? RATAFIA ou RATAFIAT n. m. Selon une tradition étymologique, le mot serait un emprunt en milieu créole (v. 1675) à la forme latine rata fiat (sous-entendu conventio), littéralement « (que notre accord) soit ratifié ». Cette expression est formée de rata, féminin de ratus « ratifié », participe passé adjectivé de reri « penser, estimer » (→ ratifier), de fiat, troisième personne du singulier du présent du subjonctif de fieri « devenir » (également dans fiat lux), verbe d'aspect duratif qui sert de passif à facere (→ faire), et de conventio « accord » (→ convention). L'alcool aurait dû son nom à la formule qui accompagnait le toast porté à l'occasion d'un marché conclu.
■  P. Guiraud, qui estime anecdotique cette étymologie, évoque la déformation d'un mot créole, qui correspondrait mieux que le latin au contexte originel du mot, peut-être rectifié*, terme de distillation. Cette hypothèse était celle de Leibniz (selon Le Duchat) ; Ménage se bornait à écrire : « c'est un mot des Indes orientales ». Il paraît logique de mettre ratafia en relation avec un autre mot créole tafiat : « quand un Indien du pays boit du brandevin à la santé d'un Français, entre autres mots de sa langue, il lui dit, tafiat : à quoi le Français répond en faisant raison, ratafiat » (Le Duchat, citant de la Croze, in Ménage, 1750). Cette origine, analogue aux échanges du type belote, rebelote, ferait de ratafia l'équivalent (avec assimilation vocalique) de re-tafiat.
❏  Le mot, d'abord employé comme interjection sous la forme ratafiat « à votre santé », est substantivé sous les deux formes ratafiat et ratafia pour désigner une liqueur faite d'eau-de-vie, de sucre et certains fruits, autrefois très en vogue comme médicament stomachique.
RATATINER v. tr., attesté d'abord au participe passé ratatiné, ée (1606), puis au pronominal se ratatiner (1662), est formé sur le radical expressif tat- qui, avec des suffixes diminutifs, évoque la diminution, l'amoindrissement d'un état, d'une action : on le retrouve dans le manceau tatiller « bavarder », « chuchoter », variante tatiner, le champenois tatiner « manier », le français du XVIIe s. tatin « petite quantité » (1611), l'ancien verbe retatiner « effacer les plis » (1508). Selon P. Guiraud, ce radical tat- représenterait un gallo-roman °tactitare (→ attaquer) qui explique un autre sens de tatin « coup » et de tatiner « battre, rosser ». Un rapport avec °taxicare qui a donné tâter* est possible. Ratatiner se comprendrait à partir de retatiner « passer le plat de la main sur les plis d'un objet », d'où « en effacer les plis » (1508) et, avec une notion de violence dans le geste, « écraser, froisser ». Cf. aplatir, plates coutures.
❏  Ratatiné, en emploi adjectif, qualifie ce qui est flétri, ridé, une personne tassée, rapetissée par l'âge, la fatigue, la maladie (1637). ◆  Se ratatiner signifie « se rapetisser en se desséchant » (1662), « se flétrir, se rider » (1690), « se tasser, se recroqueviller, en parlant d'une personne » (1690). ◆  L'emploi en construction transitive, attesté un peu plus tard (1762), correspond à « rapetisser, déformer la taille de ».
■  Au XXe s., le verbe se dit familièrement pour « tuer » (1927, dans Carco) « endommager gravement » (1940), la forme pronominale prenant le sens de « subir un choc violent, s'écraser » (v. 1950).
❏  Le mot n'a produit qu'un nom d'action pour lequel il y a concurrence entre les formes RATATINEMENT n. m. (1845) et, avec une valeur plus dynamique, RATATINAGE n. m. (XXe s.).
RATATOUILLE n. f. est probablement formé (1778) sur le verbe touiller* autour duquel s'est formé dans les patois un ensemble foisonnant de verbes expressifs, quelquefois avec des syllabes de renforcement comme fertouiller, tantouiller, entouiller, tartouiller, tatouiller, ratouiller, patouiller, et dont la signification tourne autour de « se vautrer, agiter un liquide, tremper, salir ». P. Guiraud, en acceptant le croisement avec touiller, fait de ratatouille le déverbal d'un °ratatouiller, doublet de ratatiner*, qui serait formé de re- à valeur intensive et perfective, de la racine tatt- « tripoter » et de l'élément -ouiller à valeur fréquentative.
