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En revanche, le participe passé est demeuré très vivant.
1 SACRÉ, ÉE adj. et n. m., d'abord attesté dans
pain sacré « pain consacré » (v. 1130), puis seul (v. 1200), s'applique à ce qui est consacré à Dieu ; le mot a été senti comme une traduction de l'adjectif latin
sacer, diffusé par l'Église : un adjectif
sacre « sacré », directement tiré du latin à la fin du
XVe s., s'est employé jusqu'au milieu du
XVIe siècle.
Sacré qualifie ce qui appartient à un domaine interdit et inviolable (par opposition à
profane) et qui fait l'objet d'un sentiment de révérence religieuse (
XVIIe s.,
n. m.). L'adjectif entre dans de nombreux syntagmes où il s'applique à ce qui appartient au sacré ou au culte :
vases sacrés, servant au culte (1550),
l'Écriture sacrée « l'Écriture sainte » (1564),
livres sacrés « l'Ancien et le Nouveau Testament » (1690).
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Dans l'ancienne médecine,
maladie sacrée se disait de maladies attribuées à une influence surnaturelle :
mal sacré désigne d'abord (1564) les écrouelles puis (1793) l'épilepsie,
feu sacré l'érysipèle (1611).
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Au
XVIIe s., le mot s'applique aussi à ce qui concerne les cultes païens (1636) et, dans un sens plus moral que religieux, qualifie ce qui est digne d'un respect absolu (1640), d'où
personne sacrée (1673).
Sacré est employé dans des expressions pour désigner des pratiques propres à l'Antiquité :
feu sacré, entretenu sur l'autel des dieux (1690),
poulets sacrés, dont on tirait des augures (v. 1730),
année sacrée, pendant laquelle on célébrait des jeux périodiques (1765), etc.
Feu sacré se dit au figuré (1777, Voltaire) de sentiments passionnés qui se communiquent chez les individus et
avoir le feu sacré signifie « avoir foi dans son art » (1842), puis « avoir de l'ardeur au travail » (
XXe s.).
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Depuis le milieu du XVIIIe s., l'adjectif s'emploie avec une nuance d'admiration ou d'ironie et une valeur intensive. Il est alors antéposé, et reste très vivant, avec une valeur positive : une sacrée bonne femme, une sacrée rigolade, etc.
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Du fait de l'ambiguïté étymologique de sacré ou bien par antiphrase, il se dit (1788) pour « maudit, exécré », là aussi toujours placé avant le nom. Sacré est notamment utilisé pour renforcer un juron (sacré nom de Dieu, etc.), souvent abrégé en cré (1832), d'où crénom, et autrefois en acré (1837).
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De ce sens vient l'intensif
SACRÉMENT adv. « d'une manière intense », attesté au
XXe s. (1929, Giono,
in T.L.F.) mais plus ancien régionalement.
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De l'adjectif employé dans les jurons dérive 2 SACRER v. intr. « jurer » (1726), vieilli en français d'Europe mais très fréquent en français canadien, également dans se sacrer de qqch. « s'en moquer » et avec d'autres sens figurés, par exemple dans sacrer la paix à qqn, lui « foutre la paix », ou sacrer patience (même sens). Sacrer un coup, le donner. En général, le verbe est un intensif de « donner, jeter, mettre » (sacrer qqn dedans, le mettre en prison ; se sacrer à l'eau, se jeter).
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De sacre « sacré » ou de sacré, sacrer dérive 2 SACRE n. m. (1549, Mazarinades) pour « formule de juron », régional mais courant dans l'usage général au Canada (1894, Clapin). Les sacres sont une partie très spécifique du vocabulaire franco-canadien et utilisent quantité de mots empruntés au culte (hostie, tabernacle...) ou de noms propres sacrés (notamment Christ).
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En français du Canada, SACRANT, ANTE adj. a pris le sens extensif de « fâcheux, désagréable » et, comme adverbe, au plus sacrant « au plus vite ». SACREUR, EUSE n. signifie « blasphémateur ».
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SACREBLEU interj. (1745), d'abord par la sacre bleu (1642), est un euphémisme de sacré Dieu, sacre Dieu (1552) et était employé comme juron familier, en France.
