❏
Le verbe signifie dès l'origine « demeurer sur place dans le lieu où l'on est ». Il est alors en concurrence avec l'ancien français
remanoir (→ rémanent). Ce sens est resté usuel et a donné lieu à des emplois connus, comme l'exclamation attribuée à Mac-Mahon après la prise du fort de Malakoff, en septembre 1855 :
J'y suis, j'y reste !, reprise plus tard ironiquement lorsqu'il refusa de démissionner de la présidence de la République.
◆
Dès les premiers emplois,
rester signifie aussi « s'arrêter en cours de route sans aller plus loin », au propre (v. 1190) et au figuré, notamment dans les locutions postérieures
rester court (1559),
en rester à (1773) « s'en tenir à »,
en rester là (1754). Cette valeur a donné lieu à des emplois figurés et spécialisés, comme
rester en arrière, employé par exemple à propos d'un bâtiment dont la construction avance moins vite que d'autres (1845), ou bien, en termes de manège,
rester dans la main (1870), qui se dit d'un cheval qui ne cherche pas à échapper à l'action du mors.
■
Plusieurs extensions se sont développées à partir de cette même valeur : rester a pris le sens de « loger, habiter » (1647), marqué comme gasconisme au XVIIIe s., puis comme familier (1893), en fait usuel dans de nombreux usages régionaux du français, notamment occitan, et en français d'Afrique. L'expression elliptique y rester (1585), d'usage familier, induit l'idée de « ne pas revenir d'une entreprise hasardeuse » et constitue souvent un euphémisme pour « mourir », comme les locutions rester sur place (1732), rester sur le carreau (1771).
■
Le sens temporel de « s'attarder, passer trop de temps », enregistré tard dans les dictionnaires (1870), doit être beaucoup plus ancien régionalement, notamment avec une nuance durative dans la construction rester à et infinitif (1832). Rester signifie aussi « être présent, prolonger son séjour » et, avec un sujet désignant une chose, « continuer à apparaître, à se manifester » (1875), cette dernière signification réalisée familièrement dans les locutions rester sur l'estomac, le cœur, « écœurer ».
■
Une autre acception ancienne du verbe est « se trouver durablement dans une position » (v. 1240) et, de là « continuer à être dans tel ou tel état », suivi d'un complément prépositionnel ou d'un attribut (1671). D'où le sens de « se maintenir dans la même attitude » (v. 1750, Buffon), par exemple dans les expressions rester debout, rester tranquille, et le sens abstrait « garder le même statut, la même fonction professionnelle » (av. 1778, Voltaire).
■
Un développement du XVIIe s. a donné au verbe le sens de « subsister, continuer à vivre », réalisé en construction impersonnelle (1635) et personnelle (1640).
◆
Par opposition à ce qui passe, disparaît, il exprime l'idée de « continuer à être, à exister » (1748) et de « se perpétuer dans la mémoire, dans l'usage » (1764).
◆
En français régional de France, en français de Belgique, du Québec, en français du Liban, rester s'emploie pour « habiter, vivre (dans un lieu) ». Cet emploi ancien s'est maintenu dans de nombreuses régions, au nord et nord-est de la France, en Auvergne, dans le Jura, en Savoie, aussi dans le Sud-Ouest. Le fait qu'il soit normal au Québec laisse penser qu'il était vivant dans l'Ouest, au moins jusqu'au XIXe siècle.
◆
En revanche, si on l'entend en français de Belgique, il ne semble pas implanté en Suisse. En français d'Afrique, c'est surtout le fait des anciennes colonies belges. Par rapport à la norme du français, cet usage a été considéré en France comme une faute ou un signe d'inculture. Proust l'attribue à la bonne, Françoise, et écrit « les fautes des gens du peuple consistent [...] très souvent à interchanger des termes... », Françoise employant rester pour demeurer et demeurer (quelques minutes) pour rester, pensait-il.
Avec un nom de chose pour sujet,
rester exprime l'idée d'« être à la disposition de qqn » (1382), réalisée à la fois en construction personnelle et impersonnelle (
il reste... 1538). Le verbe a eu la nuance accessoire d'« être de rebut » (1382)
Cf. ci-dessous reste, alors que
rester implique plutôt en français contemporain une utilisation possible. Placé en tête de phrase et entraînant une inversion du sujet, il correspond à « être encore à faire » (1549), également dans
il reste à ou
reste à (1580) par exemple
reste à savoir, et
il reste de (1657, Pascal), construction devenue littéraire et recommandée de nos jours dans le cas d'une action passée qui a produit un résultat permanent et durable.
■
Il reste que (1936), reste que « il est néanmoins vrai que », constitue le seul cas où la tournure impersonnelle ne répond à aucun emploi du verbe personnel.
❏
RESTE n. m., souvent féminin jusqu'à la fin du
XVIe s., est le déverbal (v. 1220) de
rester.
