13
Alex et Samuel ouvrirent les yeux presque en même temps. Ils constatèrent qu’ils étaient étendus par terre, près l’un de l’autre. Du bout des doigts, ils remarquèrent que le sol était granuleux, presque sablonneux. En relevant la tête, ils ne virent pourtant pas d’eau dans les environs. Ils n’étaient donc pas sur une plage. Ils aperçurent une montagne et une forêt clairsemée qui se profilait autour.
Hormis cette rare végétation, l’endroit paraissait plutôt aride.
— Où… où sommes-nous ? bredouilla Samuel.
— Aucune idée, répliqua Alex aussi ahuri que Samuel.
Ils ignoraient depuis combien de temps ils étaient couchés là. Ni l’un ni l’autre ne possédait de montre. La seule chose qu’ils savaient, c’est qu’ils avaient soif.
— Qu’est-ce qui est arrivé ?
— J’ai la vague impression que tu as fini par trouver une formule magique dans ce foutu grimoire… lança Alex.
— Tu crois ? On nous a peut-être assommés, ou même drogués, et conduits ici ?
C’était une possibilité. Mais plus ils regardaient autour d’eux, moins la théorie de l’enlèvement tenait la route.
— C’est quand la dernière fois que tu as vu trois lunes dans le ciel ? fit observer Alex en pointant les satellites à peine cachés par les nuages.
— Attends un peu… Tu ne vas quand même pas me dire qu’on est sur une autre planète ! s’exclama Samuel.
— C’est ça ou nous sommes dans un immense
studio de cinéma assez sophistiqué…
— Voyons… c’est…
— Impossible ? dit Alex.
Refusant d’y croire, Samuel s’empara d’une roche et la lança vers le ciel. Elle n’atteignit pas le plafond qu’il aurait espéré. Non content, il saisit une autre pierre et la projeta encore plus fort. Même résultat.
Samuel s’assit en se laissant presque tomber au sol, découragé.
— Aïe ! cria-t-il.
Il se releva pour découvrir, sous lui, le crâne de cristal et le grimoire à moitié enfoncé dans le sable. Vivement, il retira le crâne de sa cachette.
— Espèce de crâne de malheur ! rugit-il en s’apprêtant à le catapulter en orbite.
— Attends ! Ne fais pas ça !
— Pourquoi je me gênerais ? s’étonna Samuel. Tout ce qui nous arrive, c’est à cause de ça !
Au moment où Alex allait répliquer que c’était plutôt lui qui les avait placés dans cette situation en récitant une formule par défi, le crâne émit une faible lueur. Elle s’intensifia. Tandis que Samuel observait l’étrange phénomène, Alex plaqua ses mains contre ses oreilles. Il avait l’impression que ses tympans allaient exploser. Puis, le siΩlement aigu s’estompa.
— Ça va ? s’inquiéta Samuel en jetant un œil à son ami.
— C’est… la fille… Amélia, répondit Alex avec peine. Passe-moi le crâne.
— T’es fou !
— Donne-le-moi !
Sans attendre, Alex prit le crâne des mains de Samuel. Ses douleurs se dissipèrent lorsqu’il fut en contact avec l’objet.
— Désolée de te faire mal, je ne sais pas encore comment tout ça fonctionne… dit Amélia à travers la bouche d’Alex.
— Je comprends, répondit Alex.
Samuel, étonné, écoutait l’étrange dialogue. S’il n’avait pas été témoin du même prodige plus tôt, avec les membres du cercle des crânes, il aurait sans doute cru qu’Alex était devenu fou et se parlait à lui-même avec une voix de fille.
— Demande-lui si elle sait où on est.
— Nous sommes sur une autre planète, répondit Amélia qui pouvait entendre Samuel. Je sens d’ailleurs la présence d’un autre crâne dans les environs. Et ce n’est pas l’un de ceux qui étaient à la réunion sur Terre.
— Comment le sais-tu ? demanda Alex.
— Je ne peux pas te l’expliquer… Je le sens. Tout comme je ressens la présence lointaine des autres crânes. C’est comme une espèce de sonar… Il y a des vibrations plus fortes ici.
— Peux-tu nous guider ? espéra Samuel.
