L
1 RUE n. f. est issu (v. 1050) du latin ruga « ride » (conservé en ce sens par l'italien ruga, l'espagnol arruga, l'ancien provençal ruga), qui a pris par métaphore en latin populaire le sens de « chemin (spécialement bordé de maisons) ». Le mot n'a pas d'étymologie claire. À cause de la concordance du sens, on hésite à écarter le lituanien raũkas « ride », runkù, rùkti « se rider », raukiù, raũkti « rider » qui indiquerait une forme athématique à k alternant avec g, fait courant, et qui pourrait indiquer une source indoeuropéenne lointaine.
❏
Le mot désigne depuis l'origine une voie bordée, au moins en partie, de maisons, dans une agglomération ; il est employé en français moderne dans des syntagmes qualifiés comme
grand-rue (1802),
grande rue (1870),
rue couverte (av. 1902) précisant une caractéristique aujourd'hui pouvant être en rapport avec les règles de circulation des voitures
(rue à sens unique, rue piétonne...). Par ailleurs, les rues sont nommées depuis le moyen âge par des expressions (
rue des orfèvres, rue pavée, etc.) et, à partir du
XVIIIe s., par des noms propres commémoratifs.
■
Au-delà de la signification dénotative, « voie de circulation urbaine » (Cf. aussi boulevard, avenue, impasse...), rue suggère plusieurs types de contenus : celui d'espace parcouru dans courir les rues, d'abord attesté pour « être fou » (1549) puis « être connu de tout le monde » (1660) ; celui de lieu habituel, inchangé, dans être vieux comme les rues (1640) indiquant un grand âge. Enfant ou gamin des rues (1834, Hugo), avec une valeur distincte de fille* des rues, se dit d'un enfant qui, rejeté ou privé de milieu familial, erre dans les rues ; être à la rue exprime le manque de domicile et la rue correspond alors à « milieu extérieur, dans une ville ». Aristide Bruant a donné à son recueil de chansons populaires le titre : Dans la rue.
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Par métonymie, rue désigne l'ensemble des habitants de la rue (1675), spécialement le peuple, dans ses virtualités insurrectionnelles, cette valeur rejaillissant sur le sens propre, dans descendre dans la rue (pour manifester, etc.). La rue, par ailleurs, sert à désigner une entité dans l'ensemble urbain.
Par analogie, le mot a développé quelques sens techniques : « espace qui reste vide dans une carrière après l'extraction de bancs de pierre » (1701) ; « subdivision d'une scène de théâtre en profondeur » (1772) et « espace vertical produit par l'alignement fortuit de blancs dans une page imprimée » (1904), emploi où il est synonyme de cheminée.
❏
RUELLE n. f., d'abord
ruele (v. 1138) et
reuelle (déb.
XIVe s.) puis
ruelle (
XVe s.), désigne une petite rue étroite.
■
Par analogie, il se dit de l'espace laissé entre le lit et le mur d'une chambre, dans ruelle du lit (1408, ruyelle du lit), puis en emploi autonome (1580). Aux XVIIe et XVIIIe s., ruelle désigne par métonymie la partie de la chambre à coucher (située en principe entre le lit et le mur) où les dames de qualité recevaient leurs visiteurs (1614) et, par métonymie, la réunion mondaine qui se tenait en ce lieu (1614) ; d'où style de ruelle, pour « style précieux » (1723), par allusion à cette forme de convivialité littéraire (emploi sorti d'usage au XIXe s.).
❏ voir
RUGUEUX.
L
2 RUE n. f., d'abord rude (fin XIe s., Gloses de Raschi) puis rue (XIIe s.), est issu du latin ruta, nom d'une plante vivace à fleurs jaunes vivant dans les endroits secs. Le latin est peut-être repris du grec rhutê de même sens, à moins qu'il n'y ait deux emprunts parallèles à un même substrat.
❏
Le mot a gardé son sens d'emprunt, désignant une plante méditerranéenne dont les feuilles étaient autrefois prisées pour leur vertu antiseptique et stimulante.
