REJETER v. tr. est composé de jeter (fin XIIe s.) d'après le latin rejectare « jeter en sens inverse », « repousser » et « répercuter », fréquentatif formé sur le supin (rejectum) de rejicere, verbe formé de re- (→ re-) à valeur intensive ou marquant le mouvement en arrière, et de jacere (→ jeter).
❏
Le verbe signifie « repousser avec force, brutalement » et, peu après, « jeter à sa place antérieure, à son point de départ » (déb.
XIIIe s.). Il prend au
XIIIe s. le sens de « renvoyer plus ou moins brutalement hors de soi, loin de soi » (1256), « vomir », d'où vient un emploi figuré pour « repousser qqn » (v. 1480). Avec une valeur affaiblie, le verbe développe son premier sens figuré : « reporter, annuler » (1463).
■
Au XVIe s., tout en prenant le nouveau sens concret de « jeter de nouveau » qui donne au préfixe re- une valeur itérative, il développe ses principaux sens figurés : « refuser, ne pas admettre » (1530), « faire retomber (qqch. : responsabilité, faute) sur autrui » (1538). Un nouveau sens concret, « faire retomber l'un sur l'autre en modifiant leur position vers l'arrière ou sur le côté », est attesté ultérieurement (1911).
■
Le verbe s'est employé intransitivement pour un cheval qui rue (v. 1200) et (v. 1398) en parlant d'une plante, d'un arbre qui produit à nouveau, emploi rare, repris quelquefois par métaphore (déb. XXe s.).
■
La forme pronominale se rejeter (XVIe s.), réactivant la valeur itérative du préfixe, signifie « se jeter à nouveau », au propre et au figuré (1559), mais aussi « se porter en arrière brusquement » (1559). L'emploi figuré de se rejeter « se reporter sur, chercher une compensation dans » n'est pas attesté avant 1819 (Boiste).
❏
Le déverbal de
rejeter, REJET n. m. est la réfection (
XVIe s.) de
regiet (1241). Il exprime l'action de rejeter, de renvoyer hors de soi et, par métonymie, le résultat de cette action, spécialement, en arboriculture (1357), la nouvelle pousse d'une plante et (1870) la terre qu'on rejette en creusant un fossé.
■
Au XVIe s., rejet prend le sens figuré d'« action de ne pas admettre, de repousser » (1530), et au XVIIe s. (1690) l'emploi technique pour « renvoi d'une partie d'un compte commercial qui doit être portée sur un autre chapitre ».
◆
Au XIXe s. apparaissent d'autres valeurs techniques : « différence de niveau entre les deux parties d'une couche coupée par une faille » en géologie, « jeune essaim d'abeilles abandonnant la ruche ». Sans métonymie et dans un tout autre domaine, rejet se dit du procédé rythmique consistant à rejeter un mot par-dessus la césure (1828). Ces nouveaux emplois sont enregistrés par Littré (1870).
■
Au XXe s., avec le sens figuré de « refus », rejet développe d'autres spécialisations en physiologie et médecine (1964), en psychologie et sociologie (1968, dans Paris-Match), en logique (1970), etc.
◈
Avec son sens intransitif, « pousser de nouveau, produire de nouveau »,
rejeter a produit
REJETON n. m. (1539), probablement sous l'influence de
rejet et de l'ancien français
jeton « nouvelle pousse » (
XIIIe s.), dérivé de
jeter*. Le mot désigne proprement un nouveau jet poussant sur la souche ou le tronc d'un arbre.
◆
Il a pris le sens figuré de « descendant, enfant » (1564), de nos jours littéraire et archaïque, à côté de la reprise plaisante et familière au sens d'« enfant, fils » (1935), avec lequel on rencontre quelquefois le féminin
rejetonne.
◈
L'adjectif
REJETABLE, d'abord
rejettable (1538), est assez rare.
RELÂCHER, RELÂCHE → LÂCHER
RELANCE, RELANCER → LANCER
RELAPS, SE adj. et n. est emprunté (1384) au latin ecclésiastique médiéval relapsus « retombé dans le péché » (1324), emploi spécialisé et figuré du latin classique relapsus « retombé », participe passé adjectivé de relabi « refluer, retomber en arrière », et, au figuré, « retomber dans, revenir à ». Ce verbe est formé de re- (→ re-) marquant le mouvement en arrière, et de labi « glisser, tomber » et, au figuré, « se tromper » (→ lapsus).
❏
Le mot est emprunté au sens religieux de « retombé dans la faute, le péché », employé en particulier à propos de Jeanne d'Arc, accusée d'hérésie et de rechute dans l'hérésie après abjuration (1431, Procès de condamnation... de Jeanne d'Arc). Par extension, il se dit au figuré d'une personne qui réitère une faute, un crime, emploi très littéraire (par exemple, Bloy).
❏ voir
COLLAPSUS, LABILE, LAPS.
RELATER v. tr. est un dérivé savant (1342) du latin relatus « relation, narration », de relatum, supin de referre « reporter, rapporter, rétablir, raconter » (→ référer).
❏
Le verbe signifie « raconter de manière précise et détaillée ». Il s'emploie spécialement en termes de procédure au sens de « rapporter, mentionner » (XVIe s.).
❏ voir
RELATIF, RELATION.
RELATIF, IVE adj. et n. est emprunté (1265) au bas latin relativus, terme scolastique qualifiant ce qui n'est tel que par rapport à certaines conditions, spécialement employé en grammaire ; c'est un dérivé (IVe s.) du latin classique relatum, supin de referre « rapporter » (→ référer).
❏
Le mot, emprunté en philosophie, garde le sens de l'adjectif bas latin et s'oppose à
absolu. Il est substantivé dans cet emploi, avec une valeur de neutre, à l'époque de la systématisation de la terminologie philosophique (1803).
■
Repris comme terme de logique (1370), il qualifie un terme dont l'idée comporte un rapport avec un autre terme. Le sens philosophique entre dans l'usage courant avec la construction relatif à (1380), qualifiant une chose qui se rapporte à une autre chose, à une personne.
◆
L'adjectif qualifie aussi, au XVIIIe s., ce qui dépend d'un état du sujet (1760), par opposition à objectif, et ce dont on peut se contenter même si cela n'est pas satisfaisant (v. 1776, Rousseau).