❏  Le mot a d'abord désigné péjorativement un ragoût grossier, sens qui s'est élargi à « mauvaise nourriture ». En gardant sa valeur péjorative, il a pris le sens figuré de « mélange douteux, suspect » (1880). ◆  Celui de « volée de coups, raclée » (XXe s.) est en rapport avec tatouille.
■  En cuisine, le mot a aussi le sens non péjoratif de « ragoût », s'appliquant au XIXe à divers types de plats régionaux, et au XXe s. à l'un d'entre eux, fait de légumes cuits, appelé ratatouille niçoise ou simplement ratatouille.
❏  Le mot est abrégé familièrement en RATA n. m. (1828), mot qui a désigné un ragoût de pommes de terre et de haricots, puis péjorativement un mélange de viande et de légumes servis à l'armée (fin XIXe s.). La locution figurée ne pas s'endormir sur le rata signifie « être diligent » (1928) ; elle a vieilli. Rata désigne en général une mauvaise pitance (1833) ; en ce sens, il s'est employé au féminin. Légèrement archaïque, il fait aujourd'hui allusion à un ordinaire militaire déplaisant.
1 RATE → RAT
? 2 RATE n. f., attesté depuis le XIIe s. (1165) et précédé par le latin médiéval rata (Xe s.), est d'origine incertaine : en raison d'une certaine ressemblance que la rate présente avec un rayon de miel, son enveloppe se prolongeant dans l'intérieur de l'organe sous forme de cloisons, on a proposé de faire du mot un emprunt du moyen néerlandais rate « rayon de miel », en se fondant sur l'existence d'un développement analogique en hongrois où lép signifie à la fois « rayon de miel » et « rate ». Cependant, le moyen néerlandais n'est attesté nulle part au sens de « rate », pas plus que le mot français au sens de « rayon de miel », ce qui limite l'intérêt de cette hypothèse.
❏  Le viscère que désigne la rate ayant dans l'ancienne médecine la réputation d'attirer l'humeur mélancolique, rate est employé dans les locutions figurées décharger sa rate « laisser éclater sa colère » vieillie et, symétriquement, dilater, désopiler sa rate (1652), également épanouir sa rate « rire ». D'autres locutions sont apparues récemment, comme se fouler, ne pas se fouler la rate « se fatiguer et se soucier (ou non) », et se mettre la rate au court-bouillon « se faire beaucoup de souci ».
❏  En est dérivé DÉRATER v. tr. (1535), proprement « enlever sa rate à (une personne, un animal) », couramment employé à la forme pronominale se dérater avec le sens figuré de « courir le plus vite possible », selon le même type de développement que décarcasser.
■  Le participe DÉRATÉ, ÉE, adjectivé, a fourni un substantif employé dans la locution courir comme un dératé « très vite » (1750), de la légende selon laquelle les chiens dératés couraient très vite. ◆  Comme adjectif, le mot a signifié (1735) « alerte, vif ».
❏ voir RATTE.
L RÂTEAU n. m., d'abord rastel (v. 1180) puis ratteau (v. 1460), rastiau (1473), rateau (1534) écrit au XVIIe s. avec l'accent circonflexe râteau (1636), est issu du latin rastellus, diminutif de raster (à côté du neutre rastrum) désignant un instrument qui tient à la fois de la fourche, de la houe et du râteau actuel. Ce mot, surtout usité au pluriel, la tête de l'outil comptant plusieurs dents, est dérivé, par contraction d'un °rad-trum, de radere « gratter, racler, raser » (→ raser).
❏  Râteau désigne un instrument agricole formé d'une barre munie de dents et montée sur un manche. Les extensions sont fondées sur une analogie de forme ou de fonction ; la plus ancienne concerne la garde d'une serrure dont les pointes passent dans les entailles du museau de la clef (1490) ; râteau a été repris pour désigner le segment de roue dentée qui sert à régler le mouvement d'une montre. Des extensions plus proches du sens initial concernent un outil servant à retirer les poissons et les coquillages du sable (1752), un gros peigne de tisserand pour monter les chaînes en tissage manuel (1765) et, plus couramment, l'instrument avec lequel le croupier ramasse l'argent au jeu (1831, Balzac). ◆  Le mot est devenu un terme de sciences naturelles désignant le groupe de fortes dents chez certaines mygales maçonnes (1932) et le nom usuel de l'esquille (attesté XXe s.). ◆  Du sens propre initial, par l'image cocasse qu'ont répandue les films burlesques du cinéma muet, de la personne qui marche sur un râteau posé à terre, le redresse et reçoit le manche en pleine figure, provient l'expression (se) prendre, se manger un râteau (années 1990) « échouer rudement », avec influence probable de rater, ratage. D'où aussi l'exclamation : le râteau !