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SACRÉDIÉ interj. (1757, par la sacredié), altération phonétique de sacredieu (XIVe s.), était rural et a disparu, ainsi que sacrenom (XVIIIe s.).
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On relève d'autres jurons familiers formés à partir d'une altération de sacrer : SACRISTI (1827 ; sacr...istie, 1790) abrégé en CRISTI (1866), devenu archaïque, a été altéré en SAPRISTI (1834), d'abord écrit sapristie (1808), lui-même abrégé en PRISTI (XIXe s.) ; SAPREDIÉ ou SAPRÉDIÉ, attesté au XIXe s., est sorti d'usage ; SAGUERNON (1790), de sacré nom, a lui aussi disparu. SAPERLIPOPETTE est la resuffixation (1864 chez Rimbaud) de SAPERLOTTE (1809), saprelotte, altération de sacrelotte (1750). D'autres suffixes plaisants sont attestés chez Rimbaud (saperlipouille, saperpouillotte).
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3 SACRE n. m., autre substantif verbal tiré de
sacrer, désigne d'abord (1172-1174) la cérémonie par laquelle un prêtre reçoit l'épiscopat, et aussi (v. 1170, Chrétien de Troyes) celle par laquelle l'Église sanctionne la souveraineté royale. Le mot a eu plusieurs emplois en liturgie : « saint sacrement » (
XIIIe s.), « huile pour le service religieux » (
XIVe s.), « Fête-Dieu » (
XVe s.), etc.
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Sacre s'emploie aussi par figure pour « consécration solennelle ».
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L'adjectif
sacré, par l'expression
cœur sacré de Jésus, a servi à former
SACRÉ-CŒUR n. m. (1863), désignant Jésus-Christ dont le cœur, symbole de son amour pour les hommes, est l'objet d'un culte spécifique de l'Église catholique.
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SACREMENT n. m. est le mot le plus ancien de la série latine de
sacer. Il est emprunté, d'abord (v. 980) sous la forme
saccrament, puis
sacrement (1165-1170), au latin ecclésiastique
sacramentum qui désignait tout objet ou acte ayant un caractère sacré (mystère, révélation, rite, etc.) ; en latin classique, le mot signifie d'abord en droit « dépôt fait aux dieux d'une certaine somme comme garantie de sa bonne foi, ou de la justesse de sa cause dans un procès » ; ce dépôt s'accompagnant d'une prestation de serment, le mot a pris le sens de « serment solennel », notamment dans la langue militaire ; par évolution phonétique, il a donné
serment, dont
sacrement est le doublet savant
(→ serment). Sacramentum dérive de
sacratum, supin de
sacrare « consacrer »
(Cf. ci-dessus sacrer).
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Sacrement, terme de liturgie chrétienne, apparaît avec le sens général de « rite religieux institué par Jésus-Christ pour donner ou augmenter la grâce (chacun des sept sacrements) ». Il se dit spécialement (1172-1174) du sacrifice de la messe, et s'emploie aussi, comme 2 sacre, pour « consécration d'un évêque ». Le mot désigne en particulier (v. 1190) la partie de la messe qu'on appelle consécration et élévation, et Saint(-)Sacrement correspond à Eucharistie.
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Sacrement s'est employé dès l'ancien français hors du contexte chrétien pour « commémoration solennelle » (v. 1190). Au XIIIe s., le mot s'est dit spécialement pour « affirmation ou promesse faite en attestant Dieu, un être ou un objet sacré », acception reprise du latin et encore relevée au XVIIe s. (1607).
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Les sacrements, désignant les sacrements de pénitence, d'eucharistie et d'extrême-onction est attesté en 1309, ainsi que l'expression sacrement de l'autel. Saint sacrement est repris (v. 1480) avec le sens de « la Fête-Dieu » ; sacrement se dit spécialement pour « sacrement de mariage » (1515) et équivaut familièrement à « mariage » (cet emploi a vieilli). Au milieu du XVIe s., le mot s'emploie pour « cérémonie rituelle » (1549) en parlant d'autres religions. Il entre aussi dans la locution avoir eu, avoir reçu tous les sacrements, ceux de pénitence, d'eucharistie et d'extrême-onction, quand on est gravement malade (1549) ; de là les derniers sacrements (1636) et être muni des sacrements de l'Église. D'autres locutions, aujourd'hui sorties d'usage, se forment au XVIIe siècle : s'approcher des sacrements « se confesser et communier » (1685), fréquenter les sacrements « se confesser et communier souvent » (1690), avoir tous les sacrements « être en règle », « ne manquer de rien » (1690) au figuré. Au début du XIXe s., saint sacrement se dit spécialement pour « ostensoir » (1802).