◆
De l'emploi correspondant en latin médiéval procède au XVIe s. la spécialisation grammaticale moderne, pour qualifier les pronoms qui rattachent un mot à une proposition ou deux propositions l'une à l'autre (1562) ; un relatif n. m. désigne ce pronom (1680) ; une relative la proposition ; la terminologie grammaticale s'enrichit par la suite des syntagmes adjectif relatif (1835), proposition relative (1870) et adverbe relatif (1907).
◆
En musique, l'adjectif qualifie un ton donnant à la clef les mêmes signes de tonalité qu'un ton de l'autre mode (1737, Rameau).
◆
Il qualifie en mécanique un mouvement étudié par rapport à un système mobile (1923) ; antérieur si l'on en juge par relativité.
❏
Les dérivés se rapportent aux sens philosophique et courant :
RELATIVEMENT adv. (
XIVe s.) exprime d'abord l'idée « de manière conditionnée, non absolue », et s'emploie spécialement dans la locution
relativement à « pour ce qui est de, quant à » (1718). Par extension, il a pris la valeur familière de « moyennement » (1875, Larousse).
■
RELATIVITÉ n. f. (1805) désigne la qualité de ce qui est relatif, d'abord en sciences (chimie) et en philosophie, spécialement dans l'expression relativité de la connaissance (1866, de nos connaissances).
■
D'après les mouvements relatifs de systèmes de référence, il s'emploie spécialement (1915) pour l'ensemble des théories fondées sur les travaux d'Einstein à partir de 1905. Selon ces théories, certaines lois se conservent dans des systèmes en mouvement relatifs les uns par rapport aux autres mais non dans tous. La nouvelle hypothèse physique fut énoncée par Einstein en deux étapes que désignent en français les appellations relativité restreinte et relativité généralisée enregistrées en 1932.
■
RELATIVISME n. m. est un terme de philosophie, peut-être d'après l'anglais relativism (1865), pour désigner la doctrine qui admet la relativité de la connaissance humaine (1875). Par extension, il s'applique à la position selon laquelle les valeurs morales, intellectuelles sont relatives aux circonstances sociales, culturelles et, par conséquent, variables.
■
À son tour, le mot a produit (1876) RELATIVISTE n. pour désigner le partisan d'une telle doctrine, adjectivé ultérieurement pour qualifier ce qui concerne la théorie de la relativité, par exemple dans physique relativiste.
■
RELATIVISER v. tr., formé ultérieurement (1932), signifie « dénier à (une chose) un caractère absolu ». Ce verbe est devenu usuel avec la valeur de « considérer comme relatif, secondaire, non essentiel », alors souvent en emploi absolu (ce n'est pas si grave ; il faut relativiser). En linguistique, le verbe a la valeur technique de « transformer en une proposition relative ».
◆
Le dérivé RELATIVISATION n. f. est d'un usage didactique ou technique (1969 en linguistique, « transformation en relative »).
❏ voir
CORRÉLATION, RELATER, RELATION.
RELATION n. f. est emprunté (v. 1220) au latin relatio, -onis, nom tiré du supin relatum du verbe referre (→ référer) pour désigner l'action de reporter ou de rapporter, avec à partir du Ier s. la valeur juridique de « témoignage, rapport » et la valeur logique de « lien entre deux choses ».
❏
Le mot, emprunté comme terme philosophique pour désigner le rapport d'indépendance entre deux choses ou deux personnes dans leur mode d'existence, a reçu un sens général, nommant un rapport réciproque quelconque entre deux êtres, deux choses (1338). La locution
avoir relation à, « être en rapport avec » (1588), a disparu après le
XVIIe s. au profit de la variante
être en relation avec (1718), toujours employée. Appliqué aux rapports sociaux, le mot s'applique à des liens de dépendance, d'interdépendance et d'influence réciproque (1677), au fait de communiquer avec qqn (1677) ; par métonymie, il désigne la personne avec laquelle on entretient des rapports professionnels ou mondains (1829).
Avoir des relations (mil.
XIXe s.) correspond à « connaître des personnes influentes ».
■
À partir du XIXe s., le pluriel relations désigne les rapports officiels entre les peuples, les nations, les États (1835 ; déjà au singulier, 1762).
◆
Une autre valeur concerne les rapports sexuels, elliptiquement pour relations sexuelles.
■
L'expression relations publiques est calquée (1959) sur l'anglais des États-Unis public relations, aussi utilisée par emprunt en français et désignant l'ensemble des activités professionnelles dont l'objet est d'informer l'opinion sur les réalisations d'une entreprise et de susciter l'intérêt en sa faveur ; cet emploi a reculé depuis 1975-1980, ces activités étant englobées dans la communication.
■
Le sens abstrait initial de relation a été repris au XVIIIe s. dans divers vocabulaires techniques, l'Encyclopédie enregistrant le mot comme terme de géométrie, de musique, et aussi d'art (1765).
◆
En physiologie, l'expression fonctions de relation (1918) désigne celles qui mettent en œuvre le système nerveux supérieur, par opposition aux fonctions de nutrition et de reproduction, et, en zootechnie, relation nutritive se dit du rapport existant dans une fonction alimentaire entre les matières digestibles et non digestibles (1923).
◆
En logique, relation désigne une fonction propositionnelle à deux arguments (1964), d'où calcul des relations, théorie des relations (1968).
■
Emprunté simultanément au latin dans le sens de « récit » (v. 1220, faire relation), spécialisé dans sa valeur juridique de « disposition faite par qqn de ce qu'il sait de qqch. » (1284, encore au XVIIIe s. dans les Coutumes d'Auvergne et du Berry), il désigne dans l'usage courant, le récit, la narration d'un fait (v. 1360), spécialement le récit d'une expédition lointaine (1602). Du XVIIe au XIXe s., terme de relation (1690) s'est dit d'un mot que les voyageurs donnent comme employé dans les pays lointains qu'ils ont visités, et qui peut donner lieu à un emprunt.
