RAGUER v. est un terme de marins, emprunté (1682) à une langue germanique, peut-être à l'anglais to rag « déchirer », attesté depuis le XVe siècle, du même mot rag « lambeau » que dans ragtime*. On a aussi évoqué le néerlandais ragon « brosser, frotter ». Raguer s'emploie en français comme transitif pour « user, déchirer par frottement », et intransitif pour « s'user, se déchirer », notamment à propos d'un câble.
L +
RAI ou RAIS n. m. est issu (v. 1119) du latin radius « baguette pointue », « rayon lumineux (ordinairement représenté sous la forme d'une lance à pointe aiguë) » et « rayon de roue », mot d'origine incertaine dont un emploi spécial a donné le doublet savant radius*.
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Le mot, souvent écrit
rais (v. 1380), désigne un faisceau partant d'une source lumineuse. Concurrencé, puis éliminé par son dérivé
rayon (ci-dessous), il est d'emploi poétique et archaïsant, toutefois repris par la prose contemporaine, surtout pour évoquer un faisceau se détachant sur un fond sombre, souvent dans
un rai de lumière.
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Depuis le XIIIe s., il désigne le rayon d'une roue de bois (1200-1220) et, en héraldique, le rayon des étoiles d'une roue (1681), sens où il a été éliminé par rayon.
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Au XVIIe s., en architecture, il entre dans l'expression rai de cœur (1676) pour un ornement de moulure formé de feuilles aiguës en forme de cœur alternant avec des fers de lance.
❏
Rai est moins vivant que ses deux dérivés dont la forme témoigne probablement de l'influence de
rayer, dérivé de
raie* et peut-être aussi de l'ancien français
reille « barre »
(Cf. rail).
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RAYON n. m. (1474, reon du soleil), à ne pas confondre avec 2 rayon* (de miel), a supplanté rai au sens de « jet de lumière ». Il est employé spécialement en optique pour la matérialisation du trajet des ondes lumineuses (av. 1650), rayon visuel désignant la ligne idéale joignant un point à l'œil et le rayon lumineux qui impressionne l'œil (1677). Par analogie, rayon désigne un phénomène physique semblable aux rayons de la lumière (1753, Encyclopédie), valeur où rayonnement (ci-dessous) et 2 radiation le concurrencent. Le mot sert à former de nombreux syntagmes en physique : rayons calorifiques, 1803 ; ultra-violets, 1858 ; infrarouges, 1869 ; cathodiques, 1892 ; rayons X (1896, de l'allemand X Strahlen), rayons alpha, bêta, gamma (α, β, γ, 1903, P. Curie), rayons delta, rayons cathodiques, rayons positifs, rayons canaux (tous attestés en 1904), rayons cosmiques (1923). C'est également avec ce sens de base que rayon est employé dans rayon vert, attesté fin XVIIIe s. dans un autre sens, et qui désigne la coloration d'un vert limpide se produisant à l'endroit où le soleil vient de disparaître à l'horizon (sens attesté au XIXe s. : 1882, titre d'un roman de Jules Verne).
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Une extension figurée, au sens de « ce qui éclaire, apporte le bonheur, la connaissance », participant du symbolisme positif de la lumière, est attestée depuis le XVIe s., et appliquée aux yeux et au regard dans la rhétorique amoureuse (1549, Ronsard).
■
À partir de 1538, rayon est aussi employé au sens concret, repris du latin, de « bâton allant du moyeu aux jantes (d'une roue) ». Dans cette acception aussi, il concurrence rai. Par analogie, il désigne chacun des éléments qui divergent à partir d'un centre (XVIIIe s.), en botanique (1765) et en zoologie (1777) où il s'applique à des pièces dures formant la charpente de la nageoire des poissons.
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En géométrie, rayon (1634, Mersenne) désigne le demi-diamètre d'un cercle, et par extension un segment joignant un point fixe à un point quelconque d'une courbe, sens spécialisé en technique, notamment dans rayon de braquage (1932).
■
Par métonymie, on passe au sens de « distance mesurée à partir d'un point d'origine » (1835), spécialement dans la locution courante dans un rayon de, et dans rayon d'action (1910), passée du domaine de l'aviation à l'usage courant pour « zone d'activité ».
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Rayon a aussi produit
RAYONNER v. (1549) « répandre de la lumière », employé en construction transitive dans un style littéraire. Le verbe a pris plus tard le sens figuré de « se répandre comme une lumière » (v. 1880), et en sciences l'acception analogique de « se propager par rayonnement » (v. 1850).
◆
En relation avec le sens concret de
rayon, il signifie « être disposé en rayons » (1760), d'où, par extension, « se répandre dans toutes les directions », spécialement d'après le sens abstrait de
rayon : « se déplacer dans un certain rayon » (v. 1950).
■
Rayonner a donné à son tour plusieurs dérivés. RAYONNEMENT n. m. (1558) désigne l'action d'émettre des rayons lumineux, évoluant en fonction des connaissances physiques, parallèlement au mot rayon, et devenant concurrent de radiation*. Le concept s'élargit spécialement en « mode de propagation de la chaleur » (1827), puis « mode de propagation de l'énergie » (par ex. rayonnement noir, 1900).
■
À l'époque romantique, le mot a développé un sens figuré : « éclat sur le visage d'une personne sous l'impression d'un vif sentiment de bonheur » (1832, Hugo).
■
RAYONNANT, ANTE, le participe présent de rayonner, est adjectivé au sens propre de « disposé en rayons » (1511), dont procèdent des spécialisations en héraldique et en histoire de l'art, à propos du style gothique de la seconde moitié du XIIIe et du XIVe s., dans gothique rayonnant, et, moins souvent, style, art rayonnant (fin XIXe s.).
■
Le mot a pris le sens plus actif de « qui émet des rayons lumineux », autrefois en physique (1821), aujourd'hui en emploi littéraire.
◆
En revanche, la valeur figurée correspondante (XVIIe s., Mme de Sévigné), plus imagée que pour radieux, est devenue courante, spécialement dans rayonnant de, suivi du nom de la cause (1680).
■
RAYONNÉ, ÉE, le participe passé de rayonner, a été adjectivé plus tard (1765), qualifiant ce qui est disposé en rayons, ou orné de rayons (1842), et une coquille dont la surface est parsemée de stries rayonnantes (1845).
◆
Son pluriel masculin RAYONNÉS a été substantivé pour fournir le nom d'une ancienne division du règne animal comprenant les animaux sans vertèbres dont les organes sont disposés en rayons autour d'un centre (1842).
■
RAYONNEUR n. m., formé sur le radical du verbe avec un suffixe d'agent (1842), désigne un dispositif agricole.
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Au XXe s., rayon a aussi produit RAYONNISME n. m. (1913) et RAYONNISTE adj. (1913), termes d'histoire de l'art traduisant le russe loutchizm, de loutch « lumière » et « rayon », mot dont la racine est la même que celle du latin lux (→ lucifer). Ces mots sont appliqués à une école de peinture issue du futurisme, développée à partir de 1912 en Russie, notamment par Larionov et Gontcharova, et caractérisée par l'utilisation de rayons de couleur.
