SOUIMANGA, SOUÏMANGA ou SOUI-MANGA n. m., employé vers 1770 par le naturaliste Commerson, est un emprunt à un mot malgache, désignant un oiseau, variété de colibri au bec long et recourbé, au plumage brillant, vivant à Madagascar et en Afrique tropicale.
SOUK n. m. est un emprunt (1835) à l'arabe sūq « marché » ; on le rencontre au XVIIe s. (zoco, 1636), puis cité comme mot arabe (1836) [in T.L.F.] chez le Père Vansleb, écrit Suk (1677), puis dans des noms propres : le marché des esclaves au Caire (1800, Souk es-Soultan) et le nom d'une rue de Jérusalem, citée par Chateaubriand (1812).
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Souk désigne spécialement un marché couvert qui, dans les pays d'islam, réunit boutiques et ateliers dans un dédale de rues.
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Par figure et familièrement (1936 in T.L.F.), le mot se dit d'un lieu où règne le désordre, l'agitation, le bruit, suivant la même évolution que bazar*. Dans un contexte abstrait, il équivaut à « désordre ». Cette acception familière (1936, dans Céline) est très vivante en français contemporain.
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En revanche, l'emploi argotique, en France, pour « boutique, magasin » (mil. XXe s.), n'a pas vécu.
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Le dérivé SOUKIER n. m. (attesté 1934), rare en français d'Europe, désigne en français du Maghreb un marchand installé dans un souk.
SOUL adj. inv. et n. m. est un emprunt (1962, adj.) à un mot anglais signifiant « âme », d'origine germanique (gotique saiwala ; Cf. allemand Seele), peut-être à rattacher à la même racine que le grec aiolos « vif, rapide » et le sanskrit āyu- « force vitale ». Soul a pris un sens particulier aux États-Unis, dans le milieu des Noirs américains, caractérisant une manière inspirée de jouer le blues ou le jazz, soul man signifiant « musicien qui joue avec toute sa sensibilité » ; il s'emploie aussi pour qualifier ce qui est relatif à certains aspects de la vie des Noirs (soul brother « frère » [d'un Noir, parlant d'un autre Noir], soul food « cuisine traditionnelle des Noirs américains » [de food « nourriture »], etc.).
❏
Le mot est passé en français (1962) pour qualifier la musique des Noirs américains et par extension une atmosphère, un style. Le syntagme anglais soul music est employé comme nom féminin (1979). Soul s'applique comme en anglo-américain à ce qui est propre aux Noirs américains, par exemple dans restaurant soul. La diffusion du mot est limitée.
L
SOÛL, SOÛLE adj. et n. m. est une réfection de saule n. f. (fin XIe s.), saul (v. 1119), saol (v. 1175) ; l'accent circonflexe est introduit au XVe s. (in F. e. w.) et la graphie soûl, concurrente de saoul (XIIIe s.), est retenue par le dictionnaire de l'Académie en 1694 ; la forme saoul est aujourd'hui vieillie. Le mot est l'aboutissement du latin satullus « assez, un peu rassasié », diminutif de satur « rassasié (surtout de nourriture) », au figuré « chargé » en parlant de couleurs, « riche, abondant, fertile », spécialement en rhétorique où satura, pluriel neutre, signifie « matière féconde » (→ saturer). Satur se rattache, comme satis (→ assez), à une racine indoeuropéenne dont les représentants varient, en raison des éléments affectifs et expressifs liés à son sens, comme le gotique saþs « rassasié », le vieux slave sytŭ. Le latinisme satur adj. « rassasié » (1495) est resté isolé, et rapidement sorti d'usage.
❏
L'adjectif s'est appliqué (v. 1119) comme en latin à une personne qui a mangé et bu à satiété ; cet emploi noté « familier » à partir de 1694 a disparu, éliminé par le sens plus restreint de
soûl « ivre » (1534, Rabelais). Cette valeur usuelle rend difficile la compréhension des nombreux emplois où le mot signifie « rassasié de nourriture ».
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Soûl s'emploie en effet dès le XIIe s. au figuré, dans être soûl de (faire) qqch. « saturé au point d'en être dégoûté » (v. 1175), d'où être soûl de qqn (XIIIe s.), dans les locutions soûl d'ouvrer [de travailler] « fainéant » (v. 1550), saoûl d'honneur « coquin » (1690), sorties d'usage.
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Au sens concret de « rassasié », soûl comme une grive s'est dit d'une personne qui a trop mangé (1486), par allusion à la grive qui a mangé des raisins dans les vignes, encore au milieu du XVIIIe s., et a pris le sens de « complètement ivre » (1690), suivant l'évolution de l'adjectif. Soûl, au sens moderne, peut être suivi d'un nom de peuple dans soûl comme un Suisse (av. 1660) par référence aux mercenaires suisses des armées royales. Soûl comme un Polonais (XXe s.) correspond à une réputation faite aux Slaves et à une légère xénophobie. On relève par ailleurs soûl comme une bourrique (paronymie avec barrique et influence possible de bourré). Soûl comme un âne (1886 dans Courteline) s'explique par jeu de mots sur gris* « légèrement ivre » et influence de la locution précédente. Soûl comme un cochon, soûl comme une vache (1892, Allais), comme soûl à crever (1694), sorti d'usage, faisait encore allusion à la réplétion de nourriture. D'autres locutions, comme à soul et à jeun (v. 1240), « dans tous les cas », ou donner son soûl à qqn « le satisfaire » (1440-1475), a cœur soûl « de façon à combler les désirs » (fin XVe s.), avoir des coups tout son soûl (1636), tout le soûl (1646), ont disparu.
À côté de l'adjectif et après une occurrence isolée du nom féminin (fin XIe s.), pour « fait d'être rassasié », le mot s'est employé pour « satiété ». Cet emploi demeure dans des emplois où soûl est précédé de tout et d'un possessif : manger, boire son soûl (v. 1155, saul), devenu tout son soûl (XVe s.), encore en usage.
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Les dérivés de
soûl ont suivi son évolution sémantique.
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SOÛLER v. tr., réfection (1553), d'après soûl, de savoler (fin XIe s.), saüler (v. 1120), saouler (XIVe s.), a signifié « rassasier » (fin XIe s.). Cette acception est d'abord attestée au figuré dans ne pouvoir se soûler de faire qqch. (1170).
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L'idée d'« abondance » a donné lieu à des acceptions : « satisfaire (qqn de qqch.) » [1260], « assouvir (une passion) » [1440-1475], encore enregistrée au XVIIe s. ; on a dit en agriculture soûler une terre pour « fumer » (1552).
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Se soûler a pris le sens de « boire à l'excès » (1640, se saoûler) et souler « enivrer » (1677) est courant, comme l'emploi avec un sujet nom de chose.
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L'idée de réplétion (« en avoir assez ») se retrouve dans l'emploi figuré pour « fatiguer, importuner (par un excès quelconque) » [mil. XVIe s.] ; Cf. soûlant.
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Le verbe a plusieurs dérivés.
