RÉGIMENT n. m., réfection (1314, regiment) de regement (1250), écrit au XVIe s. avec l'accent régiment (1553), est emprunté au bas latin regimentum « direction (au propre et au figuré) », doublet du latin impérial regimen (→ régime).
❏  Du XIIIe au XVIe s., le mot a désigné le gouvernement, le règlement, la direction, l'administration en général (Cf. régime) et, par métonymie, le bâton de chef de justice. Il se disait aussi de la façon de se comporter, de la conduite (XIVe s.), et spécialement en médecine, comme régime, d'un traitement, d'un soin.
■  Tous ces sens sont devenus caducs et ont été assumés par régime lorsque le mot a repris (1553) à l'allemand Regiment (1546), de même origine, le sens de « corps militaire composé de plusieurs bataillons ou escadrons ». À partir de ce sens militaire, toujours usuel avec une définition précisée selon l'organisation de l'armée, le mot a développé le sens familier de « grand nombre indéterminé » (1623). Dans le contexte militaire, il a pris par extension, au pluriel, le sens d'« armée » (1758).
❏  Régiment a servi à former sous la Révolution RÉGIMENTAIRE adj. (1791) « qui a rapport au régiment », spécialement au XXe s. dans l'expression unités régimentaires.
Le dérivé verbal préfixé ENRÉGIMENTER v. tr. (1722) s'emploie proprement pour « incorporer dans un régiment » et, au figuré, avec une valeur familière pour « faire entrer (qqn) dans une partie, une coterie » (1864) avec la même valeur que embrigader.
■  À son tour, il a produit les dérivés ENRÉGIMENTATION n. f. (1870) et ENRÉGIMENTEMENT n. m. (1866) assez rares.
■  Le dérivé verbal simple RÉGIMENTER v. tr. (1771) « former en régiment, mettre en régiment » ne s'est pas répandu.
REGINGLARD → GINGUET
RÉGION n. f. est emprunté (fin XIe s.) au latin regio, -onis « direction », « ligne, limite », aussi « zone, territoire, pays », en particulier « quartier d'une ville » et, au figuré, « domaine ». C'est un dérivé de regere « diriger » (→ régir). L'ancien français a eu un type populaire reiun (v. 1119), reon (v. 1220), roion (XIIe-XIIIe s.), reion (1334), roon (1334) qui correspond à l'italien rione « quartier (d'une ville) » et que région a évincé.
❏  Le mot a d'abord le sens large du latin regio « pays, contrée », encore vivant au XVIe siècle. Avec une restriction progressive, il a développé le sens de « zone qui s'étend autour d'une ville, d'un lieu » (XIIe s.). Puis l'idée dominante est celle d'une étendue de territoire dont l'unité est due à la similitude de ses caractères physiques ou à l'origine commune des populations qui y vivent (v. 1380), le critère étant parfois précisé (1824, régions naturelles ; 1904, régions géographiques). Depuis le XVIe s., le mot se définit également selon des critères économiques et administratifs (1559), variant historiquement et géographiquement, selon l'organisation de chaque pays francophone (voir ci-dessous). Cumulant les deux types de critère, région désigne une entité assez vaste, à l'intérieur d'un pays, d'un ensemble de pays, d'un continent. La région française traditionnelle est fondée sur l'histoire, et se subdivise en pays caractérisés par un toponyme. Ainsi, en France, le mot se précise au XIXe s. (Cf. régional, 1848) ; au XXe s., il s'applique aussi aux vingt-cinq divisions territoriales de la S. N. C. F. qui ont remplacé en 1971 les six divisions des anciens réseaux. ◆  Le mot désigne en particulier l'établissement public organisé par la loi du 5 juillet 1972 disposant de ses ressources propres, d'une assemblée à rôle consultatif et d'une assemblée délibérative. Le critère de découpage est précisé dans région économique, région de défense (1964), région de programme (1975). Ces termes sont propres au français de France. ◆  Dans le domaine institutionnel, région s'emploie en Afrique, dans plusieurs États, le Sénégal, le Mali, le Congo. Au Québec, la province est divisée en régions administratives.
En Belgique, le pays est divisé (indépendamment des trois communautés) en trois Régions (écrit avec majuscule), entités politiques et administratives de la Belgique fédérale : la Région wallonne, de langue française, la Région flamande, de langue flamande (variété de néerlandais), la Région de Bruxelles capitale, bilingue. ◆  L'adjectif régional prend les différentes valeurs qu'a le mot région, selon les pays. ◆  Région et régional ont pris des acceptions nouvelles dans le vocabulaire du droit international et de la politique, à propos d'entités territoriales dépendant d'un État, à l'intérieur d'une entité fédérale ou multinationale, comme l'Union européenne (voir régional, ci-dessous).
■  À partir du XVe s., région s'applique aussi à une portion d'espace, de surface ou de volume délimitée et, en médecine, à une partie du corps plus ou moins arbitrairement délimitée (v. 1478). Abstraitement, dans la continuité d'anciens emplois métaphoriques du sens de « pays » (XIIIe s.), le mot désigne le champ où s'exerce une autorité, une influence (av. 1654). En astrologie et astronomie, il s'emploie pour une zone du ciel (1636). Au XXe s. il prend des valeurs spécialisées en mathématiques pour désigner une partie d'un plan limité par des droites ou des courbes (1904), en anatomie végétale un massif de cellules séparé par des limites très nettes (1932) et, en aviation, une zone déterminée de l'espace aérien (1964, région de navigation, d'information, de vol).
❏  Région a produit RÉGIONAL, ALE, AUX adj. (1478) « qui appartient, se rapporte à une région », mot semble-t-il employé dans un contexte anatomique, peu attesté après le milieu du XVIe s. ◆  Il a été repris au XIXe s., avec la spécialisation de « qui se rapporte à une région administrative » (3 octobre 1848, Bulletin des lois). Dans le langage administratif français du milieu du XXe s., il entre dans des désignations comme Commission de développement économique régional, abrégée en C. O. D. E. R. (1955) et Société de développement régional, abrégée en S. D. R. Au XXe s., régional s'emploie pour qualifier une division territoriale inférieure au pays, dans quelque domaine que ce soit (économique, linguistique...).
■  Ce n'est que vers le milieu du XXe s. que l'adjectif prend les valeurs figurées de région, notamment « qui se rapporte à un domaine particulier d'une discipline » (1949 en philosophie, Ricœur). ◆  Sur le plan territorial, il qualifie aussi ce qui groupe plusieurs nations voisines dans le vocabulaire des institutions internationales (1956) par opposition à mondial. ◆  L'adjectif régional, sur le plan institutionnel, prend plusieurs valeurs selon le sens de région dans divers pays, comme en francophonie africaine, le Sénégal, le Mali, le Congo, au Québec, selon les régions administratives, en Belgique, avec un contenu politique (un parlement, un gouvernement). ◆  Sur le plan linguistique et culturel, régional (et région) ne coïncide pas toujours avec cette valeur politique. Il s'oppose cependant toujours à national et l'expression français (ou usage, parler, mot...) régional s'applique à tout ce qui caractérise une partie d'un territoire (francophone, sauf précision) donné. Les usages nationaux du français sont ainsi subdivisés en français régionaux de France, de Suisse (pouvant être ou non cantonal), de Belgique (du Hainaut, de Liège, etc.), du Luxembourg, du Canada, du Québec (par exemple, de Montréal, du lac Saint-Jean, de Gaspésie...), des Caraïbes (Guadeloupe, Martinique, Guyane), de l'océan Indien (Réunion, Maurice, Madagascar...), de Polynésie, etc. Bien entendu, l'adjectif s'applique aussi à toute subdivision linguistique et culturelle perçue dans d'autres langues et zones du monde (l'anglais régional d'Écosse, l'arabe régional du Maroc, etc.). ◆  Dans un tout autre domaine, train régional s'est dit en français de Suisse (pour omnibus) de 1886 à 1911, et a été repris dans les années 1980 par les chemins de fer suisses (il s'oppose à accéléré et direct). ◆  Régional est substantivé dans de rares emplois elliptiques, en sports pour un coureur ne disputant que des épreuves régionales (1927) et, autrefois, pour le réseau téléphonique régional (1949, Larousse). En cyclisme, le mot s'applique aussi au coureur d'une région disputant une épreuve nationale, en l'espèce le Tour de France. Il a donné lieu à l'expression le régional de l'étape, le coureur qui représente la région où se termine une étape, et qui prend à cœur de briller à cette occasion.