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L'autre dérivé de
rai est le verbe
ENRAYER v. tr. (1546) « entraver le mouvement d'une roue en agissant sur les rayons ». En procèdent le sens figuré de « retenir (qqn) » (mil.
XVIe s.), le sens abstrait « arrêter (une chose en cours de réalisation) » (1611), et, plus tard, le sens concret spécial : « empêcher accidentellement (une arme, un mécanisme) de fonctionner » (fin
XIXe s.), souvent au pronominal
(le pistolet s'est enrayé).
■
En 1680, le verbe est enregistré avec un autre sens, seulement technique, « monter (une roue) en mettant les rayons dans les mortaises du moyeu et de la jante ».
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Il a produit plusieurs dérivés. Le plus ancien, ENRAYOIR n. m. « sabot permettant d'arrêter une roue » (fin XVIe s.), est sorti d'usage en même temps que le sens propre du verbe.
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ENRAYURE n. f., d'abord enrayeure (1676), est un mot technique désignant l'assemblage de pièces de bois rayonnant autour d'un centre.
■
Le préfixé DÉSENRAYER v. tr. (1694) a eu le sens d'« ôter la chaîne bloquant une roue », et se dit aujourd'hui (fin XIXe s.) pour « réparer (une arme enrayée) ».
■
Le nom d'action ENRAYAGE n. m. (1826) est isolé avec le sens d'« action d'entraver une roue » ; il se dit spécialement de l'arrêt momentané et occasionnel d'une arme à feu (1932). L'autre nom d'action, ENRAIEMENT ou ENRAYEMENT n. m. (1808), ne désigne plus l'action d'entraver une roue de véhicule mais, au figuré, l'action d'entraver un processus dangereux (1870).
❏ voir
IRRADIATION, RADIAL, RADIAN, RADIANT, RADIÉ, RADIEUX, RADIO, RADIUM, RADIUS, RAYONNE.
RAÏ n. m. est un emprunt à l'arabe d'Algérie (arabe classique raia « opinion ») appliqué dans l'ouest du pays à un type de chanson d'origine rurale dans les années 1950. Le raï est devenu musique populaire urbaine et connu en France, par l'immigration, dans les années 1980 (le mot est attesté par écrit en 1981) à propos d'un style de musique influencé par les musiques de la Caraïbe et des États-Unis.
RAÏA ou RAYA, mot d'histoire, est pris au turc râya, lui-même emprunté au pluriel arabe ra᾿aya, du verbe ra᾿ā « faire paître », appliqué à des pasteurs et à leur troupeau. Il désigne, d'abord sous la forme raja (1760), puis raïa, raya (1800 ; 1805) un sujet non musulman de l'Empire ottoman.
RAID n. m. est emprunté (1864) à l'anglais raid (1425), variante écossaise du vieil anglais rád (aujourd'hui road « route »), proprement « action de parcourir à cheval » d'où, par spécialisation, « incursion, irruption en vue de piller » (→ 1 rade).
❏
Le mot désigne une opération militaire rapide pour une mission déterminée, évoquant surtout, dans les emplois les plus anciens, une marche de manœuvre. Il se dit spécialement d'une opération aérienne en territoire éloigné par une formation de bombardement (1915).
◆
Par analogie, il s'applique à une épreuve sportive destinée à mettre en valeur l'endurance des hommes, la résistance du matériel (1885, d'abord dans un contexte militaire).
RAIDER n. m. est un emprunt (années 1980) des milieux financiers au dérivé anglais raider « pillard », appliqué à la personne ou à l'entreprise qui fait une offre publique d'achat (OPA) « hostile » afin de prendre le contrôle d'une autre entreprise ou d'en tirer rapidement bénéfice. L'anglicisme est parfois évité par le mot prédateur, mais la recommandation officielle, attaquant, ne semble pas employée.
L
RAIDE adj. et adv., d'abord roide (v. 1160), puis raide (v. 1190), est la forme féminine de l'ancien adjectif reit, roit (fin XIe-déb. XIIe s.). Celui-ci est issu par évolution phonétique du latin rigidus « dur », au figuré « inflexible » (→ rigide). En français, la graphie du mot est restée hésitante jusqu'à l'époque classique où l'on écrit encore couramment roide, roidement, roideur, roidir. Raide s'est généralisé au XVIIIe et au XIXe s., mais roide subsiste encore, surtout à titre de survivance graphique, et assume quelquefois dans l'usage écrit, notamment littéraire, une valeur intensive stylistique.
❏
Le mot qualifie d'abord concrètement un objet qui ne se laisse pas plier, puis une personne qui se tient très droite (v. 1125), est dénuée de souplesse (v. 1165, « qui n'a plus la souplesse de la vie »). Il caractérisait aussi, avec une notion secondaire de mouvement, une chose se déplaçant violemment et rapidement, selon une trajectoire tendue (v. 1175) ; cette valeur s'est conservée par l'adverbe (ci-dessous). Ce sémantisme de la force, de l'effet puissant se retrouve dans plusieurs valeurs, à propos d'un alcool fort (aussi substantivé, voir ci-dessous), au figuré d'un propos, d'une chose difficile à supporter, à croire (1854, chez Flaubert), et spécialement d'un propos choquant et vulgaire. L'adjectif est alors proche d'emplois de
dur.
◆
Avec une idée de développement spatial n'impliquant plus nécessairement le mouvement, il qualifie une pente fortement inclinée (
XIIIe s.), sens encore vivant.
■
L'apparition des valeurs abstraites est beaucoup plus étalée dans le temps : raide qualifie (fin XIIe s.) une personne qui se refuse aux compromis, sens qui régresse au XVIIIe s. partiellement en faveur de rigide, mais se maintient dans le style littéraire et dans la locution usuelle raide comme la justice (1867) « affectant un maintien très digne ».
◆
À partir du XVIIIe s., raide qualifie aussi ce qui manque de grâce, d'abandon, de spontanéité (1759, Diderot).
◆
Une autre valeur familière, « dénué d'argent » (1880), fait peut-être allusion à une personne allongée sans mouvement, raide morte, ou à la raideur de la démarche d'un ivrogne.
◆
L'adjectif a pris par une métaphore analogue le sens de « complètement ivre » (1859), puis (années 1980), « qui est sous l'effet de la drogue » (Cf. défoncé). Aux sens de « sans argent » et de « ivre », l'adjectif est souvent renforcé par des comparaisons jouant sur la raideur : raide comme un passe-lacet, comme un piquet, comme l'obélisque, etc. Dans l'argot militaire, il a le sens de « malade » : se faire porter raide.
Les premiers emplois adverbiaux de
roit, raide remontent au
XIIIe s., avec le sens figuré de « rudement, fermement » (v. 1250,
roit ; v. 1559,
raide). Le sens temporel de « tout à coup, rapidement » (fin
XIVe s.,
roit ; XVe s.,
raide) est réalisé dans la locution usuelle
tomber raide mort (1580) où le mot continue de s'accorder comme un adjectif.
Raide défoncé fait allusion à la drogue.