— Je vais essayer, mais… Alex ! Je vois ! Je vois par tes yeux, je crois.
Le crâne dans les mains, Alex tourna sur lui-même afin de vérifier si Amélia arrivait à voir le monde à travers ses yeux à lui. Elle décrivit le paysage avec précision. Elle et Alex étaient en parfaite communion, du moins en ce qui avait trait au sens de la vue et de l’ouïe. Le pouvoir des crânes n’avait pas fini de les surprendre…
— Là-bas, dans cette montagne. Je crois qu’un des crânes s’y trouve, les informa-t-elle.
— Sens-tu des gens autour de ce crâne ? demanda Samuel.
— DiΩicile à dire…
— Il n’y a qu’une seule façon de le savoir : allons-y ! lança Alex en espérant rencontrer quelqu’un qui leur expliquerait ce qu’ils faisaient ici.
La montagne paraissait plus proche qu’elle ne l’était en réalité. Il leur fallut près d’une heure pour y arriver. Durant le trajet, Samuel crut entendre le chant d’un oiseau. Mais ni lui ni Alex ne réussirent à l’apercevoir dans le ciel. Heureusement pour eux, car Amélia leur apprit qu’il s’agissait d’une harpie. À l’intérieur du crâne, elle avait accès aux connaissances de tous les autres
crânes. Elle put mieux les renseigner sur la bête. Ce monstre aux ailes de vautour et au corps de cheval possédait des griΩes de dragon qui auraient pu les réduire en morceaux. Son chant pouvait être entendu à des kilomètres à la ronde et si on avait le malheur d’être trop près, on pouvait tomber sous son charme. C’est ainsi que la harpie neutralisait ses proies avant de les dévorer. Le savoir auquel Amélia avait accès leur serait sans doute d’une aide précieuse sur cette planète inconnue…
Arrivés au pied de la montagne, Alex et Samuel remarquèrent l’entrée d’une grotte. Curieux, ils décidèrent d’aller voir à l’intérieur.
— Et si jamais il y avait un ours ? tenta de blaguer Samuel pour masquer son inquiétude.
— Nous sommes sur une planète étrangère, il ne doit pas y avoir d’ours, répliqua Alex. Mais des dinosaures extra-terrestres…
— Très drôle, fit Samuel en levant les yeux au ciel.
Plus ils avançaient dans la caverne, plus la noirceur les envahissait. Poursuivre leur excursion sans lumière n’était pas une bonne idée. Alors qu’ils allaient rebrousser chemin, comme par magie, le crâne de cristal s’illumina !
— C’est toi qui as fait ça ? demanda Samuel à Alex.
— Je ne sais pas comment le crâne a pu s’allumer comme ça, je te le jure !
— Les filles ont toujours été plus brillantes que les garçons, souligna Amélia.
Alex et Samuel firent semblant de ne pas apprécier le mot d’esprit d’Amélia. Ils ne la connaissaient pas beaucoup, mais ils l’aimaient déjà.
Ils arrivèrent devant trois ouvertures dans la grotte. Chacun des passages semblait profond. Ils décidèrent de s’engager dans celui de gauche, même s’il était plus étroit et donc moins invitant. Quelque chose leur disait que si quelqu’un voulait tromper les gens sur la route à prendre, le meilleur moyen était peut-être de la rendre en apparence plus diΩicile.
Au fond, ils virent des flammes danser sur les parois. Alex communiqua avec Amélia pour savoir si elle pressentait quelque danger. Malheureusement, cela ne semblait pas faire partie des pouvoirs des
crânes que de prédire l’avenir immédiat… Ils songèrent un moment à retourner sur leurs pas. Mais au point où ils en étaient, ils ne voyaient pas pourquoi. Ils étaient perdus sur une autre planète et ils avaient besoin de réponses. Quels que fussent les gens autour de ce feu, peut-être pourraient-ils les aider.
Ils débouchèrent dans une petite salle où un vieil homme barbu, à l’allure néanmoins robuste, les attendait. Il était habillé d’une simple tunique blanche. Malgré la sobriété de son vêtement, une aura d’autorité se dégageait de lui. Il était entouré de soldats portant chacun une cuirasse, un casque en métal, et tenant un bouclier brillant reflétant les flammes. Ils étaient tous armés d’une lance dont la pointe semblait être une pierre précieuse.