■  Le dérivé RÉGIONALISME n. m. est attesté en 1875 dans le Journal des débats (6 octobre) pour désigner la doctrine politique et sociale dont le principe est de favoriser, au sein d'une même nation, des groupements régionaux conformes aux divisions imposées par la géographie et l'histoire. De nos jours, il désigne la tendance à conserver les caractères originaux d'une région (1878), sens répandu vers le milieu du XXe s. avec la montée de cette revendication. Il se dit spécialement du caractère d'une œuvre littéraire ou artistique choisissant ses sujets dans une région déterminée. ◆  Sous l'influence d'emplois spécialisés de région, il s'emploie spécialement en linguistique (1922 Collinet et R. Bloch) pour un mot, une locution, un sens, un trait linguistique quelconque propre à une partie géographique de la communauté linguistique, qu'il s'agisse d'une région traditionnelle ou même d'une zone pouvant correspondre à un pays entier.
■  De régionalisme est dérivé RÉGIONALISTE n. et adj. (1906), désignant une personne favorable au régionalisme en politique, spécialement un écrivain, une œuvre puisant son sujet dans une région (1926, Giraudoux). ◆  Sous l'influence de régionalisation, le mot s'emploie pour désigner un partisan d'une forme d'autonomie régionale (1975).
■  Au XXe s., l'adjectif régional a servi à former RÉGIONALEMENT adv. (1902 chez Péguy) et RÉGIONALISER v. tr. (1936) « transférer aux régions une compétence qui appartenait au pouvoir central », également en emploi absolu (1969).
■  Du verbe est dérivé le nom d'action RÉGIONALISATION n. f. (1960), quasi-synonyme de décentralisation, également employé au figuré pour désigner une spécialisation par zone d'activité, dans un style didactique (1967).
RÉGIR v. tr. est l'adaptation (déb. XIIIe s.) d'un emprunt au latin regere « diriger, guider, gouverner » au propre et au figuré, « exercer le pouvoir », de rex, regis (→ roi). Le verbe a changé de conjugaison, évinçant la forme du moyen français reger.
❏  Régir a d'abord le sens de « gouverner, avoir sous son autorité » puis de « gérer, administrer pour son compte ou celui d'autrui » (1466) ; il a disparu dans ces emplois.
■  L'usage actuel remonte au XVIe s. : régir prend alors le sens figuré de « soumettre (qqn, sa conduite) à une direction, à des règles » (v. 1550) ; puis il s'emploie avec un nom d'inanimé pour sujet (règles, principes, lois) au sens de « déterminer (qqn) dans ses actions, (qqch.) dans son évolution » (1580, Montaigne). ◆  En grammaire, il se dit (v. 1530) d'un mot qui détermine la fonction ou la forme grammaticale d'un autre mot. Au XIXe s., en sciences, il signifie « déterminer (un phénomène naturel) dans ses conditions et son développement » (1870, Taine).
❏  RÉGISSANT, ANTE, participe présent de régir, a été adjectivé (fin XVe s.) au sens général de « qui régit, gouverne », sorti d'usage. Sa spécialisation en grammaire pour qualifier un terme qui gouverne la fonction ou la forme grammaticale d'un autre terme est attestée depuis 1775 (Condillac).
Le participe passé de régir a été substantivé au féminin RÉGIE n. f. (déb. XVIe s.) au sens politique général de « gouvernement », puis de « palais, résidence royale », sens directement emprunté au latin regia « résidence royale, cour, basilique », de rex, regis (→ roi). Comme ces deux acceptions, le sens métonymique de « quartier d'une ville dont on a le gouvernement » (1556) a lui aussi disparu, l'usage moderne du mot s'établissant au XVIIe siècle. ◆  Régie commence alors à s'employer, sous l'influence de régir, pour « administration de biens au compte d'autrui, soumise à l'obligation d'une reddition de comptes » (1670). Par spécialisation, le mot désigne le mode de gestion d'une entreprise publique par les fonctionnaires d'une collectivité publique, le type de gestion étant souvent précisé : régie intéressée (1835), régie directe, régie municipale (1936). ◆  Par métonymie, il désigne l'entreprise publique ainsi gérée ; il sert à désigner certaines entreprises nationalisées, bien qu'elles présentent les caractères d'entreprises capitalistes (v. 1945).
■  Au XVIIIe s., le mot était devenu un terme de fiscalité, désignant le système selon lequel l'impôt est assis et recouvré par des fonctionnaires publics, par opposition à d'autres systèmes comme la ferme (1748, Montesquieu) ; par métonymie, il a désigné l'administration chargée de la perception de l'impôt dans ce cadre (1779, Condorcet) puis, par extension, l'administration chargée de percevoir l'impôt, son personnel, ses bureaux, spécialement sous la dénomination régie financière (1936).
■  En comptabilité publique (1936), régie désigne le règlement d'une dépense future au moyen d'une avance. Régie de publicité s'applique à une agence chargée de la vente d'espaces publicitaires aux annonceurs. ◆  Par une autre spécialisation (1840), en relation avec l'emploi de régisseur, il désigne la conduite et l'organisation matérielle d'une représentation théâtrale, puis au XXe s. (1924), d'une production cinématographique, et, spécialement, le travail de mise en scène (1925) [Cf. régisseur], désignant aussi par métonymie le local réservé au régisseur (1958). ◆  Régie (de radiotélévision) s'applique au local technique dans lequel sont réunis les commandes et contrôles permettant de réaliser une émission (attesté 1975), souvent dans l'expression en régie.
L'autre dérivé de régir, RÉGISSEUR, EUSE n., apparaît au XVIIIe s., d'abord avec le sens administratif de « personne qui gère par commission et a charge de rendre compte » (1724), disparu avec l'Ancien Régime. Depuis 1732, le mot s'emploie pour désigner la personne qui administre, gère une propriété, rarement employé au féminin régisseuse. Depuis le XIXe s., il s'emploie comme régie dans l'administration des spectacles, désignant la personne qui organise matériellement une représentation (1831) et, par analogie, dans un studio de cinéma ou de télévision, le tournage (XXe s.). Sous l'influence de l'allemand, il est parfois pris (1912) comme synonyme de metteur en scène, mais cette expression, au cinéma comme au théâtre, a en général évincé régisseur.
■  En droit, il désigne, d'abord employé seul (1845), puis au XXe s. dans régisseur d'avances (1964), l'agent d'une administration qui peut engager de menues dépenses sans avoir à fournir aux comptables de justification immédiate.
❏ voir RÉGENT, RÉGIME, RÉGION.
+ REGISTRE n. m. est l'adaptation (XIIIe s.), sous l'influence d'epistre, ancienne forme d'épître*, de l'ancien français regeste (v. 1155), regestre (v. 1265) « récit, histoire ». Ce mot rare a été repris au XIXe s. (1870, Littré) par les historiens médiévistes pour désigner le répertoire chronologique enregistrant les actes issus des pouvoirs publics ou intervenus entre des particuliers. Il est emprunté au bas latin regesta « répertoire, catalogue », féminin singulier issu du neutre pluriel substantivé de regestus, participe passé passif du verbe regerere « porter en arrière », « porter ailleurs », « reporter », d'où « transcrire, consigner ». Le verbe est formé de re- (→ re-) marquant le mouvement en arrière, et gerere « porter » (→ gérer). La prononciation regître était usuelle au XVIIe s., sous l'influence de la forme moderne d'épître.
❏  Le mot désigne le cahier sur lequel on peut noter des faits, noms et dates pour en garder le souvenir, et spécialement un répertoire contenant des renseignements administratifs, juridiques, comptables, présentés d'une manière déterminée. Des emplois particuliers concernent l'enregistrement des naissances, décès, etc. dans les paroisses (1680) ; après la Révolution apparaissent registre d'état civil (1804), au XXe s. registre d'avoué (1936), registre du commerce, des métiers. ◆  Le mot a eu un sens figuré dans être sur les registres de qqn (1669), tenir registre (1636), avoir sur son registre (1875) « avoir en mémoire ». Par extension, il s'emploie à propos d'un compte rendu, d'un recueil. ◆  Il a développé en informatique le sens de « support d'information en cours de traitement dans un ordinateur » (v. 1965).