■
Raide signifie aussi « avec force, impétuosité » (1636) ; cette acception est sortie d'usage (après le XVIIIe s.) comme celle de l'adjectif qui lui correspondait, mais il en reste une trace dans la locution familière raide comme balle « sans hésitation » (1833). Puis raide signifie « de façon brutale, brusque » (1888) et, d'après un sens de l'adjectif (pente raide), « avec une grande déclivité ». En français du Québec, être fou raide se dit pour « complètement fou ». Avec le sens de « rapidement » : il est parti bien raide.
■
Quelques emplois substantifs sont apparus en argot : au XIXe s. (1840) un rouleau de fausses pièces d'or, au XXe s. (1926) un billet de mille francs (anciens). Du raide s'est dit (1862, Larchey) pour « alcool fort ».
❏
Pour la plupart des dérivés, l'ancienne grahie en
-oi- est sortie d'usage.
■
RAIDEMENT adv., de sens propre et surtout figuré, a supplanté (XVIe s.) reddement (v. 1160), roidement.
■
RAIDEUR n. f. (v. 1320) a succédé à reddur (v. 1170), roidor (fin XIIe s.), roideur (v. 1220). Il a d'abord désigné, au figuré, la qualité d'une personne qui s'en tient à ses principes, à sa ligne de conduite, sens aujourd'hui marqué. En ancien français, il a développé l'acception concrète de « manque de souplesse », en parlant d'une chose (v. 1190), puis d'une personne (XIIIe s.). Le sens de « rapidité, violence d'un mouvement » (XIIIe s.) a disparu après le XVIIe siècle. Le mot désigne spécialement la forte déclivité d'une pente (1487). En mécanique, raideur d'un ressort désigne le quotient de la force agissant sur un ressort par l'allongement ou le raccourcissement qu'il subit.
■
RAIDIR v. tr. existe lui aussi sous la forme roidir (XIIe s.) puis redir (v. 1212) avant raidir (XVIe s.). Il signifie « tendre fortement (un objet, spécialement son propre corps, un membre) ». À partir de 1580 (Montaigne), il se dit figurément pour « affermir sa volonté ou une partie de soi-même dans un effort de résistance », puis « contribuer à fortifier (qqn) dans son attitude obstinée ou intransigeante » (fin XVIIe s.) ; ces emplois sont devenus littéraires.
■
Parallèlement à l'évolution de raide et de raideur, le verbe s'emploie concrètement (1690) pour « rendre raide, immobiliser une partie du corps en en paralysant les mouvements ». Une acception culinaire, « passer vivement (un aliment) dans le beurre ou un corps gras brûlant » (1938), demeure propre aux professionnels.
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Le verbe est également employé en construction intransitive (v. 1398) et à la forme pronominale se raidir (1538) pour « devenir ferme moralement » puis, concrètement, « devenir raide » (1549), et spécialement « bander ses muscles » (av. 1573). Ultérieurement, se raidir s'applique à une chose qui prend un caractère dogmatique, intangible (1885, Zola).
■
Raidir a produit RAIDISSEMENT n. m. (1547, roydissement) qui a également développé une valeur figurée (attestée XXe s.), RAIDISSAGE n. m. (1876) et RAIDISSEUR n. m. (1875) d'usage technique.
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RAIDILLON n. m., d'abord
roidillon (1762), forme encore attestée par Littré (1869) à côté de la forme actuelle, est dérivé isolément de
raide au sens concret de « petit chemin en pente raide ».
1 RAIE n. f. est emprunté (1155) au latin raia de même sens (Pline), mot sans étymologie établie.
❏
Le mot désigne un grand poisson plat et, par métonymie, sa chair comestible (v. 1398), notamment dans les noms de préparations culinaires comme raie au beurre noir.
❏
Nombre de tentatives ont été faites pour en dériver un diminutif. C'est le premier, RAITON n. m. (1771), réfection d'une forme normande rayton (1553), qui s'est conservé, refait graphiquement en RAJETON (1904), d'ailleurs d'emploi exceptionnel. Rayon (1781), ratillon (1781) et raiteau (1845) puis raieteau (1869), n'ont pas vécu.
G
2 RAIE n. f., d'abord reie (déb. XIIe s.) et roie (v. 1155), puis raie (v. 1360), remonte à un latin médiéval °riga (VIIe s., chez un écrivain né en Angleterre), lequel représenterait un gaulois °rica « ligne, sillon », postulé d'après l'ancien irlandais rech, le gallois rhych et l'ancien breton rec, et répandu dans toute l'aire gallo-romane.
❏
Le mot désigne d'abord le sillon, la tranchée ouverte dans la terre par le soc de la charrue, sens vivace dans les parlers gallo-romans, par exemple l'ancien provençal
rega « sillon ». Cette valeur première du mot est restée vivante jusqu'au
XXe s. en milieu rural dans plusieurs régions de France (Auvergne, Sud-Est, en Bourgogne — attesté par Jules Renard, 1906). Par spécialisation,
raie s'applique à la ligne séparant deux sillons d'une terre retournée à la charrue, et à la dernière ligne ou tranchée ouverte par le soc et limitant la partie labourée d'un champ (1690).
■
Cependant, dès le XIIe s., raie désigne une ligne tracée ou creusée (v. 1175), et des possibilités de croisement avec rai sont manifestes, les deux mots concernant une ligne droite. À partir du XIIIe s., le mot désigne spécialement une bande ou ligne de couleur sur une étoffe, un papier (1266), un sillon peu profond sur le corps (XIIIe s.), surtout dans des expressions du type raie du dos, la raie des fesses, du cul. Il s'applique en particulier et couramment à la séparation rectiligne des cheveux qui laisse voir la peau du crâne. Depuis le XVIIIe s., il désigne la bande caractéristique qui se trouve sur la livrée de certains animaux (1770), cette acception produisant des composés formés avec de et le nom de l'animal en question (1869, raie de mulet). Régionalement, dans le centre de la France, en Franche-Comté, le mot, qu'on lit dans La Guerre des boutons de Pergaud (1912), désigne une section de tablette de chocolat (dans d'autres régions, barre ou bille).
■
Le mot a été repris en physique pour désigner la bande fine de largeur variable qui, dans un spectre, caractérise un rayonnement de fréquence donnée ou correspond à un corps déterminé (1861), sens souvent explicité en raie spectrale, et entrant dans des syntagmes en spectrographie comme raies d'émission, d'absorption, raies de Fraunhofer (expression observée en 1882, Fraunhofer étant mort en 1826).
❏
RAYER v. tr., dérivé de
raie, est d'abord attesté sous l'ancienne forme de participe passé
roié (
XIIe s.), puis
rayé, de loin plus fréquente que les autres formes verbales et l'infinitif. Le verbe signifie « marquer (une surface) d'une ou plusieurs raies », d'où « constituer une raie, un sillon » (1283).
◆
Sa spécialisation pour « biffer, raturer » est attestée au
XIIIe s. (1266). Ultérieurement, le mot se rapporte au fait d'abîmer un objet en y creusant des raies (1694), au
XXe s. un disque phonographique.
