RECONSTRUCTION ET RECONSTITUTION
La reconstruction est le procédé qui consiste à déduire, à partir de formes ou de structures attestées dans une langue, des formes ou des structures antérieures non attestées. C'est un terme utilisé par les comparatistes, c'est-à-dire par les linguistes qui étudient deux ou plusieurs langues afin d'en révéler les correspondances et d'établir ainsi la parenté génétique de ces langues entre elles. On peut parfois postuler l'existence d'une langue commune d'où sont issues les langues étudiées et, par reconstruction comparative, essayer d'en retrouver le prototype. Tel est le cas, entre autres, pour l'indoeuropéen, langue non attestée, mais dont l'hypothèse s'impose si l'on veut expliquer les nombreuses concordances précises que l'on relève entre la plupart des langues d'Europe et d'Asie. On a également appliqué la méthode de reconstruction d'une langue primitive commune à ce que l'on appelle le germanique commun, forme particulière d'un dialecte indoeuropéen et ancêtre des langues germaniques.
La technique de reconstruction consiste à élaborer des correspondances lexicales et grammaticales en se fondant en particulier sur le caractère régulier des changements phonétiques. Son principe est toujours le même : « simuler le changement et en restituer par conjecture le point de départ » (Haudry, L'Indo-Européen, p. 5) et sa démarche est étymologique. Qu'il s'agisse de reconstruction comparative ou interne — méthode employée surtout pour les langues isolées, comme le basque —, la reconstruction, qui vise donc à restituer des termes d'un système linguistique disparu ou le système lui-même, est une méthode fiable. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le système ne peut être reconstruit intégralement, car on ne peut reconstruire qu'à partir de ce qui a laissé des traces. Par ailleurs, les formes ou les structures auxquelles on aboutit relèvent de strates d'âge différent dont la chronologie est difficile sinon impossible à établir. Une tentative comme celle du comparatiste allemand A. Schleicher, qui rédige en 1862 une fable en indoeuropéen dans son Compendium der vergleichende Grammatik der indogermanischen Sprache [Abrégé de grammaire comparée des langues indoeuropéennes], est, de ce fait, considérée aujourd'hui comme irrecevable.
On fait actuellement une distinction entre les termes de reconstruction et de reconstitution, bien que le procédé soit identique. En effet, les états de langue conjecturés ont un degré de certitude et de fiabilité plus ou moins grand. Les formes supposées auxquelles on aboutit, marquées typographiquement par un astérisque qui les précèdent ou par un signe analogue (ici : °), n'ont pas la même valeur ni le même statut selon qu'il s'agit de l'indoeuropéen, du francique, du gaulois ou du latin populaire, langues non attestées pour certaines, partiellement attestées pour d'autres. On qualifiera, par exemple, de reconstituée une forme du latin populaire, d'une part parce que le latin classique dont il dérive est une langue attestée et connue, d'autre part parce que cette forme est étayée par les représentants qu'elle a laissés dans une ou plusieurs langues romanes : cette forme reconstituée est datable et s'insère dans une chronologie délimitée, au contraire d'une forme de l'indoeuropéen ou du germanique commun. On pourrait exprimer cette distinction de la manière suivante : la reconstruction restitue un état de langue primitif aléatoire qui comporte des éléments de diverses natures et difficilement datables ; la reconstitution restitue un état de langue intermédiaire dont on connaît la phase antérieure ainsi que ses résultats.
On remarquera, en outre, que les formes supposées qui servent d'étymon sont elles-mêmes de nature différente : il peut d'agir d'une racine (comme c'est le cas pour l'indoeuropéen), c'est-à-dire d'une forme symbolique irréductible exprimant une notion ; il peut s'agir d'un mot (pourvu d'un préfixe, d'un suffixe, etc.) ayant un sens précis.
❏ voir
langues CELTIQUES, langue FRANCIQUE, langue GAULOISE, langues GERMANIQUES, langues INDOEUROPÉENNES
M.-J. Brochard
BIBLIOGRAPHIE
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J. HAUDRY, L'Indo-Européen, Paris, Que sais-je ?, no 1798, 1984 (2e éd.).