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SOÛLÉE n. f., sorti d'usage, s'est employé comme synonyme de soul, nom masculin, dans boire, manger, parler... sa soûlée « abondamment » (v. 1165), faire la soûlée « se rassasier » (1605). Le mot a désigné familièrement (1690) un repas plantureux, bien arrosé.
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SOÛLANT, ANTE adj., d'abord « qui rassasie » en parlant de la nourriture (1690), acception disparue, signifie figurément « qui ennuie, fatigue » (1895).
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SOÛLERIE n. f. est un équivalent familier (1857) de beuverie, puis d'ivresse.
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Le verbe préfixé DESSOÛLER v. a voulu dire « donner le temps à l'estomac de digérer » (1557). D'après le sens pris par soûl, le verbe signifie « tirer (qqn) de l'ivresse » (1690), d'où se dessoûler (1845).
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L'intransitif, souvent dans un contexte négatif, correspond à « cesser d'être ivre » (1694).
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Le dérivé DESSOÛLEMENT n. m. est attesté en 1769.
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SOÛLARD, ARDE n. et adj. s'est appliqué à une personne qui s'adonne aux plaisirs de la table, écrit
soullart (v. 1433),
saoulard (1547), puis
soûlard (1803), sens sorti d'usage.
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En français moderne, le mot équivaut familièrement à
ivrogne (1732 ; 1694,
saoulard).
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SOÛLAUD, AUDE n., d'abord « qui mange et boit beaucoup et salement » (v. 1714 ; 1690, saoulaud), est un synonyme (v. 1748, Du Pinaud, n. et adj.) de soûlard.
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Le mot s'écrit aussi soûlot, otte (attesté 1886) et a fourni se soûlotter v. pron. (1876, Huysmans).
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SOÛLON, SOÛLONNE n., dérivé de soûl avec un autre suffixe, était courant dans de nombreux dialectes, et s'entend en français en Lorraine et dans l'Ain. Le fait qu'il existe aussi au Québec fait supposer un emploi dans l'ouest de la France et donc une aire d'emploi allant de l'est à l'ouest de la France. Il est usuel en Suisse romande depuis le XVIIIe s. (attesté en 1757).
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SOÛLOGRAPHE n. et adj., familièrement « ivrogne invétéré », est une formation plaisante tirée de
soûl (1816) à partir de
-graphe*, comme
SOÛLOGRAPHIE n. f. (1835), de
-graphie*, d'où
SE SOÛLOGRAPHIER v. pron. (1867), sorti d'usage.
L
SOULAGER v. est une réfection (1461), après d'autres formes en sou-, comme soulagier (XIIIe s.), de solagier (XIIe s.), lui-même de suzlegier (v. 1160), suslegier (1270) ; ce verbe représente le latin populaire °subleviare, altération d'après le bas latin alleviare « rendre léger » du latin classique sublevare, proprement « soulever, exhausser » et par figure « alléger, soulager », « affaiblir, atténuer ». Sublevare est composé de sub- (→ sub-) marquant la position inférieure et de levare « alléger » d'où « soulager » et à l'époque impériale « soulever » (→ lever), dérivé de levis « léger » au propre et au figuré (→ léger).
◆
Le passage du e au a en ancien français est expliqué par l'influence de solaz « consolation » et solacier, soulacier « consoler » (→ soulas) ou par celle de l'ancien verbe assouagier qui avait aussi le sens de « soulager, apaiser ».
❏
Le verbe s'est d'abord employé (v. 1160,
suzlegier) en parlant d'un navire, pour « jeter à la mer une partie de sa charge lors d'une tempête », sens encore relevé en 1690
(soulager un navire). Au début du
XIIIe s.,
soulager a l'acception, également disparue, de « soutenir (qqn) physiquement ». En parlant d'une personne, il se dit (
XIIIe s.) pour « débarrasser (qqn) de son fardeau » et par figure « délivrer (qqn) de ses souffrances morales » (1270,
suslegier), emplois qui se sont maintenus.
◆
Ce sont les idées d'allégement et de secours moral qui se développent à partir du
XVe s. ;
solagier (1440-1470) puis
soulager s'emploient pour « alléger le travail, la peine, le mal de (qqn) » et (1461) « diminuer (pour qqn) le fardeau des impôts » ; au figuré,
soulager signifie « secourir, aider (une personne accablée par la misère) » (1538), et aussi « secourir (une personne qui souffre, est en peine) » (1640).
Se soulager (v. 1640) correspond à « décharger son cœur de ce qui l'oppresse », valeur reprise au XVIIIe s. dans une construction intransitive, en parlant d'une pensée.
◆
Avec une valeur concrète, se soulager prend (déb. XVIIe s.) le sens de « satisfaire un besoin naturel » ; on emploie aussi soulager son ventre, sa vessie.
Avec l'idée de « diminuer une charge matérielle », le verbe prend des valeurs techniques (1690) :
soulager (un plancher, une poutre), puis (1796)
soulager (un arbre) « le couper en partie quand il a trop de bois ». En termes de marine,
soulager (un navire, un mât, une voile) est repris avec son sens de « diminuer l'effet de la poussée du vent en changeant l'orientation de la voilure ou la direction du cap » (1871), d'où
soulager v. intr. « subir un moindre effort »
(l'arrière soulage).
■
En argot, soulager a pris par métaphore les sens d'« assassiner » (1850), sorti d'usage, et de « voler », dans soulager qqn de qqch. (1867) puis soulager qqch. à qqn (1907).
◆
Dans le vocabulaire de la prostitution, le verbe s'emploie pour « amener à l'orgasme (un partenaire) » [v. 1850] ; la relation entre soulager (un homme) de son sperme / de son argent se retrouve dans les emplois argotiques d'écosser, écrémer, éponger.
❏
SOULAGEMENT n. m., réfection (v. 1485) de
soubzlegement (1384) puis
sollagement (1580) qui signifiait « diminution des impôts », a été remplacé par
allégement*.
◆
Le mot se dit (fin
XVe s.) de l'action ou de la manière de soulager une souffrance physique ou morale et de l'état d'une personne soulagée.
■
SOULAGEUR n. m. a désigné celui qui soulage le peuple (1601). Ce sens est sorti d'usage et le mot reste rare avec la valeur générale de « celui qui soulage ». Le féminin SOULAGEUSE s'est employé en argot pour « voleuse » (1888).
❏ voir
SOULEVER.
SOULANE n. f., attesté en français sous la forme soulan (1907), est un emprunt du français du Sud-Ouest à l'ancien béarnais soulana ou à l'ancien gascon soulan (prononcé -ane), mots venant d'un dérivé latin de sol « soleil ». Ce mot équivaut, en français de la région pyrénéenne, à l'adret alpin, le versant exposé au soleil.
L
SOULAS n. m., forme refaite (v. 1200) de solaz (v. 1090), solas (v. 1175), est issu du latin classique solacium « soulagement, adoucissement » et à basse époque « compensation, indemnité », dérivé de solari « réconforter, dédommager », « consoler » et « adoucir, soulager », verbe supplanté par un composé qui a été emprunté en français (→ consoler). Son étymologie reste incertaine malgé certains rapprochements avec des mots grecs.