■
Des trois noms dérivés de rayer, RAYURE n. f., réfection de roiure, est le premier (XIVe s.) et le plus usité : il s'est appliqué à l'état d'une étoffe présentant des malfaçons (1372), puis à l'action de biffer, à une rature (1530, rayure) ; il a développé ses sens modernes au XVIIe s. : à partir du sens de « manière dont une étoffe est rayée », il a pris par métonymie la valeur de « partie d'une surface rayée » (1690), en particulier, surtout au pluriel « bande se détachant sur un fond de couleur différente » (1690).
◆
Il désigne spécialement chaque rainure hélicoïdale pratiquée à l'intérieur du canon d'une arme à feu (1680) et, par extension, toute trace allongée laissée sur une surface par un corps rugueux, pointu ou coupant (1829).
■
L'autre nom tiré de rayer, RAYEMENT n. m. (XVIe s.), est quasiment sorti d'usage au profit de RAYAGE n. m. (1868), qui désigne à la fois l'action de rayer, l'état de ce qui est rayé et, en technique, l'opération consistant à pratiquer des rayures dans le canon d'une arme à feu.
■
Quant à RAYÉ, ÉE, adjectivé, il est employé dans tous les sens du verbe, avec des valeurs plus précises dans certains contextes, comme canon rayé, opposé à lisse (voir ci-dessus rayure) ou disque rayé (voir rayer).
RAIFORT n. m. est composé en moyen français (XVe s.) de l'ancien substantif raïz (v. 1155) « racine », employé spécialement pour le raifort (mil. XIIe-XIIIe s.), et représentant l'aboutissement phonétique du latin radix « racine » (→ radis) et de l'adjectif fort*. Raïz a été supplanté en français par racine*.
❏
Le mot, d'abord écrit raiz fors (XVe s., Berry) puis raix forte (1525) avant de se souder en refort (1538), raifort (1545), désigne une plante dont la racine charnue, à odeur forte, est utilisée comme condiment dans certains pays et entre dans certaines préparations antiscorbutiques. Il donne quelquefois son nom au gros radis d'hiver (1962) et, dans quelques régions du sud de la France, à un gros radis employé comme fourrage dit raifort champêtre (1963).
❏ voir
RACINE.
RAIL n. m. est emprunté (1817) à l'anglais rail désignant depuis le XVIIIe s. (1734) chacune des barres de fer mises bout à bout sur deux lignes parallèles et fixées sur des traverses pour constituer une voie ferrée. Le mot anglais est lui-même emprunté (XIIIe s.) à l'ancien français raille, reille « barre », issu par voie populaire du latin regula « règle, barre » (→ règle).
❏
Comme l'a montré Wexler,
rail, cité comme mot anglais avant d'être acclimaté (1825), a mis longtemps à s'imposer en face de nombreux termes concurrents d'origine française :
guide (1776),
bande (1784),
longuerine (1787),
tringle (1791),
plaque (an IV),
barreau (an VIII),
barre et
coulisse (an IX),
boudin et
ornière (1803),
lame (1803),
limande (1806) coexistent en effet en français pour désigner cette réalité technique, dans le premier tiers du
XIXe siècle.
Rail a fini par en triompher sous l'influence des techniques ferroviaires importées d'Angleterre et des options linguistiques des ingénieurs français, notamment Seguin et Biot qui construisirent la ligne allant de Saint-Étienne à Lyon, commencée en 1826. Le terme, d'abord prononcé à l'anglaise, a connu une évolution phonétique et graphique avant de se fixer (on rencontre
raile en 1827,
la rail en 1826,
la raile en 1831). Par métonymie du sens de « barre de métal guidant et supportant les roues d'un train », il a pris le sens de « voie ferrée » (1826) pour lequel l'anglais dit
track (sens très vivant en français d'Afrique subsaharienne), et surtout, au singulier, celui de « transport par voie ferrée » (1836) souvent en parallèle avec
la route (
les hommes du rail, 1909, P. Hamp ;
la bataille du rail, film de René Clément). Il est entré dans la locution
sur les rails, spécifiquement française et employée notamment en navigation maritime, passée ultérieurement dans l'usage commun avec un sens figuré avec les verbes
mettre, remettre. Pour
rail employé librement, des emplois métaphoriques existent très tôt (1836,
les rails de la vertu).
■
Par réemprunt postérieur à l'anglais rail, il a pris le sens de « barrière métallique de protection sur le bord des routes, autoroutes et pistes de course » (1970).
◆
En marine, le mot désigne une route assignée aux navires (le rail d'Ouessant).
❏
Rail a produit de nombreux dérivés français.
■
DÉRAILLER v. intr. (1842), d'abord dérayer (1838) « sortir des rails », a développé de bonne heure la valeur figurée d'« aller de travers, dévier (pour un geste, une voix) » (1856), d'où « s'écarter de la norme » (1890) et « se comporter de manière aberrante », « être un peu fou ».
■
Il a produit DÉRAILLEMENT n. m. (1839) avec les sens propre et figuré (1863) correspondants, et DÉRAILLEUR n. m. (1911) qui désigne un dispositif permettant de faire passer la chaîne sur un autre pignon, sur une bicyclette. Ce dernier est sémantiquement isolé par cette spécialisation, le sens virtuel « qui fait dérailler (un train) » n'étant pas réalisé.
■
Rail fournit notamment le second élément de CONTRE-RAIL n. m. (1841), ENTRE-RAIL n. m. (1855), termes techniques.
■
Il sert aussi à former AUTORAIL n. m. (1928), usuel pour désigner une automotrice sur rails (→ automobile), MONORAIL n. m. (1907), système de transport ne comportant qu'un rail.
◈
RAILWAY n. m., d'abord
rail-ways au pluriel (1801) puis
railways (1825), est emprunté à l'anglais
railway, rail-way (1776), équivalent de
voie ferrée et
chemin de fer, formé avec
way « voie » ; ce dernier appartient à un groupe de mots germaniques dont la racine, indoeuropéenne, se retrouve à la base du latin
vehere (→ véhicule). Cependant, le développement sémantique de l'anglais
way doit beaucoup à l'influence du latin
via et de son représentant français
voie*. Railway, concurrencé aux États-Unis par
railroad, juxtaposé de
rail et de
road « route »
(→ rade), est entré dans le nom de la première compagnie nationale anglaise de chemin de fer (la
British Railways). Il ne s'est pas acclimaté en français, où l'on emploie
chemin de fer, mais sert à désigner un système ferroviaire en pays anglophone.
?
RAILLE n. f., mot d'argot ancien (1796), est d'origine inconnue ; le rattachement à railler est très douteux. La raille, en argot du XIXe siècle, désigne un groupe d'individus, en général hostiles, puis (1821) la police. Chez Vidocq, le préfet de police est appelé le daron (« père, chef ») de la raille. La valeur de « bande, gang » (1895 en Bretagne, selon Esnault) est encore attestée au milieu du XXe s.
?