◆
Dès les tout premiers textes, il désigne la plus petite partie d'un tout et, avec une valeur de neutre, ce qui demeure d'une quantité, d'un ensemble dont la plus grande partie a été retranchée. Il s'applique spécialement à la partie d'une somme qu'il faut encore payer ou qui reste à recevoir (1324), par exemple dans la locution
être en reste (
demeurer en reste, fin
XVe s.), dont le sens propre, « être redevable d'une partie d'une somme » (1382,
être en reste de payer) a disparu ; le sens figuré, « être débiteur dans un échange avec autrui, être redevable de » (1694), également à la forme négative (1835,
n'être jamais en reste) est resté en usage.
◆
Le même sens est réalisé dans quelques locutions figurées comme
donner son reste à qqn (1673) « avoir toujours le dernier mot », sortie d'usage, et
ne pas demander son reste (1694) ou
ne pas attendre son reste (1798) « abandonner, fuir, sans chercher à résister ou à poursuivre »,
reste ayant perdu dans ces locutions sa valeur comptable.
■
Le langage mathématique a repris reste pour lui faire désigner ce qui est en excès d'un dividende (1754, Encyclopédie), le résultat d'une soustraction (1765, Encyclopédie), et spécialement le nombre qu'il faut ajouter au carré de la valeur approchée de la racine carrée d'un nombre pour retrouver ce nombre, ou encore (XXe s.) la somme de la série restante après suppression de tous les termes qui précèdent un terme déterminé (le reste d'une série).
◆
Par transposition de l'idée de « quantité nombrable » sur le plan temporel, reste désigne aussi le temps qui doit encore s'écouler (1559, au féminin dès 1445) ; on disait autrefois jouir de son reste pour « profiter des derniers moments d'une situation agréable que l'on va perdre ».
■
Par ailleurs et depuis l'ancien français, le mot désigne, avec une inversion du rapport, la plus grande partie d'un tout, à l'exclusion d'une petite quantité. Il désigne ainsi tout ce qui, dans un tout, n'appartient pas à la partie prise en considération (v. 1220), sens dont procèdent des emplois comme ne pas s'embarrasser du reste (av. 1747). Il s'applique plus particulièrement à ce qui reste à faire ou à dire (1487), l'expression et le reste (1659), placée à la fin d'une énumération, indiquant qu'on ne la complète pas ou, par litote, qu'on ne veut pas la compléter. Cette idée de base s'applique à l'espace qui demeure en dehors d'une petite parcelle (XVe s.), au temps excédant un bref moment et, dans des locutions adverbiales, à tout ce qui n'a pas encore été exprimé dans du reste (1553), au reste (1559).
■
Au XVIe s., reste commence à évoquer l'idée de ce qui subsiste d'une chose altérée ou enfuie (souvent avec un complément prépositionnel), d'abord une personne qui demeure la seule survivante d'une famille, d'un groupe, d'une catégorie (1559), et ce qui reste d'un sentiment, d'une qualité (1580, Montaigne) ; ces acceptions ont disparu.
■
Depuis le XVIIe s., le pluriel restes reçoit des sens particuliers, désignant le cadavre d'un être humain, souvent décomposé ou mutilé (1616), et aussi les traits de beauté qui demeurent chez une personne d'âge mûr (1680), dès 1660 dans la locution avoir de beaux restes, ou encore ce qui subsiste d'une chose que le temps ou une autre cause a dégradée (1675). Le singulier reste évoque ce qui persiste d'un phénomène naturel sur le point de s'achever (av. 1890).
■
Là encore, par une inversion du rapport, reste s'applique aussi, depuis le XVIe s., à ce qui reste en plus, le surplus. Il a quelquefois d'après une valeur de rester qui a vieilli, la valeur dépréciative de « rebut », d'abord en parlant des reliefs d'un repas (1548 ; 1663 au pluriel), et spécialement à l'époque classique où les restes (d'un homme) s'applique péjorativement à une femme dédaignée par un homme parce qu'elle a appartenu à un autre (1642) — emploi qui trahit un antiféminisme méprisant — et en général à ce que qqn a dédaigné (av. 1696). À la même époque, on appelait reste de gibet (1640) un coupable ayant échappé à un châtiment mérité, d'où, ultérieurement reste de potence (1842), reste de bagne (1875), tous emplois sortis d'usage. La locution voici le reste de notre écu (1651) puis de nos écus (1762), s'est employée familièrement à propos d'une personne que l'on attendait pas et qui vient malencontreusement troubler une situation.
◈
RESTANT, ANTE, le participe présent de
rester, est adjectivé et substantivé (v. 1228) en parlant d'une personne qui demeure après le départ des autres, et spécialement d'une personne qui survit à d'autres (1870). L'expression
poste restante (→ poste) a pris une valeur spécifique.
■
RESTANT n. m. est une sorte de doublet de reste, surtout appliqué à des choses matérielles (1323) ; il est employé seul ou dans la locution un restant de (et substantif) [1875] à propos de ce qui subsiste de qqch. avant son entière disparition.
■
RESTABLE adj., d'après le sens de « habiter, vivre (en un lieu) », se dit en français du Québec là où on emploie vivable ailleurs (c'est pas restable, ici !).