❏
Soulas, en ancien français, s'emploie au sens de « consolation, réconfort » (v. 1090) ; il s'est utilisé jusqu'au
XVIIe s. dans le style burlesque au sens de « divertissement, plaisir » attesté depuis l'ancien français (v. 1175), et qui a dû continuer à s'employer au
XVIIIe s., si l'on en juge par l'argotique
soulasse (ci-dessous).
◆
Le mot, depuis l'ancien français (v. 1200) et jusqu'au
XVIe s., s'est employé pour « plaisir, joie d'amour » (v. 1200), et « commerce charnel » (
XIVe s.).
◆
Par ailleurs,
soulas s'est dit pour « compagnie, société » (fin
XIe s.), sens disparu en moyen français.
■
Il est encore attesté au XVIIe s., au sens d'« aide (aux pauvres, au pays) » (1636), peut-être par emprunt à l'occitan solas, solatz « personne qui aide » (XIIIe s.), d'abord « soulagement » (v. 1100), de même origine latine.
❏
SOLACIER v. tr. est un dérivé (v. 1175) de l'ancien français
solaz.
◆
Ce verbe sorti d'usage a signifié en ancien français « distraire, amuser (qqn) » [v. 1175] jusqu'au
XVIIe s., avec un pronominal
se solacier « se divertir » (
XIIIe s.), puis « consoler (qqn) » [v. 1315]. Il a été quelquefois repris par archaïsme littéraire, par exemple chez Rousseau et Chateaubriand.
◈
Le substantif argotique
SOULASSE n. m., attesté chez Vidocq (1828), reprend du mot ancien une valeur dérivée, « jeu », et par métonymie (1821) « joueur habile, escroc ».
SOULEVER v. tr. est une réfection (XIVe s.) de soslevar (v. 980), sozlever (XIe s.), soslever (v. 1130), souslever (XIIIe s.), formé de sous-* et lever*, d'après le latin classique sublevare, de sub- (→ sub-) marquant la position inférieure et levare « élever en l'air » (→ lever).
❏
Soulever signifie « lever au-dessus de son point d'appui un objet pesant ou une chose quelconque » (v. 980), spécialement « lever vers le haut une partie du corps » (1673). Par extension, le verbe s'emploie (v. 1050) au sens de « relever », à propos de ce qui gêne la vue ou dissimule quelque chose ; de là vient au
XIXe s. la locution figurée
soulever le voile (1835), un coin de voile « laisser entrevoir ce qui était tenu secret ».
◆
Par extension, il prend le sens (v. 1200) de « faire s'élever », spécialement « agiter les flots » en parlant du vent (1645), et en agriculture est employé dans
soulever la terre « donner le premier labour », relevé à la fin du
XVIIIe s. comme provincialisme (1796) et sans doute antérieur (
XIIe s., ancien provençal
sollevar).
◆
Au sens général, le verbe s'emploie aussi au pronominal (depuis le
XIIe s.).
■
Dès le XIIe s., soulever s'emploie au figuré avec un sujet nom de chose abstraite (v. 1175), signifiant « transporter (qqn), le faire sortir de lui-même » ; on relève aussi li cuers l'en soulève « son cœur tressaille (de joie) » (XIIe s.) puis au XVIe s. le cœur me soulève « je suis dégoûté » au figuré (1559) et concrètement « j'ai envie de vomir » (v. 1560) ; avec ces acceptions, le verbe s'emploie transitivement au propre (1660, soulever le cœur, l'estomac) et au pronominal, aussi figurément puis avec l'idée d'écœurement (1654, mon cœur se soulève), d'abord « mon cœur est ému » (1659).
◆
La valeur figurée se développe à partir du XVIe s. ; soulever signifie « exciter à la révolte » (1559, aussi pron.), en relation avec soulèvement. Soulever veut dire ensuite « animer de sentiments hostiles » (1642), spécialement dans soulever qqn contre soi « s'attirer sa rancune » (1669), plus tard dans soulever l'opinion (attesté 1908).
◆
Toujours dans le domaine psychologique, soulever a pris les sens de « donner de l'orgueil » (1656), « donner de la considération, du renom » (fin XVIIe s.), disparus après l'époque classique, puis signifie « élever qqn du point de vue moral » (av. 1854), valeur devenue archaïque.
■
Vers la fin du XVIIIe s., par une autre figure, soulever s'emploie familièrement au sens de « dérober, prendre (qqch., qqn) » [1790]. Cet emploi est comparable à celui de « séduire (la femme d'un autre) », attesté en moyen français (1400), non attesté ensuite avant le XXe siècle.
■
Le verbe signifie par ailleurs au figuré « faire naître » (1835, soulever une question) et « faire naître un sentiment vif » (av. 1848), « une réaction » (1862).
❏
SOULÈVEMENT n. m., écrit
sollevement en ancien français (fin
XIIe s.), a signifié « élévation (du cœur, des sentiments) ».
◆
Soulèvement (1559) désigne par figure un mouvement de révolte contre un oppresseur, d'où spécialement
soulèvement armé (attesté 1936).
◆
Le mot a aussi le sens général de « fait de soulever, d'être soulevé », d'abord dans
soulèvement d'estomac « envie de vomir » (1588), sorti d'usage, et au propre au début du
XVIIe s. (1611).
◆
À l'époque classique il a signifié « mouvement d'indignation » (1659) et
soulèvement de cœur équivaut (1669) à « haut-le-cœur ».
◆
Soulèvement s'emploie spécialement en géologie (1802) à propos d'un exhaussement de niveau, de caractère épirogénique ou tectonique ; le mot est littéraire au sens figuré de « mouvement des sentiments qui emporte qqn » (1863).
■
SOULEVÉ n. m., substantivation du participe passé (1933), désigne en haltérophilie un mouvement qui consiste à soulever le poids de terre.
■
SOULEVEUSE n. f. se dit en technique agricole d'une machine servant à déterrer les pommes de terre, d'autres tubercules, les arachides.
❏ voir
SOULAGER.
L
SOULIER n. m. est une réfection (déb. XIIIe s.), par changement de suffixe, de l'ancien français soller (fin XIe s., variante solder) et soler (v. 1185), issu d'un latin populaire °subtelare « chaussure », lui-même altération d'un latin médiéval subtalaris « qui arrive à la cheville » (VIIe s.), en particulier dans subtalares calcei « brodequins ». L'adjectif est dérivé du bas latin subtel « partie incurvée sous la plante des pieds » (Ve s., chez Priscien). Subtel est formé du latin classique sub- qui marque la position inférieure (→ sub-) et de talus « cheville, talon » (→ talon).
❏
Le mot désigne (fin
XIe s.) une chaussure à semelle résistante, qui couvre complètement ou partiellement le pied, et dont la forme a varié au cours des siècles ; il peut être accompagné d'un qualificatif ou d'un complément de nature descriptive, mais
souliers de bois « sabots » (v. 1150),
souliers à l'apostolique « sandales » (v. 1560), sont sortis d'usage. On parle encore aujourd'hui de
souliers plats « sans talon » (1668), de
souliers vernis. Dans l'usage courant, on emploie aujourd'hui plus souvent
chaussure, soulier étant en France, plutôt réservé à de grosses chaussures (et à une phraséologie figurée).