❏
RUTACÉES n. f. pl. est un dérivé savant (1803) employé en classification botanique pour des plantes ayant un appareil sécréteur interne. Cette famille de plantes comprend tous les agrumes. Le XVIIe s. atteste une occurrence unique de l'adjectif rutacé (1615) qualifiant l'huile tirée de la rue. Au XIXe s., la sécrétion de la rue et d'autres plantes est nommée RUTINE n. f. (1855), calque de l'allemand Rutin (1842) fait sur le latin, et RUTOSIDE n. m. (1949), tiré de rutine avec l'élément -oside composé de -ose et de -ide.
L
RUER v. est issu (v. 1112) d'un latin populaire °rutare, intensif du latin classique ruere (supin rutum), verbe transitif archaïque que l'on trouve surtout chez les comiques et en poésie, « précipiter, faire tomber, ruiner » et, verbe absolu, pour « se précipiter, s'écrouler ». Pour des raisons morphologiques et phonétiques, on hésite à rattacher ruere à une racine indoeuropéenne °ru- « briser », d'ailleurs médiocrement établie à partir du sanskrit et de correspondants douteux en vieux slave et dans les langues baltes.
❏
Le sens transitif de « jeter avec impétuosité », auquel correspond un emploi absolu pour « lancer une pierre » (v. 1180), est sorti d'usage au
XVIIIe s., sauf dans certaines régions (Nord).
■
La forme pronominale SE RUER est devenue usuelle avec le sens de « se jeter impétueusement en avant » (v. 1175), au propre et quelquefois au figuré.
■
En construction intransitive, ruer, qui avait perdu le sens de « se précipiter » (v. 1155) au profit de se ruer, s'est spécialisé en parlant d'un équidé, cheval, âne, qui lance vivement les pieds de derrière en soulevant son arrière-train (v. 1212). Quelques locutions faisant allusion à différentes manières de ruer, comme ruer en vache* (1718), ruer à la botte (1845), disparu, ruer dans les brancards « protester », sont passées dans l'usage avec une valeur figurée.
◆
La langue familière a employé ruer à tort et à travers (1718) avec l'idée de « frapper de tous côtés dans la foule ». La locution ruer ou se ruer en cuisine « manger gloutonnement » (1534, Rabelais) est elle aussi sortie d'usage.
❏
RUÉE n. f., participe passé féminin de
ruer, est substantivé en ancien français pour désigner la portée d'un objet qu'on lance (v. 1170).
◆
Sorti d'usage après le
XIIIe s., le mot a été repris assez récemment (1864) pour traduire l'anglais
rush et désigner le mouvement impétueux d'une foule qui se rue dans une même direction, spécialement dans la locution
ruée vers l'or (qui rend l'anglo-américain
gold rush).
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RUEMENT n. m. (v. 1310) a signifié « action de lancer » d'après l'emploi transitif du verbe ; il a été repris pour « action de se ruer » et « action d'un cheval qui rue » (1877), tout en restant rare.
■
RUADE n. f. (v. 1500) désigne couramment l'action du cheval qui rue et se dit quelquefois au figuré d'une réaction de défense brutale et inattendue (fin XVIe s.).
❏ voir
RÂBLE, RUINE.
RUFIAN ou RUFFIAN n. m., d'abord ruffien (XIVe s.), puis rufian (1512), est emprunté, peut-être par l'intermédiaire de l'ancien provençal rofian ou rufian « entremetteur » (XIIIe-XIVe s.), à l'italien ruffiano de même sens (XIIIe s.). Ce mot est d'origine incertaine ; on a évoqué l'ancien italien roffia « saleté ». On considère ce dernier soit comme emprunté à l'ancien haut allemand hrŭf « escarre » soit comme représentant de rufulus, diminutif du latin rufus « roux » apparenté à ruber « rouge » (→ rouge), croisé avec la finale de puttana « putain » (→ pute), masculinisée.
❏
Le mot désignait autrefois un entremetteur, un souteneur, un débauché (fin XIVe s.). Pour des raisons qui tiennent vraisemblablement de l'analogie avec forban et avec les éléments initiaux de rustre, rude, sa signification a évolué en « aventurier intrépide, homme hardi et sans scrupules vivant d'expédients », le mot évoquant une époque historique (XVIe-XIXe s.).