RAILLER v., attesté en 1462 chez Villon, mais antérieur (voir ci-dessous railleur), est emprunté à l'ancien provençal ralhar « plaisanter, babiller » qui paraît représenter, selon Wartburg, un latin populaire °ragulare, également postulé par l'italien ragliare « braire » et qui a donné l'ancien français reillier « aboyer » (v. 1270 en picard). Diverses formes de ce verbe vivent dans les dialectes avec les sens de « beugler », « crier » (du taureau furieux), « hennir », « braire ». Ce °ragulare, dérivé par suffixation diminutive du bas latin ragere, de formation probablement expressive et signifiant « rugir, hurler », a donné le roumain rage « beugler », et le français raire (XIIIe s.), également rere (1611), réer « pousser un cri (d'un animal en rut comme le chevreuil, le cerf) » et « jeter les hauts cris », verbe sorti d'usage, encore répertorié au XXe s. par certains dictionnaires. Le passage de ces valeurs à l'acception psychologique de railler demeure inexpliqué. Selon P. Guiraud, que ce développement sémantique reconstitué convainc peu, et malgré l'intermédiaire provençal, il conviendrait de rapprocher railler de érailler*, mot qu'il propose de dériver d'un gallo-roman °radiculare « racler », faisant ainsi de railler un synonyme d'égratigner, employé lui aussi par métaphore ; l'hypothèse convient mieux pour le sens moderne du verbe que pour sa valeur première, peu explicable par l'autre étymologie.
❏
Railler a d'abord le sens de « badiner, tenir des propos à ne pas prendre au sérieux », à la fois en construction intransitive et à la forme pronominale se railler (1538). L'usage du mot dans la construction transitive indirecte railler de (1538), à côté de la forme pronominale correspondante se railler de (XVe s.) « se gausser, se moquer de », a également disparu en dehors de quelques emplois littéraires. Seule la construction transitive directe, railler qqch., qqn (1636) « tourner en ridicule, en dérision », est vivante, encore que littéraire.
❏
Les dérivés sont plus usités que le verbe.
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RAILLEUR, EUSE n. et adj. est indirectement attesté par une forme féminine ancienne railleresse (1410-1417), antérieure à la première attestation de railler. Le masculin est attesté comme nom propre d'un personnage de Maître Pathelin (1465) avant de se rencontrer sans majuscule (1490). Il désigne une personne portée à la moquerie, et, comme adjectif, qualifie (1538) la personne qui se moque, la chose qui exprime la moquerie. Son emploi en parlant d'une personne que l'on soupçonne de ne pas parler sérieusement (1694) est sorti d'usage. Il a produit RAILLEUSEMENT adv. (1834).
■
L'autre dérivé de railler, RAILLERIE n. f. (v. 1490), a remplacé le déverbal raille n. f. (1453), sorti d'usage. Il désignait autrefois une plaisanterie moqueuse et une absence de sérieux, surtout dans les locutions entendre raillerie, ne pas entendre raillerie (1640), raillerie à part « sérieusement » (1669). Le sens moderne, « action, habitude de tourner en dérision les gens et les choses » et « aptitude à railler », s'est dégagé au XVIIe s., entraînant le changement de valeur de locutions comme entendre raillerie. Par métonymie, une, des railleries désigne un propos, une action particulière par lesquels on se moque de qqn.
RAINER v. tr., malgré l'influence évidente de rainure*, qui explique sa forme, est l'altération (1832) de l'ancien verbe roisner (XIIIe s.), de roisne, devenu rouanne, nom d'outil. Le verbe signifie rayer, creuser en faisant des rainures ; il est d'usage technique restreint.
RAINETTE n. f., réfection (v. 1425) de ranete (XIVe s.), est le diminutif de l'ancien français raine « grenouille » (v. 1120) vivant jusqu'au XVIIe s. (encore dans l'Encyclopédie en 1765 avec le sens de « rainette »), et encore attesté récemment, avec des variantes, dans quelques parlers du wallon, du picard, du sud des Vosges, de la Suisse romande et de la région rhodanienne. Raine représente le latin rana (Varron) « grenouille » et « baudroie », probablement d'origine onomatopéique. Un diminutif populaire ranunculus a donné renoncule* tandis qu'un type sans nasalisation, °ranucula, est à l'origine de grenouille*, mot qui a supplanté raine.
❏
Rainette désigne une petite grenouille aux doigts munis de ventouses et vivant souvent dans les arbres près de l'eau. Son homonymie avec reinette, de reine, a pu contribuer à le maintenir.
RAINURE n. f., d'abord royneure (1382) puis raineure (1464), d'où rainure avec la variante rénure (1611), est dérivé de l'ancien verbe roisnier « trépaner » (fin XIIe s.) et « entailler » (déb. XIVe s.), lui-même issu de roisne, ancienne forme de rouanne*, nom technique d'instrument.
❏
Le mot désigne une entaille longue et étroite, pratiquée dans une pièce de bois ou de métal. D'abord technique, il est devenu courant pour désigner une moulure creuse (1810) et, par extension, une longue dépression étroite et peu profonde à la surface d'un objet (1808). Par analogie, il s'est spécialisé en anatomie où il désigne un sillon ou une dépression allongée à la surface d'un os (1803). Dans ces deux derniers sens, la paronymie avec rayure (de raie*) a pu jouer.
❏
Le dérivé
RAINURER v. tr. « creuser d'une rainure » est relevé chez Proust au participe passé adjectivé
rainuré, dans la description de la fameuse madeleine (1913).
■
Du verbe ont été dérivés RAINURAGE n. m. et un nom de machine-outil RAINUREUSE n. f., tous deux d'usage technique et attestés en 1932 dans les dictionnaires généraux.
❏ voir
RAINER.
RAIPONCE n. f., d'abord responce (v. 1450), encore prononcé avec le s dans différents patois, puis raiponce (1564), est emprunté à l'italien raponzo, également raponzolo et raperonzolo « plante de la famille des campanulacées, cultivée pour ses feuilles que l'on mange en salade ». Ce nom est le diminutif de rapa, de même origine que le français rave*. L'adaptation en français s'est faite, pour sa première syllabe, sous l'influence de l'ancien et moyen français raïz « racine, rave » (→ radis, raifort).
❏
Le mot a conservé son sens d'origine, fournissant aussi un des noms de la mâche.
1 RAÏS ou REIS n. m. (1540, raiz) restitue le turc reis « chef, président, capitaine », lui-même emprunté à l'arabe ra᾿īs.
❏
Repris comme désignation d'un capitaine de navire turc ou proche-oriental, le mot s'est également appliqué à un dignitaire de l'Empire turc (1630), servant notamment de titre pour le secrétaire d'État aux Affaires étrangères (1670, Reis Efendi, Reis Kitab).
❏
2 RAÏS n. m., enregistré en 1963 dans un dictionnaire général sous la forme ra᾿īs et mentionné par la presse sous les formes rais et raïs, est emprunté à l'arabe ra᾿īs « chef, président, directeur », dérivé de ra᾿s « tête » selon un développement analogue à celui du français chef. Le mot, diffusé en français général à propos du président Nasser, désigne le chef d'État de certains pays arabes, en particulier le chef de l'État égyptien. En français du Maghreb, le mot conserve la valeur plus générale de l'arabe, « chef, directeur, commandant de navire, etc. ».