■
À partir du XVIe s., soulier entre dans de nombreuses locutions figurées dont beaucoup sont sorties d'usage. Se soucier de qqch. comme de ses vieux souliers (XVIe s.) « s'en moquer », avec des variantes jusqu'au XIXe s., a été remplacé par d'autres comparaisons (par exemple avec chemise*). Beau soulier vient laide savate « une belle femme devient vieille et laide » (av. 1589) a disparu au XVIIe siècle. C'est là que le soulier me blesse « c'est la chose qui me gêne » (1608) a des variantes jusqu'au XXe s. et s'est effacé devant le bât blesse. À l'époque classique ont été employées plusieurs locutions pittoresques : tenir pied en soulier « être très raisonnable » (1611), n'avoir pas de souliers « être dans la misère » (1669), mettre son pied dans tous les souliers « se mêler de tout » (déb. XVIIIe s.) ; faiseur de vieux souliers s'est dit d'une personne oisive, sans emploi (1798). Être mal dans ses petits souliers, « être malade », signifie ensuite « être mal à l'aise » (1808), et est devenu être dans ses petits souliers (1830).
◆
Au sens concret, le français du Québec emploie très largement soulier, en suivant l'usage français classique (un magasin de souliers, des souliers de tennis..., alors qu'on dira de chaussures, en français d'Europe).
■
Par analogie de forme, soulier de Notre-Dame (1752) est le nom régional d'un genre d'orchidée appelée aussi sabot de Vénus (→ sabot).
❏
Le dérivé ancien de soler, SOLERET n. m., désignait (v. 1180) une partie de l'armure faite de lames métalliques articulées, qui protégeait le pied d'un homme d'armes ; en ce sens on a dit aussi soler (soulier) de fer (XIVe s.).
SOULTE n. f. est une graphie archaïsante (1581) de l'ancien français
solte (v. 1170),
soute (v. 1250 « paiement »), féminin substantivé de
sout « payé complètement » (1160-1170), participe passé adjectivé de l'ancien
soldre (v. 1138),
soudre (v. 1175)
v. tr. « payer »
(→ soldat, 1 solde, sou). Ce verbe est issu du latin classique
solvere « détacher, délier » qui a pris des sens spéciaux dans les langues techniques, par exemple en droit dans
rem solvere « payer »,
debitum solvere « s'acquitter d'une dette » ; du sens de « détacher », on est passé à celui de « dissoudre » et de « résoudre »
(→ résoudre, solution).
Le verbe soldre a continué en ancien français les sens du latin et a signifié « résoudre » (v. 1170) jusqu'à la fin du XVIIe s. (1694, soudre) et « dissoudre » (1493), encore chez Descartes ; souldre un compte « le clore » (1690) se dit encore au XVIIIe et souldre « absoudre » (1160-1170) s'est employé jusqu'au XVIe siècle.
❏
Soulte a eu d'abord le sens général de « paiement » et s'est spécialisé en droit pour désigner une somme d'argent qui, dans un partage, compense l'inégalité des lots. Ce sens est attesté pour la forme solte (1225), puis soulte (1581) avec la variante soute du XVIIe au XIXe siècle. Le mot a pris à l'époque classique (1690, soute) le sens de « solde d'un paiement », remplacé par solde.
❏ voir
2 SOLDE, 2 SOLDER.
SOUMBALA n. m., emprunt à un mot africain, s'emploie en français d'Afrique à propos d'un condiment en pâte noire, odorante, tiré des fruits du néré.
L
SOUMETTRE v. tr. est la réfection (v. 1380) de summetre (v. 1120), souzmetre (XIIIe s.), formes issues du latin classique submittere, avec un changement de préfixe à l'époque gallo-romaine, subtus « sous » se substituant au préfixe classique sub- (→ sub-). Submittere a plusieurs sens généraux : « envoyer dessous » d'où « placer sous » et au figuré « mettre dans un état de dépendance » ; « envoyer de bas en haut » d'où « faire surgir » ; « élever » ; « envoyer à la place de » et « envoyer secrètement », d'où « suborner ». Ce verbe est un composé de mittere « envoyer » (→ mettre).
❏
La forme
soubzmettre, où
soubz représente
subtus, est attestée au début du
XVe siècle. La graphie latinisée
submettre (1373) est en concurrence avec
soumettre jusqu'à la fin du
XVIe s. ;
submis n. m. « soumis » (v. 1550) est encore relevé en 1639.
■
Le verbe signifie au XIIe s. « mettre (un peuple, un pays) dans un état de dépendance » et, construit avec à, « imposer à (qqch., qqn) son autorité ». Le pronominal s'emploie avec à (v. 1155) et absolument (1160-1170) ; on trouve aussi se soumettre de faire qqch. (déb. XVIIe s.) à l'époque classique.
◆
Soumettre (qqn) à (qqch.) correspond à « mettre dans l'obligation d'obéir à une loi, d'accomplir un acte, une formalité » (v. 1190) ; le verbe s'emploie aussi en parlant de choses (av. 1662) par exemple soumettre une activité à une réglementation.
■
Soumettre a eu d'autres valeurs en ancien français : « renverser (qqn) » [1197, sosmetre], soumettre la main « mettre la main sous qqch. » (1226) ; soubmettre de (une charge) « destituer » et sousmettre de (un crime) « accuser » (v. 1360) ; toutes sont sorties d'usage.
■
Des emplois abstraits, intellectuels, apparaissent au XVIe siècle : soumettre (qqch.) à qqn « présenter, proposer à l'examen, au jugement » (1580), d'où se soumettre au jugement (1762), soumettre une question, un problème... à qqn (1761, Voltaire) et soumettre (une question) à l'examen, la critique (1798). Ces emplois sont étrangers à l'idée de subordination, réalisée dans soumettre ses idées (à celles d'autrui) « les subordonner » (av. 1650), sorti d'usage.
◆
Au XVIIIe s., en parlant d'une personne, soumettre prend le sens de « contrôler rigoureusement (son comportement intellectuel ou affectif) » [1748, soumettre ses passions].
■
Par ailleurs, le verbe prend à la fin du XVIe s. la valeur concrète « exposer (qqch., qqn) à une action » (soumettre une substance à...).
❏
SOUMIS, ISE adj. a signifié « contraint de se soumettre à » (v. 1190,
suzmis) et s'est appliqué à une personne qui s'adonne à qqch. (1226).
◆
L'adjectif, sans complément indirect, qualifie une personne docile, obéissante (1652) et, par extension, ce qui dénote cette attitude (1669).
◆
La locution vieillie
fille soumise (1828) désignait une prostituée, parce que les prostituées, en France, étaient jusqu'en 1946 « soumises » à un contrôle administratif et sanitaire et munies d'une carte.
■
Le contraire préfixé INSOUMIS, ISE adj. et n. m. apparaît isolément au XVIe s. (1564), puis est repris au XVIIIe s. (1797). Il s'applique à une personne qui se dérobe à l'autorité ou à la discipline (1873, élève insoumis), et à un pays qui refuse de se soumettre.