Un emprunt direct au latin médiéval registrum campanae, « corde de cloche », explique l'usage du mot en musique pour désigner les commandes d'un orgue que l'on tire ou pousse à la console, ainsi que les réglettes de bois situées sur la partie supérieure du sommier (1559).
■  Par extension de ce sens, registre s'est dit du changement dans l'étendue de la voix d'un chanteur (1835), sens sorti d'usage, et désigne l'étendue de la voix d'un chanteur (1811), l'étendue des sons qu'un instrument peut émettre (1904).
■  D'autres emplois figurés et techniques apparus plus tôt sont indépendants de la musique. Dès 1559, le mot désigne l'étendue des moyens dont qqn dispose dans un certain domaine (d'abord à propos de la parole).
■  En technique, registre désigne (1676) une plaque mobile servant à régler le tirage dans un conduit. En typographie, il correspond, après avoir assumé d'autres acceptions (1496), à la correspondance des lignes d'une page imprimée avec celle de l'autre page du même feuillet (1588). ◆  La même idée de régulation intervient dans la spécialisation du mot en art, à propos de chacun des compartiments entre lesquels est divisée la surface d'un bas-relief, d'une peinture ou la panse d'un vase (1875).
❏  Le dérivé REGISTRER v. tr. (v. 1283) s'employait en ancien français pour « inscrire sur un registre ». Concurrencé par enregistrer (ci-dessous), ce verbe a disparu en dehors d'un emploi technique en droit. Il a été repris au XXe s. en musique en parlant d'une technique d'interprétation d'une œuvre en choisissant les registres (à l'orgue, au clavecin).
■  Le dérivé REGISTRATION n. f. (1435) « enregistrement » a lui aussi disparu. Puis, le mot a été repris au XXe s. comme terme de musique. ◆  En français du Québec, REGISTRAIRE n. se dit de la personne chargée de l'inscription, de l'admission des élèves ou étudiants et de la tenue de leurs dossiers, dans un établissement d'enseignement.
Dès le XIIe s., ENREGISTRER v. tr. est employé pour « inscrire sur un registre », spécialement en droit « transcrire (un acte) sur un registre public ». Par extension, il se dit pour « consigner par écrit » (v. 1360) et, abstraitement, « constater pour se le rappeler ».
■  Ultérieurement, il est appliqué au fait de recueillir des informations sur un support au moyen d'un instrument (1870) et, couramment, de « conserver pour reproduire (le son, l'image) » (XXe s.). Absolument, enregistrer se dit surtout pour « recueillir le son en vue d'une émission de radio ou de la réalisation d'un disque, d'une bande », mais aussi pour « recueillir les images et le son, en télévision ».
■  Son emploi courant à propos de bagages (mil. XXe s.) procède d'une spécialisation du sens ancien d'« inscrire » (moyennant un droit fiscal) [av. 1615]. ◆  Le participe passé ENREGISTRÉ, ÉE est courant comme adjectif dans ces acceptions. L'adjectif s'emploie au Québec là où on dit en France recommandé, à propos du courrier.
■  Le dérivé ENREGISTREMENT n. m. (1310) a suivi le même développement, prenant au XIXe s. le sens élargi d'« action de consigner par écrit » (1863) et, en sciences, « action de stocker sur un support (des informations) » (1870), répandu au XXe s. dans l'usage courant, dans ses applications audiovisuelles, surtout pour le son, par exemple dans studio d'enregistrement.
■  Par métonymie, il désigne le support sur lequel a été effectuée l'opération. Depuis le milieu du XXe s., il désigne l'opération consistant à constater et à inscrire les bagages dont les voyageurs ne conservent pas la garde.
■  ENREGISTRABLE adj. (1580) qualifie ce qui peut être consigné par écrit puis sur un support.
■  ENREGISTRANT, ANTE, participe présent d'enregistrer, est adjectivé avec le sens actif de « qui enregistre » (1898), d'abord dans le langage technique.
■  Le préfixé RÉENREGISTRER v. tr. pour « enregistrer une seconde fois » et son dérivé RÉENREGISTREMENT n. m. sont assez courants dans le domaine de la radio.
■  Un autre préfixé PRÉENREGISTREMENT n. m. (1946) désigne un enregistrement fait avant la diffusion, pour une émission de radio, de télévision (Cf. différé) et un enregistrement sur un support destiné à la vente. PRÉENREGISTRER v. tr. et son participe adjectivé PRÉENREGISTRÉ, ÉE sont attestés plus tard (1969).
+ RÈGLE n. f., d'abord reugle (XIIe s.) puis regle (v. 1265), encore souvent rigle au XIVe s., est l'adaptation savante du latin regula « instrument servant à mettre d'équerre », « étalon permettant de juger, de corriger », « barre, latte ». Le mot est dérivé de regere (→ régir).
■  En français, ce type savant a évincé au XVIe s. les formes populaires reille « barre servant à refermer une porte » (fin XIe s.), riule « prescription d'ordre moral » (v. 1190) et « instrument de forme rectiligne » (v. 1170).
❏  Le mot est emprunté avec une valeur figurée très générale : « prescription d'ordre moral, intellectuel ou pratique s'appliquant à la conduite ». Au XVIIe s., il a pris le sens plus restreint de « prescription fondée sur l'usage, les conditions, et à laquelle il convient de se conformer dans certaines circonstances » (av. 1662), servant à former des locutions : dans les règles (1688, Racine), en règle (1740), de règle (v. 1780), pour la bonne règle (1935).
■  Dès le XVIe s., une restriction d'une autre nature le fait appliquer à une prescription qu'il convient de suivre dans l'étude d'une science, d'une technique, d'un métier (1538) ; de ce sens procède l'emploi du mot en art et en littérature (1660, règles classiques), ainsi qu'en grammaire (1690). Le même sens est réalisé dans il y a des exceptions à la règle (av. 1662), devenu il n'y a pas de règle sans exception (1870) et l'exception confirme la règle (1870).
■  Au XVIe s., le mot se spécialise en mathématiques (1520, règle de trois), entrant dans l'expression les quatre règles (1690) « les quatre opérations fondamentales de l'arithmétique ».
■  Il s'emploie surtout au pluriel pour l'ensemble des conventions propres à un jeu (1538), donnant au figuré l'expression la règle du jeu (1921).
■  Dès le moyen français, il s'emploie dans un contexte général, au sens de « ce qui se passe, ce qui se produit ordinairement quand certaines circonstances sont réunies » (1458), dans les locutions c'est la règle (1707), en règle générale (déb. XXe s.).
■  Le mot a reçu une acception spéciale dans le cadre de la vie domestique, en relation avec régulier, désignant l'ensemble des préceptes qui la régissent (XIVe s.) d'où, au figuré, la locution vivre selon la règle (av. 1951, Gide). Son sens, comme celui de loi, passe au XVIIe s. de l'idée d'obligation sociale à celle de « loi naturelle et scientifique » (av. 1650, Descartes) et de « régularité » (1671, Mme de Sévigné).
L'acception de « menstrues » que reçut le pluriel règles (1690) relève, comme les emplois précédents, de l'idée de régularité : « ce qui se produit à intervalles réguliers » ; cette valeur du mot s'est détachée sémantiquement des autres emplois.
Le sens concret de règle est emprunté au latin (1317) ; en procèdent de nombreux emplois pour désigner des instruments scientifiques : règle à calcul (1842), règle logarithmique (1842), règle graduée (1893), règle d'appareil (1904).
■  Dans le langage technique moderne, le mot désigne une planchette épaisse dont le maçon se sert pour lisser une surface cimentée (1904), un instrument de plâtrier (1904, règle à manchette), d'ajusteur-mécanicien ou de vérificateur (1932), et l'organe de la machine à papier qui délimite l'épaisseur de la feuille (1964).
❏  RÉGLETTE n. f., diminutif d'abord appliqué à la petite aiguille d'un cadran (1415), désigne une petite règle, notamment en typographie au plomb, pour assembler les caractères (attesté en 1680).
