L
SOLEIL n. m. est issu (1080), d'abord sous la forme
solelz (v. 980), d'un latin populaire
°soliculus, dérivé du latin classique
sol, solis « soleil », astre et divinité (écrit
Sol), employé en poésie pour « jour, journée » et par figure aux sens de « plein jour », de « vie publique » et de « grand homme ».
Sol appartient à une famille de mots indoeuropéens désignant le soleil, affectant des formes diverses qui impliquent une racine avec alternance
l-n dans la flexion ;
sol proviendrait d'une forme
°swōl- ; le grec
hêlios (→ hélio-) d'un
°sawelios.
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L'ancien provençal a deux mots : solel (v. 1180) de même origine que le français (prov. mod. solelh), et sol (v. 1180), du latin classique, comme l'italien sole, l'espagnol et le portugais sol ; en ancien français, la forme sol (1119) est un latinisme ou est repris à l'ancien provençal ; la forme soloil (v. 1175) provient d'un autre dérivé latin populaire °soluculus. La variante souleil (1314) est encore employée par d'Aubigné (déb. XVIIe s.).
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Le mot désigne l'astre qui donne la lumière et la chaleur à la Terre. Dans le vocabulaire didactique ancien (astronomie-astrologie), le
Soleil est considéré comme une planète jusqu'à l'adoption du système copernicien au
XVIIe s., et comme un astre fixe avant la fin du
XVIIIe s. (travaux de Herschel et Lambert). Furetière définit le mot (1690) par : « astre comme centre d'un système planétaire ». La connaissance scientifique du Soleil, du
XVIIIe au
XXe s., modifie profondément le concept (aujourd'hui « étoile jaune, de moyenne importance, appartenant à la galaxie dite “Voie lactée” ») et instaure une phraséologie et un vocabulaire spécialisé (chronosphère, protubérances, taches...), dans le cadre de l'astronomie solaire.
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L'astre, en ancien français, est envisagé dans son apparence et ses effets sur la Terre : alternance du jour et de la nuit, chaleur, saisons, points cardinaux.
Soleil levant s'emploie pour « est » (1080) et
soleil couchant pour « ouest » (v. 1155) ;
au soleil levant « au lever du soleil » (v. 1155) s'oppose à
au soleil couchant (v. 1180, avec la forme
sol). Le mot entre dans de nombreuses locutions :
partir le soleil, où
partir signifie « partager », s'est dit pour « placer des adversaires de sorte que le soleil n'incommode pas plus l'un que l'autre » (v. 1260), d'où à l'époque classique
partager le soleil entre les combattants (1694), sorti d'usage.
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La locution
sous le soleil (1550), d'abord
desous le solel (v. 1360), s'emploie au sens de « sur la terre », spécialement dans la locution proverbiale
rien de nouveau sous le soleil.
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Entre deux solaux (1391), devenu
entre deux soleils (1660) « entre le lever et le coucher du soleil », s'est maintenu jusqu'au
XIXe siècle.
Cadran au soleil (1538) a été remplacé par
cadran solaire*.
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Par métaphore poétique,
soleil « journée » (1639) et « année » (1678) se disent jusqu'au
XIXe s. (Lamartine).
Soleil naissant, « beauté éclatante », faisait partie du vocabulaire de la préciosité (1648), comme
soleil de la nuit « feu » (av. 1650). La phrase
le soleil luit (brille) pour tout le monde (attestée en 1798), « il est certains avantages dont tout le monde peut profiter », est un proverbe traduit du latin.
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Le mot désigne aussi à partir du XIIe s. la lumière du soleil, un temps ensoleillé (v. 1150), d'où faire soleil : il fait soleil (1647), grand soleil (1694), d'abord dans la région lyonnaise, puis dans toute la France. En français du Québec, il fait beau soleil est usuel (Cf. en France, il fait beau). Par extension, il se dit de ce qui est exposé à la lumière du soleil (v. 1220).
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De ces valeurs procèdent de nombreux emplois et des locutions : soleil s'applique à la lumière d'une pierre précieuse (1225-1250), et pierre du soleil « pierre précieuse » (1562) reprend le latin solis gemma.