En français de Suisse, dans le Doubs et le Jura, en France, râteau s'emploie au sens figuré de « grippe-sous, personne avare, cupide » (quasi synonyme de râpe).
❏  Les dérivés sont tirés de l'ancienne forme ratel.
■  RÂTELER v., d'abord rasteler (v. 1220) et rateler (XIVe s.), avant râteler (XVIIe s.), signifie « ramasser avec un râteau » et « nettoyer avec un râteau » (1611), sens où il est supplanté par ratisser*. ◆  Ce verbe a servi à former un certain nombre de termes techniques : RÂTELAGE n. m., d'abord reisteilage en normand (1436), a eu en moyen français un sens figuré « exposé très libre de ce que l'on pense », avant d'être repris pour désigner concrètement ce que prend un râteau en une fois (1636). ◆  RÂTELEUR, EUSE n. et adj. (1694) s'est imposé aux dépens de rastelaire (1527). ◆  RÂTELURES n. f. pl. désigne ce que l'on ramasse avec un râteau (1876).
■  RÂTELIER n. m., autre dérivé de ratel, râteau, réfection (v. 1354) de rastelier (1250), écrit avec un accent circonflexe au XVIIe s., désigne d'abord divers types de supports comportant des échancrures plus ou moins espacées pour le rangement d'objets longs (armes, pipes), râtelier d'établi (1873) dénommant un support d'outils. ◆  Le mot s'est spécialisé en agriculture pour l'assemblage à claire-voie servant à contenir la nourriture du bétail (déb. XIVe s.), sens réalisé dans la locution figurée manger à tous les râteliers (1740-1755) qui utilise une métaphore plus ancienne réalisée par exemple dans cette expression : je leveray le ratelier à ce gourmand (1671).
■  Par l'intermédaire d'une valeur métaphorique burlesque, « denture » (av. 1590) sortie d'usage, il a pris le sens familier de « dentier » (1777), d'abord dans râtelier de fausses dents (1718). Le mot, en français contemporain, n'est pas clairement rattaché à râteau.
■  RÂTELÉE n. f. (1456-1467) a eu le sens figuré de « conte, récit », conservé dans la locution familière dire sa râtelée (1478-1480) « dire librement ce que l'on pense » disparue en français classique. Le sens concret, « quantité de foin emportée d'un seul coup de râteau » (1636), a vieilli.
❏ voir RASTEL.
RATER → RAT
? RATIBOISER v. tr. serait formé par fantaisie (1875) sur ratisser* « dépouiller », dont la finale -sser a été remplacée par la finale -boiser d'origine controversée. L'hypothèse la plus répandue est celle d'un croisement avec l'ancien verbe emboiser, emboisier « tromper » (v. 1220), encore vivant dans les patois, lui-même composé de l'ancien français boisier (v. 1135), que l'on ramène à un francique °bausjan « dire des niaiseries ou des bêtises, radoter » restitué d'après l'ancien haut allemand bôsôn de même sens et le moyen haut allemand bôsen « faire du mal » (d'où l'allemand böse « méchant »). Ce verbe dérive d'un francique °bausia. La date tardive d'attestation et le registre populaire rendent sceptique quant à cette origine, surtout appuyée sur des formes d'ancien français, emboisier et boisier n'étant pas attestés au XIXe siècle. Cependant, on peut imaginer une transmission orale et dialectale.
❏  Le mot est d'abord un terme de l'argot des joueurs (baccara) signifiant « rafler les enjeux » ; par extension, il s'est répandu au sens de « prendre, dépouiller ». Il est également employé à la voix passive, au sens d'« être ruiné, perdre », d'abord au jeu (1881) et, par extension, en parlant de qqn envisagé dans sa santé, sa situation ; l'influence de ratatiner est probable pour le sens.