❏
RELATIONNEL, ELLE adj. apparaît d'abord en logique dans un commentaire (1870) d'un emploi du Britannique M. Morell, puis en psychologie pour qualifier ce qui consiste en une relation, est propre à une relation ; il est repris en linguistique (1916) pour qualifier l'adjectif dérivé d'un nom exprimant le rapport entre le nom dont il est issu et le nom auquel il est joint. Dans la plupart de ces emplois, c'est probablement un emprunt à l'anglais
relational, attesté dès le
XVIIe siècle.
■
RELATIONNÉ, ÉE adj. s'est employé au début du XXe s. (av. 1922, Proust) pour qualifier une personne pourvue de relations, de connaissances influentes ; il est demeuré rare, tout comme RELATIONNER v. tr. « mettre en relation » (1957, Jankélévitch) et, absolument, « entrer en relation » (dans les petites annonces).
◆
RELATIONNISTE n. se dit en français du Québec pour « spécialiste des relations publiques ».
❏ voir
CORRÉLATION, RELATER, RELATIF.
1 RELAXER v. tr. est emprunté (XIIe s.) au latin relaxare « desserrer, relâcher, dilater », au figuré « détendre, épanouir » (→ relâcher), de re- à valeur intensive (→ re-), et laxare « étendre, élargir » (→ lâcher, laisser).
❏
En ancien français, le verbe avait le sens moral de « pardonner » (XIIe s.) s'employant pour « faire grâce d'une dette » (déb. XIVe s.) et pour « remettre à plus tard » (v. 1360). Il n'a conservé que le sens juridique de « remettre en liberté un détenu » (1466 ; dès 1338, « acquitter »). Le sens médical de « détendre » (v. 1560, Paré) a vieilli, mais son emploi par archaïsme a fini par se confondre avec l'anglicisme se relaxer (ci-dessous).
❏
1 RELAXANT, ANTE, son participe présent, est adjectivé en médecine dans l'expression
médicamens relaxans (v. 1560, Paré) ; sorti d'usage, sa reprise au
XXe s. dépend des anglicismes
2 relaxer* et
2 relaxation* (ci-dessous).
■
Le déverbal 1 RELAXE n. f., créé comme terme de droit pénal (1671) dans sentence de relaxe « sentence qui absout un accusé », a été repris (1823) pour la décision par laquelle un tribunal renvoie des fins de la poursuite celui qui en était l'objet.
◈
1 RELAXATION n. f., réfection de
relanssacion (1314), est emprunté au latin
relaxatio, -onis « détente, relâche », « repos », du supin
(relaxatum) de
relaxare.
■
Le mot, repris par les médecins médiévaux pour désigner l'action de relâcher, de desserrer un pansement, prend ensuite le sens de « décontraction (musculaire) » (v. 1560, Paré), archaïque puis réactivé par anglicisme (ci-dessous). Le sens juridique de « mise en liberté », enregistré par Furetière en 1690, tend à vieillir.
◈
2 RELAXER (SE) v. pron. est emprunté (v. 1950) à l'anglais
to relax, lui-même emprunté au français
1 relaxer* « relâcher » (1420), qui a pris plusieurs valeurs physiologiques, puis psychologiques aux
XVIIe et
XVIIIe s., dont celui de « se détendre » (1935). L'acclimatation de l'anglicisme a été favorisée par l'existence du sens médical archaïque (ci-dessus
1 relaxer).
■
Le verbe s'est répandu à la forme pronominale, quelquefois employé en construction transitive avec le sens de « détendre (qqn) » (1969). Relaxer s'emploie aussi en intransitif, notamment en français du Québec.
■
Son participe présent adjectivé 2 RELAXANT, ANTE (1961), qui rend l'anglais relaxing, rejoint un emploi ancien, mais dans un autre contexte.
◈
2 RELAXATION n. f. est aussi un emprunt du
XXe s. à l'anglais
relaxation (1526), lui-même emprunté comme le français
1 relaxation au latin
relaxatio. Outre les valeurs communes aux deux langues, il s'est employé depuis le
XVIe s. au sens de « relâchement de l'esprit ». L'adaptation de l'anglicisme a été facilitée par l'existence du sens médical français qui était à peu près sorti d'usage.
■
Ce mot désigne en psychologie (v. 1950) une méthode thérapeutique de détente et de maîtrise des fonctions corporelles par des procédés psychologiques actifs, technique développée aux États-Unis et en Allemagne. Par extension, il signifie en général « détente » (1953).
◆
Le mot avait repris de l'anglais le sens technique d'« ensemble des phénomènes par lesquels un système en rupture d'équilibre revient à son équilibre initial » (1937), très voisin du sens que relaxation a eu autrefois en physiologie (relaxation de fibres).
■
La forme 2 RELAX ou RELAXE adj. et n. (v. 1955) recouvre plusieurs mots : deux anglicismes par emprunt d'un nom et d'un adjectif archaïques, un déverbal du verbe 2 se relaxer, et enfin une abréviation de 2 relaxation. La relation avec la forme française 1 la relaxe (ci-dessus) est de simple homonymie.
◈
Le mot qualifie et désigne ce qui favorise la relaxation, le repos ; par extension, il est synonyme de « repos, décontraction » (1966). On le rencontre en emploi interjectif avec une valeur incitative
(relax, Max !), quelquefois écrit
rilax, par transcription de la prononciation anglaise du verbe
(just relax !).
2 RELAXER (SE) → 1 RELAXER
?
RELAYER v., d'abord relaier (fin XIIIe s.) puis relayer (1573), est formé de re-* et de l'ancien verbe picard, wallon et lorrain laier « laisser les chiens fatigués pour en reprendre de frais », et peut-être en général « laisser ». Ce verbe (fin XIIe-XVe s.) est d'origine incertaine, soit apparenté à laisser*, soit d'un francique °laibjan, restitué par l'ancien haut allemand leiben « laisser ». P. Guiraud, contestant le rapprochement laier-laisser, fait remonter le premier au latin populaire °lacare « être stagnant » d'où « immobiliser », relayer consistant selon lui à « immobiliser les chevaux ou les chiens ».