◆
Le mot s'est spécialisé pour désigner un militaire qui ne se présente pas à son corps au jour prescrit (n. m., 1828 ; adj., 1832).
◆
Jusqu'en 1946, fille insoumise se disait parfois d'une prostituée (1841) qui ne se soumettait pas aux mesures de contrôle.
◈
SOUMISSION n. f. est la réfection (1549), sous l'influence de
soumettre, de
submission (1312) et
soubmission (1349) ; la forme
submission, encore employée par Corneille, est empruntée au latin classique
submissio « action d'abaisser », par exemple la voix, « simplicité (du style) » et « infériorité », dérivé de
submissum, supin du verbe latin.
■
Le mot désigne (1312) l'action de se ranger sous l'autorité de qqn et le fait d'en dépendre, puis la disposition à obéir (1636).
◆
Par métonymie, soumissions (1665), après submissions (fin XVIe s.), s'est employé pour « témoignages, déclarations de respect ».
◆
Puis le mot se spécialise en droit ; il a désigné une obligation financière vis-à-vis de qqn (1349), puis un acte par lequel on déclare faire une acquisition et payer une certaine somme (1707), sens disparus, ensuite (1788) un acte écrit par lequel un concurrent à un marché par adjudication fait connaître ses conditions et s'engage à se soumettre aux clauses du cahier des charges (Cf. ci-dessous soumissionner).
◆
On a dit aussi en droit faire ses soumissions (1690), sa soumission (1762) « déclarer au greffe qu'on accepte un jugement » ; le terme subsiste pour l'action de reconnaître une contravention dans le paiement de ses impôts (1936).
◆
Enfin, soumission a eu (1877) le sens de « condition de fille soumise ».
■
Le dérivé SOUMISSIONNER v. tr. a signifié « soumettre » (1629), « s'engager à acheter à un certain prix » (1795). C'est aujourd'hui un terme de droit administratif signifiant « faire une soumission », pour une entreprise (1798), comme SOUMISSIONNAIRE n. (1687, selon Bloch et Wartburg, puis 1784).
■
Le préfixé INSOUMISSION n. f. désigne l'état d'une chose qui n'est pas soumise (1827), puis d'une personne (1867). Le mot se dit spécialement (1873) du délit accompli par un soldat insoumis.
SOUPAPE n. f. (1419 ; aussi sourpape, 1474) représente probablement un emploi figuré et plaisant de l'ancien français sospape, souspape « coup sous le menton (qui fait brusquement fermer la bouche) » [fin XIIe s.] et « coup de pied dans la mâchoire » (v. 1228). Ce mot est composé de sous* et de la forme non attestée °pape n. f. « mâchoire inférieure », dérivé probable de l'ancien français paper « manger » (déb. XIIIe s.), issu du latin classique pap(p)are, lui-même de pappa, mot expressif du langage enfantin désignant la nourriture. Pappa appartient à un ensemble de formations expressives, de structure p-p, exprimant le mouvement des lèvres ; la même forme, en grec et dans d'autres langues, est le nom familier du père (→ papa).
❏
Soupape s'emploie à l'origine pour désigner une languette qui, dans un orgue, règle le passage de l'air ; plus largement, c'est en mécanique (1547) le nom d'un obturateur mobile, maintenu fermé par un ressort, par la pression d'un fluide, et qu'une pression en sens inverse peut ouvrir momentanément. Le mot entre avec ce sens dans des dénominations comme soupape de sûreté (1817), pour empêcher une pression excessive, soupapes d'admission, d'échappement d'un moteur, etc.
◆
Par analogie de fonction, soupape électrique (1883) désigne un dispositif qui, dans certaines conditions, ne laisse passer le courant que dans un sens (Cf. valve) ; on parle aussi aujourd'hui de soupape électronique, à gaz, à vide, etc.
◆
Par figure, soupape s'emploie (1836) pour parler de ce qui permet à un excès de force psychique de s'échapper, d'un exutoire (notamment dans soupape de sûreté).
L
SOUPÇON n. m. est l'aboutissement (1564) des formes anciennes soupeçon (v. 1240), suspeçon (v. 1155), issues du latin impérial suspectionem, accusatif de suspectio n. f. « soupçon » puis « admiration ». Il s'agit d'une forme refaite du latin classique suspicio (→ suspicion) à partir de suspectum, supin du latin classique suspicere « regarder de bas en haut », « élever ses regards (sa pensée) vers » d'où par figure « regarder avec admiration », et aussi « suspecter, soupçonner ». Ce verbe est formé de sub- qui marque le mouvement de bas en haut (→ sub-) et de specere « regarder », « apercevoir », verbe archaïque et rare remplacé à l'époque classique par des composés. Specere, comme le mot racine -spex (→ auspice) et species (→ espèce), se rattache à une racine indoeuropéenne °spek- « observer », dont procèdent également l'ancien haut allemand speha « observation attentive » (→ épier), le sanskrit páçyati « regarder ».
◆
Le latin suspectio a été emprunté (XIIIe s.) sous la forme suspection « action de tenir pour suspect », attestée jusqu'en 1660, dont dérivait suspectionner v. tr. (1348), disparu.
❏
Le mot désigne dès le XIIe s. une opinion défavorable que l'on a au sujet de la conduite, des intentions d'une personne, accompagnée d'une certaine crainte. À partir du XVIe s., les formes soubçon (1549, jusqu'en 1660) et soupçon l'emportent. Le mot est masculin ou féminin jusqu'au début du XVIIe siècle. À l'époque classique, la locution ôter (qqn) de soupçon signifiait « lui prouver que ses soupçons sont injustifiés » (1638).
◆
Par extension, le mot se dit (déb. XIIIe s.) du fait d'être l'objet de soupçons, d'où tomber en soupçon « être soupçonné » (1660), sorti d'usage et, aujourd'hui, être à l'abri (au-dessus) de tout soupçon « d'une honnêteté irréprochable », très employé.
◆
Par extension, soupçon désigne (fin XVIe s.) une conjecture fondée sur des éléments douteux, en particulier à l'époque classique dans la locution entrer en soupçon que (et subjonctif) « soupçonner » (v. 1673).
◆
Par métonymie, le nom se dit (1657) de l'apparence qui laisse supposer l'existence d'une chose ; de là viennent un soupçon de « quelque peu de » (1671) et « très petite quantité » (1746), en parlant d'une chose matérielle.
❏
Le dérivé
SOUPÇONNER v. tr., réfection (1564) de formes anciennes, comme
souspecener (v. 1200),
souspechonner (v. 1225), signifie « concevoir des soupçons au sujet de (qqn) », d'où « mettre en doute » (v. 1225). Le pronominal
se soupçonner de « se douter de » (v. 1360) et l'intransitif « être inquiet » (
XVe s.) sont sortis d'usage.
◆
Le verbe peut être construit avec
de et un complément qui explicite la nature de ce qui est soupçonné (1669).