◆
Au XXe s., les médias, en particulier le cinéma, contribuent à donner au mot des connotations positives de « bandit au grand cœur », « aventurier peu scrupuleux mais sympathique », et il ne comporte plus l'idée d'infamie habituellement associée au proxénétisme.
RUGBY n. m. est emprunté (1888) à l'anglais rugby n. m. (1879) ou Rugby game « jeu de Rugby » (1864), du nom du célèbre collège de la ville de Rugby dans le comté de Warwick, où ce sport fut inventé en 1823. Le mot familier rugger n. m. (1893), altération de rugby, désignant familièrement le jeu, a été repris en français où il a été interprété à tort comme un nom d'agent désignant le joueur de rugby (1927), mais il a disparu. Bloch et Wartburg avaient cru pouvoir attester rugby en français dès 1859, mais le mot anglais ne semble employé comme nom commun qu'en 1879 et, antérieurement, il doit s'agir du nom propre.
❏
Le mot s'est diffusé en France au début du XXe s., aussi dans le syntagme football rugby, opposé à football association (→ football). Ce que l'on nomme en Amérique du Nord foot-ball est nommé en français rugby américain, le football européen étant appelé soccer en anglais et en français du Canada. En français d'Europe, rugby, opposé à football, est concurrencé par la périphrase métonymique ballon ovale (→ ovale, ovalie). Selon le nombre de joueurs, on distingue le rugby (ou jeu) à treize* et à quinze*.
❏
En français, rugby a produit RUGBYMAN n. m. (1909), pseudo-anglicisme forgé sur le modèle de cameraman, clergyman, avec l'élément -man (de l'anglais man « homme »), qui a supplanté l'emprunt rugger, et RUGBYSTIQUE adj. (1920) « relatif au rugby », mot journalistique.
RUGINE n. f. est l'adaptation attestée en 1520, mais probablement plus ancienne (Cf. ruginer), du latin médiéval rugo, ruginis de même sens (XIVe s.), lequel est la relatinisation de roisne, ancienne forme de rouanne*, mot d'origine populaire.
❏
Ce terme technique désigne un instrument de chirurgie servant à racler les os, à les isoler du périoste et des parties molles.
❏
Le dérivé RUGINER v. tr. (v. 1363) signifie « racler avec la rugine ». Il a pour dérivé RUGINATION n. f. (1855).
❏ voir
2 ROUANNE.
RUGIR v., réfection savante (1538) de rugier (1120), rujier (XIIe s.), parfois altéré en rougir (fin XVe s.), est emprunté au latin rugire exprimant le cri du lion, celui de l'âne qui braie et, au figuré, le bruit d'un ventre qui gronde. Le mot, surtout attesté à basse époque, proviendrait d'un élément ru- susceptible d'être diversement élargi, et qui a servi à désigner des bruits d'animaux. Des mots semblables, non nécessairement apparentés, sont le moyen irlandais rucht « cri, hurlement », le grec êrugai « mugir » (à l'aoriste) et le vieux slave rŭzati « hennir ». L'ancien français a eu une forme plus francisée ruir, ruire « gronder (en parlant du lion) », « gargouiller » et « faire du tumulte » (v. 1190).
❏
Le verbe s'applique à un fauve qui pousse le cri propre à son espèce. Par extension, il se dit pour « pousser des cris rauques, inarticulés, analogues à ceux des bêtes féroces » (XIIe s.).
◆
Au figuré, il peut s'employer en parlant d'une chose qui produit des bruits rauques et violents (1690). L'usage transitif du mot pour « proférer en rugissant, en hurlant » est tardif (1853) ; il s'applique également à une chose (av. 1867, Baudelaire).
❏
Le substantif d'action
RUGISSEMENT n. m., aboutissement (1539) de
rujement et
ruugisement (v. 1120), désigne le cri du lion et de certains grands fauves ainsi qu'un cri violent, inarticulé (attesté dès l'origine). Il est appliqué, au figuré, au bruit violent produit par une chose (1769).