L
RAISIN n. m., réfection (v. 1275) de resin (v. 1119) et roisin, provient du latin médiéval racimus (IXe s.), altération du latin classique racemus qui, désignant la grappe en général, s'est spécialisé pour dénommer la grappe de raisin et, par métonymie, le raisin lui-même. Le mot, rapproché du grec rhax, rhagos « grain de raisin », aussi nom de diverses baies, est probablement un terme du substrat méditerranéen comme les autres noms relatifs au vin et à la vigne. Il a conservé le sens de « grappe de raisin » dans l'italien (g)racimolo et l'espagnol racimo tandis qu'en gallo-roman, sauf en provençal, il a supplanté le représentant du latin classique uva (italien, espagnol uva) ; en effet, les quelques exemples de l'ancien français uve sont des latinismes, le mot figurant surtout dans l'expression uve passe, francisation du latin uva passa « raisin sec » (→ uval).
❏
Le mot désigne le fruit de la vigne, spécialement dans plusieurs expressions désignant les diverses variétés, comme
raisin de Corinthe (1545) et
raisin de Damas (1690), l'appellation générale de
raisin sec ayant supplanté
raisin pour Carême (1326) et
raisin de caisse (1690), laquelle s'appliquait aux raisins expédiés en caisses. Il entre dans la locution figurée
mi-figue, mi-raisin, d'abord
moitié-figue, moitié-raisin (1611) et
ni figue, ni raisin (1787), allusion aux fruits du Carême, qui s'est également employée avec les sens de « moitié de gré, moitié de force » (1620) et « en partie bien, en partie mal » (1620) en langue classique. Cette expression a reçu au
XIXe s. (Quitard) une explication anecdotique et fictive concernant les pratiques commerciales des Grecs, qui auraient vendu pour des raisins les figues qui se trouvaient au-dessous ; rien n'appuie cette fable.
■
Par extension, le mot désigne une baie en grappe (1538), sens resté vivant dans certains patois dans la désignation de la groseille, de la groseille à maquereau, et dans les appellations populaires de baies et plantes à baies comme raisin de renard (1550) « parisette », raisin d'ours (1732) « busserolle », raisin d'Amérique (1769) « phytolacca », raisin des bois (1769) « airelle ».
■
Par métonymie, raisin désigne spécialement un format de papier caractérisé à l'origine par un filigrane représentant une grappe (1710), aussi dans les syntagmes grand raisin (1710), petit raisin (1723) et carré au raisin (1765).
■
Par analogie, le mot désigne l'agglomération en grappes des œufs de certains mollusques (1752) et se dit de certaines algues fucacées (1875).
❏
Le seul dérivé de
raisin encore vivant est
RAISINÉ n. m. (1606), d'abord écrit
résiné (1508) « confiture faite de jus de raisin réduit en gelée et d'autres fruits ».
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Par métaphore, le mot fournit un nom argotique du sang (1808), par exemple dans la locution
faire du raisiné « saigner du nez », archaïque. Beaucoup plus tard, par retour au sens initial, le mot s'est employé pour « vin rouge ».
◈
RAISINET n. m., diminutif de
raisin (attesté 1825), désigne en français de Suisse la groseille (rouge, rose ou blanche).
L
RAISON n. f. est issu (v. 980) du latin rationem, accusatif de ratio, -onis, nom tiré du supin (ratum) de reri « compter » et « penser », par extension « être d'avis, croire », lui-même ancien et d'origine inconnue. Ratio désigne le compte, puis la matière du compte, les affaires, souvent joint à res « chose » (→ rien). De là sont issus de nombreux sens dérivés : ratio désigne la faculté de calculer, de réfléchir, le jugement, la méthode, la doctrine. Il est fréquent dans la langue de la rhétorique et de la philosophie où il traduit le grec logos (→ -logie) en vertu du double sens de ce mot : « compte » et « raison » (en outre, « langage »). Cicéron l'emploie à propos de la justification d'une action regardée comme criminelle, de l'argument qui justifie une action, ce qui vaut à ratio, en latin médiéval, le sens de « dispute, discussion » (v. 600). Cicéron donne aussi à ratio la valeur de « le pourquoi d'une chose » (tel qu'un homme se l'explique), en le distinguant de causa « cause réelle », comme l'allemand a différencié Grund et Ursache. Cette distinction s'est perdue en français (la philosophie médiévale confondant les deux concepts) mais a reparu à la Renaissance avec l'emprunt de cause. D'autres spécialisations tardives du latin se sont prolongées dans le doublet ration* et peut-être dans race*.
❏
Dès le
XIIe s.,
raison possède la plupart des sens de
ratio, et en enrichit la phraséologie. En moyen français, la valeur de « calcul, compte » a déjà perdu du terrain pour se restreindre à certains emplois spécialisés, conservés dans l'usage courant par quelques locutions (
livre de raison, etc. ; voir ci-dessous). Le champ sémantique du mot devient très complexe à l'époque classique où la richesse de la phraséologie développée depuis le
XVIe s. multiplie les risques d'ambiguïté. Depuis le
XVIIIe s., les principales extensions concernent des acceptions d'ordre philosophique grâce à la pensée des Lumières puis à l'introduction de la terminologie philosophique allemande (kantienne).
■
Dès les premiers textes, raison est employé par métonymie pour désigner ce qui est conforme à la vérité ou à la réalité, à propos d'une opinion, d'une action, d'un comportement, sens surtout réalisé dans des expressions où le mot, employé sans article, s'oppose à tort. C'est le cas d'avoir raison (v. 1175), avoir raison de + infinitif (v. 1170) et, ultérieurement, donner raison à qqn (1775), ou encore à tort ou à raison (1797).
◆
L'usage très ancien de raison pour ce qui est conforme à l'équité, à la justice, au droit, au devoir (v. 980) a régressé après le XVIIe s. où, ayant pris par extension le sens de « ce qui est convenable, suffisant », le mot était entré dans un certain nombre de locutions. L'une d'elles, c'est (bien) la raison que « c'est bien naturel, bien juste que » (1644) prolongeait la forme médiévale est raison (XIIe s.), est bien raison que (fin XIIe s.) ; les autres, à telle fin que de raison « à toutes fins utiles » (1655), contre toute raison « de manière excessive » (1680), (il n'y a) point de raison « la chose est excessive, demesurée » (1690) et comme de raison « comme de juste » (1694) sont propres à la langue classique. Avec la même valeur, l'usage moderne a seulement gardé plus que de raison (1549), relativement usuelle au sens de « plus que convenable », et pour valoir, servir, être ordonné ce que de raison (1694), locution juridique pour « conformément à la justice, à l'équité ».
Dès la fin du
XIe s.,
raison s'applique généralement à toute règle de la pensée et de l'action humaines, conçue comme la faculté et l'ensemble des principes permettant d'établir des rapports entre les choses, et rendant possible la connaissance (il s'oppose alors à
instinct). Il désigne aussi les facultés intellectuelles considérées dans leur intégrité et leur exercice normal ou dans les troubles pouvant les affecter (fin
XIe s.),
perdre la raison ayant d'abord le sens fort de « devenir fou » (1559), puis par affaiblissement, de « dire n'importe quoi » (1694),
recouvrer la raison étant bien postérieur (1796).