❏  Le dérivé RATIBOISEUR, EUSE n. se rencontre rarement dans la langue familière (XXe s.).
RATICHE n. f., mot courant dans l'usage populaire (attesté mil. XXe s.), est d'origine incertaine ; on a évoqué ratisser (idée de « racler ») mais un diminutif de rat, comme dans ratichon, avec une valeur hypocoristique, pour « dent de rat », est tout aussi plausible. En argot, le mot s'est aussi employé pour « couteau » (Simonin, Le Breton).
RATICHON → RAT
RATIFIER v. tr., réfection (1297) de rattefier (1204), est un emprunt au latin médiéval ratificare (XIIIe s.) « rendre (un acte) pleinement valable », formé du latin classique ratus « valable », participe passé de reri « penser, estimer » (→ raison) et de -ficare pour facere (→ faire).
❏  Le mot signifie « approuver ou confirmer par un acte authentique (ce qui a été fait ou promis) ». Ce verbe juridique et administratif a eu le sens général de « confirmer ou approuver publiquement » (av. 1654), demeuré littéraire.
❏  RATIFICATION n. f., emprunt (1328) au dérivé latin médiéval ratificatio, -onis (XIIIe s.), désigne la confirmation en forme authentique de ce qui a été fait ou promis et, par métonymie, le document contenant cette confirmation (v. 1680). Il s'est spécialisé en droit diplomatique pour désigner l'acte par lequel une puissance contractante décide d'appliquer un traité international (1875), d'où échange, dépôt de ratification (XXe s.).
■  Par changement de suffixe, il a produit RATIFICATEUR, TRICE n. et adj. qui désigne (1636) et qualifie (1791) une personne approbatrice, avant de se dire de celui ou ce qui est favorable à la ratification d'un traité.
RATINE n. f. est la modification par changement de genre (1593), probablement d'après d'autres noms de tissus (mousseline, crépine), du masculin rastin « étoffe de laine croisée dont le poil est tiré en dehors et frisé pour former comme des petits grains » (1260). Rastin est dérivé de l'ancien verbe raster, rater « racler, raturer » (→ ratisser).
❏  Les quelques dérivés sont des termes techniques relatifs au traitement du tissu permettant d'obtenir la ratine : RATINER v. tr. (1765) d'où RATINAGE n. m. (1812) et RATINEUSE n. f. (1869), nom de machine.
RATING n. m., anglicisme, est pris (1960) à l'anglais, où le mot est le participe présent substantivé de to rate « évaluer », de la famille du latin ratio (→ raison), spécialisé pour divers usages. Un premier emprunt concerne l'indice permettant de classer les yachts, en navigation de plaisance. Un second, probablement pris à l'anglais des États-Unis, s'applique à l'indice de solvabilité des entreprises.
RATIO → RAISON
RATIOCINER v. intr. est emprunté (1546, Rabelais) au latin ratiocinari « calculer », au figuré « raisonner », dérivé de ratio dans son double sens de « calcul » et de « raison, raisonnement » (→ raison).
❏  Ce verbe didactique signifie dès le XVIe s. « exercer la faculté de raisonner ». Furetière (1690) le qualifie de « terme logique » seulement en usage « dans le domestique ». ◆  Il a cessé d'être employé au XVIIIe s. et a été repris (1907) avec sa valeur péjorative actuelle « raisonner d'une manière subtile et pédante ».
❏  RATIOCINATION n. f., emprunté (1495) au latin ratiocinatio, de ratiocinatum, supin de ratiocinari, a suivi la même évolution que le verbe : autrefois employé didactiquement pour « exercice de la faculté de raisonner », sens disparu au XVIIIe s., il a été repris pour désigner une argumentation vaine exagérément subtile.
■  RATIOCINAGE n. m. (1936) et RATIOCINEMENT n. m. (1938), dérivés rares de ratiociner, sont quasi synonymes de ratiocination.
■  Quant à RATIOCINATEUR n. m. (1549), emprunté au dérivé latin ratiocinator « calculateur », pour « celui qui se laisse guider par la raison », il a été épisodiquement employé comme terme d'histoire antique pour désigner l'esclave ou l'affranchi qui tenait les comptes d'un maître (1842), avant de prendre le sens péjoratif de « personne qui ratiocine ».