■
RUGISSANT, ANTE, le participe présent de rugir, est adjectivé (v. 1460) avec le sens propre et, ultérieurement, le sens figuré (1875) correspondants, par exemple dans les quarantièmes rugissants, expression récente qui désigne les zones de tempêtes autour du quarantième degré de latitude sud, traduisant la locution anglaise the roaring forties.
❏ voir
RUT.
RUGUEUX, EUSE adj. est emprunté (1461) au latin rugosus, qui qualifie une peau ridée et, par extension, une chose plissée, râpeuse. Le mot est dérivé de ruga « ride » qui a donné l'ancien français rugue (éliminé par ride) et, au sens figuré, rue*. L'ancien provençal rugos « ridé » est attesté dès le milieu du XIVe siècle.
❏
L'adjectif, d'abord attesté au sens figuré de « dévasté » en parlant d'un pays, n'est repéré qu'au XVIe s. avec son sens actuel de « ridé, raboteux », d'abord sous la forme rougueux (1525) puis rugueux (1541). Il a pris la valeur figurée d'« âpre, rude » (av. 1891).
❏
RUGOSITÉ n. f. n'est pas emprunté au latin
rugositas, qui signifie « froncement de sourcil », mais dérivé savamment (1503) de la forme latine
rugosus pour désigner une petite saillie, une irrégularité sur une surface
(une, des rugosités). Le mot semble abandonné après le
XVIe et il est repris au
XVIIIe s. (v. 1760).
La rugosité se dit de l'état de la qualité d'une surface présentant des aspérités (1812) et, en aéronautique, de la caractéristique d'un revêtement dont la surface n'est pas parfaitement polie (v. 1950).
■
En sont dérivés les termes didactiques RUGOSIMÈTRE n. m. (v. 1950) et RUGOTEST n. m. (1968) pour « test de rugosité ».
RUILÉE n. f. est la réfection, au
XVIIe s. (1674), de
rilée (1334) et
rieulée (
XVe s.), venant de formes d'ancien et moyen français
(riule, ruille) issues du latin
regula (→ règle). Ce mot technique désigne la bordure de plâtre ou de mortier qui raccorde à un mur les tubes ou les ardoises d'un toit.
Le dérivé RUILER v. tr. semble s'être d'abord employé pour « gâcher du mortier » (1636) avant de signifier « raccorder par un joint de plâtre » (1840).
RUINE n. f. est emprunté (v. 1155) au latin ruina qui désigne la chute, l'écroulement, en particulier l'éboulement des bâtiments, le pluriel ruinae désignant concrètement les décombres ; le mot est également employé au figuré pour « effondrement, désastre ». Il est dérivé de ruere « faire tomber, s'écrouler » (→ ruer).
❏
Le sens très général de « destruction, dégât », attesté dans les premiers textes, est usuel jusqu'au
XVIIe s., puis littéraire. Le sens parallèle de « perte de la vie » en parlant d'une personne (
XIIIe s.) est archaïque après le
XVIIe siècle. Le mot désigne aussi abstraitement la désagrégation d'une chose qui amène progressivement sa disparition, cause sa perte (v. 1160) ; de là, par métonymie, la cause de la destruction (1559). Un emploi familier concerne la chose ou la personne qui est cause d'une importante perte d'argent (1559) dans
être la ruine de qqn, avant la spécialisation courante du mot pour « perte de la fortune, des biens » (1636).
■
Avant la fin du XIIe s., le mot s'emploie également, surtout au pluriel, pour désigner concrètement, par réemprunt au latin ruinae, les débris, les restes d'un édifice abattu, écroulé (1180). À la fin du XVIIIe s., les ruines nourrissant l'exaltation de la sensibilité et du sentiment de la mélancolie, le mot est à la mode et s'applique à la représentation picturale d'un édifice en ruines (1765) ; Cf. ci-dessous ruiniste.
■
Le sens actif correspondant, « dégradation d'un bâtiment qui le met hors d'usage à la suite d'un manque d'entretien ou d'un sinistre » (XIIIe s.), est surtout réalisé dans des locutions : battre en ruine, de sens propre (1611) et figuré (1671) « détruire à coups de canon ou par mines », n'est plus guère usité ; en revanche, tomber en ruine (1549) est demeuré usuel.
