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Employé transitivement, le verbe a signifié « détourner (qqn) de qqch. » avant de céder ce sens à
détourner*. Dans plusieurs emplois, il exprime l'idée de « tourner en sens inverse » (v. 1165) ; il correspond à « rendre, renvoyer », encore de nos jours pour « réexpédier » (1832
retourner le manuscrit), à « orienter dans le sens opposé » (1170-1183) et à « utiliser ses propres armes contre qqn » (
XIVe s.). Ce dernier sens est riche d'emplois abstraits dans le domaine de la parole, avec
retourner un compliment (av. 1564), et comporte souvent un valeur ironique (1872), par exemple dans
retourner le compliment « rendre une insulte, une remarque désagréable » (1918) ; on dit aussi, familièrement,
retourner une gifle (dès 1878 en ce sens,
retourner atout).
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Le verbe signifie « faire changer qqn d'opinion » (déb. XIIIe s.) et « changer d'opinion » ; la locution figurée retourner sa veste (1870), préparée par l'ancienne variante retourner sa robe (fin XVe s.) correspond à la même valeur.
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La locution retourner la situation (1862) réalise l'idée d'un changement général.
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Plus concrètement, retourner se dit pour « tourner en sens contraire, à l'envers » (déb. XIVe s.), en particulier aux jeux de cartes où retourner une carte, de manière à ce qu'on en voie la figure (1680), est à l'origine de la locution figurée de quoi il retourne (1739) « de quoi il est question ».
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Le mot exprime aussi l'idée d'un bouleversement sens dessus dessous (fin XIVe s.) et, ultérieurement, avec une valeur familière, un bouleversement psychologique, une violente émotion (1851) plus courante au passif et participe passé.
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Parallèlement, il correspond à une opération volontaire dans retourner la terre (1660), retourner la salade (1761), etc.
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Dès l'ancien français, le préfixe re- se charge d'une valeur itérative qui donne au verbe le sens de « tourner de nouveau, en tous sens » (v. 1320 tourne et retourne) d'où, au figuré, « revenir en esprit sur qqch., débattre, examiner » (fin XVIe s. ; 1573 également dans tourner et retourner).
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Le pronominal se retourner (v. 980) a signifié « revenir à son point de départ » avant de céder ce sens à la construction s'en retourner (v. 1050), prise avec une valeur figurée dans s'en retourner comme on était venu (1690).
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Se retourner correspond à « faire demi-tour » ou à « tourner la tête vers l'arrière » (v. 1130) et, de manière moins précise, à « changer de position » (1188). Au figuré, le sens de « se rapprocher de nouveau de qqn » (v. 1200), réalisé de nos jours avec la préposition vers, coexiste avec « s'opposer à » (1563 se retourner contre ; rare avant 1794).
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Absolument, se retouner indique un changement d'opinion (fin XVe s.-déb. XVIe s.) et de comportement (1723 se retourner comme on peut) pour s'adapter aux circonstances. Moralement et spirituellement, il exprime le fait de regarder mentalement le chemin parcouru (1834), de redescendre en soi-même (1835).
L'intransitif
retourner s'emploie d'abord comme verbe de mouvement pour « aller de nouveau là où l'on est déjà allé » (1080) et « revenir sur ses pas » (v. 1160), avec un complément de lieu, « regagner l'endroit d'où l'on vient et où l'on devrait se trouver » (v. 1170).
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Avec un nom de chose pour sujet, il signifie « être restitué à, redevenir la propriété de » (1276). Dès l'ancien français, le verbe exprime abstraitement le fait de retrouver son état initial, de revenir à un état antérieur (v. 1180) et de se remettre à une activité (v. 1180), à une conviction (v. 1200, dans un contexte religieux), de reprendre un sujet de conversation (v. 1200), par exemple dans retourner à ses moutons (v. 1480).
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Dans le sens voisin de « recommencer à faire, faire de nouveau » (1376), retourner a été supplanté par d'autres verbes.
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Le déverbal
RETOUR n. m., d'abord
return (v. 1118) et
retor (v. 1165), exprime d'abord le fait de repartir pour l'endroit d'où l'on vient et, par métonymie, le chemin parcouru à cet effet (v. 1165). Dans les transports en commun (
XIXe s.)
retour s'oppose au premier trajet, dit
aller, d'où
billet d'aller et retour (1874) elliptiquement
un aller-retour. Retour désigne aussi le moment où l'on arrive, le fait d'arriver (1172-1190), dans la locution usuelle
être de retour (1549),
de retour (1636).
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Dès le XIIe s., il décrit simplement un mouvement en sens inverse d'un mouvement précédent (1170-1183) : la notion exprimée est à la fois spatiale, comme dans retour de marée (1691 ; 1649 retour de la marée) et temporelle (1866 le retour de l'hiver). Elle inspire à partir du XIXe s. des emplois techniques eux-mêmes générateurs d'emplois figurés, dans les expressions choc en retour (1842 ; 1884 au figuré), retour de flamme (1890 ; 1926 au figuré), retour de manivelle (1906 ; 1945 au figuré). La phraséologie figurée s'est accrue avec retour de bâton (1860) qui a le même sémantisme que choc en retour, retour de flamme et retour de manivelle, et retour en force (1946).