❏
Le verbe s'employait autrefois intransitivement en vénerie pour « changer les chiens pendant la chasse à courre » et, par analogie, « changer de chevaux » (1573). Au XVIIe s., la construction transitive assume le sens étendu de « remplacer (qqn) dans un travail, une occupation » (1636), aussi à la forme pronominale se relayer (1680). Le mot s'emploie absolument en sports (1869). Il se dit aussi d'un satellite de télécommunications, d'une station de radio ou de télévision qui retransmet une émission de l'émetteur principal à un autre émetteur (1933), en relation avec relais.
❏
Le déverbal
relai n. m. (
XIIIe s.) s'est altéré en
RELAIS d'après le verbe
relaisser, préfixé de
laisser*, employé comme terme de chasse au sens de « s'arrêter de fatigue » (1559,
se relaisser) ou d'après le déverbal de ce dernier,
relais « ce qui est laissé » (
XIIe s.). L'Académie recommandait en 1976 l'ancienne graphie
relai, par analogie avec
délai.
■
Le nom présente le même sémantisme que le verbe : c'est d'abord un terme de chasse désignant le repos des chiens (XIIIe s.) et, collectivement, les chiens postés sur le parcours d'une chasse pour remplacer les chiens fatigués (1549), d'où, par extension, la locution donner le relais « lancer les chiens » (1685). De même, relais désigne le cheval posté pour renforcer ou remplacer celui qui avait servi (1573) d'où, par métonymie, le poste où ce cheval était préparé (surtout dans relais de poste). Il s'ensuit un usage métaphorique et figuré répandu notamment dans la locution prendre le relais (1951), le mot s'appliquant à une étape entre deux points, à une personne servant d'intermédiaire entre deux autres. Déjà au début du XVIIe s. (1616), relais s'applique à un groupe d'hommes se remplaçant.
■
En technique, relais désigne un poste de travail, avec diverses applications en électricité (1877), radioélectricité, mécanique. Il dénomme en particulier un dispositif servant d'intermédiaire pour déclencher, par la mise en œuvre d'une énergie relativement faible, une énergie plus forte (1860) et (XXe s.) un dispositif recueillant et renvoyant des ondes (relais de radio, de télévision...).
◆
En sports (1905), relais et course de relais désignent une épreuve courue par quatre coureurs successifs qui se passent un témoin.
■
L'autre dérivé de relayer, RELAYEUR, EUSE n., créé pour désigner la personne qui entretenait les relais de chevaux (1855), s'emploie aujourd'hui en sports à propos de la personne qui prend le relais d'un coéquipier, puis l'athlète spécialisé dans les courses de relais (1924).
RELÉGUER v. tr., d'abord releguer (v. 1370) puis reléguer avec accent (1549), est emprunté au latin relegare « éloigner, écarter d'un lieu », spécialement « bannir, frapper d'exil dans un lieu assigné sans priver des droits civils et politiques ». Ce verbe est composé de re- (→ re-) marquant le mouvement en arrière et le mouvement de côté, et de legare « envoyer avec une mission, députer » (→ légat), lui-même de lex, legis (→ loi).
❏
Le verbe a été introduit au sens latin comme terme d'antiquité romaine. Par extension, il signifie « mettre, maintenir (qqn, qqch.) dans un lieu écarté » (1588), développant le sens figuré de « rejeter et maintenir dans une condition médiocre, classer avec mépris » (1680).
■
En droit pénal, il s'applique à la peine de la relégation, pour « interner (un condamné) dans un territoire colonial déterminé » (1888), puis « infliger la peine complémentaire de la tutelle pénale à (un récidiviste) ». Ces emplois sont un peu postérieurs à celui de relégué, ée (ci-dessous).
En français de Provence, le verbe a pris le sens de « battre, infliger une dure défaite à (qqn) ». Se reléguer s'emploie pour « se blesser » et « s'épuiser » (Cf. se crever).
❏
L'adjectif
RELÉGUÉ, ÉE, tiré du participe passé (1588), s'est employé au sens général de « mis à l'écart » et a été repris en droit pénal (1885,
Bulletin des lois). Le mot a des connotations particulières en français de Nouvelle-Calédonie, du fait de l'histoire du pays, et s'employait au figuré comme terme d'insulte.
■
RELÉGABLE adj., autre adjectif d'usage juridique, désigne un prévenu passible de la peine de relégation (1888).
◈
RELÉGATION n. f., apparu en même temps que le verbe sous la forme
relegacion (v. 1370) refaite en
relégation (1549) d'après le latin, est emprunté au latin
relegatio, -onis « exil dans un lieu assigné », du supin
(relegatum) de
relegare.
■
Le mot reste d'un usage plus technique que reléguer. Repris comme terme de droit romain, il a pris en droit pénal, d'après relégué (ci-dessus), l'acception d'« internement dans une colonie française à titre de pénalité » (27 mai 1888), désignant ensuite la peine complémentaire qui frappait certains récidivistes (1953), remplacée en 1970 par la tutelle légale. Dans son emploi en droit pénal, il a produit l'abréviation argotique la RELÈGUE n. f. (1899).
RELENT n. m., d'abord écrit relans (déb. XIIIe s.), puis relent (1256), est la substantivation d'un adjectif lui aussi écrit relans (déb. XIIIe s.) puis relent (v. 1550, Ronsard), usité jusqu'au XVIIe s. pour qualifier une substance ayant mauvais goût à la suite d'un séjour dans un lieu clos et humide. Cet adjectif est formé de re-* intensif exprimant l'idée que l'objet en question a été enfermé pendant un laps de temps excessif, et de lent* au sens ancien de « visqueux, humide, moite », sens attesté au XVIe s. dans l'usage littéraire (v. 1580, Montaigne), mais ancien dans les dialectes, du latin lentus qui avait aussi le sens de « visqueux ». L'idée de base, pour l'ancien français lent comme pour lentus, est alors celle de « mollesse ». Cet adjectif est encore attesté en Belgique (Mons), le sens de « moite, humide » restant vivant en Bourgogne, dans le Berry et le sud de la France, ainsi que dans l'espagnol liento, le rhéto-roman lien, le sarde lentu et pour la forme préfixée, le catalan rellent, de même que le picard relent « moiteur ».
❏
Le mot a d'abord désigné une odeur de moisi et, par métonymie, le lieu où règne cette odeur (1256) ; il s'employait souvent à propos d'un cadavre et, à partir du XVIe s., désigne la mauvaise odeur contractée par un aliment resté dans un lieu fermé ou humide.