■  En ce sens, il subit la concurrence du dérivé moderne RATIOCINEUR, EUSE adj. et n. (1929). Tous les mots de la série sont rares.
RATION n. f. est le doublet savant de raison*, par emprunt (fin XIIIe s.) au latin ratio qui, à partir du sens de « calcul, somme, compte », avait développé à basse époque et au moyen âge les sens métonymiques de « bien matériel, ce que l'on possède » (v. 615), en droit, « part d'un copossesseur dans une possession en indivis » (v. 796), « fraction, part » (v. 792) et « procuration d'aliments » (v. 850).
❏  Le mot a désigné en ancien français la partie de la solde d'un militaire qui est mise en réserve en commun (fin XIIIe s.) et, écrit racion, une prébende, un bénéfice ecclésiastique (1376).
■  Son usage moderne remonte au XVIIe s. : ration a commencé par se dire de la quantité de pain, de biscuit, de viande, de vin donnée quotidiennement aux marins (1643) et, par analogie, de la portion de vivres distribuée à chaque soldat (1671). Puis, son usage s'est élargi à la portion de nourriture revenant à un homme ou à un animal (1810), en élevage à la quantité normale d'aliments consommée quotidiennement par un animal (1869), spécialement dans ration d'entretien, ration de production (1860). ◆  En français d'Afrique, le mot s'est spécialisé et étendu à « somme d'argent nécessaire à l'achat de la nourriture quotidienne », synonyme de dépense. Ration du jour, du mois, etc., se dit des provisions nécessaires à la nourriture d'une famille pour une période donnée. ◆  En français de l'île Maurice, la carte de ration permet d'obtenir le riz de ration, à un prix subventionné par l'État.
■  Par extension, ration désigne au figuré, et souvent avec une valeur ironique, tout ce que qqn reçoit en fait de peines, d'épreuves (1822), Cf. part ; avoir sa ration de indique en outre la satiété (1836, j'ai ma petite ration).
❏  Le dérivé RATIONNAIRE n. m. (1777) désigne, en termes administratifs, celui qui bénéficie d'une ration.
■  RATIONNER v. tr., verbe révolutionnaire (24 avril 1795, Journal de Paris), signifie « déterminer la ration que chacun recevra », et par extension « soumettre (une population, qqn) à une mesure de distribution de rations limitées » (1869). Il est également pronominal (1868).
■  Du verbe est issu RATIONNEMENT n. m. (1870) de sens actif pour « action de rationner » et, par métonymie, « ensemble de rations ». Le verbe et son dérivé ont connu une fréquence accrue dans chaque période de difficultés alimentaires : le premier, on vient de le voir, apparaît pendant la Révolution, le second pendant le siège de Paris, les deux furent usuels de 1940 à 1945 (tickets de rationnement, etc.), tout comme ration, qui évoque aujourd'hui encore la privation.
1 RATIONAL n. m. est un emprunt ancien (écrit rationale, XIIIe s. ; rational fin XIVe s.) au latin biblique rationale, dérivé de ratio (→ raison, rationnel) pour traduire le grec biblique logeion, dérivé de logos (rendu par ratio), lui-même ayant servi à traduire l'hébreu hâshên. L'objet désigné est la pièce d'étoffe ornée de pierreries portée par le grand prêtre des Hébreux sur la poitrine (un pectoral).
2 RATIONAL n. m. reprend une expression où le mot est adjectif, Livre rational, calque du latin liber rationalis « livre de raison », titre de la somme liturgique de Durand de Mende (1286), traduit en français par Racional de divers offices (1372). Ce nom, un rational, s'est appliqué aux recueils de liturgie catholique. C'est la forme latinisante qui correspond à rationnel*.
RATIONNEL, ELLE adj. et n. m., d'abord rationel (v. 1120) et rational (1483) avant de s'écrire avec deux n (XVIIe s.), est emprunté au latin impérial rationalis « doué de raison », « où l'on emploie le raisonnement » et « fondé sur la raison » (voir 2 rational), du latin classique ratio (→ raison, ration). Ration ayant abouti à un autre sémantisme, rationnel est l'adjectif de raison, à côté de raisonnable.
