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Le mot est emprunté avec une valeur figurée très générale : « prescription d'ordre moral, intellectuel ou pratique s'appliquant à la conduite ». Au
XVIIe s., il a pris le sens plus restreint de « prescription fondée sur l'usage, les conditions, et à laquelle il convient de se conformer dans certaines circonstances » (av. 1662), servant à former des locutions :
dans les règles (1688, Racine),
en règle (1740),
de règle (v. 1780),
pour la bonne règle (1935).
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Dès le XVIe s., une restriction d'une autre nature le fait appliquer à une prescription qu'il convient de suivre dans l'étude d'une science, d'une technique, d'un métier (1538) ; de ce sens procède l'emploi du mot en art et en littérature (1660, règles classiques), ainsi qu'en grammaire (1690). Le même sens est réalisé dans il y a des exceptions à la règle (av. 1662), devenu il n'y a pas de règle sans exception (1870) et l'exception confirme la règle (1870).
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Au XVIe s., le mot se spécialise en mathématiques (1520, règle de trois), entrant dans l'expression les quatre règles (1690) « les quatre opérations fondamentales de l'arithmétique ».
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Il s'emploie surtout au pluriel pour l'ensemble des conventions propres à un jeu (1538), donnant au figuré l'expression la règle du jeu (1921).
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Dès le moyen français, il s'emploie dans un contexte général, au sens de « ce qui se passe, ce qui se produit ordinairement quand certaines circonstances sont réunies » (1458), dans les locutions c'est la règle (1707), en règle générale (déb. XXe s.).
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Le mot a reçu une acception spéciale dans le cadre de la vie domestique, en relation avec régulier, désignant l'ensemble des préceptes qui la régissent (XIVe s.) d'où, au figuré, la locution vivre selon la règle (av. 1951, Gide). Son sens, comme celui de loi, passe au XVIIe s. de l'idée d'obligation sociale à celle de « loi naturelle et scientifique » (av. 1650, Descartes) et de « régularité » (1671, Mme de Sévigné).
L'acception de « menstrues » que reçut le pluriel règles (1690) relève, comme les emplois précédents, de l'idée de régularité : « ce qui se produit à intervalles réguliers » ; cette valeur du mot s'est détachée sémantiquement des autres emplois.
Le sens concret de
règle est emprunté au latin (1317) ; en procèdent de nombreux emplois pour désigner des instruments scientifiques :
règle à calcul (1842),
règle logarithmique (1842),
règle graduée (1893),
règle d'appareil (1904).
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Dans le langage technique moderne, le mot désigne une planchette épaisse dont le maçon se sert pour lisser une surface cimentée (1904), un instrument de plâtrier (1904, règle à manchette), d'ajusteur-mécanicien ou de vérificateur (1932), et l'organe de la machine à papier qui délimite l'épaisseur de la feuille (1964).
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RÉGLETTE n. f., diminutif d'abord appliqué à la petite aiguille d'un cadran (1415), désigne une petite règle, notamment en typographie au plomb, pour assembler les caractères (attesté en 1680).
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Le dérivé le plus important est RÉGLER v. tr. (1278), apparu avec le sens figuré de « gouverner (qqn) » et, simultanément, le sens concret de « marquer (le papier) de droites tracées à la règle, puis imprimées » (1288). Le verbe a suivi un développement parallèle à celui de règle, les sens figurés étant aujourd'hui largement dominants. L'acception de « gouverner », aussi à la forme pronominale (déb. XIVe s., se rieugler « se gouverner »), est sortie d'usage au XIXe siècle.
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Le sens de « soumettre à des règles, contrôler, discipliner ses actions, ses pensées, ses sentiments » (v. 1350) est aujourd'hui littéraire ou archaïque, y compris avec la nuance de « soumettre à la mesure, modérer » (1640), qui était courante au XVIIe siècle.
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L'emploi pour « diriger en tant que règle ou principe » (1538), avec un sujet désignant une chose abstraite, s'est conservé dans l'usage littéraire, tandis que celui pour « servir de modèle, d'exemple » (av. 1742), qui procède du précédent, a disparu.
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Le sémantisme du verbe s'enrichit au XVIIe s. : régler sa conduite sur « agir en conformité avec qqn ou qqch. » (1640), au pronominal réfléchi se régler sur qqn (1640), sur qqch. (1644), idée qui était exprimée par se régler par qqn (v. 1460) et régler à qqn, à qqch. (fin XVIe s. et encore au XVIIe s.). Du sens de « fixer dans les détails, décider » (1629), on passe, avec un sujet désignant la chose qui règle, à « rendre (un processus) régulier, soumettre (qqch.) à un ordre, à un rythme » (av. 1854).