■  Le dérivé le plus important est RÉGLER v. tr. (1278), apparu avec le sens figuré de « gouverner (qqn) » et, simultanément, le sens concret de « marquer (le papier) de droites tracées à la règle, puis imprimées » (1288). Le verbe a suivi un développement parallèle à celui de règle, les sens figurés étant aujourd'hui largement dominants. L'acception de « gouverner », aussi à la forme pronominale (déb. XIVe s., se rieugler « se gouverner »), est sortie d'usage au XIXe siècle. ◆  Le sens de « soumettre à des règles, contrôler, discipliner ses actions, ses pensées, ses sentiments » (v. 1350) est aujourd'hui littéraire ou archaïque, y compris avec la nuance de « soumettre à la mesure, modérer » (1640), qui était courante au XVIIe siècle. ◆  L'emploi pour « diriger en tant que règle ou principe » (1538), avec un sujet désignant une chose abstraite, s'est conservé dans l'usage littéraire, tandis que celui pour « servir de modèle, d'exemple » (av. 1742), qui procède du précédent, a disparu.
■  Le sémantisme du verbe s'enrichit au XVIIe s. : régler sa conduite sur « agir en conformité avec qqn ou qqch. » (1640), au pronominal réfléchi se régler sur qqn (1640), sur qqch. (1644), idée qui était exprimée par se régler par qqn (v. 1460) et régler à qqn, à qqch. (fin XVIe s. et encore au XVIIe s.). Du sens de « fixer dans les détails, décider » (1629), on passe, avec un sujet désignant la chose qui règle, à « rendre (un processus) régulier, soumettre (qqch.) à un ordre, à un rythme » (av. 1854). ◆  Régler correspond aussi à « résoudre, trancher (une question délicate ou compliquée) » (1654) et se régler a signifié « se décider » (1662), sens sorti d'usage comme l'emploi transitif pour « mettre en ordre » (1685), « remettre d'accord (les gens) » (1679).
■  En comptabilité, le verbe correspond à « arrêter (un compte) après la dernière opération effectuée et acquitter le solde » (1690), aussi en emploi absolu (XXe s.) ; par métonymie, régler qqn signifie « payer (la personne à laquelle on doit qqch.) » (1851) et régler une somme à qqn « lui payer son dû ». De ce sens devenu courant procède l'emploi familier dans la locution figurée régler le compte de qqn (1851), devenue régler son compte à qqn (1935) et avoir un compte, des comptes à régler avec qqn (1964). De là l'emploi argotique de régler (qqn) « tuer ; battre », au XIXe siècle.
■  L'emploi de régler dans le domaine technique, au sens de « mettre (un mécanisme, un appareil, une machine) en bon état de fonctionnement » (1688) est lui aussi devenu usuel. Par extension, régler se dit pour « assurer (une opération) dans les conditions d'exécution voulue » (1826). Au XXe s. apparaissent des spécialisations (1904, régler des chronomètres), notamment en parlant d'un moteur.
Régler a servi à former de nombreux dérivés. RÉGLOIR n. m., créé au XIIIe s. sous la forme rigloir, désigne d'abord un instrument servant à régler le papier ; il a été repris (1723) avec une valeur technique.
■  RÉGLÉ, ÉE, le participe passé de régler, adjectivé sous la forme riglé (1373) puis reiglé (fin XVe s.), enfin réglé (1559), possède les valeurs figurées de « qui a une vie méthodique, organisée », « qui est soumis à des règles, des principes » et « qui est dirigé dans le respect de certains principes » (1690). ◆  Les médecins du XVIe s. l'appliquent à une femme qui a ses menstrues, dans la locution bien réglée de ses mois (v. 1560, Paré), puis en emploi absolu (1658) ou précisé par un adverbe (1718).
■  Au XVIIe s., réglé est attesté au sens concret de « qui porte des lignes droites », en parlant d'un papier (1640) d'où réglé comme du papier à musique (1640) « organisé de manière méticuleuse ». ◆  Au figuré, à l'idée de soumission à une règle sociale s'ajoute celle d'organisation dans « assujetti à un ordre régulier », d'abord en parlant de troupes (1654), puis celle de régularité, comme pour le sens de « menstrue », à propos d'une fièvre aux accès réguliers (1690). Il s'applique aussi à une affaire décidée, tranchée (1686). Dans le domaine technique, réglé se dit d'un appareil mis au point, soumis à un réglage (av. 1747). En mathématiques, surface réglée s'applique à une surface engendrée par une droite mobile dépendant d'un paramètre (1875).
■  En moyen français, réglé a produit un adverbe en -ment, d'abord écrit regleement (fin XIVe s.) puis reiglément (v. 1550), reglement et enfin réglément (1631). Probablement gêné par la ressemblance avec règlement n. m., cet adverbe est sorti d'usage après le XVIIe siècle. Il signifiait « conformément à la règle, à la discipline » (fin XVe s.) ; quelques emplois au sens de « périodiquement, régulièrement » (v. 1550) se rencontrent encore dans un style très littéraire.
■  RÉGLAGE n. m. (1508) sert de nom d'action à régler, d'abord pour le fait de régler du papier. Rare avant le XIXe s. (1832), il a pris plusieurs valeurs techniques, désignant la façon de régler un mécanisme (1870), par métonymie les différents organes d'un émetteur ou d'un récepteur chargés d'établir une relation correcte (1932), et en armement l'ensemble des opérations ayant pour fin d'amener sur un objectif le point moyen du tir d'une pièce (1904). D'autres spécialisations techniques sont apparues au XXe siècle.
■  RÉGLEUR, EUSE n. correspond à réglage et désigne l'ouvrier chargé de régler les feuillets d'un livre (1527). Ce sens, comme celui de « personne réglant le papier en feuilles à la machine » (1704), a disparu. ◆  De nos jours, le mot désigne la personne assurant le réglage de certains instruments et appareils (1877) et, dans l'industrie mécanique, l'ouvrier chargé de régler l'outillage sur les machines (1932). S'appliquant à des machines, le féminin RÉGLEUSE n. f. sert à dénommer une machine à régler le papier en feuilles (1852).
RÈGLEMENT n. m., d'abord reglemens (1465), reiglement (1538) avant règlement (1611), désigne une décision législative faisant autorité et, spécialement, dans le régime parlementaire (après 1871), un acte législatif de portée générale, émané d'une autorité autre que le parlement pour légiférer sur des matières non réglées par la loi.
■  Par extension du premier sens, règlement s'applique à l'ensemble des dispositions auxquelles doivent se conformer les membres d'une collectivité, en général (av. 1648). Par métonymie, il désigne concrètement l'imprimé donnant ces dispositions servant à former les noms de décrets particuliers, comme Règlement d'Administration publique (1836).
■  Il s'est spécialisé pour l'ensemble des prescriptions concernant les actes militaires (1835), désignant particulièrement une disposition réglementaire (1834).
■  Son emploi comme nom d'action de régler remonte au début du XVIIe s. : « action de soumettre à une discipline morale, intellectuelle ou pratique » (av. 1605), sens disparu. C'est aussi au XVIIe s. que le mot désigne le fait de soumettre une chose à un ordre déterminé, de fixer ce qui doit l'être dans tel ou tel domaine (av. 1648), sens dont sortirent plusieurs emplois normatifs en droit (dès 1585, le règlement de plaidoirie). Ultérieurement, il s'étend au fait de régler une question (1835), de payer une dette ou un dû (1824), entrant avec ce dernier sens dans la locution figurée règlement de comptes (1832 ; répandu mil. XXe s.) « acte d'hostilité punitive » et dans des formules commerciales (en votre aimable règlement).
■  De règlement sont tirés RÉGLEMENTER v. tr. (1768), employé avec ou sans complément (1840), et RÉGLEMENTAIRE adj. (1768) « qui multiplie à l'excès les règlements », sens disparu, puis « qui concerne les règlements » (1780).
■  Du verbe sont dérivés RÉGLEMENTATION n. f. (1845) « action de réglementer » et, par métonymie, « ensemble des mesures qui régissent une question » (1875), et RÉGLEMENTATEUR, TRICE adj. et n. (av. 1865) qui élimina la forme non savante réglementeur (1775, Condorcet).
■  L'adjectif réglementaire a servi à former RÉGLEMENTAIREMENT adv. (1845) ainsi que RÉGLEMENTARISME n. m. (1870) et RÉGLEMENTARISTE adj. et n. (1925), souvent assortis d'une connotation péjorative signalant l'abus de réglementation.
■  De réglementer vient le préfixe antonyme DÉRÉGLEMENTER v. tr. (v. 1980) et, de réglementation ou de ce verbe, DÉRÉGLEMENTATION n. f. (v. 1980).
RÉGLURE n. f. (1549) concerne l'opération de réglage du papier et, par métonymie, son résultat (1643).