■
Dès la fin du XIe s., le mot s'applique à la faculté de bien juger, de penser avec justesse, de distinguer le bien du mal, le possible de l'impossible, le beau du laid, s'opposant alors à des mots comme folie, passion, imagination. Il donne bientôt les locutions entendre raison « être sensible à ce jugement », se rendre à la raison (v. 1165) puis au XVIIe s. âge de raison appliqué à l'âge où un enfant est considéré comme capable de raisonner (1690), mettre qqn à la raison (1668) « l'amener à une attitude raisonnable » et, par extension, « le réduire de force pour l'empêcher de commettre des actes de violence » (1673), parler raison « parler le langage de la raison » (1692), ces deux dernières ayant vieilli. Ultérieurement, le mot entre dans ramener qqn à la raison (v. 1770) et écouter la raison, la voix de la raison (attesté XXe s.). On peut rattacher à ce sens l'expression mariage de raison (1826).
■
Dans le dernier tiers du XIIe s. (v. 1175), raison commence à désigner dans le discours savant l'intelligence discursive, qui procède de façon méthodique en saisissant des rapports logiques entre les notions et les faits, en établissant ses preuves et ses démonstrations, par opposition au domaine de l'intuition et du sentiment. Ce sens didactique, quelquefois dans des syntagmes qualifiés (raison discursive, raison raisonnante), est réalisé en philosophie dans l'expression être de raison, employée par Descartes (1641) à propos de ce qui n'existe que dans la pensée, de ce qui est créé par l'esprit pour les besoins du discours. Par opposition à expérience, raison désigne l'ensemble des principes directeurs de la pensée dont l'homme prend connaissance par la réflexion (v. 1175), sens dont procède l'emploi du mot à l'intérieur de la philosophie kantienne, dans les expressions raison pure (1810, Mme de Staël), raison pratique, théorique, spéculative (1831) traduites des expressions employées par Kant (reine Vernunft, praktische Vernunft). Le mot est employé spécialement par opposition à foi, pour le domaine de la connaissance naturelle (v. 1175). Il se spécialise au XVIIIe s. pour l'ensemble des acquisitions de la philosophie des Lumières conçues comme une victoire sur le fanatisme et la superstition (av. 1703), en relation avec l'emploi spécial de philosophie.
◆
Cependant, le mot et la notion sont employés par les tenants de la religion pour désigner l'absolu, le Verbe, avec une majuscule la Raison, conçue dans son essence divine (1677, Bossuet). Ce développement, propre au langage religieux, est une extension du sens de « faculté saisissant l'absolu par une intuition directe ».
L'usage particularisant du mot
(une / des raisons) dans un sens objectif se rencontre dès le
XIIe s.,
raison servant alors à désigner le principe explicatif rendant compte d'un fait, d'un événement, de manière satisfaisante pour l'esprit (v. 1112). Ce sens était réalisé dans la locution
rendre raison de qqch. « l'expliquer d'une façon claire » (déb.
XIIIe s.), et, à l'époque classique dans
faire raison de qqch. « expliquer une chose obscure et surprenante » (1661), emploi disparu.
◆
De nos jours, il l'est encore dans la locution
se faire une raison (fin
XVIIe s.), et en philosophie dans
principe de raison suffisante ou
déterminante, ou simplement
principe de raison (1710) « principe selon lequel tout a une raison d'être intelligible ».
■
De manière plus objective et sans allusion à l'esprit humain, raison indique la cause, le motif d'une action (v. 1112), sens réalisé dans plusieurs locutions usuelles comme sans raison (v. 1165), à plus forte raison (1580), avec raison (1647), raison de plus (1792), ce n'est pas une raison [pour...] (1802), pour une raison ou pour une autre (XXe s.).
◆
Il l'est aussi dans raison d'État (1609), dénommant une notion ancienne dont l'expression se trouve déjà en latin chez Cicéron sous la forme ratio reipublicae et dans raison d'être (1875).
■
De nouveau avec l'idée de faculté de l'esprit, une raison désigne spécialement l'argument, la preuve que l'on avance pour appuyer une affirmation ou justifier une position (v. 1112). Ce sens s'était spécialisé pour désigner les arguments échangés dans une controverse, une dispute (Cf. ratio en latin médiéval, ci-dessus), d'où les locutions usuelles au XIXe s. : chercher des raisons à qqn « lui chercher querelle », avoir des raisons avec qqn « être en désaccord avec lui » (1835).
◆
Avec l'idée de « point de vue », raison sert à former entrer dans les raisons de qqn « admettre ses vues » (1732). La locution proverbiale comparaison n'est pas raison « n'est pas un bon argument » (1881) n'est plus comprise dans ce sens.
■
Par extension, le mot a pris au XVe s. le sens de « satisfaction que l'on réclame, que l'on obtient, que l'on donne pour une offense », spécialement « réparation par les armes » (1538). Ce sens, surtout réalisé dans des locutions verbales comme demander raison de (1538) encore connue, avoir raison ou avoir la raison de qqch. (1670) et, dans les tragédies, se faire raison « se faire justice » (1604) ; tirer sa raison de qqn « se venger » (1629), est marqué comme archaïque. Il est cependant réalisé avec une notion de « victoire » dans les locutions avoir raison de qqn (1819), de qqch. (av. 1869) qui reprennent faire raison de qqn, de qqch. (v. 1460), avoir raison d'une offense (v. 1580, Montaigne).
Le sens, hérité du latin, de « calcul, compte » (v. 1190) a disparu au début du
XVIIe siècle. Il s'est prolongé dans l'expression
livre de raison (1551) qui, après
livre des raisons (fin
XIIIe s.), a désigné un livre de compte, ainsi que dans la spécialisation du mot au sens de « part de chaque associé dans une société commerciale » (1675), qui réactive une des spécialisations tardives du latin
ratio (→ ration). Ces valeurs, conservées dans l'usage, ne sont plus analysées ni rattachées au sens étymologique de
ratio. De cette spécialisation procède la dénomination
raison (1703), puis
raison sociale (1807,
Code de commerce) comportant le nom des associés, sous laquelle sont pris les engagements sociaux d'une société dont ils sont indéfiniment responsables.
■
D'autre part, raison continue d'exprimer la notion de rapport, de proportion, en moyen français dans l'expression à la raison de « en proportion de » (fin XVe s.), de nos jours en arithmétique (1637), dans les expressions raison inverse (1734), raison directe (1771), en moyenne et extrême raison (1834) et raison d'une progression (1840). Par extension, en raison inverse et en raison directe de sont passés dans l'usage commun à propos d'une chose qui est inversement (1762) ou directement (1865) proportionnelle à une autre.
■
Raison entre dans deux locutions prépositionnelles : à raison de (déb. XVIe s.), précédé par à la raison de (v. 1450), qui signifie « sur la base de, au prix de » et « à cause de » (v. 1534). En raison de (1748) correspond à « selon, à proportion de » et à « du fait de, vu » (1835).