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SACRAMENTAL, ALE, AUX adj. et n. m., emprunté au latin ecclésiastique
sacramentalis, dérivé de
sacramentum, est sorti d'usage dans son emploi adjectivé (1382) pour qualifier ce qui appartient à un sacrement ; il est alors remplacé par
sacramentel (ci-dessous).
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Le mot s'emploie aujourd'hui comme substantif, attesté seulement au début du
XXe s. (1904), et correspond au latin ecclésiastique
sacramentalia « sacrements mineurs » (dans le vocabulaire scolastique au
XIIe s.). Ce terme de liturgie désigne le rite sacré, institué par l'Église, pour obtenir par son intervention des effets d'ordre surtout spirituel.
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SACRAMENTEL, ELLE adj. (1382) s'efface devant sacramental jusqu'au XVIIIe s. et s'impose ensuite comme terme de théologie pour qualifier ce qui appartient à un sacrement. L'usage général connaît paroles sacramentelles (1798), mots sacramentels (1835) « paroles, mots qui sont essentiels à la validité d'un acte, d'une convention ».
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De l'adjectif dérivent SACRAMENTELLEMENT adv. (XVe s.), précédé par la variante sacramentalement (v. 1450), de sacramental, et SACRAMENTALITÉ n. f. (XXe s.), termes didactiques de religion.
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SACRAMENTAIRE n. et adj., emprunté au bas latin ecclésiastique sacramentarium « rituel pour l'administration des sacrements », a d'abord désigné (1535, n. pl.) les hérétiques qui ont enseigné des dogmes divergents touchant l'eucharistie ; l'adjectif (1660), rare avant le XIXe s., qualifie ce qui est relatif aux sacrements.
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Le terme de religion le plus récent qui se rattache au latin
sacer est
SACRAL, ALE, AUX adj., attesté en 1930 (Maritain), mais antérieurement en anglais (1882) et en allemand (déb.
XXe s.,
sakral) d'où il semble procéder ; il est formé sur le radical du latin classique
sacer.
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L'adjectif, très didactique, s'applique, par opposition à
profane, à ce qui a revêtu un caractère sacré, notamment en parlant de civilisations.
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Sacral a permis de former SACRALISER v. tr., attesté plus tôt (1899, Hubert et Mauss) « attribuer un caractère sacré à », d'où l'antonyme DÉSACRALISER v. tr. (1949), de 1 dé-, qui s'emploie aussi dans un sens étendu (désacraliser une profession). De là DÉSACRALISANT, ANTE adj. (1942 Dumézil).
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Du verbe dérive 1 SACRALISATION n. f., attesté (1941) après son antonyme DÉSACRALISATION n. f. (1934).
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SACRALITÉ n. f. (mil. XXe s.) se dit du caractère de ce qui a été sacralisé.
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SACRO-SAINT, SACRO-SAINTE adj. est emprunté (1546,
sacrosainct) au latin
sacrosanctus, de l'ablatif de
sacer et
sanctus (→ saint). Sorti d'usage comme terme de religion, il s'applique ironiquement (
XIXe s.) à ce qui fait l'objet d'un respect exagéré.
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De nombreux mots rattachés à la famille du latin
sacer sont plus ou moins démotivés :
sacrilège et
sacrifier sont encore sentis liés à
sacré mais semblent posséder une certaine autonomie ;
sacristain et
sacristie sont encore plus autonomes ;
sacripant et
sacrum, terme d'anatomie, n'ont plus guère de lien intuitif. Enfin
saperlipopette, scrogneugneu, par leurs formes altérées, ne sont plus en rapport.