de sauvegarde ou de revendication par rapport à la nation. Dans le second cas, national, comme pendant la Révolution, est en rapport avec une politique d'indépendance et d'identité ; dans le premier, lorsque la nation correspond déjà à un État souverain, national peut correspondre à une idée conservatrice de la nation, parfois liée à une défense contre les éléments extérieurs ou jugés indésirables. Cette opposition se manifeste surtout après 1870, en relation avec la valeur que prend alors nationalisme. L'adjectif entre dans des désignations de partis (en France, Front national, 1972, correspondant à la notion de droite nationale).
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L'adverbe NATIONALEMENT « d'une façon nationale » est attesté depuis 1739 et répond aussi au sens de « par ordre de la nation » (1821, Saint-Simon).
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Trois autres dérivés de
national sont apparus pendant la période révolutionnaire.
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NATIONALITÉ n. f. est relevé (av. 1778) au sens de « sentiment national », après l'anglais nationality et l'espagnol nacionalidad qui existent depuis le XVIIe siècle.
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Il désigne au XIXe s. l'état, la situation d'une personne qui appartient à une nation (1835), évinçant de cet emploi naturalité (mais naturaliser a conservé cette acception ; → naturel).
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NATIONALISME n. m. (1798) se confond d'abord avec la conscience nationale révolutionnaire, et, au XIXe s., développe le sens d'« exaltation du sentiment national », dans une acception tantôt valorisante (1836, Lamartine), tantôt péjorative (1849, Proudhon). Cependant, il est relevé pour la première fois chez Proudhon avec une autre valeur laudative, celle d'« aspiration à l'indépendance politique, économique, d'une communauté opprimée » (av. 1865).
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Après 1870, et surtout aux approches de 1914, nationalisme suggère en France une attitude de défense patriotique et souvent de conservatisme politique. Dès lors, le nationalisme, qui était révolutionnaire, puis populaire, enfin, autour de 1848, lié à la requête d'indépendance, devient essentiellement bourgeois et petit bourgeois ; il est revendiqué par les partis de droite.
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NATIONALISTE adj. et n. désigne à la fois le partisan du nationalisme (1830, n. ; 1874, adj.) et celui qui lutte pour l'indépendance de son pays (1878, à propos des nations serbes et roumaines).
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Par préfixation, on a formé les antonymes ANTINATIONAL, ALE, AUX adj. (1743), ANTINATIONALISME n. m. (1914, Jaurès) et ANTINATIONALISTE adj. (1927), le superlatif ULTRANATIONALISTE adj. et n. qui prend les connotations d'extrémiste réactionnaire souvent attachées aux mots en ultra-.
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Autre dérivé attesté depuis la Révolution,
NATIONALISER v. tr. (1792) correspond à « rendre national, identifier avec la nation » et « déclarer propriété de l'État » (1793, à propos des biens du clergé). Cependant le fait d'assimiler une personne à une nation est rendu par
naturaliser (→ naturel).
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Son emploi en économie est relevé une première fois en 1842
(socialiser et nationaliser tous les instruments de travail) et de nouveau à partir de 1948, à l'actif comme au participe passé
(entreprise nationalisée).
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Le nom correspondant, NATIONALISATION n. f. a connu la même évolution, du sens premier « fait de rendre national » (1796, à propos des biens des émigrés), emploi disparu, à « action de transférer du privé au public un secteur de l'appareil productif, du système bancaire ou financier » (1869, nationalisation du sol).
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Depuis le milieu du XXe s., on emploie NATIONALISABLE adj.
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Le préfixé antonymique DÉNATIONALISER v. tr. a d'abord eu le sens de « priver de sa nationalité » (1808 ; peut-être fin XVIIIe s.) avant de devenir comme le verbe simple un terme d'économie (1918).
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Il en va de même de son dérivé DÉNATIONALISATION n. f. (1848), employé depuis 1918 en économie (l'anglais a denationalization dès 1814 et l'italien denazionalisazione dès 1812, avec le premier sens).
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NATIONAL-SOCIALISME n. m. est la traduction littérale (1932) de l'allemand
Nationalsozialismus, composé de
national (de même origine) et de
Sozialismus (→ socialisme), NATIONAL-SOCIALISTE adj. et n. (1923) correspondant à l'allemand
Nationalsozialist « membre du
Nationalsozialistiche Deutsche Arbeitpartei (Parti ouvrier allemand national-socialiste) », nom donné lors de sa fondation (1920) à ce parti dirigé par Hitler. L'abréviation allemande
nazi (pour
Nationalsozialist) a été empruntée par le français
NAZI, IE n. (1931) et
adj. (1933).