◆
Par extension, il signifie (
XIIIe s.) « imaginer (une action blâmable) pour expliquer qqch. de désagréable » et « conjecturer l'existence de (qqch.) d'après certains indices », d'abord dans
soupçonner que (v. 1265) puis
soupçonner qqch. (fin
XVIe s.).
■
L'ancien français sospecier v. tr. de même sens (fin XIe s.) était issu d'un latin populaire °suspectiare, formé à partir de suspectus, de suspicere (→ suspect).
◈
De
soupçonner dérive
SOUPÇONNABLE adj., réfection (1611) de
souspeconnable (
XIIIe s.),
soupeçonable (
XVe s.), qui s'applique à une personne ou à son comportement.
■
De là le contraire préfixé INSOUPÇONNABLE adj. (1840), plus courant, pour « à l'abri des soupçons ; qu'on ne peut raisonnablement soupçonner ».
◆
L'ancien français soupçonné, n. m. « personne qu'on soupçonne » (1283, souspeçonné), a disparu.
■
Le composé préfixé INSOUPÇONNÉ, ÉE adj. qualifie qqn qui n'est pas soupçonné (1840) et se dit de qqch. dont l'existence n'était pas imaginée (1865, Goncourt).
◈
Un autre dérivé de
soupçon, SOUPÇONNEUX, EUSE adj., réfection (1452) de
sospecenos (1160-1170),
souspeçonneux (v. 1380) s'applique à une personne portée à concevoir des soupçons et se dit (1842) d'un cheval peureux.
◆
L'adjectif s'est employé en ancien et moyen français au sens de « suspect » (
XIIIe s.), par exemple dans la locution sortie d'usage
avoir qqn soupçonneux « le soupçonner ». Il qualifie ce qui marque le soupçon (1690).
■
Son dérivé SOUPÇONNEUSEMENT adv. est d'emploi littéraire (1564 ; v. 1300, suspessonneusement).
❏ voir
SUSPECT.
L
SOUPE n. f., forme refaite (v. 1195) de soppe (mil. XIIe s.), est issu du bas latin suppa (v. 500) qui a fourni l'italien zuppa, l'espagnol, le catalan et le portugais sopa. Suppa est d'origine discutée ; pour Bloch et Wartburg, ce mot reprend le germanique °suppa, de la famille du gotique supôn « assaisonner » (Cf. néerlandais sopen et anglais to sop « tremper »). P. Guiraud, sans rejeter un croisement avec le germanique, rattache suppa au latin classique suppus et supinus « tourné vers le haut », « couché sur le dos, étendu », de suppare et supinare « renverser sur le dos » (→ supin), la soupe étant d'abord une tranche de pain « couchée » dans la soupière. Cette hypothèse n'est pas corroborée.
❏
Le mot désigne d'abord (mil.
XIIe s.) une tranche de pain que l'on arrosait de bouillon ou d'un autre liquide chaud, par exemple du vin :
soupe en vin (1256), puis
soupe au vin (1630), et
soupe au perroquet (1690) à cause de la couleur, se sont longtemps employés régionalement ; on relève chez Oudin (1640)
soupe à l'ivrogne, sorti d'usage pour
soupe au vin ; par métonymie
soupe au vin s'est employé pour nommer une couleur rouge (1679).
◆
Soupe a également désigné les herbes que l'on mettait dans le bouillon (fin
XIIe s.,
sope).
◆
Avec cette valeur archaïque de « tranche de pain »,
soupe est élément de nombreuses locutions qui ont disparu ; certaines se sont maintenues au figuré mais ne sont plus comprises, du fait de l'évolution ultérieure du mot (ci-dessous) :
ivre comme sope « complètement ivre » (v. 1223),
ivre comme une soupe (1611),
faire d'autel pain (« pain d'autel ») soupe « rendre la pareille » (v. 1240), transformé en
faire de tel pain soupe (1539), encore à la fin du
XVIIe siècle.
Soupe dorée a désigné une tranche de pain trempée successivement dans du lait et des œufs battus, puis frite et sucrée (1403) ; suivant les régions, ce dessert est nommé aujourd'hui
pain perdu, pain doré, pain des anges. La même acception se retrouve dans
soupe anglaise, calque de l'italien
zuppa inglese, nom d'un gâteau.
Tailler des soupes (v. 1260),
tailler la soupe (1690) « couper des tranches de pain » est lui aussi sorti d'usage.
Tremper la soupe, « verser le bouillon sur les tranches de pain » (1664), a fourni la locution figurée courante
être mouillé (1752), trempé (1798) comme une soupe « très mouillé » ; par un autre jeu métaphorique,
tremper une soupe à qqn a signifié familièrement « le rosser (au point de le rendre mou comme une soupe) » [1832]
(Cf. une trempe) et
tremper la soupe s'est dit en argot (fin
XIXe s.) de deux personnes qui ont des rapports homosexuels. Par analogie, on a dit
tailler la terre par soupes « par petites tranches » (1680).
Dès le
XIVe s. (v. 1310-1340),
soupe désigne par métonymie le bouillon épaissi par des tranches de pain ou des aliments solides ; jusqu'à la fin du
XVIIe s., le mot est en concurrence avec
potage*, considéré comme plus noble. On précise souvent la nature du bouillon :
soupe au lait, où le bouillon est remplacé par du lait, s'emploie au figuré dans
s'élever comme une soupe au lait (1737), devenu
s'emporter (monter...) comme une soupe au lait (1808) « se mettre facilement et rapidement en colère », par allusion au lait qui monte et déborde quand il est près de bouillir ; de là
une soupe au lait « personne irascible » (1867), aussi adjectivé (1919) :
il, elle est un peu soupe au lait.
◆
La
soupe économique (1800), soupe aux légumes secs, très nourrissante, qui servit à la nourriture des indigents, a été aussi nommée
soupe à la Rumford (1876), du nom de Benjamin Thomson, comte de Rumford (1753-1814), philanthrope américain qui acheva sa vie en France et en introduisit l'usage ; on dit ensuite
soupe populaire (1913) pour les repas servis aux indigents, l'établissement où on les sert et l'institution qui les distribue ; l'expression, probablement jugée humiliante, est sortie d'usage. Une institution nouvelle (1985),
les restaurants du cœur, joue le même rôle.
◆
Soupe de maçon « épaisse » (1867), par comparaison avec le mortier, ne s'emploie plus, mais on dit toujours
la soupe en ce sens.
■
Le mot a aujourd'hui des connotations rurales et simples ; il apparaît dans de nombreux syntagmes, traditionnels (soupe aux choux, aux pois, aux légumes...) ou non (soupe chinoise, soupe miso...).
◆
D'autres extensions de sens sont propres au français d'Afrique subsaharienne, où le mot s'emploie pour la sauce d'un plat de viande ou de poisson, quand elle est grasse. En français de Madagascar, soupe chinoise désigne le potage du petit-déjeuner des restaurants chinois.
◆
Avec cette valeur, seule normale en français actuel, soupe s'est employé dans des locutions métaphoriques, comme mettre le museau (v. 1560), tremper ses doigts (1662) dans la soupe de qqn « se mêler de ses affaires ».