■
La valeur étymologique latine de « chute » (1262) a été réactivée en parlant de trombes, de chutes d'eau (av. 1655), puis a disparu.
■
L'emploi du mot pour désigner une personne dans un état de délabrement physique ou intellectuel (1833, femme en ruine, une sorte de ruine) est senti comme une métaphore du sens d'« édifice écroulé », alors qu'il continue l'acception ancienne plus générale.
❏
RUINER v. tr., d'abord employé intransitivement à propos de navires qui s'enfoncent, sombrent (v. 1260) et de constructions qui tombent en ruine (1358), n'est plus que transitif. Il a eu le sens de « saccager, dévaster en ne laissant que des ruines » (déb.
XIVe s.) et d'« endommager gravement » (v. 1370), puis d'« altérer progressivement et définitivement (un organe, la santé de qqn) » (fin
XIVe s.). Ces emplois, comme la locution technique
ruiner un cheval, par travail excessif et manque de soins (1690), ont disparu.
■
Sur un plan abstrait, ruiner signifie « faire perdre à (qqn) sa raison d'être » (fin XIVe s.) puis « causer la perte de » (1538), comme dans ruiner l'Empire romain (1559), « faire perdre tout crédit à (qqch.) dans l'esprit du public », « anéantir un raisonnement sans preuves » (1580), spécialement « causer la perte de biens, de la fortune d'une personne ou d'une collectivité » (1636), sens devenu le plus usuel. De ce dernier sens procède la locution ironique cela ne (vous, te) ruinera pas (1883) adressée à une personne qui a largement les moyens de faire face à une dépense.
■
La forme pronominale se ruiner (1559) signifie « perdre sa fortune » et, par hyperbole, « faire des dépenses excessives » (1690).
■
Le verbe a donné un terme de construction, RUINURE n. f. (1676), pour l'entaille pratiquée sur la face latérale d'une solive ou d'un poteau afin de donner prise à la maçonnerie.
■
RUINIFORME adj. (1803), formé de ruine et du second élément -forme*, qualifie une roche qui a pris l'aspect de ruine sous l'action de l'érosion. Il est didactique.
■
RUINISTE n. est le nom donné (1943) en histoire de l'art à un peintre de ruines, de paysages comportant des ruines, en référence au genre pictural pratiqué surtout à la fin du XVIIIe et au début du XIXe s. (Hubert Robert, etc.).
◈
RUINEUX, EUSE adj., réfection (
XIIIe s.) de
ruinus (
XIIe s.), est emprunté au latin
ruinosus « qui menace ruine, écroulé », puis au figuré « dangereux, funeste » (fin
IVe-début
Ve s.), dérivé de
ruina.
■
Le mot a été repris avec le sens général de « qui cause un dommage, un tort », usuel jusqu'au XVIIIe s. puis sorti d'usage. Son emploi pour qualifier un bâtiment qui menace de s'écrouler, tombe en ruine (fin XIIIe s.) a vieilli, de même que le sens figuré qui en était tiré (1559). Le sens de « qui amène la ruine matérielle » et, par hyperbole, « qui provoque des dépenses excessives » (v. 1380), correspond au seul emploi usuel du mot.
■
Le dérivé RUINEUSEMENT adv. (déb. XVIIe s.) « coûteusement », inusité avant 1842, est demeuré rare.
L
RUISSEAU n. m., d'abord russeal (v. 1120), ruisel (v. 1130), ruissel (v. 1155) puis ruisseau (v. 1380), continue un latin populaire °rivuscellus (avec le même type de préfixe que dans le mot qui a donné rinceau), diminutif du latin classique rivus « petit cours d'eau », qui a donné ru*.
❏
Le mot désigne un petit cours d'eau peu profond et de faible débit ; il entre en ce sens dans la locution proverbiale
les petits ruisseaux font les grandes rivières (1640). Par métonymie, il se dit du lit de ce petit cours d'eau (1538).