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Une importante phraséologie reprend la valeur première du mot (astre) ou celle de « lumière du soleil ». En plein soleil signifie comme en latin « publiquement » (v. 1530 ; 1785, au soleil).
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La locution coup de soleil, d'abord « insolation » (1582), semble avoir été reprise au début du XIXe s. pour désigner une légère brûlure provoquée par le soleil ; employé avec quelques verbes, coup de soleil a par métaphore des acceptions familières ; la locution a signifié « légère ivresse » (1845, et par ellipse un soleil), aussi dans avoir son coup de soleil « être ivre » (1808). Recevoir un coup de soleil a eu le sens (1878) de « tomber amoureux ».
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Par figure, bien au soleil s'applique à une propriété immobilière (1611), surtout dans avoir des biens au soleil « être riche », l'exposition au soleil symbolisant la position sociale enviable, idée que l'on a également dans avoir une place au soleil (1803). Se gratter le cul au soleil (1611) s'est dit d'une personne oisive ; mettre (à qqn) le ventre au soleil (XVIIe s.) s'est employé pour « tuer » ; on trouve en argot moderne les tripes au soleil, dans ce sens.
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La locution proverbiale ôte-toi de mon soleil (XVIIIe s.) cite la réponse de Diogène à Alexandre qui lui offrait sa protection, et que l'on rappelle pour marquer l'importunité d'une présence.
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Les effets du soleil sur la peau, considérés comme désastreux jusqu'au milieu du XIXe s. (Cf. coup de soleil ci-dessus) sont évoqués positivement dans prendre le soleil « s'y exposer » (1869) pour brunir ou dans un but thérapeutique, et dans bain de soleil, expression apparue dans la 2e moitié du XIXe s. pour « fait de se mettre en plein soleil » (par ex. Zola, 1873) et aussi pour « lieu, image inondée de lumière solaire » (1883, Huysmans). La locution s'est spécialisée en héliothérapie (v. 1860), puis dans le contexte de la plage avec l'idée de dénudation (1924, Morand). D'où par apposition robe bain de soleil, et un bain de soleil. L'anglais sun bath est attesté en 1875.
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Déjeuner de soleil, autrefois à propos d'une couleur qui s'abîme facilement (1871), se dit d'une chose éphémère (1904).
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Ça craint le soleil s'est dit en argot (1910) pour « cela doit rester caché, discret », notamment à propos d'argent ou d'un bien volé, escroqué.
Parallèlement à ces emplois, soleil a eu de nombreuses acceptions métaphoriques, l'une d'elles renvoyant à une image (cercle entouré de rayons) évoquant l'astre. Escu au soleil (1485), escu en or sol (1490), qui correspond à l'ancien provençal escu de soul de France (1524), désignait un écu frappé sous Louis XI, Charles VIII et François Ier, où la représentation de la couronne de France était surmontée d'un petit soleil ; on trouve ensuite écu au soleil, écu sol (1636) et, par confusion avec sol « sou », la forme écu-sou (1798, Académie).
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Cette image du soleil, cercle d'où partent des rayons divergents, apparaît spécialement dans l'emploi du mot pour « ostensoir » (1520), dans l'usage héraldique (1690) où le soleil est un disque (doré) entouré de rayons.
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Par figure, soleil de feu (1694), aujourd'hui soleil (1752), désigne une pièce d'artifice constituée d'un cercle monté sur pivot et garni de fusées qui le font tourner en lançant leurs feux ; on a dit aussi soleil brillant (1767) et soleil tournant (1812).
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Par ailleurs, soleil a été la désignation d'un jet d'eau qui se distribue en rayons (1715 ; 1752, soleil d'eau).
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Par métaphore, on emploie papier soleil (1803), puis format soleil pour un papier qui porte une image du soleil en filigrane.
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La même image se trouve dans l'emploi du mot au sens (1882) de « tour complet autour d'un axe horizontal » spécialement en gymnastique (grand soleil) et dans faire un soleil (1895), à propos d'une automobile qui capote, puis d'une personne qui fait une chute spectaculaire.