■  Enfin l'adjectif RÉGLABLE (1842) est d'usage technique et courant.
DÉRÉGLER v. tr., d'abord desreigler (v. 1280), a éliminé la forme populaire desrieuller (XIIIe s.), derieuler, desrieler au cours du XVIe s. et pris sa forme actuelle, dérégler (1636). Le verbe signifie « mettre en désordre, bouleverser, déranger » au propre, et au figuré « troubler l'ordre moral, la discipline de » (1690).
■  Le dérivé DÉRÈGLEMENT n. m., d'abord desriglement (1458) et desreiglement (1538), avec la graphie moderne au XVIIe s., a eu comme le verbe et son participe passé le sens figuré de « désordre dans la conduite morale, le savoir-vivre » (XVIe s.), devenu archaïque au profit d'autres valeurs métaphoriques (Rimbaud : le dérèglement de tous les sens).
■  DÉRÉGLÉ, ÉE, participe passé adjectivé (XVIIe s.), a donné l'adverbe DÉRÉGLÉMENT (1835) quasiment inusité ; DÉRÉGLAGE n. m. (1956) constitue un nom d'action à valeur dynamique, à côté de dérèglement.
■  Régler a un autre préfixé : PRÉRÉGLER v. tr. (v. 1960) correspond à « régler avant un réglage définitif » ; il est surtout employé au participe passé adjectivé PRÉRÉGLÉ, ÉE, surtout en électronique (circuit, émetteur... préréglé). PRÉRÉGLAGE n. m. et PRÉRÉGLABLE adj. s'appliquent surtout à un récepteur radio, par un système d'accord (tuner) préalable (voir présélection, à sélection).
Outre le groupe important formé par régler et ses dérivés, règle a servi à former deux noms concrets par suffixation diminutive.
■  RÉGLET n. m. (1370) « petite règle à l'usage des écoliers », s'est maintenu dans des spécialisations techniques, en charpenterie (1530), en imprimerie (1635) et en architecture (1688).
■  Le féminin RÉGLETTE n. f., après avoir désigné, sous la forme reglete (1415) l'aiguille d'un cadran, a reçu sa forme actuelle (1680) au sens de « petite règle plate utilisée dans l'imprimerie ». Il désigne aussi une règle à quatre faces égales (1845) et une petite règle utilisée en topographie et en balistique (1904, réglette de direction).
❏ voir BARIOLÉ, RAIL, RÉGULIER, RIGOLE, RILLETTES.
RÉGLISSE n. f. est, après requelice (XIIIe s.) et regulisse (1268), une des altérations (1393) de l'ancien français ricolice (fin XIIe s.), l'initiale régl-, régul- pouvant venir de l'influence de règle*, la réglisse étant vendue en bâtons. Ricolice est la déformation par métathèse de licorece (v. 1138), licorice (XIIe s.) [Cf. anglais liquorice], qui remonte au bas latin liquiritia, altération, sous l'influence de liquor (→ liqueur) du latin classique glycyrrhiza. Ce dernier est emprunté au grec glukkurriza désignant une plante dont les racines rhizomateuses sont riches en sucre et signifiant proprement « racine douce », de glukus « doux » (→ glucose) et rhiza « racine » (→ rhizome). ◆  Parmi les nombreuses déformations du mot, reygalisse (XVIe s.) est une interprétation du mot par rai (de radix « racine », → radis, raifort) de Galice, la Galice ayant été longtemps le principal fournisseur de réglisse : rai de Galice s'est employé jusqu'au XXe s. en Suisse.
❏  Le mot désigne la racine d'une plante employée en pharmacie et pour des boissons rafraîchissantes (XIIIe s.), spécialement dans jus de réglisse (1256, sous la forme ricolice) et bâton de réglisse (v. 1560). Dans les emplois elliptiques, malgré les recommandations des puristes (qui l'ont condamné en 1835), le masculin prévaut dans l'usage courant. Par analogie, le mot entre dans les dénominations de plantes comparées à la réglisse (1850), notamment dans réglisse sauvage (1870), réglisse d'Amérique, des bois.
■  L'origine végétale de la réglisse étant le plus souvent oubliée ou inconnue, réglisse ne désigne plus en français moderne que la substance comestible noire fabriquée à partir du rhizome de la plante et servant de confiserie.
RÉGLO → RÉGULIER
RÈGNE n. m. est la réfection (fin Xe s.) de la forme populaire ren (v. 980), par emprunt au latin regnum « autorité royale », « souveraineté », « royaume », « état de roi », de rex, regis (→ roi). L'ancien français a eu de nombreuses variantes, certaines issues de regnum par voie orale, rein, reine, raine (v. 1190), resne (fin XIIe s.), ainsi que ranne (v. 1175), renne (XIIIe s.), rainne, d'autres demi-savantes, comme rengne, raigne, reigne.
❏  Le sens d'emprunt de règne « pays » a été pris par royaume, se maintenant plus longtemps en religion dans l'expression règne de Dieu (1553, antérieurement regne Dieu) et, quelquefois, à propos du royaume de Naples (v. 1300).
■  Le sens d'« endroit, quartier », procédant d'une extension de la même idée spatiale, est propre à l'ancien français. C'est à la même idée transposée abstraitement (Cf. domaine) que le mot doit de désigner, en sciences naturelles, chaque domaine d'étude correspondant aux trois grandes divisions de la nature sensible et chacune de ces divisions : règne végétal, animal, minéral (1730). ◆  L'emploi de règne en philosophie, notamment à propos de Kant (1938), réalise l'idée analogue de « vaste ensemble d'êtres unis et gouvernés par un principe commun ».
Cependant le sens actif de « gouvernement exercé par un roi, un souverain » apparaît dès le XIIe s. (v. 1155) ; par métonymie, il s'y mêle dès cette époque l'acception temporelle d'« époque historique à laquelle correspond l'exercice effectif du pouvoir d'un souverain » (sous le règne de...) d'où, par extension, « période d'exercice d'un pouvoir politique absolu » (1636).
■  L'emploi figuré du mot attesté en moyen français par la locution être en règne « être en vogue » (av. 1453), sortie d'usage après le XVIIIe, s'est développé au XVIIe s., en parlant de la domination d'une personne ou d'un groupe dans un domaine donné (1660, Bossuet) et, abstraitement, de l'influence d'une idée, d'une théorie sur la manière de penser ou d'agir d'une époque (1670, Bossuet). Ce sens est réalisé spécialement dans l'expression le règne de la loi (1936) désignant le régime juridique dans lequel les gouvernants et leurs agents sont tenus de se soumettre aux règles de droit posées par la loi ou le règlement.
■  Une extension métonymique concrète, désignant un objet symbolique du règne, correspond à « couronne suspendue au-dessus du maître-autel dans certaines églises » (1690), désignant spécialement chacune des trois couronnes qui, depuis le XIVe s., forment la tiare pontificale (1652), appelée pour cette raison TRIRÈGNE n. m. (1673), emprunt au latin triregnum, par l'intermédiaire de l'italien triregno.
❏  RÉGNER v. intr. est emprunté en même temps que règne (v. 980) au dérivé latin regnare « être roi », au figuré « dominer ». Le verbe apparaît au sens propre, pour « exercer le pouvoir politique en tant que roi ou souverain dans un État ». Il a cette valeur dans deux formules politiques qui firent date : le roi règne et ne gouverne pas (1830), de Thiers, et diviser pour régner, enregistrée en 1864 par Littré.
■  Dès l'origine, régner s'emploie au figuré à propos d'une personne (d'abord le Christ) exerçant un pouvoir ou une hégémonie sans partage (v. 980), emploi bientôt étendu à une chose qui exerce une influence prépondérante dans un domaine (v. 1174).
■  L'affaiblissement de la notion d'influence en celle de mode aboutit au sens de « jouir d'un certain crédit, d'une vogue » (1669), en parlant d'une chose matérielle ou abstraite qui existe, s'est établie quelque part (1533) ; ce sens est fréquent dans la forme impersonnelle il règne, suivi d'un nom (av. 1696, La Bruyère) et en parlant d'une maladie qui sévit (1731) ; avec une valeur ironique, il se retrouve dans la locution familière et ironique la confiance règne ! (XXe s.).
■  Au XVIIe s. régner a pris en architecture le sens de « s'étendre en longueur sur une ligne continue » (1611).