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Régler correspond aussi à « résoudre, trancher (une question délicate ou compliquée) » (1654) et se régler a signifié « se décider » (1662), sens sorti d'usage comme l'emploi transitif pour « mettre en ordre » (1685), « remettre d'accord (les gens) » (1679).
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En comptabilité, le verbe correspond à « arrêter (un compte) après la dernière opération effectuée et acquitter le solde » (1690), aussi en emploi absolu (XXe s.) ; par métonymie, régler qqn signifie « payer (la personne à laquelle on doit qqch.) » (1851) et régler une somme à qqn « lui payer son dû ». De ce sens devenu courant procède l'emploi familier dans la locution figurée régler le compte de qqn (1851), devenue régler son compte à qqn (1935) et avoir un compte, des comptes à régler avec qqn (1964). De là l'emploi argotique de régler (qqn) « tuer ; battre », au XIXe siècle.
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L'emploi de régler dans le domaine technique, au sens de « mettre (un mécanisme, un appareil, une machine) en bon état de fonctionnement » (1688) est lui aussi devenu usuel. Par extension, régler se dit pour « assurer (une opération) dans les conditions d'exécution voulue » (1826). Au XXe s. apparaissent des spécialisations (1904, régler des chronomètres), notamment en parlant d'un moteur.
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Régler a servi à former de nombreux dérivés.
RÉGLOIR n. m., créé au
XIIIe s. sous la forme
rigloir, désigne d'abord un instrument servant à régler le papier ; il a été repris (1723) avec une valeur technique.
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RÉGLÉ, ÉE, le participe passé de régler, adjectivé sous la forme riglé (1373) puis reiglé (fin XVe s.), enfin réglé (1559), possède les valeurs figurées de « qui a une vie méthodique, organisée », « qui est soumis à des règles, des principes » et « qui est dirigé dans le respect de certains principes » (1690).
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Les médecins du XVIe s. l'appliquent à une femme qui a ses menstrues, dans la locution bien réglée de ses mois (v. 1560, Paré), puis en emploi absolu (1658) ou précisé par un adverbe (1718).
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Au XVIIe s., réglé est attesté au sens concret de « qui porte des lignes droites », en parlant d'un papier (1640) d'où réglé comme du papier à musique (1640) « organisé de manière méticuleuse ».
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Au figuré, à l'idée de soumission à une règle sociale s'ajoute celle d'organisation dans « assujetti à un ordre régulier », d'abord en parlant de troupes (1654), puis celle de régularité, comme pour le sens de « menstrue », à propos d'une fièvre aux accès réguliers (1690). Il s'applique aussi à une affaire décidée, tranchée (1686). Dans le domaine technique, réglé se dit d'un appareil mis au point, soumis à un réglage (av. 1747). En mathématiques, surface réglée s'applique à une surface engendrée par une droite mobile dépendant d'un paramètre (1875).
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En moyen français, réglé a produit un adverbe en -ment, d'abord écrit regleement (fin XIVe s.) puis reiglément (v. 1550), reglement et enfin réglément (1631). Probablement gêné par la ressemblance avec règlement n. m., cet adverbe est sorti d'usage après le XVIIe siècle. Il signifiait « conformément à la règle, à la discipline » (fin XVe s.) ; quelques emplois au sens de « périodiquement, régulièrement » (v. 1550) se rencontrent encore dans un style très littéraire.
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RÉGLAGE n. m. (1508) sert de nom d'action à régler, d'abord pour le fait de régler du papier. Rare avant le XIXe s. (1832), il a pris plusieurs valeurs techniques, désignant la façon de régler un mécanisme (1870), par métonymie les différents organes d'un émetteur ou d'un récepteur chargés d'établir une relation correcte (1932), et en armement l'ensemble des opérations ayant pour fin d'amener sur un objectif le point moyen du tir d'une pièce (1904). D'autres spécialisations techniques sont apparues au XXe siècle.
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RÉGLEUR, EUSE n. correspond à réglage et désigne l'ouvrier chargé de régler les feuillets d'un livre (1527). Ce sens, comme celui de « personne réglant le papier en feuilles à la machine » (1704), a disparu.
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De nos jours, le mot désigne la personne assurant le réglage de certains instruments et appareils (1877) et, dans l'industrie mécanique, l'ouvrier chargé de régler l'outillage sur les machines (1932). S'appliquant à des machines, le féminin RÉGLEUSE n. f. sert à dénommer une machine à régler le papier en feuilles (1852).
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RÈGLEMENT n. m., d'abord
reglemens (1465),
reiglement (1538) avant
règlement (1611), désigne une décision législative faisant autorité et, spécialement, dans le régime parlementaire (après 1871), un acte législatif de portée générale, émané d'une autorité autre que le parlement pour légiférer sur des matières non réglées par la loi.