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Avec l'idée d'une brusque coloration de la peau, piquer un soleil (1844) signifie « rougir brusquement » (Cf. piquer un fard).
Sur le plan métaphorique et allégorique, soleil, depuis le XVe s., est le symbole d'une puissance qui éclaire, répand son influence bienfaisante, avec une application aux religions (1557), et à la puissance royale dès le XVIe s., sens encore connu par la métaphore du Roi-Soleil « Louis XIV ». De même, dans le langage biblique du XVIe s. et de l'époque classique, soleil de justice désigne Dieu, Jésus-Christ (1553) et le divin soleil la grâce de Dieu (1721).
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En outre, soleil a désigné à l'époque classique une personne remarquable (v. 1587) et une personne puissante dont on attend des faveurs (1678) ; le mot a cette valeur dans des locutions (1640) sorties d'usage, comme soleil d'hiver désignant une personne qui a peu de pouvoir et soleil de mars un pouvoir naissant ; adorer le soleil levant signifiait « faire sa cour au pouvoir naissant » (fin XVIIe s.). L'empire du soleil levant désigne par ailleurs le Japon. La métaphore littéraire soleil couchant, qui se dit (1813) d'une personne dont le pouvoir est à son déclin, pourrait être antérieure à son attestation.
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Être près du soleil (1871), « être près du pouvoir », se rencontre encore.
Dans d'autres emplois figurés, c'est la couleur ou la forme symbolique (cercle rayonnant) du soleil qui est retenue ; dans le vocabulaire ancien de l'alchimie soleil sophistique (1530), soleil (1611), après le moyen français sol (1564), se disait pour « or » ; cette acception remonte au XIIIe s. (1267) dans le latin des alchimistes (sol). On retrouve ce sémantisme en argot (mil. XXe s.) avec le sens de « million (d'anciens francs) », attribué par Esnault au souvenir du nom d'un directeur de banque nommé Soleil.
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Plusieurs plantes et animaux ont été désignés par le mot ; soleil d'or « carpe » (1554), épouse du soleil « souci » (1555) et soleil de mer (1611), soleil (1680) « astérie » sont sortis d'usage ; mais on emploie encore soleil comme nom de l'hélianthe (1640 ; Cf. le mot tournesol). Sol pour « raisin sec » (1723) est sorti d'usage.
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Soleil a fourni quelques dérivés.
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SOLEILLEUX, EUSE adj., qui a eu le sens de « solaire » (1582), est rare comme équivalent (1584) d'« ensoleillé ».
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SOLEILLÉE n. f. « rayonnement du soleil par un temps couvert » (1866) est un mot régional, comme SOLEILLADE n. f., mot provençal (par emprunt) au sens de « lumière du soleil » (1888).
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Le composé
ENSOLEILLER v. tr. (1852) de
en-, signifie « remplir de la lumière du soleil » et s'emploie (1894) au figuré pour « remplir de bonheur ».
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En dérivent
ENSOLEILLÉ, ÉE adj. employé au propre (1867) et au figuré (1870) et
ENSOLEILLEMENT n. m. (1856) diffusé par son emploi en météorologie.
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On relève en ancien et en moyen français divers sens de SOLEILLER, verbe disparu, dont « briller, luire » (v. 1180, altéré en soreller), « exposer au soleil » (1414, soriller ; 1596, soleiller) qui correspond à l'ancien provençal solelhar (1240).
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SOLEILLÉ, ÉE adj. « exposé au soleil » (1564), peu employé à l'époque classique, a été repris après la Révolution mais est sorti d'usage.
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PARE-SOLEIL n. m. inv., du verbe
parer, autrefois (1873) « chapeau pour se protéger du soleil », désigne (1914) un écran protégeant du soleil.
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Plusieurs mots ont été empruntés à des dérivés du latin classique sol ou formés à partir d'eux.