❏  L'adjectif qualifie d'abord une âme douée de raison et, par extension, un être vivant doué de raison (XVIe s.), sens qu'il partageait avec rationable avant de le céder à raisonnable (→ raison). Livre rationel, latinisme, comme livre de raison*, désignait un livre de compte et, substantivé, celui qui tient les comptes (1483), d'après un des sens de ratio, « compte, calcul ».
■  L'usage moderne de l'adjectif s'est établi au XVIe s. : rationnel s'applique à une personne qui emploie le raisonnement (1546) et, en mathématiques, à une expression ne comportant aucun radical (1549), sens développé en algèbre (XVIIe s.). Au XIXe s., on qualifie de rationnelle une fraction dont les deux termes sont des polynômes entiers (1875). ◆  Au XVIe et au XVIIe s., rationnel se dit aussi d'un médecin non empirique, travaillant par le raisonnement (v. 1560, Paré).
■  Avec une valeur générale, il signifie généralement « qui relève de la raison » (1691), par opposition à ce qui relève de l'expérience, par exemple dans mécanique rationnelle (XVIIIe s.). Il s'est étendu à ce qui est fondé sur une méthode scientifique par des calculs ou des raisonnements (1835), tout en se répandant dans l'usage courant au sens de « conforme à la logique, au bon sens » (1836) et, pour une personne, « qui raisonne logiquement » (déb. XIXe s.). Dans cet emploi, il est souvent construit en phrase négative, tout comme logique (c'est pas rationnel).
❏  RATIONNELLEMENT adv. (1802) est didactique et usuel, avec la valeur de « logiquement » ; ANTIRATIONNEL, ELLE adj. (1866), seulement didactique.
■  RATIONALITÉ n. f., dérivé savamment du latin rationalis sous la forme racionalité « activité rationnelle » (fin XIIIe s.), a été reformé tardivement avec le sens didactique actuel de « caractère de ce qui est rationnel » (1836) en philosophie.
■  RATIONALISTE adj. et n. est aussi un dérivé savant de la forme latine de l'adjectif, comme terme de médecine pour désigner un médecin qui suit un raisonnement (1539), par opposition à empirique. Il a été recréé (1718) en philosophie, peut-être sous l'influence de l'anglais rationalist (1626 en ce sens) ; dès 1692, ce sens existe en latin scientifique moderne rationalista (P. Poiret). L'adjectif qualifie un penseur, une théorie qui prétend ne s'appuyer que sur la raison, avec une valeur proche d'antireligieux dans la seconde moitié du XIXe siècle.
■  On a formé sur ce mot l'antonyme ANTIRATIONALISTE adj. et n. (1842).
■  RATIONALISME n. m., formé sur le latin rationalis (1803) d'après rationaliste, désigne la doctrine philosophique selon laquelle tout ce qui existe a sa raison d'être et peut être considéré comme intelligible, puis la position selon laquelle toute connaissance certaine vient de la raison. Par extension, il développe au cours du XIXe s. le sens de « croyance, confiance à la raison », avec des spécialisations en art, en théologie et en psychiatrie pour des raisonnements logiques poussés jusqu'à l'absurde (rationalisme morbide chez Minkowski). Comme rationaliste, le mot a pris dans la seconde moitié du XIXe s. la valeur spéciale de « croyance en la seule raison humaine » s'opposant à toutes les attitudes religieuses, notamment théistes (rationalisme athée ; union rationaliste).
■  En est tiré ANTIRATIONALISME n. m., enregistré par le dictionnaire de l'Académie en 1838.
RATIONALISER v. tr., autre dérivé savant de rationalis, est attesté en 1826, au participe passé rationalisé, puis en 1839, et repris à la fin du XIXe s. (v. 1890, Renan) au sens de « rendre rationnel, conforme à la raison ». Par extension, le verbe s'applique au domaine de l'organisation du travail, de la production (1907). En psychanalyse et psychologie, il a le sens de « justifier (une conduite) par des motifs rationnels » (1946 dans les dictionnaires généraux, mais antérieur, si l'on en juge par rationalisation), d'après l'anglais.
■  Il a pour dérivé RATIONALISATION n. f., attesté une fois en 1842 et de nouveau au XXe s. pour « action de rationaliser » (1907), spécialement en économie pour « organisation d'une activité économique selon des principes rationnels d'efficacité » (1927). Il est passé en psychanalyse (1912), probablement d'après l'anglais, où ce sens, « justification consciente et rationnelle d'une conduite déterminée par des motivations inconscientes », est introduit par Jones en 1908.