■
Il est employé dès le XIIe s. avec une valeur figurée, à propos de ce qui semble couler sans fin (1155) et des ruisseaux de (sang, etc.) s'applique à un liquide coulant avec abondance, avec des effets de sens métaphoriques (1573-1575, un ruisseau de perles) ; Cf. le dérivé ruisseler (XIVe s.).
■
Ruisseau a longtemps désigné le caniveau ménagé de chaque côté de la chaussée ou en son milieu pour l'écoulement des eaux (1530) ; de là plusieurs emplois figurés (fin XVIIe s., dans le ruisseau, tirer du ruisseau) où le mot s'applique à un endroit sordide, au dénuement (1660), à une situation dégradante physiquement ou moralement (fin XVIIe s.), à une origine vile (1672) ; une bonne part de ces emplois ont disparu après l'époque classique.
❏
RUISSELER v. intr. (v. 1340), d'abord
rusceler (v. 1180), est dérivé de
ruissel, ruscel, anciennes formes de
ruisseau. Il se dit d'une eau qui coule sans arrêt en formant un ou plusieurs filets, au figuré, d'une chose qui retombe souplement en nappe comme une onde (fin
XIXe s.) et, abstraitement, d'une chose qui se répand à profusion à partir d'un point qui en est la source (1830). Le verbe s'emploie aussi avec la valeur passive pour « être couvert d'un liquide qui coule » (1658).
■
Par métaphore (fin XVIe-début XVIIe s.), il exprime l'état de la personne qui laisse paraître ce qui la transporte (bonheur, joie) et l'état d'une chose qui est inondée de traits ou de jeux de lumière évoquant ceux de l'eau vive (1874).
■
RUISSELANT, ANTE, le participe présent de ruisseler, est adjectivé (1491) pour qualifier un liquide qui coule sans cesse et en abondance ; les valeurs active et passive, propre et métaphorique, correspondent à celles du verbe : ruisselant qualifie ce qui est mouillé par un liquide qui ruisselle (1615) et, absolument, ce qui dégoutte de pluie (1804).
■
Au figuré, il qualifie ce qui se répand à profusion comme une onde (av. 1872) et, passivement, ce qui est inondé d'un éclat se répandant à profusion (1829), une personne et, par métonymie, un visage paraissant rayonner sous l'emprise des sentiments qui l'exaltent (1893).
■
RUISSELLEMENT n. m., bien qu'attesté une première fois en 1613, ne s'est répandu qu'au XIXe s. (1831) ; il désigne proprement le fait de ruisseler, l'écoulement d'un liquide sous forme de nappe ou de filets, spécialement l'écoulement des eaux de pluie ou de la fonte des neiges à la surface de la terre (1880).
◆
Par métaphore, il se dit du jaillissement de lumière qui se répand à profusion (av. 1872) et d'une expression manifestant avec éclat un sentiment exaltant (1873).
◈
RUISSELET n. m., diminutif (v. 1188) de l'ancien
ruissel, continue de s'employer pour « petit ruisseau », dans un style littéraire.
■
RUISSON n. m., issu de ruisseau par changement de suffixe pour désigner un petit ruisseau (fin XIIe s.), a disparu, sauf dans les dialectes.
◆
Il est repris au XIXe s. (Littré, 1870) comme nom d'un petit canal aménagé pour vider un marais salant ; en ce sens, il est emprunté aux parlers saintongeais.
◈
SAUTE-RUISSEAU n. m. inv. (1796 ; écrit sans division, en un seul mot, 1794) est une dénomination imagée qui a désigné un agent de spéculateur, puis un petit clerc d'avoué ou de notaire qui fait les courses et porte les paquets, enfin un jeune garçon de courses ; le mot a vieilli.
RUMBA n. f. est emprunté (1930, écrit en italique), probablement par l'anglo-américain, à un mot espagnol des Antilles désignant une danse populaire cubaine connue depuis le XVIe s. et, par métonymie, la musique sur laquelle elle se danse. Le développement sémantique s'est fait à partir de celui de « fête, partie de plaisir », le mot étant le féminin de l'espagnol rumbo « vacarme, tapage ».
❏
La rumba est devenue vers 1930 une danse de salon, après sa diffusion en Amérique puis en Europe.