◆
De nos jours, il est surtout employé au sens élargi et plus faible de « mauvaise odeur qui persiste » (1875). Dès la fin du XVIIe s., renouant avec son premier emploi (v. 1215, les relents de la paresse), il est employé au figuré à propos d'une trace déplaisante qui subsiste de qqch.
+
RELEVER v. est soit formé en français (1080) de re- et du verbe lever*, soit emprunté au latin relevare « soulever », au figuré « soulager », de re- (→ re-) à valeur intensive, et de levare « alléger, soulager, soulever ». Les deux modes de formation ont pu jouer aux XIe-XIIe siècles. Le verbe a dû s'employer plus tôt, probablement dès le XIe s., relief (ci-dessous) étant dérivé de formes verbales anciennes comme je relief.
❏
Le premier sens du verbe est concret : « remettre debout (un être animé) ». Celui de « prendre à terre (un objet) » (v. 1155) a vieilli en dehors de locutions métaphoriques, comme
relever le gant ou figurées,
relever un défi, ce sémantisme survivant cependant dans l'emploi moderne du mot à propos d'un professeur qui ramasse des copies, des cahiers sur les tables.
◆
Un autre sens concret, « remettre en bon état, en bonne position (une chose abattue) » (v. 1160), s'est largement répandu ; en procèdent quelques emplois techniques (aujourd'hui disparus ou presque) comme
relever un navire (1680),
relever une maille (1812),
relever un fer à cheval (1870).
■
À cette idée de rétablissement se rattache le sens figuré de « rendre (la dignité, la prospérité) » (v. 1170), « redonner (énergie, courage) » (1564).
◆
C'est de contextes comme relever un défi que procède le sens de « répondre vivement et avec aigreur à (qqch.) » (v. 1360), sorti d'usage, et à partir duquel le verbe a acquis les valeurs classiques de « reprendre vertement (qqn) » (1611), « corriger » (1696), toutes deux devenues archaïques, et « mettre en relief, faire remarquer (qqch.) en bien ou en mal » (1636) encore en usage.
De cette dernière valeur, interprétée avec une valeur neutre faisant de relever un synonyme d'enregistrer (v. 1465), viennent les sens de « noter la position, la disposition de (qqch.) » en topographie (1640), « noter par écrit, par un croquis » (1811) et, de manière moins formelle, « remarquer une chose, y prêter attention » (1811). Relever les compteurs, métonymie pour « relever les chiffres inscrits » (1890, relever sur un compteur à gaz), s'emploie au figuré pour « faire le bilan ». En argot, relever les compteurs s'est dit pour « percevoir les gains d'une prostituée ».
Un second sens fondamental lié à
lever est « remettre au plus haut », attesté à travers le sens figuré de « mettre en relief, donner de l'éclat à (qqch.) » (v. 1278), dont procède l'acception technique « broder (une broderie) en point de coton, de soie ou de métal pour donner plus d'éclat » (1690).
■
Au XVIe s., le verbe commence à s'employer concrètement pour « remettre au plus haut, donner plus de hauteur à » (1573) et « orienter, diriger vers le haut » (1559), d'où l'expression courante relever la tête au figuré « reprendre de la fierté, du courage » (1835). Selon le type de complément et le contexte, ce sens de base se décline en « porter (une chose) à un niveau supérieur » (1674) et « donner plus de goût à (un mets) » (1670), plus courant dans le participe adjectivé relevé.
◆
À l'époque classique, le mot a signifié « exalter, louer (qqn) » (1608).
■
Par l'intermédiaire de « délivrer (qqn) d'une peine » (v. 1355), métaphore sur « faire sortir en levant », relever a dégagé son troisième sens « libérer (qqn) d'une obligation, d'un engagement » (1549), valeur dont procèdent deux acceptions : « remplacer (qqn) dans ses fonctions » (1654), par exemple dans relever une sentinelle*, un ouvrier à un poste de travail « prendre sa place quand il a fini son service » et « destituer de ses fonctions » (1875). On peut interpréter ainsi un emploi du français québécois, relever (une accouchée) « la remplacer, la relever dans ses activités », qui peut aussi se comprendre comme « aider à se relever », en relation avec les relevailles (ci-dessous).
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L'emploi du verbe dans le contexte d'un repas pour « remplacer (un service) par le suivant » (1671), qui participe du même sens, est sorti d'usage, mais survit au XIXe s. avec le participe substantivé relevé (ci-dessous).
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La forme pronominale se relever (déb. XIIe s.) signifie concrètement « se remettre debout » et, avec une valeur itérative, « sortir du lit à nouveau » (v. 1360), l'emploi le plus usuel étant se relever la nuit, avec l'expression figurée à se relever la nuit « très bon, extraordinaire », il n'y a pas de quoi se relever la nuit correspond à « cela n'a rien d'exceptionnel ». Au figuré, se relever s'emploie pour « sortir d'une situation difficile » (1588) et tend à supplanter l'emploi intransitif au sens de « se diriger vers le haut » (1841).
Quant à l'emploi intransitif du verbe, aussi ancien que l'emploi transitif (1080, « se mettre debout »), il est plus rare ; il assume le sens de « se remettre » (v. 1155), avec un complément, dans le contexte de la maladie (1256) ou de l'accouchement : on a dit relever absolument (XIVe s.) puis relever de couches (1640).
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La construction relever de, d'abord « être dans la dépendance de » (1573), signifie couramment « être sous la domination de » (1636), « être du domaine de » (1846) et enfin « être du ressort, de la compétence de » (1910), le sujet désignant une chose.
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RELIEF n. m., dont la première attestation (1050) fait présumer d'une ancienneté au moins égale pour le verbe, est le déverbal de
relever d'après les anciennes formes accentuées sur le radical, comme
je relief à l'indicatif présent.
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Le mot désigne au singulier, puis surtout au pluriel (v. 1320), les restes de nourritures que l'on enlève (« relève ») de la table une fois le repas terminé. Il a reçu en droit féodal le sens d'« action de relever un fief ». Les emplois où relief est encore en relation avec le verbe ont disparu, on ne connaît plus que les reliefs du repas, du festin.