■  Le participe présent RÉGNANT, ANTE, substantivé au masculin au sens de « règne » (v. 1138) sorti d'usage, est adjectivé (v. 1350) au sens propre (prince régnant, etc.) puis au figuré (v. 1460) dans un usage littéraire ou soutenu.
RÉGNICOLE adj. est formé (1509) de règne et de l'élément -cole ; le latin chrétien atteste regnicolae « habitants du royaume des cieux ». ◆  Le mot s'applique aux habitants d'un royaume, d'un pays, par opposition aux étrangers. Il est archaïque ou historique.
RÉGNICOLE → RÈGNE
REGONFLER, REGRATTER, REGRÉER, REGREFFER → les verbes simples
REGORGER → GORGE
RÉGRESSION n. f. est emprunté (XIVe s.) au latin regressio, -onis « retour », en rhétorique « reprise à la fin d'un énoncé de ce qui est énoncé au début », de regressum, supin de regredi « revenir, rétrograder », de re- (→ re-) marquant le retour en arrière, et gradi « marcher, avancer » (→ grade).
❏  Le mot apparaît en français avec le sens concret et général de « marche en arrière, recul », sorti d'usage au XVIe s., mais dont procède une spécialisation en géologie à propos de l'abandon par un milieu générateur de dépôts, des territoires qu'il occupait (1923). ◆  Le mot est peu attesté jusqu'au XVIIIe s., époque où il est repris en rhétorique (1765, Encyclopédie). Il se répand assez récemment avec le sens d'« évolution en sens inverse du progrès, affaiblissement » (1899), extension de l'acception spécialisée, « retour d'un tissu, d'un organe, d'une fonction, d'un individu à un type moins évolué » (1865), introduite par Wetter et Burdach ; il est alors opposé à progression.
■  Au XXe s., régression s'emploie en logique pour une démarche de la pensée allant des conséquences aux principes (attesté 1947), en psychologie à propos du retour d'un individu à des modes de comportement caractéristiques d'un état antérieur du développement et, en psychanalyse, de la réapparition de formes infantiles de l'affectivité comme mécanisme de défense lors d'un conflit (1906, régression de la personnalité ; 1911, régression). Il est aussi passé en mathématiques où il désigne la réduction des données d'un phénomène complexe en vue de le représenter par une loi simplificatrice.
❏  Le mot a produit quelques dérivés fournissant des antonymes à progressif et à progresser.
■  RÉGRESSIF, IVE adj. est d'abord (1842) un terme de logique pour « raisonnement qui remonte des conséquences aux principes ». Littré (1870) l'enregistre au sens de « qui va en arrière », « qui constitue un retour à un stade antérieur moins évolué », devenus courants. Il a développé les spécialisations correspondant à celles du verbe en biologie (1855), en psychologie et en géologie (1964). ◆  En est dérivé RÉGRESSIVEMENT adv. (1870), d'usage didactique.
■  RÉGRESSER v. intr. (1878), introduit en médecine, a le sens général d'« évoluer dans un sens inverse du progrès » (1893). Ce verbe a des emplois spéciaux en psychologie et en psychiatrie, ainsi qu'en géologie (1964).
REGRÈS n. m., d'abord regres (1210), est l'adaptation du latin regressus « action de revenir en arrière », employé en droit (XIIe s.), de regressum, supin de regredi. Il a d'abord eu le sens général de « retour » et désignait spécialement, en moyen français, le droit de rentrer dans un bénéfice résigné ou permuté lorsque le résignataire n'observait pas les conditions stipulées (1550). Sorti d'usage, il a été repris d'après progrès et régression, pour « évolution régressive » (1907) ; il est resté rare du fait de l'homonymie de regret.
? REGRETTER v. tr., d'abord regreter (1050), est d'origine incertaine. Le verbe vient probablement de re-* et d'un verbe non attesté emprunté à l'ancien scandinave grâta « pleurer, gémir », de la famille du gotique grêtan « pleurer, se plaindre » et de l'anglais to greet « pleurer ». La forme regreter, au lieu de regrater, plus rare en ancien français, fait difficulté. Cependant, selon P. Guiraud, regretter pourrait représenter un latin populaire °recrepitare « faire éclater sa douleur en cris et lamentations » reconstitué à partir de crepitare « émettre un cliquetis, un grincement, un claquement » et « faire retentir, avoir toujours qqch. à la bouche » (→ crépiter). Ce verbe est un fréquentatif de crepare, par exemple dans crepare pauperiem « crier misère » ; cependant, cette hypothèse semble contredite par le fait que l'ancien français disait aussi regrater (v. 1190), forme qui a survécu jusqu'au XVIIIe s. dans l'anglais to regrate (to regret est plus récent) ; l'alternance des voyelles a et e s'explique probablement par l'influence d'un verbe comme acheter à côté de la variante achater ; l'adjonction du préfixe re- est due à l'influence de nombreux verbes de la vie affective et intellectuelle commençant par re-, tels repentir, remémorer, remembrer, recorder, (Cf. record, recors).
❏  Le verbe signifie en ancien français « se lamenter au sujet d'un mort » (1050), « appeler (qqn) au secours, implorer » (1080), « invoquer dans ses plaintes » (v. 1155) ; il s'employait à la forme impersonnelle (1080) pour dire qu'une chose est cause de souffrances. ◆  Comme verbe de parole, il signifiait aussi « mentionner », « exposer des faits, raconter », « demander (de faire qqch.) ».
■  En moyen français, apparaissent les deux valeurs modernes : « ressentir de façon désagréable ou pénible la perte ou l'absence de (qqn, qqch.) » (v. 1460 chez Villon) et « être indisposé, contrarié par (un fait, une situation qui s'oppose à ce que l'on désire) » (v. 1460), d'où procède la valeur « éprouver du déplaisir à ce qu'une chose n'existe pas » (1690), avec les constructions classiques regretter de ce que (1651) et regretter que et subjonctif (1838). Par extension, regretter, suivi d'un complément inanimé ou de l'infinitif, signifie « être mécontent de soi ou se sentir coupable » (1668), spécialement en encouragement à agir (1918, vous ne le regretterez pas) et en menace (1920, tu le regretteras). La valeur spéciale de « donner qqch. à regret, à contrecœur » (1668) n'est plus perçue comme telle. Enfin, regretter, en construction transitive indirecte, sert à exprimer à qqn le déplaisir qu'on a d'avoir agi de telle ou telle façon, à s'excuser de ce dont on s'estime responsable ; de là l'emploi de je regrette, à l'oral, pour opposer un démenti (attesté depuis 1964 dans les dictionnaires).
❏  REGRET n. m., déverbal (v. 1160) de regretter, présente la même histoire sémantique que le verbe : en ancien français, il était surtout employé dans les locutions faire regret de « manifester sa douleur au sujet de », faire regret à qqn « reprocher à », et, en moyen français, avoir le regret de, en, à (1377) « s'inquiéter de ». Le pluriel regrets exprimait des plaintes, des lamentations (XIIIe s.).
■  L'usage moderne du mot remonte à la fin du XVe s. avec le sens de « sentiment pénible causé par la perte ou l'absence de qqn, de qqch. », spécialement dans la formule funèbre regrets éternels (1869).
■  Regret se dit aussi du mécontentement de soi ou de la culpabilité dus au fait que l'on estime avoir agi de façon inadéquate ou répréhensible (1530) ; il se dit dès le XVe s. dans à regret (v. 1460) du déplaisir éprouvé quand les faits, les circonstances s'opposent à la réalisation de ce que l'on souhaitait pour soi ou pour un autre (av. 1549). La langue classique employait la construction avoir regret que (1664) ; l'usage moderne les formules de politesse avoir le regret de (1834), être au regret de, à mon grand regret (1790) et, au pluriel, exprimer ses regrets (XXe s.). ◆  Dans plusieurs régions de France (1496 à Lyon), de la zone franco-provençale et nord-occitane, faire regret de (et infinitif) s'emploie pour « ennuyer, contrarier » ; « dégoûter, faire mauvais effet » et parfois « faire pitié » (ça me fait regret a toutes ces valeurs). En Auvergne, avoir regret de qqch. vaut pour « ne pas aimer, détester », avec un dérivé RÉGRETTIF, IVE adj. « déplaisant ».