L
RUMEUR n. f., d'abord rimur (1080), rumor (v. 1180) puis, par francisation de la finale, rumeur (XIIIe s.), est issu du latin rumorem, accusatif de rumor, -oris « bruits vagues », « bruit qui court », « propos colportés », « opinion courante », usité au singulier et au pluriel. Le mot est le seul représentant clair en latin de la racine attestée par le sanskrit ruváti « il crie », le vieux slave rovǫ, rjuti « crier ». Un rapport avec le latin rugire (→ rugir) est possible.
❏
Le mot désigne d'abord un grand bruit confus, et s'est employé en ancien français au sens de « tapage ». Comme en latin, il se dit aussi d'une nouvelle de source incontrôlée qui se répand dans le public, d'un propos colporté de bouche à oreille (1264), par exemple dans les rumeurs publiques (1756). Il s'est spécialisé à propos du bruit sourd et menaçant d'une foule qui manifeste son mécontentement ou une intention de violence, de révolte (1407). Enfin, il s'emploie (1651) à propos de l'assemblage confus de sons produits par les voix et bruits d'un grand nombre de personnes réunies, puis d'un lieu de passage.
RUMINER v. tr. est emprunté (déb. XIIIe s.) au latin ruminare employé transitivement et absolument, en parlant des animaux qui mâchent de nouveau des aliments revenus de l'estomac. Comme rumigare (→ ronger), le verbe est dérivé de rumen, -inis « premier estomac des ruminants » (dans ce sens RUMEN n. m. est passé en français ; il est dans l'Encyclopédie, en 1765). À côté de ruminare, l'intransitif ruminari (ruminor à la 1re personne de l'indicatif présent) est courant en latin pour « méditer » et « rabâcher » ; ruminatio a les deux valeurs.
❏
Le sens figuré de « faire longuement et obstinément repasser dans son esprit les mêmes choses » est le premier attesté, en emploi transitif direct et indirect.
■
Le sens propre « remâcher les aliments ramenés de la panse dans la bouche » n'est attesté qu'au XIVe s. (1328) en emploi transitif et ultérieurement en emploi absolu (v. 1600) ; il a supplanté l'emploi synonyme du doublet ronger qui a pris un autre sens.
❏
Le dérivé
RUMINEMENT n. m., substantif d'action (1538), s'est employé à propos de la manière de mastiquer les aliments en les broyant par un mouvement lent, continu et bruyant des mâchoires (1884).
◆
L'emploi figuré pour « action de ressasser les mêmes choses » (déb.
XXe s.) est concurrencé par celui de
rumination.
■
RUMINANT adj. et n. est le participe présent de ruminer adjectivé pour qualifier un mammifère qui rumine (1553), puis substantivé (1680) en parlant des mammifères herbivores pourvus d'une panse et capables de ruminer.
◈
RUMINATION n. f., d'abord
ruminacion (fin
XIVe s.) puis
rumination (1615), est emprunté au dérivé latin
ruminatio, -onis « mode de digestion propre à certains mammifères herbivores » et, au figuré, « réflexion, méditation ».
■
Le nom, d'abord employé d'après le latin religieux pour « récitation d'un psaume », sert à désigner au sens propre la fonction physiologique des ruminants (1615).
■
Son sens figuré, « action de revenir en esprit sur les mêmes choses » s'est développé tard (attesté 1936), plutôt par influence de l'anglais (ruminate et rumination) que par une métaphore. Il s'agit en fait d'un latinisme conservé par la langue anglaise (rumination, pour « méditation », est dans Shakespeare, As You Like It ; to ruminate, dans ce sens est attesté vers 1533, peu avant le sens concret).
RUNABOUT n. m., anglicisme périmé (1934) a désigné les canots automobiles à moteur intérieur (opposé à hors bord*). Le mot anglais avait pris ce sens peu avant (1934). Formé à partir de l'expression verbale run about « courir ça et là, en tous sens », il avait désigné un vagabond, puis avait été appliqué à un type d'automobile.