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Le langage technique du XXe s. a introduit le mot en cybernétique avec la valeur de « rétroaction » (1951) appelée aussi action en retour (1964), et en biologie où croisement en retour (1970 de retour) concurrence rétro-croisement.
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Par métonymie, le mot s'applique, de manière analogue à détour, à un coude, un virage, une sinuosité (v. 1210) ; ce sens, supplanté par détour, se maintient dans une spécialisation technique en architecture en parlant de l'angle formé par une construction, un élément naturel (1671 ; 1694 retour d'équerre).
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Le mot est quasiment synonyme de « renvoi » en commerce (1669) et dans le domaine postal (1679 retour de la lettre), où il est entré dans les expressions usuelles par retour du courrier (1857 ; 1794 par le retour) d'où par retour, et retour à l'envoyeur (1946), ainsi que dans le domaine de la librairie à propos des invendus retournés à l'éditeur appelés les retours (1897).
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L'expression cheval de retour (1690) concerne proprement un vieux cheval utilisé pour ramener un équipage au lieu de louage ; elle a pris le sens métaphorique de « forçat évadé ramené au bagne » (1828-1829), puis de « politicien discrédité » (début XXe s.).
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L'ancien sens de « changement, revirement » (v. 1155) disparut, l'idée de changement n'étant pas sentie comme compatible avec la notion dominante qui concerne le fait de revenir à un état antérieur ; l'histoire du mot révolution atteste le même conflit d'idées.
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Cependant, dans l'axe des retours de fortune (1569), on parle encore de juste retour des choses (1669).
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L'accent étant mis sur la restitution, la compensation à l'intérieur d'un échange, retour s'est spécialisé en droit (1270) avec retour conventionnel, légal (1765), droit de retour (1755).
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Avec la même valeur temporelle que retourner, le mot exprime le recommencement, le fait de se produire (fin XIIIe s.), spécialement la répétition, la reprise (1751), d'où en philosophie, l'éternel retour (1829, Sainte-Beuve), aujourd'hui appliqué à Nietzsche qui a emprunté aux stoïciens cette doctrine du retour cyclique des mêmes événements dans l'histoire humaine, autrement appelée palingénésie.
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En ce qui concerne le cours de la vie humaine, il comporte une idée de « déclin » sensible dans les expressions sur le retour (1685 ; 1611 sur son retour) et, en médecine, retour d'âge (1842) « ménopause ».
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Au XVIIe s., appliqué plus spécialement à la vie morale et affective, il commence à exprimer le fait de retourner à un état habituel (1660 retour à la joie), de se recueillir en Dieu (1672) ou de méditer en « revenant sur » soi-même (av. 1662, retour sur soi-même).
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Il s'applique aussi à une vue mentale rétrospective (1672), notamment dans l'expression retour en arrière (1876), passée dans la description d'un procédé du récit littéraire (1899) et cinématographique (1949) [Cf. flash-back].
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L'autre substantif d'action dérivé de
retourner, RETOURNEMENT n. m. (fin
XIIe s.,
retornement), a pâti de la concurrence de
retour, mot auquel il a abandonné le sens d'« action de revenir sur ses pas, de retourner quelque part » au
XVIe siècle. Le sens de « fait de se détourner de » (fin
XIIe s.), solidaire d'un ancien emploi du verbe, a lui aussi disparu, mais au profit de
détournement.
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Le mot a évolué selon deux axes sémantiques : le premier, depuis le XVIIIe s., à partir de l'action qui consiste à retourner quelque chose (1754), conduit à des emplois spécialisés en astronomie (1812), géodésie, mathématiques (1870) et aviation (1913). Le second exploite l'idée de « bouleversement, renversement d'une situation » (1859), par exemple dans retournement de situation (1911).
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RETOURNEUR, EUSE n., attesté une première fois avec le sens de « porteur de message » (XVe s.), puis de « personne qui ressasse des idées, des paroles » (1770), a une vitalité limitée.
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Il a été repris en technique à propos de la personne qui retourne les vêtements, en couture (1875) et de l'appareil employé en brasserie pour retourner automatiquement l'orge en germination (1934).
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RETOURNAGE n. m. a modelé son évolution sur retourneur. Il a signifié « action de retourner » (1715), puis s'est spécialisé techniquement en couture (1927) et en brasserie (1934).
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NON-RETOUR n. m., calque de l'anglais, dans
point of no return « endroit sans retour », a donné lieu (années 1960) à l'expression
point de non-retour d'abord à propos du point à partir duquel un avion ne peut plus revenir à son point de départ, faute de carburant, et s'emploie au figuré, pour « situation où il n'est plus possible de revenir en arrière, d'arrêter ou d'inverser une évolution ».