■  Regretter a aussi produit REGRETTABLE adj., d'abord regretable (av. 1472) au sens actif de « qui exprime le regret », sorti d'usage. ◆  Puis, le mot qualifie une personne (1515) et, plus souvent, une chose (1694) qui mérite d'être regrettée, que l'on regrette. Le sens de « propre à causer du remords, déplorable » (1833) est réalisé dans la tournure impersonnelle il est regrettable que (fin XIXe s.). L'adjectif s'emploie rarement à propos d'une personne (1875).
■  De regrettable est dérivé l'adverbe REGRETTABLEMENT, tardif (1834) et assez peu usité.
REGROUPER → GROUPE
REGUIBAT adj. et n. inv., emprunt à l'arabe, qualifie et désigne en français du Maghreb ce qui est relatif à une tribu saharienne, à ses membres.
RÉGULARISER, RÉGULATEUR, RÉGULATION → RÉGULIER
RÉGULE n. f., terme d'ancienne chimie (1611), est un emprunt au latin des alchimistes regulus, diminutif de rex, regis → roi. L'expression régule d'antimoine s'appliquait à la partie considérée comme la plus pure de ce corps. Le mot a été repris au XXe s. comme nom d'un alliage à base d'antimoine utilisé comme métal antifriction.
RÉGULIER, IÈRE adj. et n. m. est la réfection (déb. XIVe s.) par changement de suffixe (comme dans bouclier, sanglier, singulier) de l'ancien adjectif reguler (v. 1119), emprunt au latin impérial regularis « en forme de barre » et, au figuré, « qui sert de règle », « canonique », dérivé du latin classique regula (→ règle). En latin médiéval, l'adjectif est entré dans la terminologie des calendriers (XIe s.). L'ancien français a employé les formes populaires reuler (v. 1180, en anglo-normand), riuler (v. 1210), rieuler, francisées d'après le substantif reule, rieule (→ règle).
❏  L'adjectif qualifie en ancien français une chose conforme à la règle, d'abord dans l'expression jurs regulers désignant le nombre qui, ajouté à l'épacte de l'année, permet de savoir quel jour de la semaine tombe le premier jour de chaque mois (v. 1119).
■  Sous l'influence de règle, l'adjectif qualifie ce qui est conforme aux règles morales (déb. XIIIe s.) et, de là, s'emploie à l'époque classique pour qualifier une personne soumise aux devoirs de la morale et de la religion (1671) ; cet usage a vieilli, mais le sens voisin de « qui respecte un certain code de l'honnêteté » l'a réactivé dans la langue familière (1922), à propos des personnes et de leurs actes (le coup est vache, mais régulier) ; Cf. ci-dessous l'abréviation réglo.
■  Par spécialisation du sens courant, « fait dans les bonnes formes » (1552), le mot devient un terme de droit (1676, une procédure régulière) et s'applique à toutes sortes de domaines : logique, grammaire et versification (1690) ; la langue classique l'emploie spécialement pour ce qui est conçu selon les règles édictées en matière littéraire (1660), le substantivant avec la valeur de « classique, puriste ». Ultérieurement, il prend le sens vague de « qui se déroule normalement » (1875).
Dès l'ancien français, l'adjectif avait repris au latin ecclésiastique (saint Augustin) une spécialisation religieuse, se disant des ordres soumis à une règle interne (v. 1175) par opposition à séculier, et, par métonymie, des lieux qui sont dans la clôture d'un couvent (1690). ◆  Dans le langage militaire, régulier qualifie des troupes permanentes dépendant du pouvoir central et soumises à des règles strictes (1751).
Dès l'ancien français, l'accent passant de l'idée de règle à celle de rythme constant, l'adjectif qualifie ce qui se développe dans le temps d'une manière uniforme, constante, sans présenter de variations (XIIe-XIIIe s.), c'est-à-dire un mouvement, un processus, une activité, un travail, un effort (1887), le pouls (1870). ◆  Avec cette même valeur, il se dit des personnes dont l'activité est marquée par la constance, la ponctualité (1658, La Rochefoucauld). Au XVIIe s., en accord avec les canons de l'esthétique classique, il caractérise une chose présentant une disposition, des formes harmonieuses (1666, beautés régulières), spécialement en architecture (1671) et en géométrie (1680), ultérieurement en botanique (1870) et, dans la langue courante, à propos d'une écriture (1882). ◆  Il qualifie aussi ce qui se répète à intervalles fixes (1835), s'appliquant aux moments où ces événements ont lieu (1863, à intervalles réguliers). Cette valeur s'applique à des événements organisés, des services, des moyens de transport (ligne régulière). ◆  En français du Cameroun, le train régulier est un omnibus, avec le sens d'« ordinaire », dû à un calque de l'anglais regular. Cet anglicisme est fréquent en français du Québec, notamment en commerce, avec les prix réguliers « courants, communs », et tous les produits qui ne donnent pas lieu à supplément (aussi substantivé : un régulier). L'adjectif s'emploie à propos de ce qui a un caractère permanent, durable, et d'une personne travaillant de manière non occasionnelle. Avec l'idée de « régularité », on parle en français d'Afrique d'un élève régulier pour « ponctuel, assidu ».
■  L'usage populaire parisien l'a substantivé au sens d'« époux ou épouse légitime » (au féminin, 1930). ◆  La valeur de « correct » qu'a prise l'adjectif régulier (1922), en parlant des personnes, d'abord en argot, puis familièrement (un type régulier) est souvent abrégée en RÉGLO adj. La variante RÉGUL a vieilli.
❏  RÉGULIÈREMENT adv., d'abord regulerement (v. 1170), a d'abord eu le sens religieux de « conformément à la règle monastique » qu'il perdit au XVIIIe siècle. Dans l'usage didactique, il signifie « conformément à la loi, à la règle » (1791). Une autre valeur correspond à « selon un mouvement ou un rythme régulier » (1377) et « ponctuellement » (1426), « de façon ordonnée, régulière » (1680). En tête de phrase, il correspond à « normalement » (1875).
■  RÉGULARITÉ n. f. (v. 1370), également attesté en moyen français sous la forme regulaireté (v. 1370), est dérivé savamment du latin regularis (voir ci-dessus régulier). Désignant d'abord l'uniformité d'un mouvement et, en géométrie, le caractère d'une figure, d'un corps ayant ses angles et ses côtés égaux (v. 1370), il s'emploie aussi dans le domaine moral (1581). La langue classique lui donne en esthétique une valeur voisine de celle de règle, loi, au singulier et au pluriel (1666) et le dit de la conformité d'un auteur, d'une œuvre aux règles littéraires, ce sens étant sorti d'usage.
■  Régularité, à la même époque, se dit du fait de présenter des proportions harmonieuses (spécialement en architecture, 1680), de la ponctualité (Racine) et de l'exacte observance de la règle dans un ordre religieux (1688).
■  Le sens moral, « observance des devoirs de la morale et de la religion » (1680), a disparu. Au XIXe s., l'usage juridique introduit le sens de « conformité aux lois » (1810).
IRRÉGULIER adj. et n. est la réfection (v. 1310) de irreguler (XIIIe s.), adaptation d'après réguler, puis régulier, du bas latin irregularis, antonyme de regularis qualifiant dans l'usage chrétien ce qui n'est pas conforme à la règle monastique et substantivé au moyen âge pour désigner celui qui ne peut être ordonné selon les règles monastiques.
■  Le mot apparaît dans le langage religieux pour qualifier celui qui, après avoir reçu les ordres ecclésiastiques, devient incapable d'en exercer les fonctions pour avoir encouru les censures. ◆  Sous l'influence de régulier, il s'applique en général à ce qui n'observe pas les règles, en droit (1283), avant de s'étendre à ce qui n'est pas conforme aux règles en général (v. 1370), avec des spécialisations en grammaire (XIVe s.), en versification (1690) et en esthétique (1694).
■  D'après régulier, il a pris le sens de « non uniforme » en parlant d'un mouvement, d'un processus (1580), développant le sens concret de « non harmonieux » (1659, spécialement en architecture) et des sens moraux correspondant à « capricieux » (1656), « désordonné, dissolu » (1671) puis « contraire à la bienséance » (1730, Marivaux), qui ont disparu. Des spécialisations techniques en langue militaire (1751) et en botanique (Rousseau, selon Trévoux, 1771) se développèrent symétriquement à celles de régulier. ◆  Comme nom, il se dit en français d'Afrique des personnes qui ne respectent pas les lois, les règles en matière de construction, de commerce (les irréguliers qui occupent ce terrain).