RUNE n. f. est un emprunt (1653) au danois rune, au norvégien rune ou au suédois runa qui désignent un caractère de l'ancien alphabet des langues germaniques orientales (gotique) et septentrionales (norois). Voir (langues) germaniques. Ces mots scandinaves sont issus du vieux nordique et islandais rún « secret ; signe magique, rune » (pluriel rúnar puis rúnir), mot apparenté au gotique rūna « mystère, secret ».
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Le mot a gardé son sens d'emprunt.
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Rune a produit immédiatement
RUNIQUE adj. (1644) « formé de runes, relatif à cet alphabet », dit par extension de l'art scandinave du
IIIe au
Xe siècle.
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RUNOLOGUE n. (1870) « linguiste spécialiste de l'écriture runique » et RUNIFORME adj. « qui a la forme des runes » (v. 1950) sont également d'usage didactique.
RUOLZ n. m. est l'emploi comme nom commun (attesté 1853 mais antérieur) du nom du chimiste français François Albert Henri-Ferdinand, vicomte de Ruolz (1808-1887), qui inventa en 1841 un procédé permettant de fabriquer un alliage utilisé en orfèvrerie, d'une couleur analogue à celle de l'argent.
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Le mot, d'usage technique, désigne cet alliage ; sa valeur figurée, dans c'est du ruolz « c'est du toc » (1853), est sortie d'usage.
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Le dérivé RUOLZÉ, ÉE adj. (1852, Gautier) est archaïque.
RUPESTRE adj., dont la forme actuelle (1812) a supplanté le dérivé suffixé rupestral (1802), est emprunté au latin moderne rupestris « relatif aux rochers ». Ce mot est dérivé savamment du latin classique rupes « paroi de rocher », par métonymie « grotte, caverne » et « défilé rocheux, précipice » ; il est dérivé de rumpere « briser » (→ rompre).
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L'adjectif est employé en botanique à propos d'une espèce végétale qui vit dans les rochers et pour qualifier une inscription, une peinture, exécutée sur une paroi rocheuse (1919).
RUPICOLE n. m. est composé du latin rupes « rocher » (→ rupestre) et -cole, avec le sens de « qui vit dans les rochers ». Il a été appliqué (1808) à un coquillage, sens disparu, puis à l'oiseau (Passereaux) appelé couramment coq de roches.
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RUPIN, INE adj. et n. est un mot d'argot (1628) d'origine incertaine. On a évoqué l'anglais argotique ripping « épatant » (1826), de to rip « ouvrir en coupant », qui ne convient pas, ne serait-ce que du point de vue chronologique. L'hypothèse généralement admise y voit le dérivé de l'argot rupe, ripe « dame » (1596), lequel, par une étape sémantique intermédiaire non attestée (injure à une femme), est probablement un emploi figuré du moyen français ripe « gale » (1422-1425). Ce dernier est dérivé de riper « gratter », emprunt au moyen néerlandais rippen « tirailler, toucher, racler » (→ riper). P. Guiraud, tout en acceptant la parenté de rupe, ripe avec riper et ruper « gratter », évoque un autre développement sémantique en se fondant sur des mots d'ancien et moyen français ripault « gentilhomme », ripaudier « gouverneur de ville », ripois « prince », ripe et ripaude « dame ». Cette série partirait de riper « polir » (toutefois non attesté avant le XVIIIe s.), d'où ripe « outil de sculpteur pour polir la pierre » (XVIIe s.), et permettrait de considérer en rip-, rup- un doublet de poli au sens figuré de « raffiné, élégant ».
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Le mot apparaît comme substantif dans
l'Argot réformé pour désigner un gentilhomme et une dame. Adjectivé, il qualifie une personne bien habillée, élégante et riche (1630).
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Passant au XIXe s. dans l'usage familier, il fait coexister les notions d'élégance (1835 ; 1836, comme nom) et de richesse (1844, nom et adjectif), cette dernière étant dominante dans l'usage actuel. Son emploi substantivé pour « riche apparence » est attesté chez Huysmans (fin XIXe s.), et a disparu. Le mot a vieilli dans tous ses emplois, mais il reste connu.
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L'argot scolaire en a dérivé RUPINER v. (1890) « avoir des résultats brillants » et, transitivement, « bien réussir une épreuve », lui aussi vieilli.