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La même décennie 1930-1940 a vu apparaître les dérivés
NAZISME n. m. (1933),
NAZISTE adj. (1934) qui n'a pas vécu,
NAZIFIER v. tr. (1940) puis
ANTI-NAZISME n. m. (1934),
ANTI-NAZI, IE adj. et n. (1936), qui témoignent de la lutte, interne pour les Allemands, puis internationale, contre le régime nazi et ses actions. Après la victoire des Alliés et la disparition de ce régime, apparaît
DÉNAZIFIER v. tr. (v. 1945).
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NÉO-NAZI, IE adj. et n. (1952) correspond à la réapparition de tendances politiques et idéologiques du même type.
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NAZILLON n. m. est un dérivé plaisant et péjoratif de nazi, d'après le verbe nasiller.
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Toute la série, courante immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, est concurrencée par les dérivés de fascisme-fasciste, qui ont un sens plus général et plus vague.
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En français, probablement d'après
national-socialisme, national sert de premier terme à quelques composés en politique, du type
NATIONAL-POUJADISME n. m. (1973).
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INTERNATIONAL, ALE, AUX adj., de
inter-*, apparaît au début du
XIXe s. (1802) dans la traduction d'un ouvrage de Jeremy Bentham, publié en Angleterre en 1780. L'adjectif français est donc un anglicisme ; il s'applique à ce qui concerne les rapports des nations entre elles, puis qualifie (1836) ce qui a lieu de nation à nation entre plusieurs nations. Le mot entre dans la dénomination
Association internationale des travailleurs, abrégée (1868) en
INTERNATIONALE n. f. ; cette association, fondée à Londres en 1864 sous la présidence de Karl Marx, désigne le groupement de prolétaires de diverses nations, unis pour défendre leurs revendications. Après sa dissolution en 1876 ont été fondées la
IIe Internationale (à Paris, 1889) à laquelle se rattachait en France la
Section française de l'Internationale ouvrière (abrév.
S. F. I. O.), ancêtre du
Parti socialiste, puis la
IIIe Internationale (à Moscou par Lénine, 1919), enfin la
IVe Internationale (par Trotski, 1939).
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Dans ce cadre,
international, ale, n. a désigné (1871,
n. m.) un partisan de la première Internationale et
l'Internationale n. f. est le titre (1871) d'un hymne révolutionnaire, écrit sur des paroles d'Eugène Pottier et mis en musique par Pierre Degeyter ; exécuté pour la première fois en 1888, ce chant est resté l'hymne des partis socialistes et communistes.
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L'adjectif s'applique aussi (1870) à une réunion qui rassemble les représentants de plusieurs nations, acception d'abord relevée en sports ; par extension il se dit de lieux (territoire international) et de personnes, notamment dans joueur international ou international (1901).
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Plusieurs dérivés avaient été proposés par Richard de Radonvilliers (1845) ; INTERNATIONALISER v. tr., effectivement employé en 1911, peut-être d'après l'anglais to internationalize (1864), son dérivé INTERNATIONALISATION n. f. (repris en 1902) et INTERNATIONALEMENT adv., attesté en 1870. Ces mots sont devenus courants après 1945, avec la création d'institutions qui engagent l'ensemble des nations et l'interdépendance des économies.
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INTERNATIONALITÉ n. f. (1845, Radonvilliers ; puis 1871) est un terme de droit.
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INTERNATIONALISME n. m., lui aussi proposé par Richard de Radonvilliers, effectivement employé depuis 1876, peut-être d'après l'anglais internationalism (1851), et INTERNATIONALISTE, attesté comme nom en 1871 et comme adjectif en 1872, sont d'abord relatifs à la doctrine qui préconise l'union des peuples par-delà les frontières (internationalisme prolétarien).
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Ils s'opposent ensuite (fin XIXe s.) à nationalisme en économie et en politique.
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SUPRANATIONAL, ALE, AUX adj. (1901, écrit
supra-national) s'applique en droit à ce qui est placé au-dessus des institutions nationales et qualifie ce qui concerne le regroupement de plusieurs nations.
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Répandu avec les débats sur la formation de l'Europe, le mot a fourni en politique
SUPRANATIONALISME n. m. (1964),
SUPRANATIONALISTE adj. et n. (v. 1970) et
SUPRANATIONALISATION n. f. (1968), rare.
SUPRANATIONALITÉ n. f., terme administratif (1963), formé sur
nationalité, se rattache à
supranational pour le sens.
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Enfin, par adjonction de l'élément
multi-, a été formé
MULTINATIONAL, ALE, AUX adj. et n. f. (1928). Employé dans le vocabulaire diplomatique pour qualifier ce qui englobe plusieurs nations ou nationalités, cet adjectif est entré dans le domaine économique au sens de « qui exerce ses activités dans divers pays » (1966).
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Entreprise multinationale est substantivé au féminin en
une multinationale (1972) pour « très grande entreprise à caractère multinational (par le financement, les activités) », symbole du grand capitalisme.
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PLURINATIONAL, ALE, AUX adj. (1931) est demeuré rare.