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Par extension du premier sens, règlement s'applique à l'ensemble des dispositions auxquelles doivent se conformer les membres d'une collectivité, en général (av. 1648). Par métonymie, il désigne concrètement l'imprimé donnant ces dispositions servant à former les noms de décrets particuliers, comme Règlement d'Administration publique (1836).
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Il s'est spécialisé pour l'ensemble des prescriptions concernant les actes militaires (1835), désignant particulièrement une disposition réglementaire (1834).
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Son emploi comme nom d'action de régler remonte au début du XVIIe s. : « action de soumettre à une discipline morale, intellectuelle ou pratique » (av. 1605), sens disparu. C'est aussi au XVIIe s. que le mot désigne le fait de soumettre une chose à un ordre déterminé, de fixer ce qui doit l'être dans tel ou tel domaine (av. 1648), sens dont sortirent plusieurs emplois normatifs en droit (dès 1585, le règlement de plaidoirie). Ultérieurement, il s'étend au fait de régler une question (1835), de payer une dette ou un dû (1824), entrant avec ce dernier sens dans la locution figurée règlement de comptes (1832 ; répandu mil. XXe s.) « acte d'hostilité punitive » et dans des formules commerciales (en votre aimable règlement).
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De règlement sont tirés RÉGLEMENTER v. tr. (1768), employé avec ou sans complément (1840), et RÉGLEMENTAIRE adj. (1768) « qui multiplie à l'excès les règlements », sens disparu, puis « qui concerne les règlements » (1780).
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Du verbe sont dérivés RÉGLEMENTATION n. f. (1845) « action de réglementer » et, par métonymie, « ensemble des mesures qui régissent une question » (1875), et RÉGLEMENTATEUR, TRICE adj. et n. (av. 1865) qui élimina la forme non savante réglementeur (1775, Condorcet).
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L'adjectif réglementaire a servi à former RÉGLEMENTAIREMENT adv. (1845) ainsi que RÉGLEMENTARISME n. m. (1870) et RÉGLEMENTARISTE adj. et n. (1925), souvent assortis d'une connotation péjorative signalant l'abus de réglementation.
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De réglementer vient le préfixe antonyme DÉRÉGLEMENTER v. tr. (v. 1980) et, de réglementation ou de ce verbe, DÉRÉGLEMENTATION n. f. (v. 1980).
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RÉGLURE n. f. (1549) concerne l'opération de réglage du papier et, par métonymie, son résultat (1643).
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Enfin l'adjectif RÉGLABLE (1842) est d'usage technique et courant.
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DÉRÉGLER v. tr., d'abord
desreigler (v. 1280), a éliminé la forme populaire
desrieuller (
XIIIe s.),
derieuler, desrieler au cours du
XVIe s. et pris sa forme actuelle,
dérégler (1636). Le verbe signifie « mettre en désordre, bouleverser, déranger » au propre, et au figuré « troubler l'ordre moral, la discipline de » (1690).
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Le dérivé DÉRÈGLEMENT n. m., d'abord desriglement (1458) et desreiglement (1538), avec la graphie moderne au XVIIe s., a eu comme le verbe et son participe passé le sens figuré de « désordre dans la conduite morale, le savoir-vivre » (XVIe s.), devenu archaïque au profit d'autres valeurs métaphoriques (Rimbaud : le dérèglement de tous les sens).
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DÉRÉGLÉ, ÉE, participe passé adjectivé (XVIIe s.), a donné l'adverbe DÉRÉGLÉMENT (1835) quasiment inusité ; DÉRÉGLAGE n. m. (1956) constitue un nom d'action à valeur dynamique, à côté de dérèglement.
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Régler a un autre préfixé : PRÉRÉGLER v. tr. (v. 1960) correspond à « régler avant un réglage définitif » ; il est surtout employé au participe passé adjectivé PRÉRÉGLÉ, ÉE, surtout en électronique (circuit, émetteur... préréglé). PRÉRÉGLAGE n. m. et PRÉRÉGLABLE adj. s'appliquent surtout à un récepteur radio, par un système d'accord (tuner) préalable (voir présélection, à sélection).
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Outre le groupe important formé par
régler et ses dérivés,
règle a servi à former deux noms concrets par suffixation diminutive.
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RÉGLET n. m. (1370) « petite règle à l'usage des écoliers », s'est maintenu dans des spécialisations techniques, en charpenterie (1530), en imprimerie (1635) et en architecture (1688).
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Le féminin RÉGLETTE n. f., après avoir désigné, sous la forme reglete (1415) l'aiguille d'un cadran, a reçu sa forme actuelle (1680) au sens de « petite règle plate utilisée dans l'imprimerie ». Il désigne aussi une règle à quatre faces égales (1845) et une petite règle utilisée en topographie et en balistique (1904, réglette de direction).