■
Le mot a pris la valeur figurée de « repas » (1660), de « nourriture » (1672, Molière : Je vis de bonne soupe...), jusqu'au XIXe s., par référence à la fréquence de la soupe dans la nourriture quotidienne jusqu'à une époque récente, ensuite par référence à une nourriture substantielle, rurale ou militaire ; de cette valeur, qui mêle les deux sens du mot, l'ancien (« tranche de pain trempée ») et le nouveau, viennent manger la soupe avec qqn (1690, de qqn) « partager son repas », bouder sa soupe « manquer d'appétit », sortis d'usage et, par métonymie, l'emploi familier pour « heure du repas » (déb. XXe s.), par exemple dans à la soupe !, etc. Soupe désigne spécialement (1690) le repas servi dans certaines communautés (armée, prisons) et, par métonymie (1904), la sonnerie de clairon annonçant l'heure du repas. De là aller à la soupe « chercher à profiter d'avantages, sans scrupule ».
◆
À partir du XIXe s., soupe entre dans diverses locutions figurées avec le sens dominant de « bouillon » : (venir) comme un cheveu sur la soupe (1808, comme des cheveux) « en désordre » puis « mal à propos ». L'expression disparue manger la soupe aux herbes « faire l'amour en plein air » (1867) était fondée sur les valeurs érotiques de manger, tremper la soupe (ci-dessus) et de herbe que l'on retrouve dans d'autres euphémismes à thème végétal (Cf. voir la feuille à l'envers). Marchand* de soupe (1867) « personne qui se conduit comme un commerçant sans scrupule », soupe à la grimace « mauvais accueil conjugal » (av. 1930) et gros plein de soupe « homme ventru » sont des expressions bien vivantes.
■
Soupe est également (XXe s.) le symbole de la nourriture en tant que moyen de subsistance, et équivaut par métonymie à « manière de gagner sa vie », comme bifteck ou pain, par exemple dans la locution familière par ici la bonne soupe ! « les avantages matériels » ou dans cracher dans la soupe « mépriser ce dont on tire profit ».
Le mot désigne par analogie du sens de « potage » des liquides ou des substances pâteuses ; il s'emploie pour « pâtée » (av. 1850) et, en agriculture (1871), se dit d'un fourrage vert ou sec, imbibé d'eau, utilisé pour engraisser le bétail.
◆
C'est aussi le nom donné familièrement à une neige saturée d'eau, qui ne permet pas de skier (1926), et à une eau polluée, emplie d'impuretés (1926).
◆
En biologie, soupe primitive, soupe biologique, emprunt à l'anglais soup (1929, Haldane) dans primitive soup, désigne (v. 1980) l'eau des océans à l'ère primaire, qui contenait les éléments nécessaires à l'apparition de la vie.
◆
Soupe primordiale, de l'anglais primordial soup : en physique mélange de particules et d'anti-particules au moment théorique du big bang.
❏
Le dérivé
1 SOUPER v. intr. est la forme refaite (v. 1200) de
soper (v. 1130), dès la fin du
Xe s. (v. 980)
sopet, troisième personne du singulier, indicatif présent.
◆
Le verbe, qui procède de
soupe « tranche de pain », a signifié « prendre le repas du soir » (1226, aussi
se souper), remplacé en français central — d'abord parisien, puis en général urbain — par
dîner*, mais toujours en usage dans une partie de la France, surtout en milieu rural, et, hors de France, en français de Belgique, de Suisse et du Canada où on emploie
dîner là où le français de France utilise
déjeuner. Cet emploi du verbe et du substantif (ci-dessous) crée des ambiguïtés par rapport au français de France majoritaire, mais ne recule qu'en France, du fait de l'urbanisation intense. Le français de France peut conserver ce verbe pour un repas pris le soir tard ou la nuit.
◆
En ancien français,
souper signifie par extension « manger » (v. 1200), d'où le transitif
souper qqn « l'inviter à partager son repas », sorti d'usage.
◆
Souper par cœur signifiait « ne rien avoir à manger le soir » (1690).
◆
Avec l'évolution des mœurs de table,
souper prend le sens (1735) de « faire un souper »
(Cf. ci-dessous).
◆
Avoir soupé de qqch. signifie par figure et familièrement « en avoir assez » (1878) et
soupé ! s'est employé pour
assez ! (1883).
◆
Dès le moyen français, l'adjectif avait eu le sens de « rassasié » (
XVe s.) et de « soûl » (v. 1530), la paronymie avec
soûl ayant probablement joué.
◈
2 SOUPER n. m., substantivation du verbe (1155 ; v. 980,
sopar), a suivi la même évolution ; c'était au moyen âge et jusqu'à l'époque classique le repas du soir, sens conservé dans les mêmes régions et milieux, en France, et dans les mêmes parties de la francophonie (Canada, Belgique, Suisse). En Suisse, l'expression
souper canadien désigne ce repas, lorsqu'il est à frais partagés. On disait en France
petit souper « souper entre intimes » (1539), opposé à
grand souper « souper d'apparat » (1564).
◆
On a employé
SOUPÉE n. f. (1479) et
SOUPÉ n. m. (1630) jusqu'au
XIXe s., par substantivation du participe passé.
◆
Par métonymie,
le souper désigne les mets qui composent le souper (1558).
◆
Le mot s'emploie aujourd'hui en France, depuis la Restauration (v. 1830) et du fait de la diffusion de
dîner remplaçant le mot traditionnel qu'est
souper, à propos du repas ou de la collation qu'on prend à une heure avancée de la nuit.
◈
SOUPEUR, EUSE n. est la réfection (1588,
n. m. ; 1696,
n. f.) de
souperres, dérivé du verbe (
XIIIe s.), désignant autrefois le dîneur, aujourd'hui (
XIXe s.) une personne qui participe à un souper.
◆
Le mot s'est spécialisé ;
soupeuse n. f. était le nom (1815) d'une femme galante qui entraînait les hommes, dans un restaurant, et se faisait offrir à souper ; on dit aujourd'hui
entraîneuse*.
◆
Soupeur n. m. s'est dit en argot (v. 1920) d'un pervers sexuel qui pratique le cunnilinctus sur une partenaire encore mouillée du sperme d'un coït récent, ou qui consomme des morceaux de pain mouillés d'urine dans les urinoirs.
◈
SOUPIER, IÈRE adj. et n., dérivé de
soupe, s'applique familièrement et régionalement (1571,
n. m. ; 1690,
n. f.) à une personne qui aime la soupe ; il a vieilli, comme
soupier n. m. qui désigne dans l'argot militaire (1916) un soldat chargé de préparer le repas.
■
SOUPIÈRE n. f. est le nom d'un récipient dans lequel on sert la soupe (1729) et, par métonymie (1845), du contenu de ce récipient.
SOUPENTE n. f., réfection (1549) de souspente (1338), est tiré d'après pente de l'ancien verbe soupendre v. tr. (XIIIe s.), sospendre (1213-1239) « attacher en haut », autre forme de suspendre*. On relève les variantes surpente (av. 1577), supente (1680), où sur- (su-) est une altération de sous. L'étymologie populaire, par sous et pente, a dû jouer très tôt.