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SOLAIRE adj. est emprunté au dérivé latin impérial
solaris « du soleil, relatif au soleil », « tourné vers le soleil », par exemple dans
solaris herba « tournesol », qui correspond au grec
heliotropion ou
heliotropos (→ héliotrope). En bas latin,
solaris s'était substitué à
Solanus « vent d'est », autre dérivé de
sol ; de cet emploi viennent diverses formes de l'ancien et du moyen français :
soleire « midi » (v. 1120),
souleurre « est » (1261),
sollerre « vent du sud-est ou du sud » (v. 1300), écrit
solerre (1549) et encore attesté en 1660.
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La forme moderne solaire, « relatif au soleil, du soleil », apparaît isolément en chronologie dans an solaire (XIIIe s.) repris au XVIe siècle. Au XVIIe s. année solaire (1671) succède à an solaire.
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L'adjectif réapparu en français moderne pour qualifier la lumière du soleil (fin XVe s.), puis dans herbe solaire (1607) « tournesol », s'est appliqué plus tard (1797) aux plantes dont les fleurs ne s'ouvrent qu'à la lumière du soleil.
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Il s'est appliqué par métaphore (fin XVIIe s.) à une personne radieuse et qualifie à la même époque ce qui utilise la lumière du soleil (1690, quadran solaire, 1718, cadran).
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Solaire n. f. a désigné (1765) jusqu'au milieu du XIXe s. la courbe supposée décrite par les rayons du soleil en traversant l'atmosphère.
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Avec les progrès de l'astronomie newtonienne, apparaît système solaire (1749) « ensemble des corps célestes formés par le Soleil et son champ de gravitation ». Solaire, en relation avec l'évolution du concept de soleil, qualifie au XIXe s. ce qui fonctionne grâce à l'énergie que dégage le rayonnement du soleil (1882, appareil solaire). Les applications techniques de l'énergie solaire suscitent pile solaire (v. 1968), chauffage solaire (v. 1970) et le solaire n. m. « ensemble des techniques et procédés d'utilisation de l'énergie solaire » (v. 1978), faisant partie de ce qu'on appelle les énergies nouvelles, renouvelables.
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Par ailleurs, solaire s'applique (XXe s.) à ce qui protège du soleil, dans huile solaire (la marque Ambre solaire fut lancée en 1937).
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Un emploi figuré notable est plexus solaire (→ plexus).
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ANTISOLAIRE adj. (XXe s.) de 1 anti-, qualifie ce qui protège des rayons solaires, spécialement dans le vocabulaire technique (vitrage antisolaire).
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On emploie LUNI-SOLAIRE adj. en astronomie (1721) ; [→ lune].
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EXTRA-SOLAIRE adj. qualifie (1890) ce qui est extérieur au système solaire. Il se dit notamment des planètes découvertes autour d'autres étoiles que le soleil (exoplanètes) et de l'existence supposée de la vie hors du système solaire (exobiologie).
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SOLARISER v. tr., dérivé savant (1877,
pron.) de
solaris, a signifié « subir l'action du soleil », en parlant de photos. Toujours dans le domaine de la photographie, le verbe a pris (1949) le sens de « soumettre à l'insolation (la plaque sensible) pendant le développement », pour obtenir des effets spéciaux, d'où
SOLARISATION n. f. (1949).
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À partir de solaris ont été composés les termes didactiques SOLARIMÈTRE n. m. (1933) de -mètre, « appareil pour mesurer le rayonnement solaire », et SOLARIGRAPHE n. m. (v. 1964) de -graphe, « solarimètre enregistreur ».
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SOLARIUM n. m. est un emprunt (1765) à un mot latin signifiant « cadran solaire », par extension « clepsydre », et « endroit exposé au soleil », spécialement « balcon, terrasse », substantivation de l'adjectif
solarius « solaire ».
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Au XVIIIe s., le mot est un terme d'Antiquité désignant une terrasse exposée au soleil, dans l'ancienne Rome. Par analogie, il se dit (1909) d'un établissement où l'on pratique l'héliothérapie et par extension (1941) d'un lieu où l'on prend des bains de soleil.