Alex et Samuel n’avaient pas anticipé pareil accueil…
— Ah, vous voilà, dit le vieil homme.
Ils se regardèrent, inquiets, ne sachant quoi répondre.
— Ne prenez pas cet air surpris, Sybille m’avait prévenu de votre arrivée.
— Sybille ?
— Oui, la gardienne du crâne. C’est bien pour ça que vous êtes ici ?
— En fait, euh, monsieur… balbutia Samuel.
— Nous n’avons aucune idée de ce que nous faisons ici, précisa Alex.
À leur grand étonnement, l’homme éclata de rire.
— Ne jouez pas les idiots avec moi, reprit-il sur un ton aussi sérieux que menaçant. Soldats, emparez-vous de leur crâne !
Rapidement, le duo fut encerclé par les soldats. Lorsque l’un d’eux s’avança pour arracher le crâne à Alex, il recula aussitôt, comme s’il avait été repoussé par une main invisible. De toute évidence, le crâne avait créé une espèce de champ de force autour de lui, comme Samuel avait pu le constater lors de l’assemblée.
— Je vois, fit le vieil homme.
D’un signe de la tête, il donna un ordre à un des soldats.
Le garde pointa sa lance en direction de Samuel et une lumière violette l’atteignit en pleine poitrine. Samuel tomba à la renverse. Deux soldats se précipitèrent sur lui et le tirèrent par les mains pour l’amener un peu à l’écart. Samuel avait les yeux ouverts, paraissait conscient, mais ne bougeait plus. Il semblait paralysé. Les hommes armés posèrent un pied sur chacune de ses épaules pour le maintenir au sol, avec leurs
lances braquées sur son cou.
— On rit moins, maintenant, n’est-ce pas ?
— Mais qui êtes-vous et que nous voulez-vous ? s’écria Alex.
L’homme parut perplexe devant la réaction d’Alex. Pour s’en assurer, il frotta la pierre de la bague à son doigt. Celle-ci vira au vert.
— Hum… Étonnant, avoua-t-il.
— Quoi donc ? demanda Alex.
— Remarque, avec les pouvoirs des crânes, il faut toujours se méfier.
— Mais quoi ? s’impatienta Alex.
— À moins d’un subterfuge, il semblerait que vous dites la vérité.
Alex prit une grande inspiration. Cet homme ne lui était pas du tout sympathique, c’était le moins qu’on puisse dire. Il fit un eΩort pour contenir sa colère montante.
— Écoutez… Il y a à peine une heure, mon ami et moi étions sur Terre, avec des gens qui nous ont expliqué que le crâne que j’ai entre les mains était une porte pour aller dans d’autres mondes, à la recherche d’autres crânes comme lui.
— On vous a bien informés, commenta le vieil homme.
— Mais c’est tout ! On ne sait rien d’autre !
— DiΩicile à croire…
— Je vous jure que c’est la vérité ! tonna Alex.
— Du calme, jeune homme.
— Facile à dire quand vos soldats pointent la gorge de mon ami avec leurs lances !
— Tu as raison, je ne m’y suis peut-être pas pris de la bonne manière. Et crois-moi, de la part d’un roi, ce n’est pas un mince aveu. Mais si tu savais les grands enjeux de tout ceci et la guerre qui se prépare… De toute façon, nous aurons bien le temps d’en discuter et d’éclaircir la situation.
Alex se demanda s’il avait bien entendu. L’homme devant lui se disait roi ! Pour Alex, tout allait trop vite. Des tas de questions se bousculaient dans sa tête. Leur arrivée sur cette planète devait être importante pour qu’un personnage si haut placé se déplace pour les « accueillir ».
Une lueur jaune émana de la pointe d’une des lances sous la gorge de Samuel et ce dernier sembla reprendre ses sens. Les soldats l’aidèrent à se relever.
— Qu’est-ce qui se passe… qu’est-ce qui est arrivé ? balbutia-t-il.
— Nous allons au palais, annonça le roi.
— Quoi ? s’étonna Samuel.
— Je crois que nous n’avons pas le choix, répliqua Alex.