IRRATIONNEL, ELLE adj. est emprunté (v. 1370) au bas latin irrationalis « dépourvu de raison, où la raison n'intervient pas », formé sur rationalis à l'aide du préfixe privatif in-.
■  Le mot, introduit par les philosophes, est dans tous ses emplois le strict antonyme de rationnel : il qualifie d'abord la personne ou l'entité qui n'est pas douée de raison. Passé en mathématiques en même temps que rationnel (1549, proportion irrationnelle), il indique qu'une réalité, en particulier un nombre (1685), une racine, une équation, n'a pas de rapport mesurable, calculable avec l'unité de mesure fondamentale.
■  Il se répand au XIXe s. en parlant d'une personne, d'un comportement qui n'est pas conforme au bon sens, à la logique (1836). Il est substantivé avec une valeur de neutre (1866).
■  On en a dérivé IRRATIONNELLEMENT adv. (1835-1842, A. Comte) et IRRATIONALITÉ n. f., apparu en mathématiques (1812) et employé aussi dans l'acception philosophique et générale correspondant à l'adjectif (1839, A. Comte).
■  IRRATIONALISME n. m. (1828) et IRRATIONALISTE adj. et n. (1922) sont postérieurs à leurs équivalents anglais irrationalism (1811) et irrationalist (1836) dont ils ont subi l'influence.
RATISSER v. tr. est dérivé (XIVe s.), après une forme rastiz attestée au XIIIe s. : gastel [gâteau] rastiz « gâteau fait avec des raclures de pâte », de l'ancien verbe raster, rater « racler », « peler » et « ratisser », aussi « raturer », en usage aux XIVe et XVe s., peut-être même dès le XIIIe s. au sens de « racler » comme l'atteste indirectement le dérivé raston, raton, nom d'une pâtisserie (XIIIe s., en picard). Ce verbe raster, rater représenterait le latin impérial rasitare « raser souvent », fréquentatif de radere (→ raser, râteau), formé d'après le supin rasum, à moins qu'il ne soit une formation régressive à partir de rature*, ce qui soulèverait un problème chronologique pour le sens de « biffer », attesté bien avant le sens correspondant pour rature.
❏  Ratisser a d'abord signifié « ôter en raclant la surface de (qqch.), racler légèrement ». Sous l'influence de râteau*, et senti depuis lors comme une sorte de dérivé irrégulier de ce nom, il a pris le sens de « nettoyer ou égaliser (la terre, le sol) à l'aide d'un râteau » (1679).
■  D'où des extensions en argot : « voler, rafler » (1867), familièrement : « soutirer tout son argent à (qqn) » (1879), notamment dans se faire ratisser « perdre son enjeu » (1867), et transitivement « ramasser (les enjeux) avec le râteau de croupier » par remotivation (1932).
■  Au XXe s., le verbe s'emploie en sports dans l'expression ratisser le ballon, dite du talonneur qui s'empare du ballon de rugby en se servant de ses pieds (1931). Il a aussi développé le sens de « fouiller (un terrain), comme au râteau ou au peigne fin », d'abord dans un contexte militaire (déb. XXe s.) puis en général (v. 1955), avec une valeur proche de « ramasser », par exemple dans ratisser large « chercher dans toutes les directions ».
❏  Le dérivé RATISSEUR, EUSE adj. et n. (1530) a désigné un instrument servant à râper et une personne raturant le papier (1532), avant de prendre le sens de « personne qui ratisse » (1538, plaisamment, en parlant du barbier), enregistré comme adjectif en 1910.
■  RATISSOIRE n. f. (1517), après un type ratissouer « canif servant à enlever les lettres » (1530), a désigné un instrument pour racler avant de prendre le sens moderne d'« instrument pour râtisser » (1680), un moment concurrencé par RATISSOIR n. m. (1765, Encyclopédie).
■  RATISSAGE n. m. est apparu plus tard (1765) au sens d'« action de ratisser » ; d'après le verbe, il a pris le sens de « fouille complètement d'un lieu » (XXe s.), d'abord en contexte militaire (1932, tir de ratissage ; 1952, opération de ratissage).
■  RATISSETTE n. f., nom technique d'un outil de briquetier servant à rassembler la terre (1803), semble archaïque.
❏ voir RATIBOISER.