Quand on évoque l’idée d’un départ à l’étranger, on imagine immédiatement de grands changements. Il est question de modifications sur le plan professionnel, de l’habitat, des écoles, des habitudes alimentaires, de la culture, des traditions, du climat ou même des loisirs. S’installer à l’étranger implique de s’habituer à de nouvelles normes et de nouvelles traditions, mais aussi réussir à s’adapter à un nouveau style de vie. Quand tout autour de soi évolue, change et se transforme, une impression de perdre pied peut apparaître. L’environnement extérieur, le cadre de vie, la culture d’immersion, les autres ou bien le monde professionnel ne sont toutefois pas les seuls objets de transformation. Le plus important et le plus insidieux se situe à l’intérieur de soi. Avec le temps, le sentiment d’étrangeté devient familiarité, l’ailleurs se mue en un chez-soi. Un processus interne et des stratégies personnelles se mettent en place. Ce sont les transformations internes et plus subtiles de la façon d’appréhender le quotidien dans cet ailleurs qui vont influencer de façon importante le vécu à l’étranger. Dans le meilleur des cas, l’expérience de vie à l’étranger est intégrée et assimilée comme une pièce du puzzle interne qui fait dorénavant pleinement partie de soi.
Ce qui permet à l’individu une telle malléabilité dans son être provient d’un processus naturel de changement présent tout au long de l’existence. L’individu apprend constamment. Il prend certains risques, ouvre des portes inexplorées, découvre et acquiert de nouvelles expériences. L’être humain évolue en permanence. C’est ce cheminement évolutif qui façonne l’identité et permet à chacun de progresser, de traverser des périodes de transition et de résister aux pressions provenant de l’inconnu. Quand un événement important comme une expatriation crée une turbulence majeure dans un cheminement naturel, il peut y avoir un choc. L’événement majeur réclame une attention particulière et une énergie importante pour être intégré comme une étape de vie aux conséquences multiples.
La portée d’une expérience d’expatriation dans un parcours de vie peut s’avérer décisive sur toute l’évolution individuelle, mais aussi sur l’ensemble du groupe familial, et même sur les générations futures. En intégrant une part culturelle du pays d’accueil, tous les repères des individus se modifient. Une autre langue et de nouvelles coutumes peuvent être adoptées dans la vie familiale. Des interrogations à un niveau international s’immiscent sur les projets d’avenir. L’identité et la nationalité sont sources de remises en question. Les changements pénètrent l’existence du migrant à la fois en profondeur et en durée. Les épreuves auxquelles il faut faire face pour s’acclimater impactent grandement l’individu. D’une part, des ressources intérieures non soupçonnées peuvent être sollicitées. Le potentiel personnel semble s’élargir. Quelque chose de l’ordre du dépassement de soi prend forme, ce qui alimente satisfaction et estime de soi. D’autre part, des aspects de soi reniés ou rejetés peuvent refaire surface, ce qui peut créer un état de malaise plus ou moins temporaire. Certains peuvent s’enfermer dans une situation de repli empreinte de craintes et de doutes. Les conjointes d’expatriés, par exemple, qui subissent de façon passive une expatriation vécue comme imposée et non désirée peuvent se retrouver dans cette attitude d’enfermement. Elles mettent leur vie entre parenthèses le temps de la mutation de leur mari, s’oubliant elles-mêmes dans une sorte de résignation non épanouissante, en attendant de pouvoir reprendre leur vie en main dès leur retour.
L’expatrié est en fait au cœur d’un mouvement complexe. Il évolue en progression et en découvertes à la fois internes et externes à lui. C’est cette capacité à se développer dans ces différentes directions qui va l’aider à s’adapter. L’intelligence nomade correspond à l’acceptation de tous ces changements de façon harmonieuse pour se sentir en connexion à la fois avec cet environnement nouveau et avec un soi authentique. C’est saisir l’opportunité de s’épanouir dans un nouveau cadre de vie tout en s’enrichissant des imprévus et des différences. Plus tard, certains se diront alors n’être plus ni d’ici ni de là-bas ; d’autres, au contraire, se sentiront de partout en tant que citoyens du monde. Quel que soit le lieu de vie, évoluer dans la cohésion et l’acceptation de soi va permettre à tout un chacun de se réaliser pleinement à l’étranger.