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Le développement sémantique ultérieur est conditionné par l'influence de l'italien relievo « ce qui fait saillie » (XIVe s.), terme de sculpture, lui-même déverbal de rilevare « relever », de ri- préfixe à valeur intensive (→ re-), et de levare « lever, enlever » (→ lever) du latin levare de même sens. RELIEF n. m. au sens technique d'« ouvrage de sculpture relevé en bosse » (1547) peut être considéré comme un mot nouveau. Son sens s'est étendu à tout ce qui fait saillie sur une surface (1544), tout en donnant à l'architecture les termes bas*-relief (1547) et beaucoup plus tard haut*-relief (1875). Au XVIIe s., il désigne aussi l'apparence de saillies et de creux donnée à un tableau, par l'opposition des parties claires et des parties sombres (1641) ; cette valeur s'étend à la photo au XIXe siècle. Le sens figuré de « ce qui ressort, tranche sur le banal, le commun » (1655) correspond à celui d'« éclat, considération dans le domaine social » (1637), métaphore spatiale sur l'élévation. On dit ainsi donner du relief (1671) « donner de l'éclat ». La locution mettre en relief (1793) a suivi le même développement, prenant une valeur figurée (1893). Relief s'est spécialisé en géographie physique (1831), emploi entré dans l'usage courant, et, plus techniquement (1934) dans relief acoustique désignant la sensation auditive de l'espace donnée par les deux oreilles.
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D'autres dérivés de
relever conservent un lien sémantique avec le verbe.
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RELEVÉ, ÉE, participe passé de relever, est employé dès l'ancien français comme adjectif pour « qui a repris courage » (fin XIIe s.), sens disparu.
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Le mot est repris au XVIe s., avec le sens concret de « ramené vers le haut » (1559) et quelques valeurs figurées : « au-dessus du commun dans l'ordre moral, intellectuel » (fin XVIe s.) s'est maintenu ; les emplois pour « sublime » (1580), « élevé socialement » (1670) ont disparu.
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L'adjectif sert à caractériser un mets piquant, fortement assaisonné (1670) et, par analogie, ce qui est rendu éclatant par une autre chose (av. 1662, Pascal), ce qui a un ton vif, haut en couleur (fin XIXe s.).
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Substantivé, le relevé (1740) désigne le travail du maréchal-ferrant enlevant le fer d'un cheval et le rattachant avec des clous neufs. Plus couramment, le nom, d'après le verbe, désigne l'action de noter par écrit (1740), d'où la levée d'un plan, de renseignements (XXe s.). Il se dit aussi de l'action de lever, de relever (1870), spécialement en parlant d'un mouvement de danse (1964). Il s'est employé pour un plat qui en remplaçait un autre (1803, probablement antérieur, le sens correspondant de relever étant attesté dès le XVIIe s.) [ci-dessus].
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RELEVÉE n. f., participe passé féminin, est substantivé (v. 1150) pour désigner, par allusion au moment où l'on se relève après la sieste, le temps de l'après-midi (deux, trois heures de relevée) ; ce sens, supplanté dans l'usage général par après-midi, reste vivant localement.
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RELEVAILLES n. f. pl. (fin XIIe s.) désigne une cérémonie à l'église, la première fois qu'une femme s'y rend après ses couches, ainsi que le fait de se relever de couches (v. 1360). Plus souvent, il se dit, par métonymie, des réjouissances célébrées à l'occasion de la cérémonie (1690).
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RELÈVEMENT n. m. (fin XIIe s.) a eu le sens religieux de « résurrection » et une valeur plus générale, « action de relever, de soulager » (v. 1190). Au XVIe s. (1559), le mot désigne au figuré le rétablissement, le redressement de la prospérité économique ou sociale. Il s'emploie aussi concrètement pour le fait de remettre une chose debout, en place (1611).
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Dans l'usage classique, il se dit d'après le verbe, pour l'action de noter par écrit (av. 1654) et, par métonymie, signifie « tableau, écrit » (av. 1654), avant d'être remplacé par relevé. Relèvement a pris, par l'intermédiaire du sens d'« action de déterminer la position d'un objet » en topographie (1771), des valeurs techniques en marine : « angle que fait avec le nord vrai la direction d'un point fixe à terre, d'un bateau (déterminant la position), d'un astre » (1835) ; en aéronautique, « position géographique d'un avion en vol ». D'après l'emploi du verbe en économie, il désigne l'action d'augmenter un prix, une rémunération (1923).
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RELEVEUR, EUSE n., attesté une première fois sous la forme releveres (cas sujet) au sens de « celui qui relève, qui soutient la sainte Église » (v. 1250), a été repris en médecine sous sa forme actuelle (v. 1560) pour qualifier un muscle dont l'action est de relever un organe. Il s'est étendu beaucoup plus tard au sens général de « qui relève » (1875), substantivé comme nom d'appareil (1865, en chirurgie ; 1877, pour un appareil de la moissonneuse) et pour désigner l'employé chargé de faire des relevés de compteur (v. 1920), emploi le plus usuel.
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RELEVAGE n. m. (1348), employé comme terme de féodalité, pour « droit de relever un fief », a disparu. Le mot a été repris au XIXe s. en technique pour « action d'éplucher et de nettoyer le papier nouvellement fabriqué et encore humide » (1842). Il joue aussi le rôle de nom d'action de relever (1845), spécialement pour « escamotage du train d'atterrissage d'un avion », « remise à flot d'un navire coulé » et « dégagement et remise sur la voie d'un matériel ferroviaire déraillé » (sens mentionnés dans les dictionnaires en 1964).
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RELÈVE n. f., déverbal (1872, Journal officiel), est le nom d'action correspondant à relever, pour le remplacement d'une troupe et par extension de ceux qui sont chargés d'une tâche, d'une équipe de travail. Par métonymie, il s'applique à la troupe exécutant cette opération (1904) et, par métaphore, à ceux qui remplacent ou doivent remplacer les générations précédentes. La locution prendre la relève (1895) possède ces divers emplois.