Enfin, le sens très ancien de « paroles, récit, discours » (v. 980), avec ses extensions (« voix », « façon de s'exprimer », « parole donnée », « dialecte »), a disparu avant le XVIe s., parler raison (ci-dessus) correspondant au sens intellectuel et moderne du mot.
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Le plus ancien dérivé de
raison est
RAISONNABLE adj., réfection (v. 1278) de
reidnable (v. 1120) et
raisnable (v. 1155). L'adjectif a d'abord le sens de « qui possède la raison, doué de raison », aujourd'hui propre à la langue philosophique ; il qualifie une chose conforme aux principes de la raison (v. 1155).
■
Par extension, il s'applique couramment aux personnes qui se conduisent avec mesure et de manière réfléchie (XIVe s.), sens dont procède l'application à un commerçant modéré dans ses exigences (1673), probablement d'après prix raisonnable (ci-dessous), et en général à une personne modérée, portée à la mesure (fin XIXe s.). Le mot a développé le sens de « suffisant, convenable, acceptable » (v. 1250) qui, de nos jours, indique plutôt une grandeur ou une importance supérieure à la moyenne et parfois appréciable, appliqué notamment à un prix (1514).
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RAISONNABLEMENT adv., réfection (XIIIe s.) de raisnablement (v. 1130), signifie « selon les principes de la raison » et « conformément à la sagesse », spécialement « avec modération » (1802). Comme l'adjectif, il signifie quelquefois « de manière suffisante » (1314).
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RAISONNER v. (v. 1185), d'abord
resuner (v. 1138), a remplacé l'ancien français
raisnier, raisner, resner issu du latin
rationare, dérivé de
ratio. La forme actuelle est refaite d'après
raison. En ancien français, le verbe signifiait « parler (avec qqn) », d'après l'ancien sens de
raison « récit, parole » ; le sens moderne (v. 1380) correspond à « faire usage de sa raison pour former des jugements, apprécier des situations » ; il se réalise spécialement dans les locutions familières
raisonner comme une pantoufle (1798), après
raisonner pantoufle (1694) et
raisonner comme un tambour (1869, d'abord
comme un tambour mouillé).
◆
Raisonner signifie ensuite « faire un raisonnement » (1553), « chercher à prouver, à convaincre » (1583) ainsi que « soulever des objections, répliquer » (1662).
■
À la même époque, il commence à s'employer transitivement pour « soumettre (une chose) à une analyse systématique » (1580), sorti d'usage, et « chercher à convaincre (qqn) de changer de résolution ou de comportement » (1666), acception qui était assumée par le composé arraisonner (ci-dessous). Un emploi transitif indirect du mot avec la préposition de, exprimée ou sous-entendue, (1772) se rencontre au sens de « discuter, s'entretenir de ».
◈
Raisonner a produit plusieurs dérivés.
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RAISONNEUR, EUSE n. et adj. (1345) a d'abord été employé pour désigner un avocat ; il a développé au XVIIe s. le sens général de « personne qui raisonne » (1678), lequel a vieilli au profit des nuances péjoratives : « qui abuse du raisonnement » (1666), « qui réplique sans cesse, discute les ordres et les observations » (1666).
■
RAISONNEMENT n. m. (v. 1380) désigne l'action de raisonner, quelquefois avec la nuance péjorative de « manie de raisonner » (1672). Depuis le XVIIe s., un, des raisonnements est employé pour parler d'une opération de l'esprit passant d'un jugement à un autre pour aboutir à une conclusion (1636), d'où en sciences et en philosophie raisonnement déductif (1851), expérimental (1878), par analogie (1907), et dans l'usage courant, souvent avec une nuance péjorative (1869, raisonnements à perte de vue, après raisonnements à perte d'haleine, 1782).
■
La spécialisation pour « objection, contestation d'un ordre », correspondant à un sens de raison et de raisonneur, remonte aussi à l'époque classique (1667).
◈
1 RAISONNÉ, ÉE, le participe passé de
raisonner, est adjectivé (1611), qualifiant ce qui est fondé sur le raisonnement, ce qui résulte d'un examen réfléchi des arguments pour et contre (1674), spécialement en parlant d'un ouvrage didactique qui motive les règles enseignées (1680). Il est distinct d'un homonyme
2 raisonné, ée (
XIIIe s.), employé en parlant d'une personne, dérivé directement de
raison et sorti d'usage, remplacé par
raisonnable.
■
Quant au participe présent de raisonner, RAISONNANT, ANTE, il est lui aussi adjectivé au XVIIe s., qualifiant dans un registre soutenu ce qui procède par raisonnement, dans raison raisonnante, folie raisonnante (1865), vieilli, et, à l'époque classique, la personne qui est portée à répliquer (1673), remplacé par raisonneur.
◈
En ancien français, le groupe de
raison s'est enrichi de composés.
ARRAISONNER v. tr. (1080) signifie d'abord « interpeller qqn », puis « convaincre par de bonnes raisons » (
XIVe s.). Ces valeurs générales ont disparu, la seconde remplacée par
raisonner, et le verbe s'est limité au sens technique d'« inspecter un navire » (1598), notamment « le contraindre à subir une inspection, le contrôler de manière autoritaire ». Le dérivé
ARRAISONNEMENT n. m. (1174), autrefois
aresunement « consultation », a été repris au
XIXe s. avec le sens technique correspondant (1866).
◈
Avec le préfixe privatif
dé(s)-, raison a produit l'antonyme
DÉRAISON n. f. (v. 1175), d'abord pour « bavardage absurde » puis « manque de bon sens, folie » (1177-1179).
■
À son tour, déraison a produit DÉRAISONNER v. intr. (v. 1225) « s'éloigner de la raison » d'où « tenir des propos dénués de raison » (1740), qui a éliminé l'ancien français deraisnier (XIIe s.) « expliquer, raconter », dérivé de l'ancien français raisnier (Cf. ci-dessus raisonner).
■
Les dérivés du verbe, DÉRAISONNEMENT n. m. (av. 1755) qui a évincé l'ancien français deraisnement « discours, sermon » (v. 1200) et DÉRAISONNEUR, EUSE n., ont peu de vitalité.
■
Il n'en va pas de même pour DÉRAISONNABLE adj. (v. 1371, desraisonnable), formé comme antonyme d'après raisonnable, et qui a supplanté l'ancien doublet desraisnable (av. 1250) de raisner. Cet adjectif a pour dérivé DÉRAISONNABLEMENT adv. (1353), évinçant desraisnablement (1220-1225).
◈
Par adjonction du préfixe privatif
in- à
raisonnable, on a formé
IRRAISONNABLE adj., d'abord
irresonnable (v. 1360) « qui n'est pas doué de raison », sens sorti d'usage. Le mot qualifie une chose non raisonnable, contraire à la raison (v. 1365).
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En dehors d'IRRAISONNÉ, ÉE adj., fait (1842) sur raisonné et qui est assez usuel, les autres mots de la série (IRRAISONNABLEMENT adv., IRRAISONNANT, ANTE adj., IRRAISON n. f.) sont très exceptionnellement employés.
❏ voir
IRRATIONNEL, RACE, RATAFIA, RATIFIER, RATIOCINER, RATION, RATIONNEL.