■  IRRÉGULIÈREMENT adv., réfection (v. 1510) de irregulairement (v. 1370), terme juridique, est passé dans l'usage courant avec le sens de « sans périodicité régulière » (v. 1560) avant de s'employer pour « sans harmonie » (1718) communément. ◆  Pour irrégularité, voir ci-dessous régularité.
RÉGULARISER v. tr. est dérivé savamment (1723) du latin regularis « qui sert de règle » (voir ci-dessus régulier) avec un suffixe verbal. L'anglais to regularize, de regular (emprunté avec changement de suffixe à une ancienne forme du français régulier), n'a pu servir de modèle : bien qu'attesté une fois au XVIIe s. dans un dictionnaire, il a été repris au XIXe s. d'après le verbe français.
■  Le verbe signifie « rendre conforme aux dispositions légales ou réglementaires », spécialement pour « rendre légale une union illégitime » (1846) dans régulariser sa position (1870) puis sa situation (1904). ◆  D'après un autre sens de régulier, il signifie « rendre régulier, assujettir à un ordre, à un rythme déterminé » (1794).
■  De régulariser est dérivé RÉGULARISATION n. f. (1809), d'abord « action de rendre conforme aux lois et règlements », et spécialement « fait de régulariser sa situation par un mariage » (1870) et récemment « procédure par laquelle un étranger se trouve en situation régulière ». ◆  Le sens physique d'« action de régulariser un cours d'eau » est enregistré dans les dictionnaires en 1964 après celui de « diminution des irrégularités du relief d'une côte » (1886).
RÉGULARITÉ n. f. est dérivé savamment (v. 1370) du latin regularis (voir régulier). Une forme moins savante regulaireté est attestée chez Oresme (v. 1370).
■  Le mot exprime d'abord le caractère d'un mouvement, d'un processus soumis à un rythme uniforme, et, de là, le caractère de ce qui se produit à des intervalles réguliers, constants (av. 1699) et le caractère d'une action produite sans à-coups. Dès les premiers textes, il se dit aussi du caractère de ce qui présente de justes proportions, une composition symétrique, avec, à l'époque classique, une connotation d'« harmonie » (1680).
■  Sous l'influence de règle, le mot a développé le sens moral de « conformité aux règles, normalité » (fin XVIe s.), vieilli en dehors de l'acception juridique de « conformité au règlement, aux lois » (1810). Dans l'usage classique, il se disait également de la conformité aux règles naturelles (1690), aux règles édictées en matière littéraire (1666), et, pour une personne, de l'exacte observation des devoirs de la morale et de la religion (fin XVIe s.), ainsi que de l'observance de la règle dans un ordre religieux (1688). ◆  De nos jours, appliqué à une personne, il est surtout compris comme « conformité dans l'utilisation régulière du temps ».
■  IRRÉGULARITÉ n. f. est emprunté (av. 1382, Oresme) au bas latin chrétien irregularitas, dérivé de irregularis (Cf. irrégulier) désignant la non-conformité aux règles, l'indiscipline, et prenant au moyen âge une valeur morale (XIIIe s.), et en outre le sens spécial de « situation irrégulière (d'un clerc) » (XIIIe s.), « empêchement canonique de recevoir les ordres ». ◆  Le mot, qui sert de substantif à irrégulier, désigne le caractère de ce qui n'est pas régulier, le manque de légalité. Il s'est répandu au XVIIe s., s'appliquant par métonymie (une, des irrégularités) à un acte, une chose irrégulière (1611), spécialement dans le domaine moral (1651), en architecture (1680), en droit canonique (1656-1657). ◆  Au XVIIIe s., il se dit aussi du caractère irrégulier d'une chose, du fait de se produire sans périodicité, avec des durées ou des intensités inégales (1704, irrégularité du pouls), et en sciences (Buffon) à propos du mouvement de la Lune, puis d'autres phénomènes et évolutions.
RÉGULATION n. f. a d'abord été dérivé savamment, avec son sens ancien de « domination » (v. 1460), du verbe 1 réguler « décider qqch., déterminer » (v. 1368), représentant par emprunt le bas latin regulare « diriger, régler ». Régulation a été reformé au XIXe s. (1832) d'après le supin latin regulatum, de regulare et sous l'influence de régulateur (ci-dessous).
■  Le mot désigne l'action de régler un appareil, d'en corriger le fonctionnement ou les données, notamment dans régulation du compas et courbe de régulation, en navigation (1904). Régulation se répand à la fin du XIXe s. avec le sens de « fait d'agir sur un système complexe et d'en coordonner les actions pour un fonctionnement correct et régulier », spécialement en physiologie (1897), puis à propos du contrôle des naissances (mil. XXe s.). Le mot sert aussi à désigner le concept fondateur de la cybernétique*. Dans le style littéraire, il s'emploie pour « action de régler qqch., de le rendre conforme à des normes » (av. 1945, Valéry).
■  Du radical de régulation sont dérivés RÉGULATIF, IVE adj. (1930) et un nouveau verbe 2 RÉGULER v. tr. (1932), didactique au sens de « soumettre à une régulation », également à la forme pronominale se réguler.
■  Deux composés en auto-, AUTORÉGULATION n. f. (1878), et, sur le participe passé du verbe, AUTORÉGULÉ, ÉE adj. (1969), sont didactiques et techniques. La notion d'autorégulation correspond au principe du thermostat et des machines cybernétiques.
RÉGULATEUR, TRICE adj. et n. est dérivé savamment, au moins à deux reprises (déb. XVIe et XVIIIe s.), d'après régulation, du bas latin regulare « diriger, régler », du latin classique regula (→ règle).
■  Au XVIe s., le mot s'est employé comme adjectif pour qualifier la personne qui règle qqch., en assure la direction ; inusité ensuite, le mot réapparaît dans ce sens comme substantif au XVIIIe s. (1788). Le nom désigne un système de commande destiné à maintenir constante la valeur d'une grandeur (1728, régulateur de montre), puis au XIXe s. s'emploie dans régulateur à force centrifuge (1870), régulateur de Watt (1888), enfin au XXe s., il s'applique à un dispositif sur un véhicule automobile. D'autres emplois techniques concernent l'organe d'une charrue permettant de régler la position des socs (1870), une horloge de précision qui sert à régler les autres (1862).
■  L'emploi général pour « chose ou personne qui rend régulier qqch., qui discipline » (1770, D'Alembert) est resté rare. Dans ce sens lié à régulation, le nom s'applique à une personne s'occupant de la régulation du trafic et à l'officier général ou supérieur chargé des transports dans une zone déterminée (mil. XXe s.).
■  L'adjectif a été refait à la fin du XVIIIe s. pour qualifier ce qui règle, amène une régularité (1796, Laplace) ; au XXe s., en relation avec les emplois spécialisés du substantif, il qualifie des appareils assurant un contrôle, une commande réglée (1904), spécialement en mécanique, et l'organisme chargé en temps de guerre de veiller aux moyens de transport nécessaires aux opérations militaires (1917) ; d'autres spécialisations en architecture (tracé régulateur, 1942) et en physiologie (1884) sont contemporaines.
■  Le mot a servi à former AUTORÉGULATEUR, TRICE adj. (1866), d'usage didactique.
❏ voir RÈGLE.
RÉGURGITER v. tr. est un dérivé savant (1540), avec le préfixe re-*, probablement d'après ingurgiter*, du latin gurges « tourbillon d'eau, gouffre » (→ gorge).
❏  Le verbe a été introduit en médecine et en physiologie. Il s'est employé absolument pour « regorger, refluer » (en parlant du sang, du contenu de l'œsophage). ◆  Son usage moderne est tardif (1842) pour « faire revenir (le contenu de l'estomac) dans la bouche », spécialement en parlant de ruminants, des très jeunes enfants, et quelquefois par métaphore. Il s'emploie quelquefois au figuré, pour « ruminer ».
❏  Le dérivé RÉGURGITATION n. f., d'abord attesté au sens de « débordement d'un liquide » (1567) dans un document juridique, s'est spécialisé en médecine et physiologie dès le XVIe s. en parlant du reflux du sang (1573, Paré). ◆  Depuis le XIXe s., il s'applique aussi au retour des aliments de l'estomac ou de l'œsophage dans la bouche (1824), spécialement en parlant du mode de digestion des ruminants (1834). Il s'emploie parfois au figuré, pour « ce qui revient à l'esprit, ce qu'on rumine ».