RELIER, RELIURE... → LIER
RELIGION n. f. est un mot emprunté (v. 1085) au latin religio dont l'étymologie est controversée depuis l'Antiquité. À la suite de Lactance, de Tertullien, les auteurs chrétiens se plaisent à rattacher religio au verbe religare « relier », de re- (→ re-) à valeur intensive, et de ligare (→ lier). La religion ayant pour objet des relations que l'on entretient avec la divinité, le mot a été interprété comme valant initialement pour « attache » ou « dépendance », les variations de sens étant analogues à celles de rattachement et attachement, désignant à la fois le lien effectif et le lien affectif. Une autre origine est signalée par Cicéron et appuyée de son autorité : religio serait tiré soit de legere « cueillir, ramasser » (→ lire) avec adjonction d'un préfixe re- (→ re-) marquant l'intensité ou le retour en arrière, soit de religere, « recueillir, recollecter », verbe attesté seulement par un participe. D'après Émile Benveniste, ce verbe signifiait, abstraitement, « revenir sur ce que l'on a fait, ressaisir par la pensée ou la réflexion, redoubler d'attention et d'application », développement comparable à celui de recolligere (→ recueillir, recolliger). De fait, religio est synonyme de « scrupule », « soin méticuleux », « ferveur inquiète », ce qui semble exclure, en latin classique au moins, l'idée de relation avec le sacré. Dans ce sens, le mot convient cependant à l'exercice du culte, à l'observance rituelle qui exigent une pratique littérale et vigilante. Équivalant à « délicatesse de conscience, recueillement, circonspection minutieuse », le terme a pu se fixer rapidement et presque exclusivement sur l'expérience ou la manipulation du sacré. Il ne recouvre à l'origine qu'un ensemble de pratiques, croyances et obligations morales, glissant de la disposition subjective évoquée ci-dessus aux réalités objectives que cette disposition concerne. L'interprétation d'É. Benveniste conduit à écarter la tradition chrétienne d'un rapport avec religare, d'autant que ce verbe a pour nom abstrait, non pas °religio, mais religatio « action de lier » (comme ligatio de ligare). Dans le haut moyen âge, religio désigne la discipline monastique, la profession religieuse (Ve s.), l'ordre religieux (1143) et l'ensemble des vérités et devoirs religieux. Il semble que les langues occidentales, à la différence d'autres idiomes, même indoeuropéens, ont spécialisé un vocable pour distinguer l'appareil des croyances et des rites de toutes les autres institutions sociales. Cette rupture et ce transfert correspondent à la pensée distincte d'un domaine qui n'avait jamais été pensé à part, les sociétés archaïques n'isolant pas la sacralité de la socialité, leur constitution du social étant intrinsèquement religieuse.
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Le mot passe en français avec la restriction sémantique qu'il avait subie en latin médiéval, désignant le monastère, la maison religieuse, appelée aussi
église de religion. Avec ce sens, devenu rare vers la fin du
XVIIe s., il prend des valeurs concrètes et abstraites, désignant un ordre monastique (v. 1155) et l'état des personnes engagées par des vœux dans un ordre, spécialement dans les locutions
entrer en religion (v. 1170) et
nom de religion (1870) ; il fut même étendu à une société reconnue par l'autorité ecclésiastique et dont les membres prononcent des vœux (v. 1460), spécialement à propos de l'ordre de Malte (1614). Ces nuances sont confondues dans la locution figurée
être de la religion de saint Joseph « être marié » (1640), qui a disparu.
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Depuis la première moitié du XIIe s. (v. 1120), le mot désigne en général une pratique liée à une foi déterminée et à une certaine doctrine de la divinité ; dans cette acception liée à culte et à rit (rite), le mot ne concerne, jusqu'au milieu du XVIe s., que le seul catholicisme romain ; l'extension à d'autres cultes, même non chrétiens, apparaît au XVIe s. (1538). C'est à cette même époque que le mot s'emploie avec une majuscule pour désigner le protestantisme (1533), d'où ceux de la religion « les protestants », elliptiquement pour « religion réformée » (fin XVIe s.) devenu chez les catholiques romains religion prétendue réformée* ou RPR (→ réforme). L'expression guerres de Religion est postérieure (attestée en 1701). Elle désigne les troubles et les actions violentes provoquées au XVIe s., en France, après 1562, par les réactions catholiques à la Réforme, massacre des protestants à Wassy (1er mars 1562), massacre de la Saint-Barthélemy (août 1572), assassinat du duc de Guise (1588), de Henri III (1589), malgré l'édit de pacification d'Amboise (1563), la « paix de Monsieur » (1576). Henri IV, ayant abjuré le protestantisme, accorda aux Réformés l'édit de Nantes (1598).
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Au XVIIe s., l'emploi dominant de religion en France pour la seule religion catholique romaine témoigne du refus de considérer les autres systèmes de croyance ; ainsi Furetière écrit : « Tous les cultes des faux Dieux ne sont que superstition, ne s'appellent religion qu'abusivement » (1690). Cependant, on commence à employer le mot plus objectivement, par exemple dans religion de Mahomet (v. 1590). À l'époque des Lumières, le mot entre dans l'expression religion naturelle (v. 1742), d'abord en parlant des principes moraux communs à tous les humains, puis d'une religion indépendante de toute révélation divine (1765). Religion d'État désigne (1868) une religion bénéficiant de la protection de l'État sur tout son territoire reflétant la séparation de la religion et de la politique, qui correspond à celle des institutions, Église et État.
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En dehors du domaine ecclésiastique et dogmatique, le mot a pris dès le XIIe s. des valeurs éthiques plus subjectives (v. 1155), désignant une disposition intérieure de piété, de dévotion (v. 1275) et un sentiment de respect, d'adoration et d'obéissance exacte envers ce que l'on considère comme une obligation morale (déb. XVIIe s., Malherbe). Ce sens, renforcé par la valeur de religio en latin classique, se réalise dans quelques locutions comme se faire une religion de (1677), mettre sa religion à (fin XVIIIe s.), éclairer la religion de qqn « l'éclairer » (1797), qui suppose une ancienne métaphorisation, ou surprendre la religion de qqn (1690) « abuser (un juge) par des subterfuges » ; ces locutions sont devenues littéraires, et ce sens tend à se confondre avec l'emploi figuré plus général du mot pour « activité, organisation comparée à une doctrine religieuse » (1810), souvent par ironie. Se faire une religion est demeuré en usage pour « se forger une opinion ».