❏
Le mot a d'abord désigné la partie en saillie d'une maison, souspendre, intransitif, étant attesté plus tard pour « être en saillie » (1611).
◆
Soupente s'emploie de façon plus restreinte (1660) pour parler d'un réduit aménagé dans la hauteur d'une pièce d'habitation, d'une écurie, donc « suspendu », pour servir de logement sommaire ; par analogie de fonction, le mot s'utilise pour un réduit sous un escalier ; on a dit en ce sens soubzpendue (1401), souspendue (1467) et, avec sur-, surpendue (1611).
◆
En technique, le mot, d'abord écrit soubzpente (1508), a désigné une barre ou une bande métallique qui soutient la hotte d'une cheminée ; avec cette idée de « soutien », il a désigné un assemblage de courroies qui tenait un carrosse suspendu (av. 1577, surpente ; 1690, souspente), la partie d'un moulin à eau qui tient en suspension un treuil (1676), un cordage enroulé autour d'un canon pour le soutenir quand on le place (1678) ; ces valeurs techniques ont vieilli ; la fonction équivalente est nommée en français moderne suspension.
L +
SOUPIRER v. est l'altération (XIIe s.), d'après d'autres mots en sou-, de suspirer (v. 980), issu du latin suspirare « respirer profondément », « soupirer », au figuré « dire en soupirant » et « exhaler », composé de sub- marquant le mouvement de bas en haut (→ sub-), et de spirare « souffler », « respirer » et « bouillonner » au propre et au figuré. Ce verbe, qui a fourni de nombreux composés (→ aspirer, conspirer, respirer, etc.), n'a pas de correspondant exact hors du latin ; on ne retrouve dans d'autres langues que des éléments correspondant à des onomatopées relatives au souffle.
❏
Soupirer conserve le sens latin de « pousser des soupirs » et signifie par figure « exprimer par ses paroles, et par extension, par ses attitudes, la peine, le regret, etc. » (v. 1190, intr.). Le verbe peut se construire avec de et un complément exprimant la cause (1687, soupirer de regret).
◆
L'emploi figuré pour « chanter sur le mode élégiaque » (1389, tr. ; 1837, intr.) a vieilli, même dans l'usage soutenu et poétique.
◆
Le verbe s'est spécialisé au sens figuré de « pousser des soupirs amoureux » (v. 1240), aujourd'hui archaïque ou ironique, comme soupirer pour (qqn) « en être amoureux », attesté antérieurement (fin XIIe s.). Par extension, soupirer après qqch. « désirer ardemment une chose ; éprouver un sentiment de regret de l'avoir perdue » (1538) a vieilli, les constructions soupirer pour, à (v. 1660), vers qqch. (1701), étant sorties d'usage.
◆
Par une autre figure, le verbe s'emploie (v. 1530) au sens de « faire entendre de doux sons », en parlant d'une personne et, par extension, d'une cause naturelle : vent (1552), etc.
◆
Au XVIe s., le verbe a signifié aussi « exhaler un parfum » (v. 1547) en parlant de la terre, d'une fleur, et « expirer, mourir » (1556).
❏
Le déverbal
SOUPIR n. m. est, comme le verbe, une forme refaite (
XIIIe s.), remplaçant
sospir (v. 1130),
souspir, suspir (v. 1155).
◆
Le mot désigne une inspiration ou une expiration plus ou moins bruyante marquant des états affectifs ou émotionnels ; en ce sens, l'ancien français a aussi employé un autre dérivé,
soupirée n. f. (1170).
Soupir s'emploie spécialement dans
dernier soupir, en parlant d'un mourant (1538), d'où
rendre le dernier soupir « mourir » (1611),
recueillir le dernier soupir de qqn « assister à sa mort » (1690).
◆
Soupir a désigné (
XIIe s.) l'expression du sentiment amoureux et des souffrances qu'il provoque, ou le comportement qui traduit ce sentiment ; on a dit dans le vocabulaire galant
être l'objet des soupirs (de qqn) pour « être la personne qu'il aime » (1762).
◆
Par extension, le mot s'emploie (1640) pour parler de l'expression poétique de la mélancolie, du regret ; cet usage est poétique.
◆
Par analogie de bruit, il a eu le sens de « hoquet » (v. 1180), plus tard de « rot », spécialement à propos d'un ivrogne (1640,
soupir d'Allemand ; 1680,
soupir de Bacchus) et, par euphémisme plaisant, celui de « pet » (1867, alors noté d'« usage bourgeois »).
■
Au début du XVIIe s., soupir tire, d'une autre acception du verbe, le sens figuré de « souffle du vent », sorti d'usage comme soupir de vent « court espace de temps » (1627). Le mot a aussi désigné l'air qu'on respire (1636), jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
◆
Il s'est employé dans le contexte romantique (1820) au sens de « chant ou son plaintif, mélancolique ».
◆
Soupir, spécialisé en musique, désigne un silence correspondant à une noire (1546 dans une traduction de l'italien), puis le signe qui marque le soupir ; de là les composés et syntagmes demi-soupir (1611), quart de soupir (1704), demi-quart de soupir (1767) ou huitième de soupir (1875) et seizième de soupir (1767).
◈
SOUPIRANT, ANTE adj. et n. m., tiré du participe présent de
soupirer, s'appliquait comme adjectif à une personne qui pousse des soupirs (
XIIIe s.,
sospirant), spécialement des soupirs amoureux.
◆
De là
soupirant n. m. « amoureux » (v. 1221), qui ne s'emploie aujourd'hui que par plaisanterie.
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SOUPIREUR n. m. a signifié « celui qui a l'habitude de soupirer » (1576) et « soupirant » (v. 1650), acceptions notées « inusitées » à partir de 1771.
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SOUPIRAIL n. m. (1538) a remplacé
souspirail (v. 1380),
sospiral (
XIIIe s.), qui s'était substitué par changement de suffixe à
sospiriel « trou dans la bonde d'un tonneau » (fin
XIe s.). Le mot dérive de
soupirer « exhaler », sur le modèle du latin
spiraculum « soupirail, ouverture », dérivé de
spirare ; son rapport avec
soupirer, soupir n'est plus senti.
Spiraculum avait abouti à l'ancien provençal
espiralh (
XIVe s., au sens de
sospiriel) ; les formes
spirail (1544),
espiral (1555), attestées en moyen français au sens de « soupirail », sont sans doute empruntées ;
spiracle, n. m. (
XVIe s.), encore relevé en 1660, a lui aussi disparu.
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Soupirail désigne (XIIIe s.) une ouverture pratiquée dans le soubassement d'un rez-de-chaussée pour donner de l'air et du jour à une cave. Le mot s'est employé à propos d'une ouverture de cheminée (1389), d'une ouverture quelconque qui laisse échapper l'air (1564), d'une fissure naturelle dans l'écorce terrestre (1601) ou d'une ouverture pratiquée dans les meules de carbonisation (1871) ; ces spécialisations ont disparu.
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Il reste dans le vocabulaire technique, désignant une ouverture pratiquée dans une voûte (1636, d'un aqueduc).