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Le seul dérivé de
religion procède de son ancienne spécialisation pour désigner l'Église protestante :
RELIGIONNAIRE n. (1562) désigne un membre de l'Église protestante. Il n'est plus utilisé que par les historiens.
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RELIGIEUX, EUSE adj. et n., réfection (
XIIIe s.) de
religius (v. 1112),
religious (v. 1190), est emprunté au latin
religiosus tiré de
religio, avec les sens de « scrupuleux », « pieux », « consacré ». À basse époque, le mot signifie chez les auteurs chrétiens « qui appartient à un ordre et en respecte la règle » (
Ve s.), substantivé au masculin pour désigner un moine (
VIe s.) ;
religiosus offre, dans le haut moyen âge, la même valeur double que
religio (voir ci-dessus).
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L'adjectif religieux, par un autre emprunt au bas latin ecclésiastique, qualifie ce qui se rapporte à l'organisation monastique (v. 1155), en particulier des biens (XIIIe s.), des lieux (XIIIe s.).
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Un religieux (1240, pour « moine ») se dit d'un homme qui a fait profession de foi dans la religion catholique et, plus rarement, dans une autre religion, s'agissant d'un solitaire (voir anachorète, ermite), d'un membre de communauté (voir cénobite) et, plus souvent, d'un ordre (voir moine). Le mot suit le développement sémantique de religion : emprunté en parlant d'une personne qui vit en vertu de sa foi, selon les règles de sa religion (v. 1112), il a pris une valeur subjective : « animé par une foi sincère » (v. 1278). Sa spécialisation pour « adepte du protestantisme » (XVIe s., Brantôme) a disparu. Son extension, par un latinisme littéraire, à une personne exacte, ponctuelle, qui exerce scrupuleusement (v. 1572), encore normale à la fin du XVIIe s. (La Bruyère), est sortie d'usage.
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Religieux s'est appliqué assez tôt (v. 1283) à des choses conformes à la pratique de la religion, témoignant de foi et de piété ; dans un usage didactique, il a le sens neutre de « relatif à la religion » (1538), entrant sous la Révolution, dans des composés comme religio-civique (v. 1792) et civico-religieux « à la fois religieux et civique ». Par extension, il qualifie une personne pleine d'une vénération comparable à celle que la religion inspire pour Dieu (1802, Chateaubriand). Le féminin 1 RELIGIEUSE (1324) a dans le catholicisme un statut différent du masculin religieux, étant donné le caractère exclusivement masculin du clergé séculier. Le statut social des religieuses a évolué, du moyen âge à l'époque classique, où être cloîtrée, prendre le voile n'étaient pas toujours un libre choix. Le type littéraire de la religieuse est exploité notamment à l'époque classique (Guilleragues : Lettres portugaises ; Diderot : la Religieuse). L'emploi du mot a ensuite reculé par rapport à nonne*, à sœur* et aux noms spécifiques des grands ordres féminins.
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Depuis le XVIe s., religieux et surtout 2 RELIGIEUSE désignent différents oiseaux à plumage blanc et noir (1555), par comparaison avec l'habit des moniales.
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L'expression mante religieuse (1845) fait allusion à l'attitude de prière de l'insecte.
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Le mot est passé en couture pour des plis plats groupés dépassant les uns sur les autres (1874, des plis à la religieuse, Mallarmé). Ultérieurement, le nom féminin 3 RELIGIEUSE a été choisi pour désigner un type de gâteau à la crème, parfumé au chocolat ou au café (1904). 4 RELIGIEUSE n. f. s'emploie en français de Suisse (1944) à propos des bords grillés, croustillants, de la meule de fromage exposée au feu, dans la raclette, et aussi de la partie attachée au fond du caquelon de la fondue. À part le sémantisme de « chose agréable à manger », qui est celui de 3 religieuse, l'origine de cet emploi est obscure.
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RELIGIEUSEMENT adv., dérivé de religieux pour « avec foi, piété » (XIIIe s.), a pris les valeurs figurées de « scrupuleusement, avec exactitude » (fin XIXe s.), et « avec adoration ou vénération » (1847, Balzac).
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Pendant la Révolution, on forma ANTIRELIGIEUX adj., « hostile à la religion » (1793). La création d'ARELIGIEUX, EUSE adj. « sans religion » est postérieure d'un siècle (1906-1907, Barrès).
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RELIGIOSITÉ n. f. est emprunté (XIIIe s.) au dérivé bas latin religiositas, -atis « piété » (IVe s.).
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Le mot signifie d'abord « sentiment religieux, habitude de piété », sens sorti d'usage au XVIe siècle. Rare à l'époque classique, il est repris (1801) pour désigner l'aspect sentimental de la religion dénuée de toute attache avec une foi précise, souvent avec une connotation péjorative et par opposition à religion.
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IRRÉLIGIEUX, EUSE adj. est emprunté (1403) au latin
irreligiosus, antonyme en
in- (ir-) de
religiosus aussi employé dans le tour impersonnel
irreligiosum est. Le mot qualifie une personne dépourvue d'esprit religieux ; il se diffusa au
XVIIe s. sous l'impulsion des milieux jansénistes, s'étendant à toute chose étrangère à la religion, alors considérée comme contraire à la religion dominante
(Cf. antireligieux ci-dessus).
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Il a produit IRRÉLIGIEUSEMENT adv. (fin XVe s.), mot littéraire et didactique.
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IRRÉLIGIOSITÉ n. f., emprunté (1483) au latin chrétien irreligiositas « irréligion, impiété », de irreligiosus, se dit de l'absence de sentiments religieux. Très proche sémantiquement de irréligion, il n'entretient pas avec religiosité un rapport d'antonymie. Il a éliminé irreligieuseté (déb. XVIe s.), dérivé de irréligieux avec le suffixe -té (-ité).
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IRRÉLIGION n. f. est emprunté au XVIe s. (1527) au latin impérial irreligio, -onis, de in- (ir-) et du latin classique religio. Le mot, désignant l'absence de croyance et de pratique religieuse, n'a donné lieu à aucune extension de sens. Il est didactique.